L'Entrée de Dumouriez à Bruxelles, ou les Vivandiers

L'Entrée de Dumouriez à Bruxelles, ou les Vivandiers, pièce en cinq actes et en prose, d'Olympe de Gouges, 10 janvier 1793, l'an deuxième de la République.

Théâtre de la République, rue de Richelieu.

Le nom du grand général est écrit alternativement Dumouriez ou Dumourier.

L'Entrée de Dumouriez à Bruxelles, ou les Vivandiers appartient au tome 1 du Théâtre politique d'Olympe de Gouges, avec le Couvent ou les Vœux forcés, Mirabeau aux Champs-Elysées (le tome 2 contient l'Homme généreux, les Démocrates et les aristocrates ou les Curieux du Champ de Mars, la Nécessité du divorce, la France sauvée ou le tyran détrôné, le Prélat d'autrefois ou Sophie et Saint-Elme). L'ensemble est publié par Gisela Thiele-Knobloch chez Indigo & Côté-femmes éditions, 2015 et 2019.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Regnaud, 1793 :

L'Entrée de Dumourier à Bruxelles, ou les Vivandiers, pièce en cinq actes et en prose. Par Olympe de Gouges. Représentée sur le Théâtre de la République, rue de Richelieu, le      janvier 1793, l'an deuxième de la République.

Olympe de Gouges a fait figurer avant le texte de la pièce plusieurs textes :

* Complots dévoilés des Sociétaires du prétendu Théâtre de la République :

La critique est aisée et l'art est difficile.
________________________________

J'en appelle en auteur soumis, mais peu craintif,
Du parterre en tumulte au lecteur attentif.

______________

Rien n'est plus aisé que d'égarer l'opinion publique. Il est des calomnies d'un genre si bizarre, que lorsque la vérité vient porter l'éclat de son flambeau si redoutable aux méchans, les esprits tout-à-coup frappés par sa lumière, se trouvent dans l'impossibilité de se rendre compte, comment, ils ont pu voir et croire ce qui n'existoit pas. J'ai donc été la victime d'un complot, appuyé par les apparences les plus perfides. Tel a été l'art des comédiens à mon sujet ; mais pour en obtenir justice, je n'attirerai pas sur eux l'animosité des citoyens, ni les crimes révolutionnaires.

J'ai failli être assassinée, pour prix de mon civisme, par une bande de leurs satellites; et si je vis encore, c'est peut-être par un de ces miracles que l'innocence ne trouve pas toujours sur son chemin. J'ai été forcée d'attendre pour ma justification que ma piéce fût imprimée. Il ne s'agit pas sans doute de ma part de vouloir que ma piéce soit bonne, si elle est mauvaise ; mais ce qui m'importe véritablement, c'est de prouver au public que ce n'est point ma piéce qu'on a représentée sur le théâtre de la République, mais une pantomime de la façon des comédiens. J'ai été accablée, traînée dans les journaux ; quelle récompense pour une femme qui a si bien servi sa patrie !

Il est connu que le théâtre de la République a fait la démarche la plus authentique, pour arracher à un autre théâtre l'Entrée de Dumouriez à Bruxelles, ou les Vivandiers ; il est connu que ce fut le citoyen Cubière qui se chargea d'une lettre pour moi de la part de ce théâtre, afin de négocier cette affaire ; il est connu que cette piéce fut annoncée le 24 novembre dernier ; il est connu qu'un Dumouriez a été joué le 23 janvier présent mois ; mais ce qui n'est pas connu, c'est que les comédiens se sont permis de prendre seulement quelques lambeaux de ma piéce, de les délayer dans une espèce d'ambigu, moitié farce, moitié pantomime, de ne pas dire un seul mot dans le vrai sens du dialogue, de manquer entiérement les répliques, de briser l'action impitoyablement par l'abaissement de la toile, par des entr'actes éternels, des jeux de théâtre indécens, substitués aux situations intéressantes qui existent dans ma piéce, de défigurer entiérement les personnages et l'unité ; enfin, s'il est vrai qu'Athalie soit tombée un jour faute d'ensemble dans les acteurs, comment une piéce où deux armées sont sans cesse aux prises, et dans laquelle il n'y a que des automates pour guider l'action ; comment, dis-je, cette action a-t-elle pu intéresser le public jusqu'à la fin, lorsque ces automates n'avoient d'autre attention que celle d'attendre la réplique des sifflets qu'ils avoient gagés pour ne pas finir ma piéce ? Cependant cette piéce monstrueuse (comme l'ont imprimé leur libelliste folliculaire) a eu quelque succès aux [sic] tribunal redoutable du public, où le persécuté trouve enfin la justice qui lui est due; voici ma piéce toute imprimée ; juges-là avec ta sévère impartialité, et les loix feront le reste.

Pour te donner une connoissance exacte de l'intrigue affreuse des comédiens, lis les deux extraits qui suivent.

Il falloit que les comédiens continuassent les représentations de cette nouveauté ; mais alors il eût fallu qu'ils soutinsent l'œil pénétrant du spectateur indigné de leurs odieuses manœuvres. Il leur a paru plus simple de la faire disparoître de dessus l'affiche, contre toutes les lois ; car personne n'ignore que la piéce n'est pas tombée, quoiqu'ils l'eussent rendue informe. Pour ensevelir ma piéce tout-à-fait ils ont cru qu'il suffiroit de charger les journalistes de la décréditer dans le public.

Première et fameuse apologie par M. de Guenegaud, fameux aristocrate, auteur du Journal françois, feuille du 25 janvier.

Théâtre de la République.

« Le général Dumouriez a eu l'honneur d'être representé tout vif sur ce théâtre, mercredi dernier : c'est la citoyenne Olympe de Gouges qui fait les frais de ce précoce apothéose. Nous n'examinerons pas combien il est ridicule d'exposer sur nos tréteaux les personnages qui jouissent de quelque réputation ; c'est ce qu'a fait Olympe de Gouges, dans une rapsodie de sa façon, intitulée : L'entrée de Dumouriez à Bruxelles. Il nous seroit impossible de donner une analyse exacte de ce monstre dramatique ; ce sont des marches, contre-marches, des trains d'artillerie qui ne blessent personne, et des batailles pour rire.

« Au surplus, un recueil complet de lieux communs démagogiques. Parmi les personnages de cette farce héroïque, nous avons distingué le fils du duc Clairfait, parlant principes comme M. de Robespierre, et filant le parfait amour auprès d'une vivandière ; Dumouriez parodiant M. Thuriot dans son bavardage, voilà sur quoi roule tout l'intérêt de la piéce, etc. »

Je suis loin de me plaindre de cette critique, elle ne peut m'offenser; elle tombe entiérement sur les comédiens. C'en est assez pour apprendre en général au public, combien je suis victime de la trame la plus perfide et la plus grossiérement ourdie. Il est très-important que le public soit instruit que j'ai été la victime de la rivalité des théâtres et de la jalousie d'une femme. Les tyrans de la scène, semblables aux despotes, ne pardonnent jamais à ceux qui ne savent pas se plier à leurs caprices et se soumettre à leur joug tyrannique.

Quant à ces infames journalistes, je me contenterai de les livrer tout vifs dans ma Femme persécutée, et si je n'ai pas le talent de rendre leur style brillant, je leur laisserai le soin de le mettre en françois. Il est bien original que les aristocrates me traitent de démagogue, et les démagogues d'aristocrate ! Comment réussir quand on est en bute à toutes les passions et à tous les partis ? Ajoutez y l'ambition de mademoiselle Candeille, qui a tout fait pour me faire perdre le fruit de la circonstance, et pour faire échouer ma piéce deux mois après ; c'est ce que le public reconnoîtra dans la suite de cette bizarre discussion. Je vais passer rapidement au rédacteur des petites affiches; on voit cependant dans quelques lignes que sa conscience lui répugnoit, et que son extrait étoit plutôt commandé qu'inspiré.

Extrait des petites affiches du 25 janvier.

« L'ouvrage d'une femme a toujours des droits à l'indulgence. On n'a pourtant pas besoin de cette indulgence pour la belle Fermière de la citoyenne Candeille, qui, ainsi que nous l'avons déja dit, et que nous le répéterons éternellement, de crainte qu'on ne l'oublie, immortaliseroit le littérateur le plus distingué ». Quelle femme que mademoiselle Candeille ! Stupete gentes ! On voit bien que sa modestie n'a pas eu part à cet extrait.

« Citoyens, gardez-vous d'en douter ; mais pour Olympe de Gouges, il a fallu au public plus que de l'indulgence, il lui a fallu une véritable patience pour écouter jusqu'à la fin la piéce d'une femme qui se montre telle qu'elle est avec ses taches, qui ne possède pas l'art d'avoir recours aux faiseurs ni aux teinturiers.

« Nous n'entreprendrons point d'esquisser cet ouvrage bizarre, dans lequel ou ne trouve ni plan, ni conduite, ni goût, ni rien de ce qui constitue la véritable comédie; en un mot, cet ouvrage prête trop à la critique pour en exiger une bien sévère, il est au-dessous d'un examen bien approfondi ». (Cette remarque, mademoiselle Candeille, est juste et fait parfaitement l'éloge de votre ame et de vos connoissance [sic] dramatiques) ; mais continuons l'extrait et les remarques savantes, surtout dépouillées de mensonges ; j'en appelle encore au public pour celui-ci.

« Mais nous pensons que le but moral de l'ouvrage a pu seul le faire recevoir des acteurs du théâtre de la République, qui ont singuliérement soigné leurs rôles, surtout les citoyennes Candeille, Josset, et les citoyens Dugazon, Michaux, Desroziers, etc. etc".

Quelle audace ? faire du public un bridoison qui n'a pu s'empêcher de dire avec l'auteur ; je n'y comprends rien, mais j'entens, c'est un pâté, oui, républicains, c'est un pâté de la façon des comédiens qui avoient juré la perte de ma piéce pour plaire à la citoyenne Candeille, la plus modeste, la plus généreuse, la plus méritante des femmes et des hommes. Le but d'un tel panégyrique n'a pas besoin de commentaire; il frappe les yeux les moins pénétrans. On sait que la citoyenne Candeille évite les éloges, et qu'elle n'a jamais su s'en prodiguer.

Après cette affiliation de mensonges grossiers, recommencent les sottises contre mon ouvrage ; ensuite viennent les éloges sur mes talens, « quand je veux les soigner ; etc. »

Le plus piquant de cet extrait est l'épigramme sanglante qui résulte de l'éloge que ce rédacteur fait bénignement, sans le vouloir, des acteurs qui ont si mal joué dans cette piéce. Il s'est bien gardé de faire mention des citoyens Després, Garnier et Valois, qui se sont distingués. J'en appelle aux spectateurs qui se sont trouvés à la première représentation, je ne parle pas de la seconde; car il est aisé de reconnoître que ces acteurs avoient été influencés par les sollicitations de leurs camarades ; puisque on m'a assuré qu'on ne les avoit pas reconnus. Il me semble voir la surprise du public et son indignation. Quoi ! s'écriera-t-il, des comédiens ont pu se permettre, contre toutes les autorités reçues, de hâcber [sic] une piéce, de la désorganiser, d'amalgamer des pantomimes ridicules avec des phrases insignifiantes et indécentes dans un sujet héroïque, et de charger l'auteur aux yeux du public de toutes ces incroyables violations, et de le couvrir d'un infâme ridicule, sans pudeur, sans craindre ce retour terrible de l'opinion publique qui vient toujours au secours de l'opprimé. Et vous, mademoiselle Candeille, si j'étois femme, si je pouvois m'abaisser à vous imiter, combien vous paroîtriez différente de ce que vous voulez être aux yeux du public. Les éloges que vous savez mieux briguer que moi, et qu'on vous prodigue avec tant de profusion, seroient pour vous autant de ridicules ; craignez le réveil de la vérité ; on peut, avec de l'esprit et des talens, en imposer aux petits-maîtres et aux sots ; mais le génie, les vertus héroïques, la probité sans tache, sont des dons que la nature ne joint pas toujours aux charmes que l'on porte dans la société. Je ne possède pas ces avantages aux dépens des premières qualités sociales, je pourrois ajouter sans orgueil, mais avec la fierté qui me convient, qu'un esprit juste couronne peut-être chez moi une probité sauvage et une ame bienfaisante. Il m'en coûte assez de repousser la noirceur, vous savez si vous m'avez arraché ces dures vérités. Je ne suis pas jalouse de vos succès, vous en êtes persuadée ; on connoît l'excès de votre orgueil et mon désintéressement, j'aime trop la gloire des femmes pour leur nuire d'aucune manière ; mais vous avez poussé la perfidie à mon égard à un degré si haut, que vous m'avez réduite à me justifier aux yeux du public.

Citoyens littérateurs, hommes sensés, jugez ma piéce d'après vos connoissances et votre conscience.

Je ne demande point que le théâtre de la République continue la représentation de ma piéce ; je demande que cet ouvrage me soit payé ; le sacrifice de ma fortune et de mes veilles en faveur de la chose publique, me réduisent à la noble nécessité de vivre actuellement de mes talens ; si ma piéce eût été jouée et jugée, personne n'ignore que j'aurois su me faire justice, et que par de nouveaux efforts, j'aurois su obtenir le suffrage du public, que quinze ans d'exercice dans le théâtre m'ont acquis peut-être à juste titre.

J'avoue qu'en auteur sensible, je n'ai pas vu indifféremment massacrer ma piéce. J'ai parlé au public en grand homme, en excusant les acteurs quand j'avois lieu de les mépriser. Toucher à leur injustice, c'est toucher à l'arche ; je me suis donc vu tout-à-coup assaillie par une bande de juges gladiateurs, qui m'ont vomi, comme s'en glorifie le sieur Ducray dans son libelle intitulé les Petites-Affiches, les ordures qui convenoient sans doute aux actrices qui les avoient commandées. Ce journaliste a eu l'impudeur d'avancer que le public s'est fait justice. Qui pourroit croire, si cela n'étoit pas imprimé, une semblable calomnie contre le public qui a lieu de m'estimer, et peut-être de m'admirer ? Infâme libelliste, qui es-tu ? Tu n'es donc ni bon citoyen, ni même un homme. Quelle que soit ton aristocratie, tu appelles cela un acte de justice du public, qui est sorti content de l'auteur, et bien convaincu que le vice de la piéce étoit l'ouvrage des acteurs. Tu places ce public dans un ramas confus de douze drôles galopins d'actrices qui m'ont injuriée. Ah ! le public est bien loin d'avoir partagé une semblable horreur ; mais c'est trop m'occuper d'un vil écrivain tel que toi, il me suffira de rappeler au public que ta plume vénale, quelques jours avant la représentation de ma piéce, avoit fait mon éloge. Vas [sic], il ne t'appartient pas, ni à tes pareils, d'apprécier un être tel que moi. Je sais faire des piéces de théâtre, que tu n'es pas en état de juger ; celle que tu as défigurée de moitié avec les acteurs, vient assez à l'appui de ton insuffisance, pour n'avoir pas besoin de te dire que le public en la lisant va te rendre justice, et celle que j'ai lieu d'attendre de ses lumières et de son impartialité ; il verra que j'ai su faire un plan, un dialogue, une intrigue, concevoir une action dramatique, la soutenir avec un comique original ; et comme le dit Mercier et autres que cette piéce, quoique faite à la Shakespear, genre que les françois n'ont pas encore adopté, quoiqu'il soit plus près de la nature, auroit pris trois mois à un auteur consommé, quand je n'y ai mis que quatre jours.

Sans doute le public ne prendra pas pour orgueil, ce qui n'est de ma part qu'une juste indignation. Jamais auteur n'éprouva un si dur traitement, jamais piéce républicaine ne reçut plus d'outrages, et ne fut payée d'une plus noire ingratitude. Jamais ouvrage, depuis la révolution, ne brûla d'un plus pur patriotisme et chacun sait quelle a été ma récompense.....

Olympe de Gouges.          

De l'Imprimerie de F. M. BOILEAU, Libraire et
Papetier-fabricant, rue Christine, No 2,
fauxbourg saint-Germain.

* Message à Dumouriez.

OLYMPE DE GOUGES,
A DUMOURIER,
GÉNÉRAL DES ARMÉES
DE LA RÉPULIQUE FRANÇAISE.

Dumourier,

J'ignore s'il est venu jusqu'à toi qu'une femme avoit osé te faire agir et parler au milieu de tes travaux guerriers. Je ne te connois point ; je ne chercherai pas même à te connoître. J'ai entendu le récit de tes exploits; c'en fut assez pour que mon imagination s'élevât jusqu'à la hauteur du sujet que je voulois traiter. Sans doute il falloit une autre plume que la mienne pour les raconter, pour peindre à la fois le vaillant soldat et le vrai philosophe ; il falloit le génie du grand Corneille pour rendre cette ardeur belliqueuse d'un peuple régnéré [sic], né pour la liberté. Pour fixer l'opinion publique sur le gouvernement républicain, il falloit exciter, enflammer le courage de mes concitoyens qui restoient dans Paris. Il falloit enfin donner le dernier coup de massue à l'aristocratie, qui, semblable au cameléon, prend toutes les formes, guette le moment d'une anarchie contrerévolutionnaire pour nous remettre aux fers.

Il n'est plus de Corneille ; nos auteurs modernes dédaigne [sic] de traiter dramatiquement des sujets de circonstance ; ils ont raison : plus hardie qu'eux, ou plus foible, je me suis laissé [sic] entraîner. En quatre jours j'ai fait une pièce en cinq actes : cet aveu va te faire trembler, ainsi que le public. Sans doute donnée à propos, je l'aurois intéressé ; actuellement j'ai besoin de toute son indulgence. Mais, que dis-je ? Tes ennemis ni les miens ne pourroient profiter du retard cruel que le théâtre de la République a mis à la représentation de cet ouvrage. Ce n'est point toi seul que j'ai célébré ; soldat, tu partages mon hommage: mais ce sont mes concitoyens, c'est l'armée que tu commandois que j'ai célébrés ; c'est la haine des tyrans, c'est l'amour de la liberté dont j'ai voulu pénétrer les peuples ; c'est surtout la gloire de mon pays que j'ai voulu cimenter. Mais le talent, me diras-tu, Dumourier ? Que fait-on sans talent ? Une pièce en cinq actes, avec du patriotisme seulement. Mais le spectateur, ajouteras-tu, renferme les malveillans, comme les bons patriotes; et le moment de cette pièce et le titre qu'elle porte est déjà en butte à la haine et aux passions. Dumourier, je ne te ferai pas l'injure d'ôter ton nom. Aurois-tu des torts, si l'on pouvoit le croire, on ne pourra jamais ternir l'éclat de tes belles actions ; elles t'ont placé si haut, que la calomnie ne sauroit t'atteindre. Oui, tu dois la mépriser ; oui, l'ingratitude ne peut te rebuter, tel que tu l'a dis, tel que tu le pense, tu sauras mourir ou triompher : telle doit être ta devise.

Ce n'est pas à toi que je recommande cette pièce, c'est à tes illustres compagnons d'armes. Nobles défenseurs des droits de l'homme, guerriers de la Bataille de Jemmape, braves volontaires de tous les départemens, en semestre actuellement à Paris, venez soutenir, par votre patriotisme, la représentation de cette pièce; venez la défendre des atteintes de l'aristocratie, et vous reconnoîtrez que si les pièces de nos grands philosophes ont produit la révolution française, la pièce d'une femme peut produire véritablement celle de la Belgique, et celle de tous les peuples encore à régénérer.

Et vous, Citoyens, écoutez ; il s'agit de vos plaisirs.

Le théâtre de la République ayant appris que j'avois traité, d'une manière heureuse, le sujet de l'entrée de Dumourier à Bruxelles, s'empressa de me demander cette pièce. Je cédai à ces instances, quoique j'eusse disposé cette pièce pour un autre théâtre. Ils la reçurent le 23 novembre, en cinq actes ; mais ils s'obstinent toujours à ne vouloir la représenter qu'en quatre ; me refusent impitoyablement de jouer l'acte des moines de Bruxelles, qui peint au naturelle les trahisons, les conspirations de cette secte maudite dont, en ce moment même, se plaint Dumourier dans sa lettre à la convention nationale. Si j'en appelle, pour cet acte, au public, c'est que je fais imprimer ma pièce en cinq actes, et que je voudrois éviter à cette société le blâme de l'opinion publique, en la portant à le jouer, puisque les rôles sont sus à moitié, et qu'ils peuvent achever d'apprendre du soir au matin. Cette étude ne peut, d'aucune manière, interrompre la marche de cette comédie. L'engagement fut donc pris de la jouer sur-le-champ ; elle fut annoncée le lendemain, et l'on exigea de moi les rôles sous vingt-quatre heures. Je m'environne de trois secrétaires ; je passe la nuit, et je me fais un devoir de répondre à ce zèle vraiment patriotique. Plus enchaînée à la circonstance, à la morale de la révolution, au dramatique qui m'a suscité peut-être bien des envieux, qu'au charlatanisme d'un style prétentieux, j'avois lieu d'espérer que le public, surpris par une pièce républicaine, et peut-être dramatiquement conçue, en si peu de temps, qui pouvoit être représentée dix jours après la nouvelle de la reddition de Bruxelles, le public content auroit ressenti un sensible plaisir ; mais à peine eurent-ils leurs rôles, que leur enthousiasme se ralentit. Ne pouvant concevoir la cause de ce refroidissement, et voulant éviter toute espèce de désagrément avec cette société, je lui proposai de lui retirer ma pièce. Elle me rassura, et me protesta que, sans la pièce de la Belle Fermière, mon Dumourier auroit passé tout de suite ; mais qu'il alloit marcher de front. Je savois que cette pièce étoit d'une femme; je cédai à cette seule considération ; car j'aurois pu exiger d'un auteur-homme, un sacrifice qui ne pouvoit nullement nuire à ses intérêts ; le sujet de cette comédie n'étant point un sujet de circonstance, et surtout d'une circonstance aussi impérative que celle de mon Dumourier. Ma pièce étoit avant la Belle fermière sur l'affiche. L'on m'a fait un passe-droit, cette pièce a eu le plus grand sucès. Pourquoi-donc différer plus long-temps la représentation de la mienne ?

Je n'accuse pas cet auteur charmant, quoiqu'on eut voulu me persuader qu'il retardoit la représentation de ma pièce dans la crainte que, si j'obtenois le plus léger succès, la sienne ne fut négligée du public. Tant de graces, de talents et de perfection réunies ne peuvent s'allier qu'avec la plus belle âme ; cependant si j'avois à rassurer cet auteur, ne pourrai-je pas lui dire que sa pièce est de tout [sic] les temps, et que la mienne n'a qu'un foible moment dont il m'a déja ravie [sic] la moitié, sans doute sans le vouloir ; il est trop équitable pour ne pas se mettre à ma place.

Je sais que j'ai contribué pour beaucoup au retard de cette pièce ; j'ai montré la foiblesse d'un enfant et non pas l'énergie d'un auteur ; mais je n'ai pas moins le droit de me plaindre, et la plainte est juste et naturelle à celui qui souffre.

Femme et isolée, n'ayant pas à ma disposition des auteurs, des prôneurs dans les journaux, et si parfois on m'a rendu justice, je peux dire l'avoir mérité ; je n'ai point voulu fixer l'attention du public, sur le retard meurtrier de ma pièce ; je ne l'ai point fait demander non plus par le parterre, comme cela se pratique. O société encouragée par les récompenses nationales ! combien vous devez de soins à un ouvrage républicain ! Je vous abandonne le soin qu'exige cet ouvrage ; mais à ce titre, permettez-moi d'insister sur l'acte des moines, qui fait l'exposition de ma pièce, et qui rend le patriotisme du citoyen Balza bien plus chaud, que lorsqu'il vient après trois actes brûlans de combats. D'ailleurs, je vous le répète, c'est l'exposition de ma pièce.

En vain je vous ai sollicité les uns après les autres, et n'ayant pu rien obtenir, j'ai pris le parti de vous faire afficher ma demande ; vous ne pouvez le trouver mauvais. Je devois justifier le retard de la représentation. Le spectateur est juste ; il a toujours de l'indulgence pour une production du moment. Mais au bout de six semaines ?.... Le public est là pour juger ma pièce, et je dois rapporter toute son attention à l'époque de son enthousiasme.

Je vous dis, citoyens, ma façon de penser avec toute la véracité de mon caractere. Souffrez donc la vérité; sûrement elle vous servira mieux que des fadeurs. Celle qui a su la dire aux despotes, aux malveillans, dans les temps les plus orageux, ne peut la contraindre à l'aspect de ses intérêts. Votre retard meurtrier m'a contrainte d'en appeler à l'opinion publique ; je n'ai qu'elle pour moi ; c'est le port le plus sûr de ceux qui ont été persécutés. Et quel homme vertueux peut dire l'avoir été plus que moi ?

J'ose espérer que le public, considérant que cette pièce a été conçue et exécutée en quatre jours, aura quelqu'indulgences pour les négligences qui peuvent s'y trouver, et que les acteurs répareront, envers le public et envers moi, le retard qu'ils ont apporté à sa représentation, en secondant l'action par l'ensemble qu'elle exige ; sinon le décousu produira la confusion ; le tronquement des phrases et du sens, la tactique des huées et des sifflets, qui s'accordent parfaitement au jeu des acteurs, ect. [sic], tout ce qui peut produire même la chûte d'un chef-d'œuvre, sera peut-être employé, pour la première fois, dans une pièce toute patriotique. Je suis loin de croire que la société du théâtre de la République, quelque soit [sic] les motifs de son retard, puisse voir indifféremment la perte d'un ouvrage qu'il a reçu avec enthousiasme. Mais quelle que soit sa destinée, je m'attends à tout ; et ma pièce, déjà imprimée telle qu'elle a été reçue par les comédiens, apprendra mieux que moi, au public, si elle a mérité le traitement qu'elle aura reçu à la représentation. Quand [sic] aux prudes, je ne les engage pas à venir voir cette pièce ; elles verroient avec peine mettre au jour l'impudicité d'un moine amoureux. Ah ! combien Molière auroit tiré parti de cette révolution ! Pour les aristocrates ; je ne leur conseille pas non plus de venir la voir, à moins qu'ils ne veulent apprendre à devenir sages, et à reconnoître leurs crimes.

*Indications pour monter la pièce : le nombre d'acteurs nécessaires, et comment en diminuer le nombre en cas de difficultés (vingt-six acteurs, c'est énorme, et ramener le nombre à dix-sept ou dix-huit allège le budget) ; les costumes ; les accessoires : tout est prévu dans la brochure ; la musique, pour laquelle Olympe de Gouges donne le choix, entre la musique utilisée par le Théâtre ou une musique à leur choix ; les mouvements de foule (deux armées qui se battent).

PROGRAMME

Pour le costume et les personnages de cette pièce. Voici à-peu-près ce que j'indiquerois aux directeurs des théâtres des départemens. Il y a vingt-six acteurs parlant dans cette pièce. On peut les réduire à dix-sept ou dix-huit, moyennant le changement de costume et les moustaches. Les trois soldats parlant peuvent remplacer les trois hommes du peuple, Le premier soldat peut remplir le rôle de Lafeuillette ; le général Clerfait peut faire un conseiller de ville ; l'aide-de-camp allemand peut faire le moine bègue ; Lucas peut faire le juge criminel, et dans un plus grand besoin, Suzette peut faire madame Lafeuillette ; l'officier allemand peut faire l'ecuyer d'Albert.

COSTUME.

Madame Charlot doit avoir un jupon rayé rose ou bleu galonné en or, sur la taille et sur la pièce ; un petit bonnet aussi de velours noir, avec une dentelle en or et des glands entrelassés [sic] dans les cheveux. Une chaîne d'or au cou et de grosses boucles d'oreilles, les cheveux nattés sur le bonnet, en un mot un costume riche d'allemande. Charlotte à-peu-près le même costume, mais le corset vert et argent, jupon rose et argent, et bonnet blanc et argent.

L'armée prussienne, habits prussiens. Les généraux, habits blanc, galon en or ; Albert, archiduc des Pays-Bas, richement mis, et sur-tout ne pas oublier les cordons et les chaînes. Les magistrats en noir; le peuple à-peu près comme l'on s'habille partout. Cette pièce exige le plus grand ensemble Le dialogue doit être débité avec chaleur pour qu'il ne fasse pas disparate avec l'action guerrière dont la scène est à chaque instant interrompue. Charlot en habit de matelot élégant ; Grisbourdon en habit de carme ; Tape-à-l'œil avec un vieux habit d'autrichien, un chapeau de courrier, attaché sous le menton, un tablier noué sur l'habit ; un petit baril d'eau-de-vie en sautoir ; un drapeau français, drapeau autrichien ; vivandiers suivant l'armée.

Quant aux accessoires de décorations et autres objets, tout est indiqué dans la pièce ; la seule chose que je n'ai point indiquée, c'est la musique qu'exige [sic] les combats. Le théâtre de la république a fait faire une partition ; sans doute les départemens se la procureront, ou peuvent choisir à leur gré des airs de grands opéras, et s'en procurer une sur-le-champ ; mais il faut sur-tout un homme consommé dans l'art militaire pour conduire cette pièce, ou un bon maître de balets ; un nombre de soldats assez considérable pour produire l'effet de deux armées formidables aux prises.

Les directeurs des théâtres des départemens qui représenteront cette pièce pourront s'adresser à l'auteur, et faire passer leurs propositions à l'adresse du citoyen Bourg, rue du Harlai, près le Palais.

* Une impressionnante liste de personnages :

PERSONNAGES.

DUMOURIER, général de l'armée du Nord.

L'EGALITE, général sous Dumourier.

L'ADJUDANT GENERAL FRANÇAIS.

Les deux sœurs FERNING.

CHARLOT, né en France, et vivandier dans l'armée autrichienne.

Madame CHARLOT, sa femme, et Allemande.

CHARLOTTE, leur fille.

Le général CLAIRFAYT, général autrichien.

Le chevalier de CLAIRFAYT, fils du général, et amant de Charlotte.

LUCAS, amant de Suzette.

SUZETTE, amante de Lucas.

Le Prince de WIRTEMBERG.

UN AIDE-DE-CAMP du prince de Wirtemberg.

UN OFFICIER ALLEMAND.

GRISBOURDON DE MOLINARD, aumônier de l'armée autrichienne.

TAPE-A-L'ŒIL, espion français dans l'armée ennemie.

TROIS SOLDATS AUTRICHIENS, parlant.

ALBERT, archiduc, gouverneur des Pays-Bas.

UN BOURGMESTRE.

BALSA, conseiller de ville.

UN JUGE CRIMINEL.

LAFEUILLETTE, marchand de vin en gros, à demi-ivre

Madame LAFEUILLETTE, sa femme.

Le père HILARION, prieur d'un couvent de carmes.

PLUSIEURS MOINES ET PRIEURS de différens ordres. Personnages muets.

DEUX HOMMES DU PEUPLE, parlant, et qui peuvent jouer le rôle de soldats.

TROUPES FRANÇAISES.

TROUPES ALLEMANDES.

La base César attribue 3 représentations à la pièce : 10, 23 et 25 janvier 1793.

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