L'Esclavage des Nègres, ou l'heureux naufrage

L’Esclavage des Nègres, drame en trois actes, en prose, d’Olympe de Gouges, 28 décembre 1789.

Théâtre de la Nation.

La pièce est également connue sous le titre de Zamore et Mirza, ou l'Heureux naufrage. Elle a été publiée en 1788 chez Cailleau avec ce titre :

Zamore et Mirza, ou l'Heureux naufrage, drame indien, en trois actes et en prose, Par Madame de Gouges.

Titre :

Esclavage des Nègres (l’), ou l'heureux naufrage

Genre

drame

Nombre d'actes :

3

Vers / prose ?

prose

Musique :

non

Date de création :

28 décembre 1789

Théâtre :

Théâtre de la Nation

Auteur(s) des paroles :

Olympe de Gouges

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez la veuve Duchesne, mars 1792 :

L’Esclavage des noirs, ou l’heureux naufrage, drame en trois actes, en prose, Représenté à la Comédie Françoise, en Décembre 1789. Par Mme de Gouges, Auteur des Vœux Forcés.

La pièce a été rééditée en 2006 aux éditions de L'Harmattan, avec une étude et une présentation de Sylvie Chalaye et Jacqueline Razgonnikoff. On y trouve en particulier un exposé de l'histoire d'une pièce qu'Olympe de Gouges eut la plus grande peine à imposer au théâtre, puisqu'elle a été écrite au début des années 80 et qu'elle n'a pu être jouée à la Comédie Française qu'à la toute fin de l'année1789. Les éditrices rappellent que la pièce d'Olympe de Gouges est la « première pièce du théâtre français à porter à la scène les réalités d'un commerce ignoble et à dénoncer l'horreur du système économique qui depuis plusieurs siècles faisait la prospérité des colons aux Caraïbes » et « aussi le premier drame à mettre en scène des esclaves noirs qui soient de vrais personnages avec une réelle prise de parole sur leur condition et à utiliser la scène comme une tribune contre l'esclavage afin d'atteindre l'opinion publique, de susciter son idignation et de provoquer le débat » (p. vii).

Réimpression de l’ancien Moniteur, tome deuxième (Paris, 1840), Gazette nationale, ou le Moniteur universel, n° 131, du jeudi 31 décembre 1789, p. 520 :

[Après le résumé de l’intrigue, dans lequel le critique insiste sur le pathétique de l’histoire racontée, le second paragraphe décrit le désordre qui a marqué la représentation du 29 décembre (si on peut se fier à « avant-hier » du début) : cris, sifflets, troubles... Et le fait que l’auteur soit une femme n’a pas suffi pour ramener un peu de douceur dans le théâtre.]

THÉÂTRE DE LA NATION.

L'Esclavage des Nègres, ou l'Heureux Naufrage, drame en trois actes et en prose, qu'on a représenté avant-hier, est une des productions les plus romanesques qu'on ait encore portées sur la scène. — Zamore et Mirza, nègres fugitifs, recueillent, dans une île déserte, où ils ont cherché un asile, des Français que l'orage y jette, après avoir brisé le vaisseau qui les portait. Zamore, coupable du meurtre d'un blanc qui voulait enlever sa maîtresse, est bientôt ressaisi avec elle, chargé de fers et conduit à la ville où réside le gouverneur. La mort de cet esclave est considérée comme nécessaire pour l'exemple des nègres, qui déjà se sont livrés à quelques mouvements faits pour donner de l'effroi. En vain la sensibilité du gouverneur parle-t-elle pour Zamore dont il a élevé l'enfance, en vain la femme de ce gouverneur, les Français dont Zamore a conservé les jours, et quelques autres personnages se réunissent-ils pour solliciter en sa faveur : la loi parle ; son représentant en réclame l'exécution ; Zamore et Mirza vont mourir ensemble. Enfin la femme d'un des Français que le nègre a sauvés, vient à l'instant même du fatal sacrifice, demander la grâce de son bienfaiteur. Le gouverneur retrouve en elle une fille qu'il a eue en France dans un mariage clandestin, et dont il ignorait le sort. Les larmes de cette intéressante personne, celles de l'épouse actuelle du gouverneur, les prières des autres esclaves, tout se. réunit pour Zamore à qui l'on pardonne, et qui devient l'époux de Mirza.

On citera peu de représentations aussi orageuses que celle de ce drame. Vingt fois les clameurs opposées de deux partis, dont l'un était protecteur et l'autre persécuteur, ont pensé l'interrompre. Avant le lever du rideau, le trouble était déjà dans la salle. A voir la chaleur avec laquelle on s'animait de part et d'autre, on aurait cru que la grande cause de l'esclavage ou de la liberté des nègres allait se traiter devant les partis que leurs divers intérêts devaient engager à la combattre ou à la défendre. On a crié, on a harangué le public, on a ri, on a murmuré, on a sifflé ; le résultat a été beaucoup de bruit, et la représentation très tumultueuse d'un ouvrage très médiocre. Une grande négligence de style, une action boiteuse, des situations forcées, des ressorts usés et rebattus, quelques élans d'une sensibilité faible et peu communicative; rien de tout cela n'était fait pour calmer la fermentation publique : elle a été la même jusqu'à la fin ; si bien, qu'après le ballet qui termine la pièce, et dont quelques parties avaient été applaudies, les sifflets ont recommencé à se faire entendre. Il ne faut pas manquer d'observer qu’au commencement du premier acte, quelqu'un s’était levé pour dire, que l’auteur était une femme, et que le public n'en a pas été plus indulgent.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1790, tome II (février 1790), p. 327-329 :

[Article repris du Mercure de France, tome CXXXVIII, n° 2 du samedi 9 janvier 1790, p. 88-91.

Le compte rendu ne parle pas vraiment d’un échec, tout en soulignant que la représentation ne s’est pas très bien passée. Le sujet, très sensible au moment de la représentation, aurait dû susciter un grand intérêt pour la pièce. Mais l’auteur n’a pas été « protégée » par le fait qu’elle est une femme. Le critique souligne plusieurs points positifs : le but moral, mais il est masqué par le fait que le personnage a commis un crime ; et l’imagination débordante de l’auteur.]

THÉATRE DE LA NATION (*).

On a donné, lundi 27 décembre, pour la premiere fois, une piece de Mde. de Gouge, intitulée : l'Esclavage des Negres. Dans les circonſtances présentes, ce titre a dû exciter l'empressement du public ; aussi l’assemblée a-t-elle été assez nombreuse. Mais cette affluence, toujours flatteuse pour l'auteur, est presque toujours aussi dangereuse pour l'ouvrage, parce que des spectateurs nombreux sont ordinairement des juges séveres. On savoit à la vérité que l'auteur étoit une femme ;. mais il semble (& l'expérience l'a prouvé plus d'une fois) qu'une femme, pour conserver ses droits à la galanterie ſrançoise, ait besoin de les recueillir en personne, & qu'elle ne puisse être complettement représentée par son eſprit ; on diroit que le spectateur, devenu son juge, se croit dispensé d'être galant ; qu'il ne voit plus son sexe à travers ses prétentions; & c'est peut-être jusqu'aujourd'hui le seul tribunal en France, auquel on n'ait pu appliquer ce vers de la Métromanie :

Minerve est éconduite, & Vénus a la pomme,

Ce n'est pas que la piece de l'Esclavage des Negres ait été reçue d'une maniere humiliante pour son auteur ; mais elle n'a pas produit l'effet qu'on devoit attendre du sujet, & de la maniere ambitieuse dont il est traité : par Mde. de Gouge a fait mouvoir à la fois tous les ressorts du pathétique, & son drame, au style près qui est loin de mériter ce reproche, a toutes les formes, & par conséquent les prétentions de la tragédie.

Nous renvoyons, pour les détails de l’intrigue, à l'ouvrague [sic] même qui est imprimé depuis longtems. Il nous suffira de dire quelques mots du sujet, & d'y joindre deux ou trois observations que l'auteur peut-être a déja faites lui-même ; car le véritable talent a une conscience ; & à ce titre, Mde. de Gouge a le droit & la faculté de se juger elle-même.

Zamore, esclave d'un gouverneur d'une colonie indienne, a commis une faute qui doit être punie de mort. Quoiqu'innocent dans l'intention, il a tué l'intendant de son maître, & pour éviter son châtiment, il a pris la fuite avec sa chere Mirza, qui a été la cause & l'objet de son crime. Dans l'isle où ils se sont réfugiés, la tempête ayant jetté par hasard deux jeunes époux françois, Zamore sauve la femme, qui se trouve ensuite la fille du gouverneur. Les deux esclaves ne tardent pas à être découverts : ils rentrent dans leurs fers, pour être envoyés à la mort ; mais la jeune personne que Zamore a sauvée, obtient sa grace & celle de Mirza , qui devoit mourir avec lui.

Les incidens qui surchargent cette intrigue, sont fort nombreux; aussi la marche en est-elle saccadée ; les détails qui se succédent trop rapidement, n'ont pas le tems de frapper assez l'imagination pour arriver juſqu'au cœur.

Une chose encore peut avoir nui à l'intérêt ; c'est le moyen par lequet l'auteur a voulu arriver à son but moral ; car il y en a un bien évident dans cet ouvrage. L'intention de Mde. de Gouge étoit d'intéresser & d'attendrir en faveur de ces êtres si malheureux, qui ont perdu le premier de tous les biens, la liberté. Mais n'étoit-ce pas aller contre ce but, que de charger son héros d'un meurtre ? Zamore est coupable d'un homicide ; & l'homicide, quand même il est excusé par la nature, la sûreté publique veut qu'il soit toujours puni par la loi, Tout homme, soit Indien, soit François, soit libre, soit esclave, s'il en tue un autre, est condamné à mourir ; & si les circonstances intéressent assez en sa faveur, pour qu'on lui laisse la vie, ce n'eft point justice, c'est grace. Nous croyons donc que Mde. de Gouge, en choisissant un negre moins criminel, auroit inspiré plus d'intérêt en faveur de l'esclavage, & plus d'horreur pour les tyrans.

C'est avec plaisir que nous adhérons d'ailleurs au mérite d'imagination qu'on a reconnu dans cette piece. ll y a dans l'action qui la compose une plénitude, une sorte d'abondance, qui ne peut que donner une idée avantageuse de l'esprit de son auteur. On compte redonner la piece avec des changemens qui lui procureront peut-être un accueil plus favorable.

(*) C'est le nouveau titre qu'ont pris Mrs. les comédiens françois ; & c'est la dénomination que nous employerons dorénavant.

D’après la base César, la pièce a été jouée deux fois, le 28 décembre 1789 et le 2 janvier 1790, au Théâtre de la Nation.

La base Lagrange de la Comédie Française connaît trois représentations à l'Odéon-Théâtre Français, en 1789 et 1790.

 

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