L'Emprunt secret

L'Emprunt secret, ou le Prêteur sans le vouloir, opéra-comique en un acte, paroles de Planard, musique de Pradher, 15 juillet 1812.

Théâtre de l'Opéra-Comique.

Titre :

Emprunt secret (l’), ou le Prêteur sans le vouloir

Genre

opéra-comique

Nombre d'actes :

1

Vers / prose

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

oui

Date de création :

15 juillet 1812

Théâtre :

Théâtre de l’Opéra Comique

Auteur(s) des paroles :

Planard

Compositeur(s) :

Pradher

Almanach des Muses 1813.

M. Durivage a promis assez imprudemment sa fille à un vieux procureur, si, à une époque fixe, il ne lui a pas rendu 10,000 fr. que ce dernier lui a prêtés. Le moment fatal est arrivé, et déjà toute espérance est perdue, lorsque le valet de l'amant favorisé trouve moyen de dérober 10,000 francs que le procureur avait cachés sous un pot de fleurs. Ce vol, que l'auteur a désigné d'un mot plus honnête, sert à dégager ma parole de M. Durivage, qui, du reste, n'est pour rien dans ce tour de valet. Le procureur ne tarde pas à apprendre qu'on l'a payé avec son argent : il s'emporte, lorsque heureusement un oncle, qu'on ne voit pas, donne au jeune amant les moyens d'acquitter légitimement cette dette.

Dialogue facile et spirituel ; musique agréable ; du succès.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Mme Masson :

L'Emprunt secret, ou le Prêteur sans le vouloir ; opéra comique en un acte et en prose ; Représenté, pour la première fois, à Paris, sur le théâtre de l'Opéra Comique, le 25 juillet 1812. Paroles de M. Planard. Musique de M. Pradher.

Journal de Paris, n° 208 du 26 juillet 1812, p. 2 :

[La pièce est peu sérieuse, et le critique choisit de se mettre à l'unisson pour en rendre compte. Il part de l'idée que le titre est trompeur, qu'il transforme en emprunt ce qui est manifestement un vol, sage précaution qui n'a pas empêché « quelques moralistes inflexibles » de montrer leur indignation. Le résumé de l'intrigue est présenté comme le moyen de trancher le débat. Il y est question d'un père qui a promis de donner sa fille à un procureur s'il n'était pas capable de rembourser un prêt qu'il lui a consenti. Et bien sûr, il n'en est pas capable. La jeune fille et son amant vont être sauvés par le valet du jeune homme, qui trouve dans le jardin du procureur cinq fois la somme qu'il s'agit de rembourser. Une telle incivilité a provoqué une vive réaction d'une partie du public devant « des inconvenances trop choquantes », mais la majorité des spectateurs a « applaudi et crié » et a sauvé ainsi la pièce, aidé en cela par la musique, qui comporte « quelques morceaux agréables ». Elle est de Pradher, ce qui n'a pas surpris, pas plus que le nom de l'auteur du « poëme »; de Planard, « connu avantageusement […] par beaucoup d'autres ouvrages ».]

THÉATRE DE L'OPÉRA—COMIQUE.

Première représentation de l'Emprunt secret.

Bien des gens osent se plaindre de la dégradation de notre morale ; ils ont grand tort. Les mœurs publiques sont respectées aujourd’hui plus que jamais ; elles le sont jusques sur les affiches. La preuve en est en gros caractères sur l’annonce de la pièce nouvelle. Un éditeur du temps des Welches aurait fait lire au coin des rues : Ce soir on jouera à l'Opéra-Comique le vol manifeste ou le ruiné sans le vouloir. L’urbanité moderne a substitue à ce titre barbare celui de l'Emprunt secret ou le Prêteur involontaire, ce qui est infiniment plus honnête et plus humain.

Malgré cette douce précaution, quelques moralistes inflexibles se sent obstinés à ne voir dans cet emprunt qu’un guet à pens. Nous invitons nos abonnés à juger s’ils ont eu raison.

Le procureur Dubuisson a prêle dix mille francs à son voisin Durivage, qui lui a promis par contrat la main de sa fille, si tel jour, à midi, il ne lui avait pas rendu ses dix mille francs. Nous sommes au tel jour, et à onze heures du matin, le hasard fait découvrir au valet d’Armand, amant aimé de la jeune fille, que l’avare Dubuisson a caché cinquante mille francs sons un pot de fleurs de son jardin. Ce valet cajole une vieille gouvernante. Introduit par elle dans le jardin, il l’en éloigne sous un léger prétexte, s’empare des cinquante mille francs, et court rembourser le procureur avant que l’heure fatale ait sonné....

Ici une partie du public s’apercevant qu’on empruntait son attention pour des inconvenances trop choquantes, a fait entendre un autre carrillon que celui de la paroisse, mais les nombreux amateurs de ce genre d’emprunt ont applaudi et crié si fort que la pièce a fini plus heureusement qu’on ne s’y attendait.

La musique a peut-être contribué à cette heureuse fin. On y a remarqué quelques morceaux agréables, et cela n’a point étonné, lorsqu’on a appris qu’elle était de M. Pradère Le poëme a été attribué à M. Planard, connu avantageusement, a-t-on ajouté, par beaucoup d’autres ouvrages. Cette addition nous a paru de fort bon sens.

M.          

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 17e année, 1812, tome IV, p. 414-415 :

[Un valet qui vole son maître (ou fait semblant) ? Cela rappelle Molière et son Avare, bien sûr, mais la comparaison nuit à la pièce nouvelle : le vol y est longuement montré, dans tous ses détails. La pièce est sinon plutôt agréable (elle contient « d'assez bons motifs »), mais elle pourrait être plus gaie, plus amusante. Une seule vraie scène comique, celle du dépit amoureux (encore un grand classique). Une autre scène, celle du valet et de la gouvernante un peu sourde, est jugée trop courte (reproche rare : on se plaint généralement des longueurs). Musique de Pradère (un nom à l’orthographe variable), mais la pièce est attribuée à l’auteur des paroles.]

THÉATRE DE L'OPÉRA COMIQUE.

L’Emprunt secret, ou le Préteur sans le vouloir, opéra comique en un acte.

L'exemple de Laflèche enlevant la cassette d'Harpagon, a fait penser à un jeune auteur qu'il pouvoit, avec aussi peu d'inconvénient, nous offrir un valet dérobant cinquante mille francs à un procureur.

On ne peut pas considérer de même son Emprunt secret. Le public voit malheureusement tous les détails du vol, il les voit longuement. L'auteur s'est pourtant efforcé de motiver et de justifier autant qu'il l'a pu la témérité de son valet. Il faut rembourser à midi une somme de dix mille francs ; l'amant n'a pour toute ressource qu'une maison qu'il ne peut vendre, et un oncle qui est sur le point d'arriver d'Amérique. Le procureur reçoit d'un client, avec les fonds nécessaires, l'ordre d'acheter sur le champ la maison du jeune homme. Le malin procureur, qui prévoit que cet achat pourroit aider ses débiteurs à le rembourser avant midi, remet l'acquisition au lendemain ; c'est ce qui détermine le valet à le voler, et les dix mille francs qu'on lui compte sont à peine entre ses mains que l'arrivée de l'oncle américain répare tout le mal : voilà sans doute d'assez bons motifs, il ne leur a manqué que d'être plus gais et plus divertissans ; tout l'esprit de la pièce se trouve dans une scène de dépit amoureux qu'on a fort applaudie. Le duo qui se trouve dans cette scène fait honneur à M. Pradère. La ruse du valet pour engager la vieille gouvernante, qui se prétend un peu sourde, à lui ouvrir la porte du jardin, a fait aussi quelque plaisir ; on a regretté que ce mouvement, qui est comique, ne fût pas plus prolongé.

La pièce a eu un demi-succès. Elle est de M.J. Planard.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome IX, septembre 1812, p. 292-295 :

[L’Emprunt secret, un emprunt pas très discret à l’Avare de Molière et aux Deux Ermites. La parenté est évidente : « voilà encore un Harpagon qui se désespère, qui crie au voleur, et qu'on va faire consentir à un mariage en lui restituant ses pistoles ». Rien de bien neuf donc, et la morale de la pièce a déplu à « quelques rigoristes du parterre ». Et si « l’auteur a mis assez d'art à sauver l'inconvenance de son sujet », il n’a pas su conduire son intrigue : rien de naturel et de raisonnable dans l’enchaînement des scènes. Le dispositif scénique offre un double décor, mais des deux côtés, il y a force invraisemblances. Il aurait fallu dépasser le cadre étroit de l’acte et développer plus mes scènes : tout va trop vite. La pièce a cependant des qualités : il a su faire une scène de brouille et de réconciliation (une scène si souvent montrée) une scène originale au dialogue gai. Le livret ne laisse pas non plus assez de place pour le musicien, qui comme les acteurs a fait ce qui lui était possible de faire. Plus proche du vaudeville que de l’opéra comique, l’ouvrage ne lui laissait pas de possibilité de développer son talent et de déployer ses moyens. Peu de morceaux, donc, mais ils ont été remarqués, même si tel air est trop riche en détails. Les complime,nts que le critique lui fait sont d’ailleurs un peu ambigus : « ce système de composition n'est pas celui des maîtres dont les ouvrages vivent le plus long-temps au théâtre ». On y sent comme une réticence envers des nouveautés qui dérangent.]

THÉÂTRE DE L'OPÉRA-COMIQUE.

L'Emprunt Secret.

L'auteur de l’Emprunt Secret en a fait deux assez publics à l’Avare, et, qu'on me pardonne ce rapprochement, aux Deux Ermites. Voici encore un trésor soigneusement caché ; un avare qui craint de se trahir, même en surveillant son coffre-fort; un valet audacieux qui, comme Figaro, sachant que la meilleure manière d'entendre est d'écouter, surprend quelques mots à notre avare, lui entend lire une lettre, le voit visiter sa cachette, et saisit un moment favorable pour mettre une pierre à la place d'un porte-feuille ; ainsi voilà encore un Harpagon qui se désespère, qui crie au voleur, et qu'on va faire consentir à un mariage en lui restituant ses pistoles.

Un vol, dira-t-on, est donc le moyen principal employé par l'auteur. Il faut en convenir, ce qui, dans l’Avare, se passe derrière la scène, la découverte qui, dans les Deux Ermites, est l'effet du hasard, sont ici un vol déguisé sous le titre d’Emprunt Secret, et un vol qui se commet sur la scène. Crispin et la Branche veulent bien emporter une fille et une dot : de son côté, la Branche veut bien voler Crispin, mais l'or et la demoiselle restent intacts ; nos fripons en sont quittes pour se justifier sur l'intention et sur l'habitude : ici le valet est le plus honnête homme du monde ; s'il vole, c'est pour servir son maître, et assurer son mariage pour la réussite duquel un petit emprunt est indispensable ; il oublie seulement qu'il n'est pas permis de se faire justice à soi-même ; que parce qu'un homme vous doit 15000 fr. on n'a pas le droit de lui en prendre 50000, sauf à compter ensuite, et qu'ici, le système de la compensation reçoit une application un peu forcée : aussi quelques rigoristes du parterre ont-ils trouvé le but moral de l'ouvrage trop éloigné pour être bien senti.

Au surplus, l'auteur a mis assez d'art à sauver l'inconvenance de son sujet ; mais il en a mis beaucoup moins à conduire son intrigue, et à enchaîner ses scènes d'une manière naturelle et raisonnable. Le théâtre offre une double scène, et sur l'une et l'autre on remarque bien des invraisemblances ; le cadre d’un acte était peut-être trop étroit pour renfermer toutes les parties du sujet traité ; aussi les scènes se succèdent-elles avec plus de rapidité que de développement, et les incidens avec plus de mouvement que de liaison et de convenance ; quoi qu'il en soit, il faudra tenir compte à l'auteur d'une idée heureuse, après tant de scènes où l'on voit des amans se brouiller et se raccommoder, de quelques moyens qui annoncent de l'imagination, et d'un dialogue qui ne manque pas de gaîté.

Quand ces élémens se trouvent dans un petit acte d'opéra-comique, c'est au musicien et aux acteurs à faire le reste, et sous ce rapport, M. Louis Pradhere d'un côté, MM. Lesage, Gavaudan, Paul de l'autre, ont bien fait tout ce qui était en leur pouvoir.

Cependant, l'ouvrage convenait plus au vaudeville qu'à l'opéra-comique ; pressé par la vivacité de l'intrigue, l'auteur ne laisse pas assez au musicien le temps de respirer ; il le serre, il l'étrangle, il ne lui permet aucun développement, il lui interdit l'emploi de ses moyens, il lui impose le sacrifice de son art; ce n'est pas avec de tels ouvrages qu'un jeune compositeur peut faire ses preuves : il ne peut qu'indiquer ce qu'il saurait dire sur un terrain plus favorable, .et il faut attendre M. Pradhere au moment où il aura fait à un auteur l’Emprunt Secret d’un sujet véritablement musical.

Cependant, M. Pradhere a en quelque sorte surpris à l'auteur précisément le temps nécessaire pour des couplets, un air, deux duo et un morceau d'ensemble ; mais tout s'y ressent un peu de la précipitation que la situation commande : les couplets sont facilement tournés : l'air du valet est dans le style bouffon ; il est trop riche de détails, la partie pittoresque et imitative y est prodiguée, il y a peu de chant, l'ensemble manque de clarté et d'effet. Le morceau de l'ouvrage qui mérite d'être le plus distingué, est le duo de brouillerie, dont le presto a de la chaleur, de la finesse et de la vérité. L'orchestre est travaillé, et le pianiste habile s'y fait reconnaître ; ce système de composition n'est pas celui des maîtres dont les ouvrages vivent le plus long-temps au théâtre ; mais un parti nombreux d'amateurs l'embrasse et le soutient avec une chaleur extrême, et il n'est pas étonnant que de jeunes professeurs cherchent à prouver avant tout qu'ils possèdent tous les secrets et toutes les difficultés de leur art.                  S......

D’après Nicole Wild, David Charlton, Théâtre de l'Opéra-Comique Paris : répertoire 1762-1972, p. 235, a eu 8 représentations à partir du 25 juillet 1812.

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