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Mirabeau aux Champs Élysées

Mirabeau aux Champs Élysées, comédie en un acte, en prose, d'Olympe de Gouges 15 avril 1791. Paris, Garnéry, veuve Duchesne, etc., in-8°.

Théâtre Italien.

Mirabeau aux Champs-Elysées appartient au tome 1 du Théâtre politique d'Olympe de Gouges, avec le Couvent ou les Vœux forcés et l'Entrée de Dumouriez à Bruxelles, ou les Vivandiers (le tome 2 contient l'Homme généreux, les Démocrates et les aristocrates ou les Curieux du Champ de Mars, la Nécessité du divorce, la France sauvée ou le tyran détrôné, le Prélat d'autrefois ou Sophie et Saint-Elme). L'ensemble est publié par Gisela Thiele-Knobloch chez Indigo & Côté-femmes éditions, 2015 et 2019.

Titre :

Mirabeau aux Champs-Elysées

Genre

comédie

Nombre d'actes :

1

Vers / prose

prose

Musique :

non

Date de création :

15 avril 1791

Théâtre :

Théâtre Italien

Auteur(s) des paroles :

Olympe de Gouges

Almanach des Muses 1792

Pièce faite, apprise et jouée en onze jours (Mirabeau est mort le 2 avril). Elle a eu quelque succès. Le nouveau législateur paroît aux Champs Élysées ; il y est fêté par Henri IV, Voltaire, Rousseau, Désilles, Ninon Lenclos, Sévigné, Deshoulières, etc. ; les ombres dansent autour de lui, et on pose sur sa tête la couronne civique.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, Paris, chez Garnery, sans date :

Mirabeau aux Champs-Élysées. Comédie en un acte et en prose, par Madame de Gouges, Représentée à Paris, par les Comédiens Italiens ordinaires du Roi, le 15 Avril 1791, avec changemens, & plusieurs scènes neuves.

Le texte de la pièce est précédé d'une double préface (p. iii-xxj) :

PRÉ F A C E.

Jusqu'à ce moment la littérature eut des charmes pour moi, aujourd'hui c'est dans les horreurs et les. dégoûts de la composition. que je dicte sans ordre cette préface ; c'est à-peu-près ma manière.

J'ai donné au public, avec zèle et confiance, une pièce patriotique, il l'a reçue avec indulgence ; je la lui présente aujourd'hui imprimée, à-peu-près avec ses mêmes défauts et le même empressement que j'ai toujours mis dans mes écrits ; je sais que ce n'est point assez pour le satisfaire, il ne suffit pas de piquer sa curiosité, il faut agacer son goût, et c'est la coquetterie littéraire qui me manque ; cette coquetterie diffère entièrement de celle des belles ; l'une n'a besoin que de toutes les grâces de la jeunesse, et l'autre au contraire a besoin de vieillir dans le travail et l'expérience de l'art.

J'ai présenté aux Italiens le 12 de ce mois Mirabeau aux champs-élisées ; si l'estime et l'enthousiasme donnoient l'expression, je n'en trouverois pas d'assez sotte pour témoigner à cette société toute ma reconnoissance. Après avoir reçu ma pièce d'une voix unanime ils m'annoncèrent qu'ils alloient la mettre à l'étude pour la jouer vingt-quatre heures après ; j'avoue que je fus moins étonnée de leur empressement qtlc je ne le fus de la possibilité de leur mémoire ; ils n'avoient qu'une seule inquiétude, c'étoit le tems que le copiste pouvoit exiger pour livrer les rôles ; une voix s'éleva : hé! pourquoi ne les copierions-nous pas nous-mêmes ! Aussi-tôt un élan patriotique embrâsa tous les cœurs, et en une demie-heure, en ma presence, chaque acteur eut copié son rôle ; ils firent plus, ils m'observèrent plusieurs changemens, mais le peu de tems qui nous restoit ne nous permettoit pas de donner à cette pièce toute la perfection que nous pouvions mutuellement desirer. En même-tems que les acteurs apprenoient la pièce, je crûs qu'il étoit prudent de la soumettre au goût, aux connaissances d'un connaisseur ordinaire, car il faut que je prévienne le public que j'ai la manie encore de ne demander des avis qu'à ceux qui n'en savent guères plus que moi et comme cette remarque ne touche ni à leur probité, ni à leurs mœurs ils ne sauroient s'en fâcher. Ainsi donc le conseil me fut donné de retrancher aux trois quarts, le rôle de Louis XIV, en m'assurant que ce caractère seroit mal vu dans ce moment-ci, parce que je le présentai du côté favorable. La comédie italienne s'étant prescrite d'apprendre cette pièce en vingt-quatre heures, fit de nouvelles coupures à son tour et à la représentation mon Louis le Grand étoit bien petit, bien pitoyable, et ma surprise ne fut pas moins grande que celle du public de le voir arrivcr là pourquoi faire ?, pour dire un mot et entendre des choses désobligeantes. L'improbation générale à cet égard justifie pleinement l'auteur ; mais le public qui n'est pas instruit ne l'accable pas moins en attendant sa justification ; il falloit opter dans ce moment, se pendre ou se justifier, le dernier m'a paru plus doux, et persuadée que les Français ne seront pas toujours des bourreaux pour me juger, j'en appelle aujourd'hui à leur justice.

Toutes les critiques, sur cette pièce, qui m'ont été faites, étoient justes mais peut-être l'ouvrage ne les méritoit pas ; qu'on examine quel a été mon but en faisant paroitre Mirabeau aux champs élisées ; c'étoit de rendre hommage à sa mémoire, ce fut là le premier élan de mon cœur, de mon patriotisme ; je ne mis que quatre heures pour composer cette pièce et l'on a pu exiger qu'en si peu de tems, je fis un chef-d'œuvre de la réunion de tous les grands hommes, que j'eus l'art de les faire parler chacun leur langage, non seulement comme ils parloient dans leur vie privée, car on ne disconviendra pas que nos plus grands-hommes ont été toujours simples dans la société, mais éloquens, précis, énergiques, te!s qu'ils l'ont été dans leurs ouvrages. Mirabeau sur-tout n'auroit pas mérité les éloges qui lui font dus s'il s'étoit exprimé comme je l'ai fait parler. Comme s'il étoit aisé de le faite parler sans puiser son dialogue dans ses propres écrits, comme s'il étoit aisé de le remplacer à l'assemblée nationale ; Mirabeau, on le sait, quand il n'étoit pas préparé, différoit en tout avec lui-même et vous exigeriez, quelque soit le sexe de l'auteur, qu'il eut égalé ce grand-homme dans ses plus beaux momens. Vous serez satisfaits ; mon effort ne sera pas bien grand, il s'agit d'adopter des morceaux de ses sublimes discours à la substance de ma pièce ; je crains le disparate, mais vous l'avez voulu. Le passage qui m'a paru le plus heureusement ajusté à cette pièce, est l'éloge que Mirabeau a fait sur la mort de Franklin ; c’est Franklin lui-même qui le présente aux champs élilées, et qui prononce les mêmes paroles que Mirabeau a, prononcé à son égard à l'assemblée nationale ; tous ceux à qui j'ai fait part de ce changement m'ont assuré qu'il étoit bien conçu ; j'en accepte l'augure. Mais les femmes ! les femmes ! si généreuses pour leur sexe, desquelles on n'a pas apperçu un seul coup de main à la représentation de cette pièce ; et mes amis, mes bons amis ! il faut que je leur dise un mot puisque me voilà en chemin. Tous attendoient mon succès ou le craignoient, car l'amitié de ce tems n'exempte pas de la petite jalousie. Les uns, je le sais, ont applaudi à ce peu de succès, les plus désintéressés m'ont vu d'un autre œil : le sentiment de la pitié couvre d'opprobre celui qui l'excite. Aucun n'a eu la noble générosité de venir me consoler et comme si j'avois commis des crimes, tous m'ont abandonnée ; ah ! quels amis ! ah ! rigoureuse épreuve ! non il n'y en a pas d'aussi sûre que celle du théâtre ; les succès couvrent tous les défauts, même les vices ; une chute les donne tous, et les vertus disparoissent.

Ma pièce loin d'échouer a été même applaudie ; elle a excitée la critique et plus encore l'envie, ce qui m'assure qu'elle n'est pas si mauvaise ; mais je n'ai pas de prôneurs ; mais je n'ai pas la masse des auteurs qui se tiennent ordinairement ensemble pour faire réussir leurs ouvrages ; seule, isolée et en but tant d'inconvéniens, comment attendre même un succès mérité ? Je suis d'ailleurs malheureuse je crois à la fatalité, aussi l'ai-je prouvé par la transmigration des ames.

Je me suis, je crois, rendue recommandable à ma patrie ; elle ne sauroit oublier jamais que, dans le tems où elle étoit aux fers, une femme a eu le courage de prendre la plume le premier pour les briser. J'ai attaqué le despotisme, l'intrigue des ministres, les vices du gouvernement : je respectai la monarchie et j'embrassai la cause du peuple ; toutes mes connoissances alors ont frémi pour moi, mais rien n'a pu ébranler ma résolution ; le talent sans doute ne répondoit pas à ma noble ambition, mais je me suis montrée ardente patriote ; j'ai sacrifié au bien de mon pays mon repos, mes plaisirs, la majeure partie de ma fortune, la place même de mon fils, et je n'ai reçu d'autre récompense que celle qui est dans mon cœur ; elle doit m'être chère, elle fait mon bonheur, je n'en ambitionne pas d'autres. Peut-être avois-je droit d'attendre une marque de bienveillance de l'assemblée nationale ; elle qui doit montrer à l'univers l'exemple de l'estime que l'on doit à tout citoyen qui se consacre au bien de son pays, elle ne peut se dissimuler qu'elle a adopté tous les projets que j'avois offerts dans mes écrits avant sa convocation ; on dénonce à son auguste tribunal toutes hostilités, et moi je dénonce son indifférence pour moi, à la postérité. Elle a reçu la collection de mes ouvrages, chaque membre en particulier, le seul qui m'a témoigné sa gratitude,est l'incomparable Mirabeau lui seul a eu la grandeur d'ame de m'encourager, de m'élever peut-être au-dessus de mes talens ; mais cet éloge n'a fait que me convaincre qu'il rendoit justice à mes vues, à mon patriotisme. Je joints ici sa lettre pour ma justification.

Versailles, le 12 septembre 1789.

Je suis très-sensible, madame, à l'envoi que vous avez bien voulu me faire de votre ouvrage ; jusqu'ici j'avois crû que les grâces ne se paroient que de fleurs. Mais une conception facile, une tête forte ont élevé vos idées, et votre marche aussi rapide que la révolution est aussi marquée par des succès. Agréez, je vous prie, madame, tous mes remercîmens et soyez persuadée des sentimens respectueux avec lesquels j'ai l'honneur d'être madame votre très-humble et très-obéissant serviteur,

Le Comte de Mirabeau.

Les propos injurieux qu'on a répandus sur mon compte, la noire calomnie que l'on a employée pour empoisonner tout ce que j'ai fait de méritoire, seroient propres à me donner de l'orgueil puisqu'il est vrai qu'on me traite et qu'on me persécute en grand-homme ; si je pouvois me le persuader, je réaliserois le projet que j'ai formé de me retirer entièrement de la société d'aller vivre dans la solitude, étudier nos auteurs, méditer un plan que j'ai conçu en faveur de mon sexe, de mon sexe ingrat ; je connois ses défauts, ses ridicules, mais je sens aussi qu'il peut s'élever un jour ; c’est à cela que je veux m'attacher. Cet ouvrage est de longue haleine et je ne le présenterai pas du matin au soir ; je veux faire cependant mes adieux comiquement à mes concitoyens ; après avoir mis les morts au théâtre, je veux y mettre les vivans ; je veux me jouer moi-même, ne point faire grâce à mes ridicules pour ne point épargner ceux des autres ; je n'ai pas trouvé de plus vaste plan ni de plus original que madame de Gouges aux enfers. On se doute aisément que je me trouverai là avec des personnages dignes de mon attention et de mon ressentiment ; les comédiens français par exemple.... mes bons amis.... les bons auteurs qui. m'ont reproché impitoyablement leurs fameuses observations sur quelques synonimes et. qui m'ont pillé, volé grossièrcmcnt comme un certain Labreu qui a eu le front, après avoir escroqué à mon fils une pièce de vœux forcés pour le théâtre dont il se dit directeur, a eu l'audace de faire mettre sur l'affiche par madame de Gouges et monsieur Labreu.. Celui-là est fort ; c'est comme si les comédiens italiens disoient avoir fait une pièce parce que j'ai consentie aux changemens qu'ils m'ont demandés. Les petites maîtresses aristocrates, les démagogues, les enragés, en un mot, j'irai aux enfers, mais je n'irai pas seule, et quelqu'un m'y suivra. Je préviens cependant que je ne toucherai aux mœurs, ni la probité de personne, tels sont mes principcs. Il seroit fort plaisant que cette farce me couvrît de gloire, je n'en serois pas surprise : mon projet de la caisse patriotique, la responsabilité des ministres, les établissemens publics pour les pauvres, le moyen d'occuper aux terres incultes, tous les hommes oisifs, les impôts sur les spectacles, valets, voitures chevaux, jeux afin de les détruire par un impôt exhorbitant ; mon esclavage des noirs, pièce qui a excité injustement la haîne des Colons, mais qui ne prouve pas moins que j'ai écrit la première dramatiquement pour l'humanité ; trois volumes encore de mes pièces, pas moins estimée des gens de goût, ne m'ont pas attiré un regard général et favorable ; c'est bien là le cas de citer ces vers :

        Mon Henri quatre & ma Zaïre,
        Et mon américaine Alzire,
Ne m'ont valu jamais un seul regard du roi ;
J'avois mille ennemis avec trés-peu de gloire.
Les honneurs & les biens pleuvent enfin sur moi
        Pour une farce de la foire.

P. S. On m'a assuré vrai, le bienfait anonime de Mirabeau ; je n'assure pas que l'enfant soit mort, mais il m'a été indispensable de l'égorger pour rendre le trait de bienfaisance public.

Je n'ai pas fait seulement cette pièce pour la capitale, je me suis empressée de la faire imprimer pour les provinces avant sa reprise à Paris, persuadée qu'elles me sauront bon gré de cet empressement ; en outre, je supplie & charge toutes les municipalités du royaume, d’après le décret de l'assemblée nationale, qui rend aux auteurs leurs propriétés, de prélever ma part & de la répandre sur les femmes qui se seront distinguées par quelqu'action patriotique, comme celle de Nanci, ainsi que toutes celles qui auront le noble courage de l'imiter.

ENCORE UNE PREFACE.

Le lecteur ne manquera pas de dire, cette femme aime bien à préfacer : patience lecteur, je vais tâcher que celle-ci soit du moins utile.

Je serois tentée de croire que la nature a placé en moi le don de prophétie ; si j'avois été fanatique, ah ! combien de miracles j'aurois déjà faits ! Tous mes écrits en pétillent ; on n'y croit pas, parce qu'on les a sous les yeux, mais un jour on les citera. Ce qui m'encourage à revenir à mes miracles patriotiques, c-est que l'athéisme m'assure que je n'ai point comme Jeanne d'Arcq, à redouter la sainte grillade ; je pourrois peut-être craindre la lanterne nationale, mais on assure que ses nobles fonctions sont suspendues, ainsi je vais user de tous mes droits de citoyenne libre et zélée patriote.

Depuis quinze ans j'ai prévu la révolution, de plus grands politiques l'avoient prévu de plus loin ; M. de Saint-Germain et la reine l'ont au moins devancée de plus de trente ans, non comme le. public l'interprête ; le vieux bonhomme St.-Germain a fait machinalement ses soupçons sur la- maison du roi, sans avoir le dessein de nous être utile ; la reine, en faisant disparoître l'étiquette a perdu le respect des Français ; j'ai fait jadis une observation à son égard connue de vingt personnes. Il y a à-peu-près quatorze ans que je me trouvai à la porte de la comédie française quand la reine arriva, jeune, élégante, telle qu'on voit nos petites maîtresses les plus recherchées ; son air, son ton enchantoient les yeux ; mais on murmuroit tout bas. Je dis tout haut : adieu la majesté royale, un jour cette reine versera des larmes de sang sur son inconséquence ; le pronostic ne s'est que trop réalisé. Mais l'inconséquence n'est pas vice ; elle est attachée à la jeunesse et fait souvent l'éloge de l'innocence ; une reine doit-elle être exempte de cette innocence ? Les uns diront oui, les autres diront non ; moi je dis que ce qui est fait est fait, et ne voyons, mes concitoyens, que l'avenir. Je plains d'autant plus la reine, que peut-être elle n'a aucuns reproches à se faire de tout ce dont on l'accuse contre le peuple français ; elle n'a donc pas de vrais amis ! Tous les écrivaillcurs ont écrit contre elle ; et personne n'a pris la plume pour la justifier, personne n'a eu le noble courage de l'avertir de ce qu'elle doit aux Français, de ce qu'elle se doit à elle-même dans un moment comme celui-ci ; si il y à un complôt. des. aristocrates, des prêtres -réfractaires, des prétendus patriotes, c'est la reine qui les suscite, et toujours la reine. Quoi ! toujours le mensonge grossier égarera les hommes, fera triompher le vice, et masquera la vérité ! Elle est donc bien mal entourée, cette reine, qu'il ne se trouve pas, dans aucuns personnages de sa cour, assez de force, assez de loyauté pour lui dire : Madame, tous les efforts de la noblesse et du clergé font impuissans ; la révolution est décidée ; il faut embrasser le nouveau gouvernement avec ses défauts, quand il y en auroit ; il faut embrasser la Cause du peuple, et vous concilier.de.nouveau son amour ; il faut éloigner de votre cour tous ceux qui prétendent à la contre-révolution ; il faut écrire vous-même au peuple, et sans sortir de la dignité qui convient aux souverains, une reine bienfaisante peut un moment descendre du trône pour témoigner à son peuple que son bonheur n'est assuré qu'autant qu'il est heureux lui-même, lui déclarer, solemnellement, qu'elle sera la première à désourdir les trames qui viendraient à sa connoissance contre le repos public, et que sa majesté doit encore assurer son peuple de démasquer, de poursuivre, comme criminel de lèze-nation et lèze-majesté, celle, ou celui de sa cour, qui voudroit, par de fausses allarmes, l'induire en erreur. Ses entours ne manqueront pas d'empoisonner mes observations ; mais comme je n'attends rien, que je ne demande rien, et que je suis peu propre à faire ma cour au roi, aux citoyens parvenus, je dirai la vérité sans m'inquiéter si elle a blessé les oreilles de ceux qui ne l'aime pas, j'en vais dire bien d'autres ; le but seul de mes écrits ne tend qu'à la tranquillité publique, au bien général, et c'est ainsi que je servirai toujours loyalement ma patrie.

Mais que font donc nos nouveaux ministres auprès du roi et de la reine, pour n'avoir pas prévenu de semblables observations ? pour n'avoir pas cherché à épurer cette cour qui conserve encore des vieilles chimères ? et ces chimères loin de lui rendre son premier éclat, la font baisser tous les jours d'un lustre ? quels charmes a-t-elle donc cette cour, pour qu'au bout de trois mois au plus, toutes les têtes y tournent ? Les ministres ont-ils oublié les intérêts sacrés qui leur ont été confiés, ont-ils oublié la responsabilité à laquelle on les a soumis, ont-ils oublié l'estime publique qui les a proclamés ? Non, ils n'ont pu l'oublier,et je les en crois encore dignes ; mais comme je l'ai dit, cette cour est fatale ; ceux qui la composent sont aimables, insinuans, sur-tout les femmes, et nos ministres sont des hommes, on en fait bientôt des dieux, et ils le croyent. Le salut de l'état est entre leurs mains, et il est si doux de se diviniser ; voilà à-peu-près l'adulation que les courtisans employent auprès des ministres ; mais les tems sont changés, et cette vieille politique de cour n'est plus de mode. Pour se soutenir en place aujourd'hui, le secret n'en est pas merveilleux et l'effort n'en est pas pénible : il ne s'agit que d'être impartial et sincère ; qu'ils n'oublient jamais cette morale, et j'assure que tous mourront honorablement dans leur place.

Les projets incendiaires, combinés avec tant d'art par les factieux, et aussitôt déjoués, sèment l'allarme et perpétuent l'anarchie. Les uns craignent véritablement pour le roi, ses faux amis viennent à l'appui de cette crainte et l'on conclut qu'il faut soustraire sa majesté à la fureur des deux partis : le roi n'a rien à craindre, et s'il venoit à disparaître le royaume seroit boulversé, tout seroit livré au sang, aux flammes, et l'état seroit perdu sans ressources. Mais quelques soient leurs atteintes, la masse des bons citoyens est trop formidable pour que le roi soit en danger ; le roi doit être libre et peu sans crainte aller dans ses maisons de campagne toutes les fois qu'il l'aura décidé. Mirabeau contenoit ces deux partis, en maraudant, dit-on, sur tous les deux ;. il faisoit son profit et celui de l'état pour être fidele aux principes constitutionels ; sa véritable ambition était de ramener l'ordre. Il falloit, disoit-il, dans l'origine, quelqu'un pour graisser les roues du chariot populaire, et nous avons trouvé le dindon. Ce dindon n'est pas difficile à reconnoître, on dit qu'il recommence encore ses glapissemens, et qu'il chante de nouveau. Je ne sais pas pourquoi il n'est pas venu dans l'esprit de nos graveurs de faire la caricature du dindon couronnés ; de toutes ses dépenses il ne lui reste, dit-on, que la rage, et il. fomente encore une sédition. Le poltron ! le lâche ! peut-il s'aveugler sur la justice, sur le caractère de l'esprit français ? peut-il oublier son aversion pour les traîtres ? peut-il oublier que du soir au matin la haine prend la place de l'amour,:et quelques soient les sacrifices qu'il a fait de sa fortune, il n'a jamais possédé l'estime publique, il ne régnera jamais que dans la boue. Comment tout factieux ne frémit-il pas, ne redoute-t-il pas le châtiment que réserve à ses attentats la vengeance publique : misérable ! est-ce là les moyens que vous employez pour servir la patrie ! des deux côtés elle est trahie, des deux côtés elle est déchirée et le peuple qui ne sait pas encore distinguer ses vrais amis des traîtres qui le trompent sous un masque spécieux, est égaré de nouveau, je sais bien que je m'expose en parlant ainsi ; le dindon couronné a déja fait attenter à ma vie, mais il est beau de mourir quand on sert son pays.

Quoi, il ne sera donc pas possible de ramener l'ordre : la nation est divisée, le roi est sans force, le militaire est insubordonné, les chefs bafoués, le général insulté, le magistrat sans pouvoir, et la loi sans organe ; tout est dans un équilibre épouvantable, le choc peut être terrible, et cependant il est tems encore de tout réparer, et de sauver l'état et les citoyens ; mais il faut par une réunion générale, un concours d'élans patriotiques, ramener le peuple à ses foyers, à ses travaux, faire parler la loi dans toute sa vigueur indistinctement pour tous les citoyens, rappeller les fugitifs, engager l'étranger à revenir en France. Hélas ! pour un moment que nous avons à passer sur la terre, laissons à nos enfans, à nos neveux les traces d'une constitution qui doit assurer pour jamais leur bonheur et notre gloire, et faisons, s'il nous est possible, de notre tems, refleurir le royaume.

Voila ce que j'avois à dire ; j'ai dis la vérité telle qu'elle doit être prononcée, sans réflexions, sans recherches, sans m'occuper du style ; les changemens de ma piéce, la construction de ces préfaces sont le tems d'un après midi ; si j'avois demandé des avis, peut-être aurai-je eue la modestie de les suivre, mais comme ceux que j'ai suivis en deux ou trois occasions on été improuvés du public, je m'y présente comme j'ai toujours fait, avec le désordre de la nature brute, toujours moi-même et avec toute la simplicité de ma parure.

Je ne manquerai pas d'adresser cette piéce, avec un double exemplaire, à tous nos ministres, en les engageant d'en remettre un au roi et à la reine ; si déja ils redoutent la franchise, mon franc parler ne les amusera pas. Cependant M. de Montmorin peut me justifier, il sait que je n'ai pas attendu le droit de dire la vérité ; j'ai osé la manifester avec énergie sous l'ancien régime, plusieurs lettres alors de sa part font son éloge et sont une preuve de mon patriotisme. Je n'ai pas été le sommer de réaliser sa bienveillance ; il ne me connoit point, je ne suis point sur le registre des pensions, mon zèle et mon désintéressement sont connus : et j'ai sacrifié jusqu'à la place de mon fils. Ainsi que mon fils soit placé, qu'il ne le soit pas, je ne servirai pas moins mon pays.

Je ne suis point de ces femmes vicieuses dont les maximes varient comme les modes, qui prêchent la religion quand elle n'a pas besoin d'appui, qui la détruise quand elle n'a plus de soutien, qui font la guerre aux morts et aux philosophes, adulent les vivans, encouragent le crime, et sacrifient les choses les plus sacrées à leur insatiable ambition, à leur égoïsme.

Dans tous mes écrits.j'attaquai Mirabeau comme homme public, moi seule peut-être ne l'ai point redouté ; j'ai osé lui dire que si son cœur étoit aussi grand que son esprit, l'état étoit sauvé ; on n'a point oublié cette phrase dans mon discours de l'aveugle ; quand vous tournerez constamment votre plume vers le bien, il faudra vous dresser des autels. Voilà encore une de mes prophéties accomplies ; il est mort, et j'ai fait son éloge parce qu'il n'est plus.

Vous, Français, qui m'allez lire, quelque soit le peu de goût que vous prendrez à cette lecture, apprenez à me connoître et vous rendrez justice à mes principes ; je finirai par vous recommander, pour vos propres intérêts, d'affermir, d'assurer votre roi sur le trône, et de craindre le sort des grenouilles de la fable.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1791, volume 6 (juin 1791), p. 333-334 :

[Difficile, dans un compte rendu, de ne pas saluer une pièce, écrite par une femme, sur la mort d’un personnage comme Mirabeau, qu’on juge alors de manière très positive. Alors « le public a accueilli, avec indulgence, la représentation de cette piece », écrite très vite et apprise encore plus vite. Et il n’est pas possible de ne pas souligner la principale qualité qu’on reconnaît à la pièce et à son auteur, son patriotisme.]

Le vendredi 15 avril, on a donné, à ce théatre, la première représentation de Mirabeau aux Champs-Elisées, piece épisodique, en un acte & en prose, par Mde. de Gouges.

Le public a accueilli, avec indulgence, la représentation de cette piece : il savoit que ce petit ouvrage avoit été fait en 36 heures ; & appris en 24. Le sexe de l'auteur, la rapidité de la composition, le zele des acteurs & le nom de Mirabeau, qui seul a plus influé que toutes ces considérations, ont décidé les spectateurs à la bienveillance, & la piece a été applaudie. Elle s'ouvre par une conversation entre de Silles & Henri IV. Ce dernier fait l'éloge de l'assemblée nationale & de la constitution. Voltaire & Jean-Jacques Rousseau viennent se mêler à la conversation, à laquelle Louis XIV, en entrant, mêle quelques mots trop forts pour un pays voué à la démocratie, & trop faibles dans la bouche d'un despote. Des sons funèbres se font entendre, ils annoncent une ombre illustre, on va au-devant d'elle ; c'est Mirabeau. Les personnages présens, hors Louis XIV, témoignent leurs regrets de le voir dans l'Elysée, quand il pouvoit être si utile à la France. Mirabeau laisse éclater de la douleur & de l'inquiétude. Mort à l'instant où la constitution alloit s'achever, il tremble que quelque malheur n'altère, ne renverse la révolution d'un pays qu'il a rendu libre. Il avoit deviné, étudié les factieux, il alloit les démasquer, & il succombe ! mais il se console par le souvenir des nombreux patriotes qu'il laisse après lui, & sur-tout par le témoignage que lui donne la conscience d'avoir acquitté la dette envers la patrie. A la fin de la piece il est honoré, par les ordres du destin, d'une couronne civique que lui ceignent les ombres de Deshoulieres, de Sévigné & de Ninon de l'EncIos. Pendant la piece, on a jetté sur le théâtre un papier qui contenoit des vers assez foibles en l'honneur de Mirabeau, & d’autres où l'on invitoit l'assemblée nationale à terminer la constitution ; ceux-ci ont été fort applaudis. Une phrase qui a été remarquée dans la bouche de Henri IV, & qui a eu beaucoup de succès, est la suivante : Il faut beaucoup aimer les grands hommes & les bons rois.

En général, l'ouvrage de Mde. de Gouges a été applaudi ; on a su gré à cette dame de son patriotisme. M. Granger a fort bien joué le rôle de Mirabeau, & Mrs. Chenard & Solier ont mis une caricature juste & très-comique dans les rôle de Voltaire & de Rousseau.

D'après la base César, la pièce n'a été jouée que le 15 avril 1791 et le 16 janvier 1799, la première au Théâtre Italien, la deuxième à Paris, sans plus de précision.

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