L’Enthousiaste

L’Enthousiaste, comédie en cinq actes et en vers, de J. de Valmalette, 6 décembre 1809.

Théâtre Français.

Le nom de l'auteur est donné par la base La Grange de la Comédie Française.

Titre :

Enthousiaste (l’)

Genre

comédie

Nombre d'actes :

5

Vers / prose

en vers

Musique :

non

Date de création :

6 décembre 1809

Théâtre :

Théâtre Français

Auteur(s) des paroles :

J. de Valmolette

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 14e année, 1809, tome VI, p. 391-393 :

[Quand un compte rendu commence par des considérations générales sur la décadence du théâtre, c’est mauvais signe pour l’auteur de la pièce. Et c’est bien le cas ici. Il n’y a plus de comédies de caractère, non pas parce que le fond infini du cœur de l’homme est épuisé, mais parce qu’il n’y a plus d’« écrivains philosophes » pour en écrire, mais des rimeurs faciles, dont les pièces ne sont que madrigaux et épigrammes, et conversations languissantes pleines de « descriptions et de[s] dissertations déplacées ». L’auteur est « homme d’esprit », bon versificateur, mais ignorant de tout ce qui fait le théâtre : il ne connaît ni scène, ni intrigue filée, ni exposition, ni nœud, ni dénouement. Le résumé de l’intrigue permet de montrer son insuffisance : « Est-ce là le sujet d'une comédie en cinq actes, ou d'une petite bluette qu'on pourroit intituler le Visionnaire ? » On trouvera plus bas une comparaison avec Cadet-Roussel, elle aussi destinée à rabaisser la pièce au niveau du Vandeville ou du Boulevard. La grande scène entre le héros et le maître de déclamation, qui fait évidemment penser au Bourgeois Gentilhomme est jugée manquée (c’est Molière qui a su faire une belle scène de la situation, mais Molière a toujours raison dans les critiques du temps). De même l’amour de l’Enthousiaste pour la belle entrevue au loin fait penser à la Métromanie, mais là aussi, la comparaison tourne à la confusion de l’auteur moderne, qui ne sait pas donner une leçon à son personnage, ni mettre de l’action dans sa pièce, toute en discours. Le compte rendu s’achève sur un curieux conseil à l’auteur : utiliser « des morceaux détachés » de sa pièce pour en faire « un poème descriptif » : « ce qui étoit déplacé sur la scène, ne le sera plus ainsi, et l'auteur du moins n'aura pas perdu sa peine ».]

THÉATRE FRANÇAIS.

L'Enthousiaste, comédie en cinq actes et en vers, jouée le 6 décembre.

On ne verra donc plus de comédies de caractère. Les auteurs font en vain leurs efforts pour trouver de nouvelles matières dans cette mine si riche, et qui paroissoit devoir être inépuisabl e; dans le cœur de l'homme si fécond en vices, en vertus, en erreurs, en toutes sortes de sentimens contradictoires. La mine n'est point épuisée ; mais on manque d'ouvriers habiles qui en connoissent les détours secrets, et qui distinguent de la pierre brute celle qui sous son enveloppe épaisse cache des parcelles d'or. Quels sont les auteurs qui ont fait des comédies de caractère? Des écrivains philosophes, qui ne se bornoient point à rimer légèrement des madrigaux et des épigrammes, et à enfiler sous le nom de scènes des conversations languissantes que ne peuvent réchauffer des descriptions et des dissertations déplacées.

L’Enthousiaste est l'ouvrage d'un homme d'esprit, qui versifie agréablement ; mais qui n'a pas la moindre idée d'une scène, d'une intrigue filée, d'une exposition, d'un nœud et d'un dénouement.

Son héros est devenu amoureux d'une femme qu'il a vue à un demi-quart de lieue, sur le haut d'une montagne de la Suisse. Il n'a même pas pu distinguer ses traits, parce qu'elle lui tournoit le dos : mais il a dessiné avec soin le lieu de la scène et la tournure de son inconnue. Il ne manque au portrait que la tête ; c'est bien aussi ce qui manque à l'amoureux. Il a demandé un bon peintre, et veut faire mettre une tête d'imagination à son tableau. Pour le guérir, on gagne le peintre qui y met le portrait d'une jeune cousine de l'Enthousiaste ; et voilà mon fou, qui jusqu'alors avoit refusé d'épouser sa cousine, et qui demande sa main avec instances. Est-ce là le sujet d'une comédie en cinq actes, ou d'une petite bluette qu'on pourroit intituler le Visionnaire ?

Il ne faut pas omettre de parler d'une scène sur laquelle on comptoit beaucoup et qui a obtenu peu de succès : c'est celle où l'Enthousiaste fait venir un M. Duton, maître de déclamation, pour apprendre la manière de dire quatre vers qu'il a composés pour sa belle inconnue. Le Bourgeois gentilhomme, tout sot que l'a fait Molière, ne demande du moins que des conseils sur le style de sa déclaration d'amour ; et l'homme qui ne sait pas dire quatre vers qu'il a faits pour une femme qu'il adore, est bien peu enthousiaste. M. Duton s'amuse alors à contrefaire Le Kain et Mademoiselle Gaussin; ce qui a malheureusement rappelé Cadet-Roussel, professeur de déclamation.

Quant à l'amour imaginaire de l'Enthousiaste et à sa guérison par le portrait, ce moyen est au dessous de la critique. Lorsque le Métromane est épris de Mademoiselle Mériadec, c'est de la poésie qu'il est amoureux, et cela devient un excellent trait comique, lorsqu'on découvre que Mademoiselle Mériadec n'est autre que le vieil asthmatique Francaleu.

Si l'Enthousiaste, épris de la tournure séduisante d'une nymphe qu'il a aperçue de loin sur les montagnes de la Suisse, n'avoit plus trouvé, en la voyant de près, qu'une vieille femme ; c'eût été une scène comique, son enthousiasme ridicule auroit reçu une leçon : mais dans la pièce on ne cherche à le corriger que par des discours ; et une comédie veut de l'action, et de l'action comique.

Je suis persuadé que l'auteur trouveroit dans sa pièce de quoi composer un poème descriptif, en liant la plus grande partie des morceaux détachés, dont le style a fait plaisir ; ce qui étoit déplacé sur la scène, ne le sera plus ainsi, et l'auteur du moins n'aura pas perdu sa peine.

L’Esprit des journaux français et étrangers, année 1810, tome II (février), p. 279-283 :

[Curieux, ce compte rendu qui, dans le plus grand désordre, finit par dire beaucoup de mal de la pièce, et de signaler, détail intéressant, qu’elle n’est pas allée à son terme. Considérations sur l’enthousiasme et les enthousiastes, description de scènes, jugements sur leur vraisemblance, puis critique du bavardage incessant que constitue la pièce, où on parle de tout ce qui a fait l’actualité de l’année (comme les chevaux de Venise, rapportés en France), présence d’une intrigue.]

THÉATRE FRANÇAIS.

L’Enthousiaste.

Il n'y a personne, peut-être, qui dans quelque moment de sa vie ne se soit enthousiasmé pour quelque chose, et c'est dans ces momens-là qu'on prend les gens pour en faire des personnages de comédie. Orgon s'est enthousiasmé pour le Tartuffe, Harpagon pour une maxime d'économie qu'il veut faire écrire en lettres d'or, M. Jourdain pour la qualité, Damis pour la poésie, un joueur pour un beau coup, et tous, dans la manie qui les possède, les yeux fixés sur ce qui en fait l'objet, aveugles pour tout le reste, courent à leur but, dérangeant, renversant autour d'eux tout ce qui leur fait obstacle et produisant ainsi le mouvement qui fait une comédie. Ces gens-là ne sont pas enthousiastes sur-tout, voilà pourquoi ils sont enthousiasmés pour un seul objet. L'enthousiaste qui se passionne pour tout ne se passionne réellement pour rien ; il n'en a pas le temps. En passant dans la rue un bel édifice le frappe ; lorsqu'il commence à s'enthousiasmer, une jolie femme passe et lui tourna la tête ; il court après, mais le voilà retenu par un beau régiment qui défile, c'est alors l'enthousiasme militaire qui le saisit jusqu'à ce qu'il en soit détourné par l'enthousiasme de la musique, que la vue d'un volume de Racine, étalé sur les quais, remplacera par l'enthousiasme de la poésie. Un tel enthousiaste, est un véritable M. Musard, agissant un peu moins seulement ; car enfin M. Musard fait toujours quelque chose.

Bonhomme. — Oui, les bavards sont toujours bonnes gens.

Et celui-ci ne déparle pas tant qu'il est en scène ; quand il n'y est pas, les autres personnages raisonnent. On voit ce qu'-il y a de temps pour l’action. Damis (c'est l'enthousiaste) paraît au bout d'un acte et demi, pendant lequel on avait causé en l'attendant; il arrive transporté, ravi,

Saisi du noble aspect des chevaux de Venise.

Cette entrée a vivement saisi le public, et il s'en est suivi un léger brouhaha, pendant lequel Damis s'est débarrassé de sa tirade, dont il n'a pu faire ressortir que ce dernier vers :

Et ces messieurs ont ri sans m'avoir entendu.

C'est que ces messieurs avaient peut-être peur de ne pas rire s'ils l'écoutaient. Cependant Damis est accoutumé à amuser le public ; il est allé la veille a un mélodrame du boulevart, où il a diverti toute l'assistance par ses transports sur une belle décoration ; mais il est sorti furieux contre le mélodrame, qu'il a trouvé mauvais. Un enthousiaste qui a du goût ! Voilà un personnage tout-à-fait contre nature. Le véritable enthousiaste devait, enchanté de la décoration, y trouver un motif d'admiration pour tout le reste ; la musique devait être remplie d'effets, les scènes les plus absurdes devaient lui offrir le cachet du génie ; il devait avoir remarqué dans l'actrice la plus gauche ou la plus froide un de ces talens enfouis faits pour surpasser tout ce qu'on admire. Tel est l'enthousiasme, transformant tout ce qui appartient à l'objet dont il s'est épris ; c'est la passion de cet homme à qui l'on reprochait la laideur de sa maîtresse. Jugez de mon amour, disait-il, je la trouve belle.

Damis s'est mis dans la tète un amour à-peu-près de ce genre. La femme qu'il trouve belle est une femme qu'il n'a point vue. Il l'a seulement apperçue en Suisse au haut d'une montagne , tandis qu'il se promenait au bas. Pour devenir amoureux d'une femme qu'on a vue du bas en haut d'une montagne de Suisse, il faut avoir le cœur tendre et la vue bonne. Cependant, comme c'était un peu loin, il n'a pas démêlât les traits, et cherche par-tout une tête qui puisse al1er à ce corps qu'il a dessiné bien vite, et qu'il porte par-tout avec lui dans un grand portefeuille. On voit qu'en cherchant la tête de sa maîtresse, Damis ferait assez bien, par occasion, de tâcher de trouver la sienne.

C'est ce personnage si bien timbré que son oncle Ariste veut donner en mariage à Julie, sa cousine, petite personne qu'on nous a peint comme une capricieuse ; et qui l'est en effet tellement qu'elle ne demeure pas capricieuse deux instans de suite, et qu'après être arrivée en boudant comme un enfant de ce qu'on l'a dérangée pendant qu'elle dessinait, elle se montre tout le reste de la pièce une personne sensible et raisonnable. Ce que c'est que les femmes ! On ne peut même pas compter sur leurs défauts. Le seul reste de caractère que laisse appercevoir Julie, c'est sa disposition à se prendre de goût pour Damis, parce que sa tante Céphise veut lui en faire épouser un autre. Mais encore ce caprice-là n'est-il pas à elle; il est pris de la Mètromanie, comme l'amour de Damis pour son inconnue, et beaucoup d'autres choses.

La tante Céphise, qui gâte sa nièce pour tâcher de la gouverner et d'être, quand elle sera mariée, à la :tête de sa maison, voudrait lui faire épouser M. Florimond, neveu d'un ministre, et que Céphise n'appelle pas autrement que le neveu du ministre, ce qui est tout-à-fait bourgeois. Pour des gens de bonne compagnie, le ministre est M. un tel. C'est à sa personne ou peut-être à son nom que nous voulons avoir l'air de rendre hommage, ce qui nous paraît encore de meilleur goût que de le rendre à son pouvoir. La bonne compagnie ne se rabaisse jamais qu'avec des airs de dignité, et la folie de Céphise pour les gens en place est de celle qui fait les complaisans subalternes, qu'on laisse où personne ne veut être, parce qu'ils se trouveront bien par-tout Quant à son neveu du ministre, M Florimond, sa fatuité est celle des agréables copiés sur les romans de Crébillon ; son ton est celui d'un incroyable du Palais-Royal ou du Boulevart. Je ne sais de quel temps il est, non plus que son oncle le ministre, à qui on ne donne ni nom, ni titre, non plus que la tante Céphise qui nous assura que ce n'est plus par l'argent que les hommes acquièrent de la considération. Pour l'Ariste, c'est un Ariste, la Finette une Finette, le Pasquin un valet gourmand tout est ici dans les règles de la comédie, excepté les entrées et les sorties qui n'ont jamais le moindre motif ; le dialogue, des scènes tout en tirades sur les chevaux de Venise, Corneille, Racine, les mélodrames, la Suisse, la peinture , les enfans, l'amour, la vertu, la morale, etc. En revoyant avec un peu de soin les journaux de l'année, on pourrait, j'en suis persuadé, retrouver toutes les pensées exprimées dans la comédie de l'Enthousiaste.

Si peu cependant qu'une comédie ait d'intrigue, encore faut-il qu'elle en ait une. En conséquence, Finette et Pasquin intriguent avec l'oncle Ariste pour que Damis devienne amoureux de Julie, et Julie amoureuse de Damis. Les moyen employés sont d'abord un maître de déclamation, M. Duton, que Damis a .demandé pour lui apprendre à déclamer. Un enthousiaste apprendre à déclamer les vers qu'il a faits pour sa maîtresse ! Car c'est là le but des leçons qu'il veut prendre. L'enthousiasms croit tout facile, tout simple. Proposez à un enthousiaste des règles pour faite une tragédie, il se moquera de vous ; et cet enthousiaste, qui s'est cru assez habile pour faire des vers, ne croit pas l'être assez pour les déclamer. Les intonations que cherche à donner M. Duton à Damis pour le oh qui commence ses vers, rappellent un peu la leçon du Bourgeois gentilhomme, et l'enthousiaste, dans ce moment, rassemble beaucoup à M. Jourdain. Ce qui ressemble encore à la Métromanie, c'est le conseil que M. Duton, instruit par la soubrette, donne à Damis d'adresser à sa jolie cousine les vers qu'il a faits pour sa maîtresse, afin de les réciter avec plus de feu. Mais je voudrais bien savoir à quoi ressemble la scène du maître de déclamation, où Michot récite une scène de Zaïre à la manière, dit-il, de Lekain et de Mlle. Gaussin. Elle a fait rire, parce que Michot, en habit noir et l'épée au cûté, faisant Orosmane et Zaïre, présente une idée qui doit être plaisante. Mais quel effet en voulait-il tirer ? Je n'en sais rien. Il était difficile d'admirer Mlle. Gaussin sous la figure de Michot, et il n'y avait pourtant pas de quoi se moquer du maître de déclamation qui, en imitant, je crois, fort peu Lekain, n'a pourtant pas eu de gestes assez faux pour montrer l'intention d'être plaisant, et en copiant Mlle. Gaussin n'a point eu d'accens assez ridicules. Cette scène avait été probablement faite pour Dugazon ; elle a besoin de charge.

En attendant, et tout en devisant, on ne peut pas dire que la pièce marche, mais enfin elle avance, car nous voilà au quatrième acte. On apporte à Damis le portrait de sa belle inconnue, pour lequel il a chargé un peintre d'inventer une tête. Le peintre a été endoctriné, et cette tête est celle de Julie, ce qui fait qu'au cinquième acte, en la voyant habillée comme l'était son inconnue, il tombe à ses pieds ; la tante arrive, se fâche ; pour réponse péremptoire, Damis lui montre le paysage où il a représenté Julie au haut de la montagne, comme le Poussin a représenté Polyphème assis sur les sommets de l'Etna. Ici le public, qui s'était contenté jusqu'alors d'exprimer de temps en temps son opinion, a manifesté d'une manière si formelle sa volonté de faire baisser la toile, que nous n'avons pu en savoir d'avantage.                         P.

La base La Grange de la Comédie Française donne le nom de l’auteur, J. de Valmalette, et signale que la représentation du 6 décembre 1809 a été la seule que la pièce ait connu.

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