Le Couvent ou les Vœux forcés, drame en trois actes, d'Olympe de Gouges, créé sur le Théâtre Français Comique et Lyrique, octobre 1790.
Le Couvent ou les Vœux forcés appartient au tome 1 du Théâtre politique d'Olympe de Gouges, avec l'Entrée de Dumouriez à Bruxelles, ou les Vivandiers, Mirabeau aux Champs-Elysées (le tome 2 contient l'Homme généreux, les Démocrates et les aristocrates ou les Curieux du Champ de Mars, la Nécessité du divorce, la France sauvée ou le tyran détrôné, le Prélat d'autrefois ou Sophie et Saint-Elme). L'ensemble est publié par Gisela Thiele-Knobloch chez Indigo & Côté-femmes éditions, 2015 et 2019.
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez la veuve Duchesne, chez la veuve Baily, mars 1792 :
Le Couvent, ou les Vœux forcés, drame en trois actes. Représenté en deux actes, & remis en trois au Théâtre François, Comique & Lyriques, au mois d'Octobre 1790. Ce drame a eu jusqu'à ce jour quatre-vingt & tant de Représentations.
La pièce est précédée d'une longue préface :
PRÉFACE.
J'ai déjà prouvé que depuis ma naissance je suis persécutée ; que rien ne m'a jamais réussi, & qu'enfin les vraies jouissances me sont inconnues, quoique le Ciel m'ait fait une ame pour en goûter les délices. La littérature est une passion qui porte jusqu'au délire. Cette passion m'a constamment occupée pendant dix années de ma vie. Elle a ses inquiétudes, ses allarmes, ses tourmens, comme celle de l'amour.
L'esclavage des Noirs devoit avoir, d'après les circonstances, le plus grand succès : ce succès fut empoisonné par des entraves effroyables & iniques. Pour faire diversion à mes tourmens, j'arrivai à Versailles avec tous les Députés de la France ; je donnai aveuglément, & à corps perdu, dans la politique & dans la philosophie. Mes écrits patriotiques soulevèrent tous les partis naissans contre mes bonnes vues. A peine j'étois entrée en lice avec les vrais soutiens de la France, que les merveilleux de la Cour crièrent à l'audace, à l'entreprise, & prétendirent qu'il valoit mieux que je fisse l'amour que des livres. J'aurois pu les en croire s'ils avoient été en état de me le persuader. Ils ne pouvoient m'offrir que des vices & des ridicules, je n'aime que les vertus. Cette morale & cette critique ne me corrigèrent pas, je continuai d'écrire.
On agita la question des vœux arrachés aux jeunes gens des deux sexes : cette question m'inspira mon Drame des Vœux Forcés. Tous les Prêtres qui se sont distingués sur cette matière me fournirent les moyens d'établir le caractère du Curé de mon Drame. J'arrachai une plume de l'aîlede chacun. L'éloquence & l'érudition de MM. Taleyrand, Seyès, & sur-tout la pureté religieuse de M. l'Abbé Goutes, me donnèrent de quoi m'étendre sur ce caractère. L'Abbé Maury m'inspira celui de mon Grand-Vicaire. Mais il faut être juste, je n'en ai fait que la charge ; le véritable Abbé Maury a bien plus d'esprit que mon Grand-Vicaire. Victime du fanatisme, comme on l'apprendra par les suites, ce sujet dut me sourire plus qu'à tout autre; aussi je le traitai rapidement. J'en ai puisé les matériaux dans le sein de l'Assemblée Nationale. Je le communiquai à un grand nombre de personnes à Versailles ; tous m'en firent le plus grand récit ; tous m'engagèrent à le faire représenter ; mais on craignoit la censure malgré le premier rayon de la liberté. Aucun Auteur n'avoit encore porté ce sujet au Théâtre. Il falloit donner l'essor à la grande question qui s'agitoit à l'Assemblée Nationale. Ma Pièce pouvoit peut-être y contribuer : mais d'original que j'étois, l'arrêt du sort, l'irrévocable arrêt qui me poursuit, voulut me faire paroître imitateur.
Je portai ce Drame au Théâtre de Monsieur, Foire Saint-Germain, vers le mois de Février 1790. Ce Spectacle le reçut, mais il me demanda un tems très-long pour le représenter : je le retirai pour le donner au Théâtre du Palais-Royal. On me le garda deux mois sans m'en donner aucune nouvelle. Je communiquai un second manuscrit à M. Monvel, qui trouvoit cette Pièce charmante, & je pouvois l'en croire. Il me témoigna le plaisir qu'il auroit de jouer le rôle du Curé, & certes mon intention étoit bien de le lui offrir ; mais l'implacable d'Orfeuille, acharné comme un Comédien François contre mes Pièces, trouva prétexte sur prétexte. On me demandoit un troisième Acte, je le croyois assez nécessaire, mais tous ces délais commençoient à me fatiguer.
Mon fils me prend le manuscrit, &, pour mon malheur, va le porter à un Théâtre François, Comique & Lyrique.
Il étoit écrit que tout ce qui porteroit le nom de Théâtre François me seroit funeste. On reçoit avec transport cette Pièce (c'est la première, dit-on, & la seule dramatique qui se soit représentée sur ce Théâtre). Quelques fussent les instances de mon fils, j'avois de la peine à me décider. Il amène un des Directeurs chez moi : je consens à lui donner ma Pièce : il me prie de la faire censurer au plus vite. Mon Censeur étoit M. Duport-Dutertre, Lieutenant de Maire alors & Ministre de la Justice aujourd'hui. Il pointilla beaucoup sur les licences ; il approuva l'Ouvrage & le jugea en connoisseur. Son approbation m'indiqua même tous les changemens que j'y ai faits ; le style avoit besoin d'en être châtié, je le savois, puisque c'étoit le brouillon qui avoit été censuré. Je me remis donc après ma Pièce, quelque fût mon dégoût pour la correction, &, après l'avoir revue de nouveau, je la livrai au Directeur, ne voulant pas aller aux répétitions de ce Théâtre. Il me demanda la permission d'y faire des coupures & de changer quelques mots par-ci par-là. Je lui en donnai une aveugle, & ma Pièce auroit été défigurée si je n'avois redemandé mon manuscrit. J'appris qu'il s'étoit avisé de vouloir intercaler une scène de sa façon, & qu'elle étoit si mauvaise, si étrangère à l'action & au sujet de mon Drame, que les Acteurs étouffoient de rire en la lisant. Vraisemblablement cet homme avoit des vues sur cette Pièce ; car il engagea mon fils, assez subtilement, pour en accélérer la représentation, de s'en déclarer l'Auteur avec lui, mais de me laisser ignorer ce projet. Mon fils y consentit comme un étourdi. Eh bien, dit-il, nous allons nous en dire les Auteurs tous deux, elle marchera plus vîte. Soit, lui dit-il, pourvu qu'elle se joue tout de suite. La Pièce se joue & a le plus grand succès.
J'étois à la campagne : à mon arrivée j'apprends cette nouvelle, & je vois affiché à ma porte : Les Vœux Forcés, par Mme de Gouges & M. Labreux.....! Par Mme de Gouges & M. Labreux, m'écriai-je d'une voix sépulchrale : Depuis quand suis-je associée pour une production Dramatique ? Tout le monde ouvre les yeux aussi bien que moi. Je crie au meurtre ! au viol ! au plagiat ! à la Justice !... Oh! oui, la Justice, rien n'étoit organisé. Ma Pièce alloit toujours son train. Faire un procès à des misérables, c'est se couvrir d'ignominie. Des personnes plus modérées & désintéressées, & connoissant ma fatalité, me disent, pour me consoler : « Cet accident vous sert bien ; si vos ennemis vous en avoient su l'Auteur, on l'auroit fait tomber, ou ils seroient parvenus à en arrêter la représentation. » Vous avez raison, leur dis-je, & m'efforçant, pour étouffer en moi le cri de la Nature, j'ai abandonné ce Drame à sa destinée. Il est arrivé à quatre-vingt représentations. Aujourd'hui je reprends ma progéniture un peu épuisée ; mais je lui ai donné une nouvelle vigueur par un troisième Acte, j'ai mis plus d'action dans le dialogue, plus de pureté dans le style. Je me propose actuellement de faire représenter cette Pièce sur un autre Théâtre. J'ose croire qu'elle est propre à figurer sur tous. Messieurs les Directeurs du Théâtre François, Comique & Lyrique, voudront bien me rendre compte de la recette, dont je destine ma part d'Auteur aux Soldats de Château-Vieux, & me rendre compte du vol manifeste de la moitié de la gloire de cet ouvrage, & me reproduire sur-tout l'approbation qui leur a permis de la représenter.
Je demande actuellement aux Lecteurs, à tous les Auteurs nés & à naître, si jamais ils ont éprouvé, & si jamais aucun éprouvera un brigandage de cette espèce. Il est cruel pour un homme, il est atroce pour une femme: car, dans cette matière, il est plus commun qu'un homme donne à une femme ; mais qu'un homme vole une femme !!! cela n'est pas ordinaire. Certes je ne suis pas surprise de ce misérable vol, & l'on me forcera à la fin de croire que j'approche des grands talens,puisque tous les jours on me pille.
Plusieurs Savans ont fait la remarque que l'Esclavage des Noirs avoit fait des petits, comme la Coquette fixée ; j'ai reconnu aux Italiens, dans plusieurs Pièces, des scènes tout-entières. Dans Zélia, dans la fameuse Zélia, du Théâtre de la rue de Louvois, l'Auteur ne s'est pas même donné la peine de déguiser le Roman de M. de Saint-Frémont, mais il a eu l'art, au-dessus de moi, de faire vivre les deux rivales. Il faut croire que M. Dubuisson aime la polygamie, & que dans ce moment il veut introduire ce goût en France. Il n'aura pas grande peine, je pense ; mais moi, qui veux tout ou rien, j'ai eu grand soin de faire mourir la plus ancienne. J'ai trouvé ce moyen plus dramatique, plus théâtral, & sur-tout plus moral. J'ai conçu ce Drame dix ans avant celui de M. Dubuisson. Il a eu le tems de le parcourir, puisqu'il est imprimé depuis cinq ans; & je vois avec plaisir qu'un Expert dans l'art d'écrire, un Auteur consommé, n'a pas dédaigné, non-seulement d'imiter une ignorante, mais de lui prendre encore l'intention, les aveux, & exactement les mêmes phrases. Il faut convenir, M. Dubuisson, que vous avez cru mon Drame enfoui dans les ténèbres, & vous avez vu sans doute avec peine un si joli Roman disparoître de la scène. Vous voudrez bien permettre qu'après son succès je tâche au moins de ramener sur l'eau l'Esclavage des Noirs. Je conviens que ma Pièce n'a aucun rapport avec cette duplicité d'intérêt, j'ose dire sagement conduit ; vous avez volé seulement le Roman, grand bien vous fasse. Je préfère réclamer à restituer. Vous, & M. de Labreux, me seriez bien caution, & bien d'autres, que je n'ai pas besoin du bien d'autrui ; certes vous pourriez me faire long-tems de semblables vols avant de me ruiner, & l'on ne sait que trop que ma grande fortune dans ce genre est l'Embarras des Richesses. Si quelque Financier, amateur d'esprit & de gloire d'autrui, vouloit faire l'acquisition de mille & un manuscrits, je suis prête à traiter avec lui à bon compte : & sérieusement, je serois bien femme à conclure ce marché, & même à garder le secret quand mes Pièces auroient le plus grand succès : mais quand on me les vole ! c'est une autre paire de manches, comme disent les bonnes gens.
Me voilà assez vengée, & j'espère bien qu'à l'avenir on me demandera mes Pièces plus loyalement, plus légalement, & qu'on me fera la loi avec une bonne quittance. Je déclare que je ne donne plus ni aux Auteurs, ni aux Acteurs, ni au Public, mes Ouvrages. Le mauvais que l'on paye est toujours bon : le bon que l'on donne ne vaut jamais rien. J'ai appris à faire un proverbe de cette expérience. Il m'a pris fantaisie de faire fortune, je veux la faire, & je la ferai.
Je la ferai, dis-je, en dépit des envieux, de la critique & du sort même : car je vois bien qu'il faut que je lui montre les dents si je veux reprendre ma revanche. Je vois aussi que notre vie n'est qu'un jeu, & que celui qui ne sait pas calculer perd toujours. J'ai appris mathématiquement à vivre à mes dépens.
Je finis par demander justice au Public pour mes foibles productions : lui demander de l'indulgence, ce seroit trop ; mais si j'obtiens cette justice, ce sera beaucoup pour moi.
En lisant cette Préface je m'apperçois qu'il est impossible de livrer à l'impression un brouillon sans être revu & corrigé. C'est assez mon usage pour les Préfaces. Ainsi, je rappelle celle-ci à l'indulgence du Lecteur, quoique je paroisse la braver plus haut.
Dans la base César, la pièce estd écrite comme un drame en deux actes et en prose.Sa première représentation est datée du 21 octobre 1790 au Théâtre Français Comique et Lyrique. Elle est jouée 19 fois en 1790, 19 fois en 1791, 4 fois en 1792, soit 42 représentations (Olympe de Gouges en revendique beaucoup plus dans la préface de sa pièce.
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