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Est-il mort ? N’est-il pas mort ? ou Cassandre perdu

Est-il mort ? N’est-il pas mort ? ou Cassandre perdu, Vaudeville en un acte, de M. Rougemont, 25 septembre 1809.

Théâtre du Vaudeville.

Titre :

Est-il mort ? N’est-il pas mort ? ou Cassandre perdu

Genre

vaudeville

Nombre d'actes :

1

Vers / prose

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

25 septembre 1809

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

Rougemont

Journal de Paris n° 252 du 9 septembre 1809, p. 1867-1868 :

[Lettre du fameux aéronaute Garnerin démentant sa mort et annonçant le vaudeville racontant son aventure. Cette pièce de Rougemont, est-ce celle qu’on vient de jouer au Vaudeville ? Garnerin n’est pas très clair.]

VARIÉTÉS.

Aux Rédacteurs du Journal.

Paris, le 8 septembre.

Messieurs, pour faire cesser toute contradiction à mon sujet, je vous informe que je suis seulement arrivé à Paris hier matin. Je m’empresse d’avoir l’honneur d’exprimer au public une profonde & respectueuse reconnoissance, pour les regrets que lui ont inspiré le bruit de ma mort. Ceux qui m’ont honoré d’un soupir ne seront pas fâchés de ma résurrection, il n y aura que les espérance déchues qui exciteront la malignité dans cette circonstance. Un homme qui depuis nombre d'années expose sa vie pour abstenir sa mère, sa belle-mère, & aider d’autres parens encore, sera toujours défendu par les gens de bien. Le public gagnera de ma part de nouveaux efforts qui lui attesteront ma reconnoissance & une gracieuse production de M. de Rougemont qui lui a été inspirée par l’heureux résultat de mon voyage. Bon goût, décence, critique aimable, malice spirituelle et légère; voilà ce qu’on doit attendre de sa réputation, & ce que justifieront ses talens.

Garnerin.

Journal de Paris du mardi 26 septembre 1809, p. 5-6 :

[La pièce se moque des journalistes qui annoncent de fausses nouvelles et se contredisent. Le critique tient à montrer qu’ils peuvent ne pas être rancuniers, et qu’ils peuvent se montrer miséricordieux envers l’auteur tombé. La pièce est une arlequinade qui se moque de l’annonce de la mort d’un aéronaute, qui était en fait bien vivant : Cassandre assume le rôle dans une farce dont le critique se limite à dire qu’elle n’est pas « d’un comique très-délicat ». Le jugement porté est plutôt sévère : « farce très-peu plaisante », indigne de son auteur, que le critique connaît manifestement. Le début témoigne d’ailleurs des capacités... du musicien.]

Théâtre du Vaudevi11e.

Est-il mort, ou n’est-il pas mort ? ou Cassandre perdu.

On peut bien dire des journalistes :

Ces démons dont on nous fait peur,
Sont les meilleures gens du monde.

Un auteur les attaque, ils en rient ; l’auteur tombe, ils n’insultent point à sa peine ; ils lui tendent une main secourable, &c ce n’est pas toujours leur faute, s’il reste à terre.

Tous les journaux de la capitale sont, ou plutôt étoient malicieusement nommés dans l’arlequinade dont nous avons à rendre compte ; on s'y moquoit le plus spirituellement du monde de leurs arrêts, qui ne sont point des articles de foi, de leurs foudres qui ne tuent que les morts, de leurs disputes, de leurs contradictions perpétuelles ; il y avoit enfin de quoi les rendre furieux.... ; un concert de sifflets les venge, &c les voilà tout à coup d'accord pour avoir pitié de leur ennemi commun ; tout le monde veut que la pièce soit détestable, &c eux seuls, combattant cet excès de rigueur, tâchent maintenant d'y trouver telle rime, ou telle pointe de couplet qui puisse du moins décèler un peu d'esprit & de talent. Il est vrai que notre mémoire seconde allez mal nos bonnes intentions à cet égard ; nous sommes encore à chercher un mot digne d'être cité à nos lecteurs. Mais il ne faut désespérer de rien ; demain peut-être nous le trouverons.

Il est clair que la prétendue mort d’un aéronaute très-connu, & les versions contradictoires auxquelles cet événement ridicule a donné lieu, ont fourni le sujet de l’arlequinade intitulée Est il mort, ou ne l’est il pas ? Cassandre est là pour cet aéronaute ; un journal annonce le trépas du bon homme, une autre feuille assure qu'il se porte bien. Sa femme, qui le déteste, fait des vœux ardens pour être débarrassée de lui (ce qui est d’un comique très-délicat) ; des héritiers se présentent chez la dame pour faire valoir leurs droits ; elle leur oppose les siens ; Cassandre enfin survient dans le moment le plus critique, & il se fait pardonner sa résurrection, en montrant à M.me Cassandre que ses vols (dans les airs) lui ont rapporté beaucoup d’argent.

Cette farce très-peu plaisante est, dit-on, d’un homme d’esprit, à qui le théâtre du Vaudeville doit un grand nombre de jolis ouvrages. Errare humanum est ; souvenons-nous qu’Homère sommeilloit quelquefois.

Un auteur qui n’en pas Homère,
Peut bien nous faire sommeiller.

Si la pièce, au surplus, manque de sel & de gaieté, on en est plus que dédommagé par l’ouverture, qui est un feu roulant de bonnes plaisanteries & de piquantes épigrammes. Tous les honneurs de la représentation appartiennent donc au musicien ; & c’est vraiment un fait à noter.

L’Esprit des journaux français et étrangers, année 1809, tome XI, p. 282-286 :

[Le compte rendu paraît bien long pour une si mince pièce. Mais c’est que le critique en profite pour régler bien des questions concernant le vaudeville (genre) et le Vaudeville (théâtre). Il commence par montrer le caractère ambigu de la réussite des pièces de ce genre, sachant que toutes sont vouées à mourir (parce que le compte rendu joue beaucoup sur le titre de la pièce). L’intrigue (ou ce qui en tient lieu) est longuement résumée pour en montrer qu’elle est bien mince et que les traits d’esprit y sont rares. L’affaire de ce vaudeville jouant avec des faits réels a donné lieu à polémique dans les journaux : Garnerin lui-même a écrit dans un journal à propos d’un vaudeville concernant la rumeur de sa mort, en l’attribuant à Rougemont. Est-ce cette pièce ? Le critique examine longuement la question, sans conclure vraiment. La fin de l’article tourne sur la critique des auteurs de vaudevilles, incapables de faire autre chose que de reproduire les plaisanteries qui ont fait rire, sans chercher de nouveaux ridicules à mettre sur la scène. Le tableau du théâtre de vaudeville semble peu positif : on y répète beaucoup, et le public se contente de peu.]

Est-il mort ? N'est-il pas mort ? ou Cassandre perdu. -

To be or not to be that is the question.

Est-il mort ? N'est-il pas mort ? Voilà la question que tout le monde se faisait en sortant du vaudeville nouveau. Est-il mort ? Oui, car on l'a sifflé. N’est-il pas mort ? Non , car on l'a applaudi. Mais meurt-on pour avoir été sifflé ? Non, car beaucoup d'auteurs ne vivent que de cela. Vit-on pour avoir été applaudi ? That is the question. Qu'il nous suffisse donc pour le moment de savoir qu'il mourra un jour ou l'autre. Nous sommes tous mortels, disait un prédicateur à Louis XIV ; oui , sire, presque tous , ajoutait-il pour adoucir la chose. Les vaudevilles, sur-tout ceux de cette année, sont ni plus ni moins que nous autres pauvres humains presque tous mortels. Il faut que , le soleil leur ait manqué comme aux raisins ; et ils n'ont pas mûri ; ou bien qu'ils aient gelé en fleur : je le conçois , la saison a été si mauvaise ! Aussi on les voit poindre, il paraît presque une idée, un sujet brillant attire la foule, on écoute avec attention les premiers couplets , on est à l'affût du premier trait d'esprit ou premier mot heureux , on se dit cela viendra , et rien ne vient, On attend le commencement d'une intrigue, l'intrigue ne commence pas et le vaudeville finit ;

Il meurt avant d'avoir vécu,
C'était bien la peine de naître.

Que ne promettait pas, par exemple, le snjet du Vaudeville, M. Garnerin tenu pour mort ; les scellés mis chez lui ; mille histoires racontées à ce sujet et que je ne répéterai pas parce qu'on en ferait encore un vaudeville. Mais n'y eût-il que l'embarras d'un homme à qui tout le monde soutient qu'il est mort ; qu'il doit être mort ; qu'on s'est arrangé là-dessus ; que s'il revient, c'est sa faute, et que ce n'est pas aux autres à en souffrir ; et le pauvre homme, tout honteux de n'être pas mort, quand il voit combien de gens sa résurrection va gêner et contrarier ; je ne voudrais que cela pour faire un vaudeville plus gai que ne le sont les jérémiades de Mme. Cassandre sur la prétendue mort de son mari, jérémiades dont elle se dédommage, quand elle est seule, par une ariette de bravoure sur les plaisirs du veuvage, et par le projet qu'elle forme d'épouser Gilles, à qui elle était promise avant son mariage avec M. Cassandre. Cependant, si un journal a annoncé la mort de M. Cassandre, Arlequin qui est intéressé à sa vie, parce qu'il lui a promis sa nièce Argentine, apporte un autre journal dans lequel M. Cassandre n'est pas mort ; mais arrive le journal de Gilles, qui confirme la mort de M Cassandre, et l'on ne peut nier, comme l'observe le désolé Arlequin, qu'il ne donne à cet égard les détails les plus satifaisans ; oui, mais l'entrepreneur de Tivoli qui a besoin de M. Cassandre pour une de ses fêtes, soutient, son journal à la main, qu'il est plein de vie, tandis que le journal de ses héritiers le tient pour mort. Quelle belle occasion de tomber sur les journalistes ; et pourquoi n'en pas mieux profiter ? Le public aurait ri des plaisanteries du Vaudeville sur les journalistes, pour peu qu'elles eussent été passables, et aurait ri le lendemain des plaisanteries des journalistes sur le Vaudeville ; car tout est agrément dans le métier où l'on se charge d'amuser le public ; il rit par vous, il rit de vous, et pourvu qu'on se moque de quelqu'un, il lui importe fort peu quel est le moqueur ou le moqué ; il a eu de l'espérance, quand il a entendu un vaudeville attaquer les journaux : mais on lui a dit qu'un article de journal n'est pas un article de foi ; il a trouvé que cela ne valait pas la peine d'être dit ; on a ajouté :

Qu'un journal jamais ne tue
Que les gens qui sont bien morts.

Cela est encore vrai, mais c'est ce dont un auteur ne devrait jamais convenir. Ensuite Arlequin a compté les voix, et comme trois journaux qui annonçaient la mort de M. Cassandre n'étaient démentis que par deux, il a déclaré à la majorité M. Cassandre décidément mort ; et on allait s'en tenir là quand M. Cassandre est arrivé en personne, descendant du ciel derrière son ventre de carton qui représentait un ballon. Il a raconté que cette nouvelle était un tour de sa façon pour faire parier de lui ; qu'il arrivait de Bruxelles où il se faisait voir pour 15 sous, et où il serait encore si un autre charlatan, qui montrait un âne , un singe et un perroquet n'avait trouvé moyen de le faire déguerpir sous prétexte d'un réglement qui ne permettait pas dans la ville deux spectacles semblables. Ces plaisanteries et quelques autres du même genre sur M. Cassandre m'avaient donné le désir de savoir si ce vaudeville est celui qu'a annoncé M. Garnerin lui-même dans le Journal de Paris du 9 Septembre, où, pour faire cesser toute contradiction à son sujet, il annonce sa résurrection et son arrivée à Paris, exprime au public sa profonde et respectueuse reconnaissance pour les regrets que lui ont inspiré le bruit de la mort de ce fameux aréonaute, et lui promet en même temps, pour le dédommager de ce petit chagrin, une gracieuse production de M. Rougemont, qui lui a été inspirée, dit-il, par l'heureux résultat de mon voyage. Bon goût, décence, critique aimable, ajoute le débonnaire voyageur, malice spirituelle et légère, voilà ce qu'on doit attendre de sa réputation et ce que justifieront ses talens. Le public, moins curieux que moi, ne s'est pas soucié de savoir le nom de l'auteur de ce vaudeville, dont il a paru beaucoup moins content que M. Garnerin de celui de M. Rougemont Si par hasard c'était le même, le public aurait grand tort, car si M. Garnerin en est content tout le monde doit l'être, et dans ce cas aussi ; la profonde reconnaissance de M. Garnerin pour les regrets qu'il a inspirés au public, et pour la critique aimable qu'il a inspirée à M. Rougemont, ajouteraient à sa réputation celle d'un très bon caractère. Mais j'avoue que des gens dont j'admire le caractère, ce sont nos auteurs de vaudeville ; ils voient tellement tout en beau qu'ils ne trouvent pas un ridicule nouveau à critiquer. Quoi ! n'y a-t-il donc rien à Paris à chansonner que les maris, les médecins et quelquefois les auteurs ? N'y a-t-il rien de neuf en fait de bizarrerie ? Sommes-nous donc devenus si raisonnables que nous puissions nous passer de ridicules, ou si stupides que nous ne sachions pas même en inventer de nouveaux ? N'avons-nous plus de changemens de mode, de prétentions d'un genre particulier et risible ? Tournons-nous tellement dans le cercle de nos vieilles sottises, que même un vaudeville de circonstances n'inspire rien à son auteur qui n'eût pu également convenir aux circonstances d'un demi-siècle en ça ? Il me semble cependant que notre figure est assez changée pour fournir aux faiseurs de portraits quelques traits nouveaux. Mais ce ne sont pas les figures qu'ils examinent, ce sont les portraits déjà faits. Ils cherchent à imiter ce qui les a fait rire au Vaudeville, et non ce qui leur a paru piquant dans la société, Une sorte de gaieté de routine qu'ils vont alimenter au théâtre, compose tout leur fonds, qu'ils ne cherchent pas à augmenter, à conserver du moins en puisant dans quelque source plus naturelle et moins commune. Ils rient d'habitude, et le public fait comme eux à des choses qu'il a entendues cent fois, mais dont il faut bien qu'il tâche de s'amuser, puisqu'on ne lui donne pas d'autre sujet : car les auteurs de vaudevilles ont un avantage bien réel : c'est le besoin qu'ont la plupart des gens d'être satisfaits de ce qu'on leur donne pour tuer le temps, de peur d'être obligés de l'employer faute d'avoir de quoi le perdre. Il est cependant impossible, quelque économe qu'on soit de leurs plaisirs, que le fonds ne finisse bientôt par s'en épuiser, si l'on ne cherche un peu hors du théâtre ce qui doit le remplir. Et c'est au Vaudeville sur-tout, je crois, que la société actuelle peut offrir des ressources. Nos mœurs trop peu fixées, trop peu uniformes pour fournir à la comédie des tableaux assez généraux, offrent précisément par leur incohérence une foule de traits, faits pour exciter une gaieté vive, quoique les travers dont ils sont le résultat ne présentent pas assez de consistance pour appuyer une peinture approfondie. Les formes de la société ne cachent plus le ridicule dans le fond des caractères et sous des apparences brillantes ; il se présente tout entier au dehors, sous la main ; il n'y a qu'a le cueillir : comment se fait-il que personne n'en prenne la peine ?

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 14e année, 1809, tome V, p. 135 :

[Pièce de pure circonstance, cette « bluette » est venue un peu tard, et n’a pas profité de l’effet de la rumeur. Pas assez gaie, trop misogyne, elle a eu peu de succès.]

Est-il mort ? n'est-il pas mort ? vaudeville joué le 25 septembre.

La mort et la résurrection de l'aéronaute Garnerin, ont donné lieu à cette bluette de circonstance, qui est venue un peu trop tard pour avoir beaucoup de succès. On y a trouvé peu de gaieté, et des traits un peu trop mordants contre les femmes.

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