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L'Entrevue

L'Entrevue, Comédie en un acte & en vers, par M. Vigée, représentée sur le Théâtre François le 6 Décembre 1788. Paris, Prault, in-8°. de 43 pages.

Théâtre François

Titre :

L’Entrevue

Genre

comédie

Nombre d'actes :

1

Vers ou prose ,

en vers

Musique :

non

Date de création :

6 décembre 1788

Théâtre :

Théâtre François

Auteur(s) des paroles :

Vigée

Almanach des Muses 1789

Jolie pièce qui ne fait pas moins de plaisir à la lecture qu'à la représentation.

Deux époux qui ne s'étoient guère vus depuis le jour de leur mariage, sont étonnés de se trouver aussi aimables. Le mari demande la permission de faire agréer le nouveau sentiment qu'il éprouve : on la lui accorde, & on finit par le retenir à souper.

Détails gracieux, & nuances délicates très-bien ménagées.

Mercure de France, n° 17 du samedi 25 avril 1789, p. 150-158 :

[Article (paru à l'occasion de l'édition du texte de la pièce) centré, nous dit l’auteur, sur la question du style. Il comprend un grand nombre de citations, sans beaucoup d’exemple de questions de style, telles que nous comprenons ces questions. La pièce de Vigée se distingue heureusement des pièces comiques du temps parce qu’elle n’est pas du genre précieux, un nouveau genre qui se réduite à « une intrigue galante, chargée de peu d'évènemens ; quelques scènes piquantes ; le développement de quelques sentimcns raffinés, sinon tout-à-fait naturels, au moins ingénieux & délicats; l'imitation du ton, du langage, & des manières de ce qu'on appelle bonne compagnie ». Elle est aussi agréable à lire qu’à voir, en raison d’un style jugé « pur, agréable, & quelquefois brillant », en raison aussi d’un « talent d’écrire avec aisance, & celui d’observer avec finesse ». Le critique souligne la qualité du dialogue, varié, et celle des sentiments exprimés, qui ne sont « point exagérés ». Pour faire bonne mesure, il donne deux exemples de défauts mineurs, des hiatus (deux exemples, coup sur coup), puis un vers trop long (mais c’est sans doute une erreur de l’édition, pas de l’auteur).

NOUVELLES LITTÉRAIRES.

L'ENTREVUE, Comédie en un Acte & en Vers, par M. VIGÉE, Secrétaire du Cabinet de Madame. A Paris, chez Prault, Imp. du Roi, quai des Augustins, à l'Immortalité.

Le compte détaillé qu'on rend dans ce Journal, de l'intrigue & du plan des Pièces nouvelles, à l'Article SPECTACLES, nous dispense de revenir sur ces objets lorsqu'elles sont imprimées, il ne nous reste guère alors qu'à en faire connoître le style. Nous ne sommes pas toujours assez heureux pour en pouvoir parler avantageusement ; trop d'Auteurs aujourd'hui négligent cette partie essentielle. Satisfaits d’avoir plu au Théatre, ils s'inquiètent peu de réussir à la lecture. Les succès de quelques uns de nos Poëtes dramatiques, qui ont su toute leur vie se passer de style, semblent autoriser cette négligence : mais on auroit beau vouloir l'ériger en système, elle ne peut avoir que deux sources, l'impuissance ou la paresse.

Nous avons vu naître, de nos jours, une nouvelle espèce de comique, où ce défaut sur tout seroit insupportable : on peut en faire remonter l'origine jusqu'au Méchant, qui réussit principalement par le style, les portraits, & ce qu'on appelle des tirades. La finesse des idées & des expressions y est poussée jusqu'aux bornes qui séparent le style fin du style précieux. Quelques Auteurs ont depuis franchi ces bornes : ils ont souvent fait parler à Thalie un langage qu'elle n'entendoit pas, quoiqu'une partie du Public eût l'air de l'entendre.

Une intrigue galante, chargée de peu d'évènemens ; quelques scènes piquantes ; le développement de quelques sentimcns raffinés, sinon tout-à-fait naturels, au moins ingénieux & délicats; l'imitation du ton, du langage, & des manières de ce qu'on appelle bonne compagnie, c'est à peu près ce qui constitue ce nouveau genre.

On a beau dire que ce n'est pas celui de la bonne Comédie. S'il est vrai que

Tous les genres sont bons, hors le genre ennuyeux,

celui-là, lorsqu'il plaît, lorsqu'il attache, ou même seulement lorsqu'il amuse, mérite d'être encouragé. Il ne faudroit pas qu'il devînt le genre dominant. Le comique de caractères doit toujours être le premier, mais il demande une force de tête & de talent qui n'a jamais été commune, & qui l'est peut-être aujourd'hui moins que jamais. En attendant que nous puissions voir renaître ce que l'Art a de sublime, jouissons du moins de ce qu'il a d'aimable.

On ne peut refuser ce titre aux Pièces que M. Vigée a données au Théatre, & moins peut-être encore à cette dernière, qu'à celles qui l'ont précédée. L'Entrevue ne fait pas moins de plaisir à la lecture que sur la Scène : le style en est pur, agréable, & quelquefois brillant, comme dans ce portrait de nos jeunes gens à la mode :

C'est un de ces Messieurs, jeunes, vifs, sémillans,
Bien frivoles, bien vains, qu'on voit toujours courans ;
Oubliant de penser, parlant pour ne rien dire ;
Affectant l'air distrait, & toujours prêts à rire
Du mot que bien souvent ils n'ont pas entendu ;
Petits Héros futurs sans vice ni vertu,
Ivres de leurs chevaux plus que de leur Maîtresse,
Perdant toujours l'argent qu'ils empruntent sans cesse ;
Bien désœuvrés chez eux, & traînant chez autrui
Le jargon, les grands airs, la fatigue, & l'ennui.

Plusieurs tirades prouvent également le talent d'écrire avec aisance, & celui d'observer avec finesse : celle-ci peut servir d'exemple.

Le monde est, tôt ou tard, une école pour nous ;
Qui ne le connoît pas, est charmé d'y paroître :
Mais sur lui son début attire tous les yeux,
Et ce début suffit pour le perdre peut-être.
Il n'y porte d'abord qu'un regard curieux ;
Pfus prudent, mieux instruit, il cherche à le connoître.
Observant les esprits, démêlant leurs travers,
Du bien comme du mal avec art il profite ;
Voit d'où vient le succès, à quoi tient le revers ;
Sur chaque évènement sait régler sa conduite,
Use de ses moyens avec discrétion,
Risque à propos un trait qui frappe & qui circule ;
Des censeurs, à son gré, soumet l'opinion ;
Et toujours sûr de plaire en toute occasion,
Echappe, en se jouant, aux traits du ridicule

Le dialogue est tantôt vif & serré, tantôt facile & naturel, quelquefois rempli d'intérêt, & d'un sentiment qui, n'étant point exagéré, n'en touche que plus sûrement.

Voyez la scène 7e. où le Marquis & la Marquise, séparés depuis trois ans, se revoient pour la première fois, & sont l'un pour l'autre le sujet d'une surprise intéressante par le changement que le temps & l'usage du monde ont apporté dans tous les deux.

Mais voyez sur-tout la 13e. où l'intérêt augmente, & qui respire une sensibilité douce, préférable à cette fausse chaleur qui dessèche & qui refroidit.

LE MARQUIS.

En songeant à ma Nièce, à son prompt mariage,
J’entrevoyois l'hymen sous un aspect charmant.
Etre deux, me disois je, & ne former qu’une ame,
Avoir les mêmes goûts, les mêmes sentimens,
D'un amour tendre & pur entretenir la flâmme,
Etre toujours ensemble ; & moins époux qu'amans,
Par les soins, les égards, l'attention suivie,
Répandre à chaque instant un charme sur sa vie ;
Par différens désirs si l'on est entraîné,
Se ménager un tort pour qu'il soit pardonné,
Etouffer des débats la semence fatale,
S'accorder l'un à l'autre une indulgence égale,
Toujours dans ses liens trouver nouveaux appas ;
Voilà le vrai bonheur, s'il existe ici-bas.

LA MARQUISE.

Un tel portrait, Monsieur, sans doute est agréable ;
L'original seroit difficile à trouver :
Qu'en dites-vous ?

LE MARQUIS.

                              Pour peu qu'on voulût m'éprouver,
D'excellens procédés, moi je me sens capable.

LA MARQUISE souriant.

Vous !

LE MARQUIS.

           Moi. Vous en riez ! Ceci me paroît fort,
J'en conviens. Que le temps vous ait changé, d'accord ;
Qu'il ait à votre esprit donné plus de finesse,
Que l'on remarque en vous plus de délicatesse,
Que vous ayez cnfin l'enjoûment, la gaîté,
Ce qu'il faut pour briller dans la Société,
Soit : mais vous avouerez, en suivant votre idée,
Que l'épreuve seroit au moins très-hasardée.

Le Marquis insiste , & devient plus tendre, mais la Marquise, instruite par son expérience, ne se rend pas d'abord à ses galanteries.

LA MARQUISE.

Oui, des hommes, voilà le langage ordinaire ;
Prodigues de sermens qu'ils n'ont jamais remplis !
Vous ne l'ignorez pas, en aspirant à plaire,
Le moins dissimulé masque son caractère :
Soumis, respectueux, tendre jusqu'à l'excès,
Prévenant avec art nos désirs inquiets,
Du sentiment en nous il éveille la flamme,
Amuse notre esprit, intéresse notre ame,
De l'hymen, à nos yeux, ne peint que les douceurs,
Nous montre son lien comme un tissu de fleurs,
Et jusqu'au mariage Amant doux & sensible,
Devient ou froid époux, ou tyran inflexible.

(Finement.)

On en connoît plus d'un, convenez....

Nouvelles instances du Marquis, qui propose enfin d'offrir, pendant une semaine entière, l'hommage & les vœux d'un Amant.

LE MARQUIS.

Je ne suis plus l'époux dont votre cœur s'irrite :
Même dès ce moment je vais changer de nom.
Je suis, si vous voulez, ou Valère , ou Cléon ;
Et voici dès ce soir ma première visite.
.    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .
Je m'attache à vos pas, je veux par-tout vous suivre,
Ce n'est plus que pour vous que je consens à vivre ;
Je me conduis enfin de manière, entre nous,
A vous faire à jamais oublier votre époux.
Avouez ; cette idée est la sagesse même.
Pouvoir auprès de vous être tendre & pressant,
Pouvoir, sans vous fâcher, dire que je vous aime,
Qu'en pensez vous ? cela peut devenir charmant.

LA MARQUISE.

Cléon pourroit sur vous avoir quelque avantage.

LE MARQUIS.

Qu'importe ? je m'engage à n'être point jaloux.
A cet arrangement vous refuserez-vous ?
Voyez : trois ans peut-être ont de moi fait un Sage.
D'ailleurs, dans tout ceci je ne suis plus pour rien.
C'est Cléon qui vous parle ; il vous offre un moyen
De punir un époux que vous jugez coupable.

LA MARQUISE (A part.)

Il faut en convenir, on n'est pas plus aimable.

(Haut.)

Des hommes que par-tout on désire, entre nous,
Il me semble qu'aucun ne vaut autant que vous.

LE MARQUIS.

Des femmes que l'on vante, & dont on exagère
Les graces, l'agrément, aucune ne doit plaire
Autant que vous.

LA MARQUISE.

                             Vraiment ?

LE MARQUIS.

                                                 Oh ! j'en jure ma foi.

LA MARQUISE.

Peut-être vous pensez beaucoup trop bien de moi ;
Cléon peut s'amuser à faire mon éloge :
Cléon à part, c'est vous, Monsieur, que j'interroge.

LE MARQUIS.

Ne m'interrogez pas, j'en dirois cent fois plus, &c.

En voilà bien assez pour justifier nos éloges. Pour prouver qu'ils sont sincères, nous finirons en remarquant deux petites négligences faciles à corriger, & qu'on ne peut attribuer qu'à la rapidité de la composition : elles se trouvent fort près l'une de l'autre, & sont de la même espèce.

Lisette dit à Frontin :

Lui ! si je le tenois.... ah ! il verroit beau jeu.
Il ne se doute pas de tout ce que peut être
Une femme en colère.

Et Frontin lui répond :

Oh ! il s'en doute un peu.

Ces deux hiatus ne prouvent rien contre le talent de l'Auteur, mais ils prouvent qu'avec beaucoup de talent on peut encore se tromper quelquefois dans un Art aussi difficile que l'est, sur tout dans notre Langue, celui d'écrire purement en vers.

Nous avons aussi trouvé un vers de quatorze syllabes, page 31.

Vous ! —Moi. Vous en riez ? — Ceci me paroît un peu fort.

Mais c'est, sans doute, une faute d'impression, & nous en doutons si peu, qu'en le citant plus haut, nous l'avons rétabli tel qu'il doit être sorti de la main de l'Auteur.

M. Vigée avoit dédié la Belle-Mère à sa sœur Madame Le Brun ; il dédie l’Entrevue à Madame Vigée sa femme. Il est à désirer pour son bonheur, pour sa gloire, & pour les plaisirs du Public, que sa famille soit nombreuse, qu'elle soit composée d'êtres aussi intéressans, & qu'il se fasse un devoir de payer à chacun d'eux un pareil tribut.

D’après la base César, la comédie de Vigée a été créée le 6 décembre 1788 au Théâtre de l’Odéon, puis jouée 15 fois au Théâtre de la Nation du 14 janvier 1789 au 14 juillet 1793 (5 fois en 1789, 2 fois en 1790, 3 fois en 1791, 3 fois en 1792, 2 fois en 1793). Reprise au Théâtre Feydeau le 25 août 1795 (2 représentations en 1795, 6 en 1796, 7 en 1797) ; en 1797 toujours, 2 représentations au Théâtre de la Nation ; 2 représentations au Théâtre Feydeau en 1798 ; et en 1799, 3 représentations au Théatre Français de la rue de Richelieu. Soit 36 représentations de 1788 à 1799, sans préjuger de ce qui arrive après 1799.

D’après la base La Grange de la Comédie Française, la pièce est restée au répertoire jusqu’en 1813, et elle a connu 43 représentations au Théâtre Français, sous ses diverses appellations.

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