L’Ennemi des modes, ou la Maison de Choisy

L’Ennemi des modes, ou la Maison de Choisy, comédie en trois actes, par M. Guilbert de Pixerécourt, 27 décembre 1813.

Théâtre de l’Impératrice.

Titre :

Ennemi des modes (l’), ou la Maison de Clichy

Genre

comédie

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

prose

Musique :

non

Date de création :

27 décembre 1813

Théâtre :

Théâtre de l’Impératrice

Auteur(s) des paroles :

M. Guilbert-Pixérécourt

Dans le tableau chronologique de ses œuvres que Pixerécourt a placé en tête de son Théâtre choisi, volume 1 (Paris, 1841), la pièce porte le n° 70 (sur 120), elle est donné comme une comédie en trois actes, en société. Elle aurait été jouée au Théâtre de l’Impératrice à partir du 27 décembre 1813, date inexacte (en fait, le Journal de l'Empire l'annonce le 7 décembre). Pixerécourt revendique pour elle 8 représentations parisiennes et 1 représentation en province.

Dans L’Odéon, histoire administrative, anecdotique et littéraire, p. 263, Paul Porel et Georges Monval la qualifient de « drame ». Ils parlent à son propos de « lourde chute ».

Journal de l'Empire du 10 décembre 1813, p. 4

L'Ennemi des Modes ou la Maison de Choisy.

Un ami confie à son ami cent mille francs pour l'acquisition d'une maison ; l'ami acquiert la maison :en revenant, il tombe de cheval et se casse la tête  ; il n'y a ni titres ni contre-lettre. Cependant le neveu et l'héritier de l'acquéreur remet le contrat de la maison à l'ami de son oncle, qui déclare avoir fourni les cent mille francs. C'est un beau trait de probité et de confiance. L'ami qui a fourni les cent mille francs pour l'acquisition, est un homme ennemi par caractère de la nouvelle éducation, du luxe et des modes nouvelles : il a un neveu hypocrite dont il est dupe ; il se brouille avec un ami de trente ans, pour cet indigne neveu qui l'abandonne dès qu'il a lieu de soupçonner que son oncle est ruine par la perte des cent mille francs. A la fin, l'ami qu'on croit mort d'une chute de chevaI, ressuscite contre l'attente de tout le monde : on a crié vive le mort !

Il y a beaucoup de longueurs. dans cette pièce en trois actes. Le mécontentement a commencé par une tirade ambitieuse sur les changemens survenus au Marais : autrefois ce quartier fut le séjour de l'esprit, des grâces, du bon ton, de la franche gaieté : le bon sens y est resté ; mais au théâtre on n'en convient pas, et il est de mode de lancer contre le Marais des trais satiriques qui portent à faux. On s'amuse autant et plus au Marais qu'à la Chaussée d'Antin : la société n'y est pas moins agréable ; peut-être même l'est-elle davantage, par la raison qu'elle est moins frivole. moins dépendante de la mode et de l'étiquette, qui partout sont ta source de l'ennui. Le bon ton partout est le ton de la raison, jamais ennemi des plaisirs et des grâces, mais toujours irréconciliable avec les ridicules et les grimaces. Il y a dans la pièce une soirée de la Chaussée d'Antin, dont le charme consiste dans une danse médiocrement exécutée ; cette soirée est la partie la plus ennuyeuse de la pièce. Les deux amis sont bien joués par Perroud et Chazel. Mad.Molé y représente très naturellement une servante fidèle et affectionnée. Clozel est fort bon dans le personnage du neveu mauvais sujet. La pièce, mal accueillie, obtiendra un meilleur sort quand l'action, par des retranchemens considérables, se trouvera débarrassée d'une foule de détails où elle est pour ainsi dire noyée. La pièce est de M. Guilbert-Pixérécourt, si connu par un grand nombre de mélodrames qui ont attiré tout Paris aux Boulevards.

Geoffroy.          

Journal des arts, des sciences et de la littérature troisième volume (Paris 1813), n° 264 (10 décembre 1813), p. 330-331 :

[La pièce est de Pixerécourt, venu du boulevard, et ses fidèles ont eu peine à le reconnaître à l’Odéon. Le critique y voit des emprunts à des ouvrages anglais. Il entreprend ensuite la redoutable tâche de présenter l’action et les protagonistes, avant de renoncer à dire ce que contiennent les différents actes, se contentant de porter sur les deux premiers des jugements sans complaisance (« le second acte est nul »). Quelques lignes sont consacrées aux acteurs, avec annonce d’un grand mystère concernant la prestation insuffisante d’un des interprètes. Le compte rendus ‘achève avec le rappel des sifflets qui ont accompagné la pièce, avant de prédire qu’elle ne risque guère d’attirer la foule.]

THÉATRE DE L'ODÉON.

L'Ennemi des Modes, ou la Maison de Choisy, pièce en trois actes et en prose, de M. Guilbert-Pixérécourt.

En arrivant des boulevarts du Temple à l'Odéon, M. Guilbert-Pixérécourt paraît un peu fatigué du voyage, et les fidèles qui l'y ont suivi pour l'applaudir, lui reprochent d'avoir fait un usage moins fréquent qu'à l'ordinaire du style emphatique et solennel. Sans quelques mots de probité, d'innocence et d'hypocrisie, on n'eût point réconnu l'auteur de tant de mélodrames fameux.

Un beau trait de loyauté et d'amour filial lui a fourni le sujet de cette comédie ; mais il a fait bien d'autres emprunts. L'Ecole des Maris, l'ouvrage anglais qui a pour titre l'Ecole du Scandale, et le roman de Tom-Janes, lui ont servi à dessiner ses deux caractères principaux.

Son Ennemi des modes est un vieux rentier du Marais, M. de Saint-Louis, entêté et rigoriste dans ses prétentions contre les arts et les modes. Engoué de son neveu, espèce de niais sentimental (singe de toutes les manies du vieillard), il veut le marier à une jeune personne nommée Palmira, dont on lui a confié la tutelle. A la suite d'une scène nocturne dont l'histoire serait trop longue, Eugène, amant aimé de Palmira, et son oncle M Dorsan, vieil ami de M. Saint-Louis, sont forcés de quitter sa maison du Marais et de retourner à la chaussée d'Antin. Malgré cette rupture, Dorsan s'est chargé de cent mille francs que lui a remis Saint-Louis pour l'achat d'une maison à Choisy, dont ce dernier ne veut point paraître l'acquéreur. Il n'y a pas de contre-lettre, et Dorsan profite de l'occasion, pour mettre à l'épreuve les deux neveux, sur le compte desquels Saint-Louis a conçu une opinion si mal fondée. Il fait annoncer qu'en revenant de Choisy il est tombé de cheval sur la route, et qu'il s'est tué. Saint-Louis se croit ruiné; mais sur sa seule déclaration, Eugène qu'il avait accablé de son mépris, lui remet ses titres de propriété; l'autre neveu, au contraire, a levé le masque, et renonçant aux costumes anciens qui plaisaient à son oncle, s'empresse de revêtir des habits à la mode. Dorsan reparait et dément lui-méme le bruit de sa mort. Ces divers événemens sont trop brusqués et manquent de vraisemblance.

Le premier acte est en partie consacré à offrir la peinture de ce qui se passe chez les bourgeois du Marais, et l'on y trouve de jolis détails. Le second acte est nul et de remplissage. Le commencement du troisième est le pendant du premier. La scèue se passe à la chaussée d'Antin : on y fait de la musique, on danse et l'on joue en attendant le dîner, qui a lieu à huit heures. Le rôle de Magdelon, vieille cuisinière de Saint-Louis, qu'elle abandonne pour Dorsan, égaye l'action par des saillies assez heureuses. Mme. Molé, dans ce rôle, Perroud dans celui de Saint-Louis, et Clozel dans le niais hypocrite, sont fort bien placés. Perrier, au contraire, a fait tort au rôle d'Eugène. On assurait au parterre que cette négligence avait une cause dont on donnait l'explication, et que nous ne répéterons point ici, mais qui sera bientôt le secret de la comédie.

Les sifflets ont commencé à se faire entendre au premier acte ; ils étaient très-violens au dénouement : néanmoins on a nommé l'auteur, qui a fait preuve de courage. La pièce pourra se relever : mais il est douteux qu'elle attire la foule, et que la Maison de Choisy devienne à la mode.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome XII, décembre 1813, p. 283-289 :

[Le compte rendu commence mal pour l’auteur et sa pièce : elle est « un petit monstre dramatique » inclassable dans les genres traditionnels : ni vraiment mélodrame ou drame, mais pas non plus comédie. Et son sort n’a été ni chute, ni succès. Quant à l’auteur, dont on disait qu’il était un des maîtres du boulevard, il a surtout montré qu’il ignorait tout du monde et du théâtre (grand reproche classique pour les auteurs de comédies manquées). L’analyse entreprise ensuite commence par la situation des principaux personnages, avant de tenter de donner une idée de l’incroyable complexité de l’intrigue : foule de personnages, multitude des rebondissements. Le critique, soulagé d’être arrivé au terme de cette analyse, se contente de donner brièvement son opinion : l’événement principal est noyé sous les accessoires qui ne sont même pas comiques, parce qu’ils sont « faux ou forcés ». Le plus étonnant, c’est que les acteurs ont réussi à jouer avec ensemble alors qu’il y a tant de personnages. L’auteur est nommé (de façon peu exacte) et renvoyé au boulevard par une citation assassine.]

L'Ennemi des Modes, ou la Maison de Choisy.

Cette prétendue comédie est un petit monstre dramatique qui réunit tous les genres, et n'appartient à aucun. Il serait difficile de la classer. Le mélodrame peut y revendiquer plusieurs combinaisons dignes des boulevards ; le drame, des sentimens hors de nature, des expressions ampoulées ; le vaudeville, des pointes laborieusement ajustées ; l'opéra lui-même peut réclamer une gavotte et une espèce de charivari que l'on donne pour un concert. La comédie seule y trouverait peu de chose à prendre. Le sort que la pièce a éprouvé a également quelque chose de douteux : les applaudissemens et les sifflets se sont succédés [sic] tour-à-tour ; il n'y a pas eu de chute complette, mais ce n'est pas un succès.

On répandait, à l'avance, dans la salle, que l'auteur avait rendu son nom fameux par une suite de chefs-d'œuvre.... aux boulevards. En écoutant la pièce, on aurait pu croire que c'était le coup d'essai d'un jeune homme, tant il y a de choses disparates et incohérentes. Pouvait-on avoir une autre idée lorsqu'on remarquait à chaque pas une ignorance absolue du monde et du théâtre ? L'intrigue est sans cesse embarrassée, et l'auteur semble avoir noué avec une peine infinie des fils qu'il ne peut plus démêler ensuite.

M. de Saint-Louis, habitant du Marais, est l'ennemi juré des modes et des usages modernes. Chez lui on dîne à midi, on soupe à huit heures, et à neuf heures tout le monde doit être couché. Chargé de surveiller l'éducation de la fille d'un de ses amis, il s'est bien gardé de lui faire apprendre le dessin, la danse et la musique. Ces arts sont trop dangereux. Il veut la marier avec son neveu d'Utrecht, jeune homme qui se conduit selon son cœur. Ce d'Utrecht n'est qu'un hypocrite qui trompe son oncle, et qui s'échappe toutes les nuits par la petite porte du jardin pour aller se dédommager dans une société choisie. Quoique Palmyra ignore ces petites équipées, elle déteste d'Utrecht ; mais, en revanche, elle aime de tout son cœur Eugène Dolban, qui loge avec son oncle dans la maison de M. de Saint-Louis.

Dès l'exposition, on apprend que M. de Saint-Louis est fort en colère contre Eugène ; dix heures sont sonnées, et ce mauvais sujet n'est pas encore rentré. L'Ennemi des Modes a donné ordre de fermer la porte, et de lui refuser l'entrée de la maison s'il se présente. Madelon, plus indulgente, se promet bien de lui ouvrir en secret. M. de Saint-Louis accuse son ami d'être la cause des prétendus égaremens d'Eugène. M. Dolban défend son système, et cette discussion rappelle une scène de l’Ecole des Maris, comme une parodie rappelle un chef-d'œuvre. Malgré cette différence d'opinion, les deux amis ne s'en aiment pas moins. M. de Saint-Louis veut acheter, à Choisy, une maison dont il a été autrefois propriétaire. Craignant que le vendeur ne le rançonne, il prie M. Dolban de se faire adjuger la maison. Comme la vente doit avoir lieu le lendemain, il lui remet un portefeuille qui contient cent mille francs en billets de banque. Cette somme compose tout juste les deux tiers de sa fortune. C'est la dot de son neveu. Cela fait, les deux amis vont se coucher, et M. Eugène arrive. Le jeune homme rentre un peu tard, parce qu'il est ailé aux Français. Ou ne lui en ferait point un crime, s'il voulait faire grace de ses réflexions sur Racine et sur Molière. Mais on n'en est pas quitte à si bon marché. En revenant, M. Eugéne, qui est un penseur, s'est amusé à comparer le mauvais d'aujourd'hui avec le mauvais du temps de Louis XIV. Il fait là-dessus des discours à perte de vue qui ravissent Palmyra et Madelon. Il est .fâcheux que le public ait pris en mauvaise part cette dissertation savante.

Au lieu d'aller se coucher, M. Eugène ne s'avise-t-il pas d'introduire des musiciens dans le salon, et de commencer un concert. A ce bruit si nouveau, toute la maison est en alerte; et M. de Saint-Louis, poussé à bout, signifie à M. Dolban qu'il ne peut plus garder chez lui un pareil écervelé. L'oncle part avec le neveu et même avec Madelon, qui se décide, sans aucun motif, à quitter son ancien maître pour suivre Eugène. M. de Saint-Louis n'ayant rien de mieux à faire, veut presser le mariage de Palmyra. Il mande un notaire, invite ses connaissances et ses voisins à la noce. Bientôt une nuée de personnages grotesques couvrent le théâtre. On a en vain essayé de rendre cette scène comique en outrant les costumes ridicules qu'on prête aux habitans du Marais. Eugène, déguisé en joueur de vielle, s'est glissé avec la foule. Sa présence donne du courage à Palmyra, qui déclare devant tout le monde, à haute et intelligible voix, qu'elle n'épousera point d'Utrecht. Un courrier survient ; il annonce que M. Dolban a fait une chute de cheval en revenant de Choisy, et qu'il est mort, ou mourant. M. de Saint-Louis se désole ; non-seulement il n'a plus d'ami, mais il perd ses cent mille francs ; car on ne lui a pas fait de contre-lettre. D'Utrecht est au désespoir de voir sa dot perdue. L'auteur transporte la scène à la Chaussée-d’Antin, dans le salon de Mme. de Saint-Fard, jeune .et jolie veuve qui a soixante mille livres de rente. M. Dolban est venu loger chez elle et avant de partir pour Choisy, il y a installé son neveu et Madelon. Mme. de Saint-Fard a promis d'attendre son hôte pour dîner ; il est déjà sept heures, et M. Dolban n'arrive pas. Mme. de Saint-Fard joue de la harpe, et fait danser une gavotte à ses convives, apparemment pour leur donner. de l'appétit. Après la danse, on passe au billard, afin de laisser le champ libre à de nouveaux personnages. En effet, on voit entrer M. de Saint-Louis et Palmyra. Ils apprennent à Madelon le triste accident qui a coûté la vie à M. Dolban. D'Utrecht arrive aussi, et prie Madelon de l'introduire chez Mme. de Saint-Fard, ce qui est parfaitement dans l'ordre des convenances. Il ouvre son cœur à la gouvernante; il veut abandonner M. de Saint-Louis et Palmyra, et faire quelque bonne connaissance qui le dédommage de la perte de ses cent mille francs. M. de Saint-Louis, caché dans un cabinet, entend tout, ne dit rien, et n'en pense pas moins.

Cependant on apporte les papiers trouvés sur M. Dolban : le portefeuille renfermait le contrat d'acquisition de la maison de Choisy, et une lettre du père de Palmyra, qui consent au mariage de sa fille avec Eugène, pourvu que celui-ci ait cent mille francs. L'acquisition que M. Dolban vient de faire les lui assure, puisqu'il est son héritier. M. de Saint-Louis déclare bien que les cent mille francs sont à lui ; mais comme il n'en a aucune preuve, l'assemblée adjuge à Eugène la maison et la main de Palmyra. Eugène est trop généreux pour accepter ; il croit M. de Saint-Louis sur parole, lui remet le contrat d'acquisition, et renonce à la main de sa maîtresse. Ce trait touche d'autant plus M. de Saint-Louis, qu'il est détrompé sur le compte de son neveu : il donne à Eugène maison et maîtresse. L'auteur pouvait raisonnablement s'en tenir là : car on s'embarrassait fort peu de savoir si M. Dolban était mort ou non de sa chute ; mais, semblable à César, qui croyait n'avoir rien fait tant qu'il restait quelque chose à faire, il ramène l'oncle d'Eugène sain et sauf. M. Dolban n'avait pas fait de chute : il avait imaginé ce petit stratagème pour dessiller les yeux de M. de Saint-Louis. L'arrivée subite de ce mort vivant ne change rien aux affaires; on compte seulement une personne de plus à la noce.

Dieu merci, j'ai fini cette terrible analyse ! On a grand besoin de respirer après avoir parcouru un tel labyrinthe ; aussi ne ferai-je que de très-courtes réflexions. L'événement principal occupe peu de place dans la pièce;  le fond est, pour ainsi dire, égaré au milieu des accessoires, et malheureusement les accessoires n'ont rien de comique, parce qu'ils sont presque toujours faux ou forcés. Il était difficile qu'une pièce dans laquelle on fait mouvoir tant de personnages (car il y en a plusieurs dont je n'ai point parlé) fût jouée avec beaucoup d'ensemble à la première représentation.

Cependant, Mme. Molé, Perroud, Chazel méritent des éloges; Armand, l'un des meilleurs acteurs de ce théâtre, n'a rien négligé pour faire valoir son rôle, qui, par malheur, était insignifiant.

La pièce est de M. Gilbert Pixérécourt.

Tel brille au second rang qui s'éclipse au premier.

Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, 18e année, 1813, tome VI, p. 415-419 :

[Le critique commence son compte rendu par le récit de l’anecdote que la pièce est censée reprendre. Il essaie ensuite de montrer « comment l'auteur a traité ce sujet ». Cette tentative nous fait parcourir « un chemin bien long », plein de rebondissements, « pour nous conduire au but moral ». Le jugement porté sur la pièce est sévère : intention vague, sentiment que l’auteur n’a pu remplir ses trois actes qu’au prix de grands efforts, caractère excessif de la manière dont d’Olban amène le dénouement. La pièce, dont on ne sait si elle est comédie ou drame, peut obtenir un meilleur accueil au prix de nombreuses coupures, et en particulier celui de « quelques tirades déplacées ».]

L'Ennemi des Modes, ou la Maison de Choisy, comédie en trois actes et en prose, jouée le 7 décembre.

L'auteur a publié lui-même qu'une anecdote lui avoit fourni l'idée de sa pièce. Voici le trait :

Un jeune militaire apprend la mort subite de son père ; il vient recueillir la succession; et, ses affaires â peu près terminées, il se dispose à rejoindre ses drapeaux, lorsqu'il reçoit la visite d'un ami de son père qui lui dit : « Vous connoissez, Monsieur, la tendre amitié qui m'unissoit à celui que nous pleurons tous deux. Née presqu'avec nous, elle ne fut jamais altérée par le plus léger nuage : un échange de services et de soins obligeans en étoit la moindre preuve ; enfin je fus assez heureux pour que votre père s'adressât à moi dans un moment pressé, et je lui prêtai 40,000 fr. : je ne voulus recevoir de lui aucun titre ; je n'en ai donc pas qui m'autorise à réclamer légalement cette somme; vous agirez à cet égard comme vous le trouverez convenable. — Monsieur, répondit le jeune militaire, je croirois outrager la mémoire de l'auteur de mes jours, si je pouvoîs concevoir un soupçon sur l'honneur de celui qui fut si longtemps son ami. Voilà vos 40,000 fr. Daignez accorder au fils une partie de l'amitié que vous aviez pour le père ; je la regarderai comme la plus précieuse portion de l'héritage qu'il m'a laissé. »

Voici comment l'auteur a traité ce sujet.

Monsieur de Saint-Louis et M. d’Olban, quoique d'humeur tout-à-fait différente, sont unis par la plus étroite amitié. Le premier, qui habite le Marais, est l'ennemi juré des modes nouvelles ; le second loge à la Chaussée-d'Antin ; et, sans être l'esclave des modes et des plaisirs, il suit les unes, et se prête aux autres avec grâce. Saint-Louis et d'Olban ont chacun un neveu, dont ils dirigent la conduite d'après leur système. Dutrech est un
grand imbécille, singe de son oncle, dont il partage les monotones diverlissemens.

Cependant le désir de vivre plus près d'un vieil ami engage d'Olban à quitter la Chaussée-d'Antin, et il vient s'établir au Marais, dans la maison de Saint-Louis. La porte en est fermée à dix heures précises, et le pauvre Eugène, qui n'est pas habitué à rentrer de si bonne heure, courroit grand risque de coucher souvent dehors, s'il n'avoit une clef de la petite porte, que lui a donnée la bonne .Madelon, dont il a su se faire aimer, mais moins encore que de la jolie Palmira. Cette jeune personne a été confiée par son père, qui habite la province, à Monsieur de Saint-Louis, pour qu'elle pût, dans la capitale des beaux-arts, perfectionner son éducation. On voit qu'il s'est bien adressé. On interdit à Palmira le dessin, la danse, la musique, comme des talens toujours inutiles et souvent dangereux; et, pour comble de
malheur, on veut lui faire épouser Dutrech, niais hypocrite qui se dédommage, en sortant toutes les nuits, de la contrainte dans laquelle son oncle le retient pendant le jour.

D'Olban et Saint-Louis, malgré leur bonne et vieille amitié, ont souvent de petits démêlés, et c'est toujours Eugène qui en est la cause innocente.

D'Olban defend son neveu, qui fournit bientôt à Monsieur de Saint-Louis un nouveau grief contre lui. Il introduit, dans une pièce éloignée de celle où repose le rigoriste propriétaire, deux musiciens pour répéter un trio et une romance qu'il a composés pour la fête de son oncle qui arrive le surlendemain. Le sournois Dutrech, dont l'arrivée de ces Messieurs a empêché la sortie nocturne, s'en venge en allant réveiller M. de Saint-Louis. Il arrive eu criant ; toute la maison s'éveille : de la musique au Marais, à minuit ! quel esclandre ! d'Olban veut excuser Eugène ; l'humeur s'en mêle, et les deux amis conviennent de se séparer le lendemain. D'Olban se, félicite alors de n'avoir pas quitté son
logement de la Chaussée-d'Antin.

Avant leur séparation, Saint-Louis avoit prié son ami de lui rendre le service d'acheter, sous
son propre nom, une maison à Choisy ; il lui a remis à cet effet un porte-feuille contenant pour 100 mille francs de billets. Le petit démêlé de la veille n'empêche pas d'Olban de s'acquitter de ce bon office ; il part pour Choisy, Pendant cet intervalle, Saint-Louis a fait inviter ses voisins à assister à la signature du contrat de mariage de Palmira avec Dutrech. Tout-à-coup on annonce qu'en revenant à cheval de Choisy, M. d'Olban a fait une chûte mortelle. Eugène sort en courant, et le second acte finit.

Le troisième se passe à la Chaussée-d'Antin, chez la brillante Madame de Saint-Phar, chez qui loge d'Olban, et dont la maison est le rendez-vous de la plus élégante société ; on danse avant dîner pour gagner de l'appétit ; mais bientôt à ce tableau de plaisir en succède un bien douloureux. On apprend la mort de d'Olban. Eugène est son héritier, et on lui remet le contrat d'acquisition de la maison de Choisy ; le père de Palmira écrit
qu'il consent au mariage de sa fille avec Eugène, si ce dernier a cent mille francs, somme égale à celle qu'il destine en dot à sa fille. Rien ne paroît plus devoir s'opposer à l'hymen des deux amans, lorsque Saint-Louis déclare timidement que cette maison est à lui, qu'il a fourni les cent mille francs, et que son ami est mort sans avoir eu le temps de lui faire une contre-lettre. Eugène n'hésite pas à renoncer au bonheur, en remettant le contrat à M. de Saint-Louis. Un revenant paroît ; c'est d'Olban qui n'étoit mort que pour rire et pour prouver à son ami qu'un jeune homme peut aimer les plaisirs, suivre les modes, et être rempli de délicatesse et d'honneur.

L'auteur a pris un chemin bien long pour nous conduire au but moral.

L'intention de la pièce est vague, et l'on sent presqu'à chaque instant les efforts qu'il en a coûté pour en faire trois actes. L'épreuve que fait d'Olban est trop douloureuse pour n'amener qu'un résultat aussi léger.

Si M. GUILBERT PIXÉRECOURT consent à faire de nombreuses coupures ; s'il sacrifie quelques tirades déplacées, il peut espérer de voir sa comédie ou son drame, recevoir un meilleur accueil du public de l'Odéon.

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