L'Etourdie, ou la Coquette sans le savoir

L'Etourdie, ou la Coquette sans le savoir, comédie en trois actes et en vers, de L.-Jules Lemaire, 8 juin 1808.

Théâtre de l'Impératrice.

Titre :

Etourdie (l’), ou la Coquette sans le savoir

Genre

comédie

Nombre d'actes :

3

Vers ou prose ,

en vers

Musique :

non

Date de création :

8 juin 1808

Théâtre :

Théâtre de l’Impératrice

Auteur(s) des paroles :

L.-Jules Lemaire

Almanach des Muses 1809.

Julie a promis sa main à Dorval, mais cette promesse ne l'empêche pas d'accueillir tous les hommages qui lui sont adressés. L'oncle de Dorval voudrait lui faire rompre les liens qui l'attachent à une coquette, et, s'appercevant que ses avis ne font point d'impression sur lui, sollicite un ordre supérieur pour lui faire rejoindre son régiment. Cependant Dorval sait qu'un jeune fat a le portrait de sa maîtresse, et la jalousie le tourmente. Julie, de son côté, voudrait que son portait lui fût rendu. A cet effet, elle se revêt de l'uniforme du régiment de Dorval, et propose un rendez-vous nocturne au jeune fat. Au moment où l'explication devient sérieuse entre eux, arrive Dorval, qui emmene son rival et va se battre avec lui. L'oncle, dans ces entrefaites, croyant trouver l'amant chez sa maîtresse, vient chez celle-ci pour le faire arrêter, et, trompé d'abord par le déguisement de Julie, l'arrête elle-même. Dès qu'il a reconnu sa méprise, il s'en excuse en disant que Dorval lui doit vingt mille francs. Julie veut acquitter cette somme, et, faute de fonds suffisants, donne un écrin précieux. Dorval, témoin du fait, tombe aux pieds de sa maîtresse. L'oncle, revenu alors de ses préventions contre Julie, consent à l'union des deux amants.

Ouvrage d'un jeune homme. Peu d'art dans la contexture de la piece, mais des détails agréables.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Hénée, 1808 :

L'Etourdie, ou la coquette sans le savoir, Par L. J. Lemaire. Représentée pour la première fois à Paris, sur le Théâtre de S. M. l'Impératrice et Reine, le 8 juin 1808.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome VII, juillet 1808, p. 273-280 :

[Le compte rendu s’ouvre par une fort longue réflexion sur le lien entre barbarie et apparition de génies. Le moment d’apparition d’un grand auteur est essentielle, car « l’homme capable de se faire quelque réputation dans un siècle plus avancé, serait peut-être resté dans celui-là un Scudéry ». Le critique rappelle qu’il y a « pour les esprits de tous les temps une cause de mort générale, qui est de s'éloigner de la nature et du vrai », mais qu’il faut des modèles qui les fassent connaître sans que ces modèles ne soient une entrave pour la créativité des auteurs qui peuvent se sentir accablés par la multitude des influences possibles. C’est ce qui arrive dans la pièce nouvelle, où les influences se retrouvent partout (l’article en donne de nombreux exemples). Elle est assez bien écrite, mais elle « est toute de morceaux de rapport, et qui pis est, de morceaux d'emprunt ». Le fond est emprunté à la Coquette corrigée, avec un caractère différent (une étourdie à la place d’une coquette). Tous les caractères de la pièce peuvent d’ailleurs être rapprochés de nombreux exemples dans toute sorte de pièces, et même de romans. L’analyse de l’intrigue sert surtout à montrer combien elle est confuse (le critique examine avec beaucoup de soin le travestissement de l’héroïne, qu’il juge très maladroit). Pour le style, quelques vers sont critiqués, mais dans l’ensemble ils sont « faciles et agréables ». Reste pour l’auteur à écrire des pièces ayant un meilleur fonds. Pour cette pièce, il a été demandé et nommé.

La Coquette corrigée est une comédie en cinq actes, en vers, de Jean-Baptiste Sauvé de Lanoue (1756).]

THÉATRE DE L'IMPÉRATRICE.

L'Etourdie ou la Coquette sans le savoir.

On a remarqué que c'était presque toujours des temps de barbarie ou du moins de mauvais goût que nous venaient les ouvrages les plus sublimes, et que les génies les plus élevés en littérature avaient presque tous paru dans des siècles où la littérature sans formes et sans règles semblait ne devoir rien produire que de bizarre et de ridicule. Ne serait-ce pas que, pour arriver de ces temps-là jusqu'à nous, il a bien fallu être sublime ? On devait être alors ou sublime ou rien ; car, à moins d'un grand génie, il n'était pas possible de produire quelque chose de passable. Il y avait sûrement des gens d'esprit du temps de Corneille comme dans tous les autres ; eh bien ! ils n'ont rien fait que de ridicule. Pour sentir le ridicule de tout cela, il fallait un homme de génie. L'homme capable de se faire quelque réputation dans un siècle plus avancé, serait peut-être resté dans celui-là un Scudéry. Dans un siècle de mauvais goût, il n'y a d'esprit capable de s'assurer une existence durable que celui qui, perçant à travers le goût de son siècle, parvient jusqu'à la nature et se fait l'homme de tous les siècles, parce que son modèle est celui de tous les temps. Ainsi nous nous appercevons qu'on pouvait avoir du génie dans ces temps-là, parce que de ces temps-là le génie arrive jusqu'à nous ; mais nous ne nous doutons pas qu'on y ait eu de l'esprit, car l'esprit est mort en route. Beaucoup de celui qu'on fait à présent pourra bien mourir de même, mais ce ne sera pas par la même maladie. Quoiqu'il y ait pour les esprits de tous les temps une cause de mort générale, qui est de s'éloigner de la nature et du vrai, cependant cette cause tient encore à des causes antécédentes, différentes les unes des autres, quelquefois contraires, comme on meurt desséché par trop de jeûne ou trop d'intempérance, par les excès du travail ou ceux de la dissipation. Les beaux esprits d'il y a deux cents ans s'éloignaient de la nature, faute de modèles qui la leur fissent connaître ; c'est à force de modèles que nous ne pouvons plus y parvenir : tant de gens s'offrent à nous conduire qu'il faut plus de force maintenant à un auteur pour marcher tout seul au milieu de tant de guides qu'il ne lui en fallait autrefois pour s'en passer. Tant de souvenirs s'offrent en foule à celui qui veut imaginer, que pour les éviter tous il a besoin d'une vigueur d'invention peu commune ; et pour obtenir quelque chose de neuf, il ne nous faut pas moins à présent qu'un homme de génie. Les autres se résignent, ils s'abandonnent à la foule de secours qui s'offrent à eux de toutes parts. Ils ne prendront pas la peine d'aller jusqu'à la nature, quand ils rencontrent en route ce qu'on leur a dit lui ressembler à peu-près. Ils font des fables avec des fables, des comédies avec des comédies ; heureusement les tragédies sont rares, ce qui fait que dans ce genre-là la variété se soutient un peu plus ; mais les parodies se ressemblent toutes. Les auteurs de Louvois ont presque tous les genres à leur disposition, et ils en profitent ; celui de la pièce d'hier a pris chez tous les gens de sa connaissance, et n'a quelquefois pas mal employé ses emprunts ; il y a joint aussi quelque chose de son fonds, car il en a; du vieux, du nouveau, tout cela s'arrange. On trouve quelquefois du ton et des tournures de Regnard, et il n'y a pas de mal à cela ; des mœurs de la comédie comme on la faisait il y a cinquante ans, et ce ne sont pas les meilleures à copier ; quelque chose des mœurs actuelles, prises je ne sais où, et ce ne sont pas les plus piquantes à présenter. On sourit à certains traits, quoiqu'on ne soit pas bien sûr qu'ils appartiennent à l'auteur ; à quelques autres, parce qu'on est bien sûr qu'ils ne lui appartiennent pas. Quelques autres sont de lui, et il y en a de piquans, comme ce vers sur la nullité du banquier Robert,

Qui s'érige en gourmand pour être quelque chose.

Il est difficile de mieux peindre le néant. Ce que l'auteur fait le mieux, ce sont les portraits et les vers ; ce qu'il fait le moins bien jusqu'à,présent, c'est une pièce. La sienne est toute de morceaux de rapport, et qui pis est, de morceaux d'emprunt. Le fond est celui de la Coquette Corrigée, quoique le caractère ne soit pas le même. I1 y a de même un vieux fat plus caricature, s'il est possible, que le Lisimon de la Coquette Corrigée, mais quelquefois assez plaisant, sur-tout lorsqu'il se désole de ne pouvoir lire un billet qu'il a reçu de sa maîtresse, parce qu'il a oublié ses lunettes. Il a de plus toutes les prétentions des jeunes gens ; comme il n'a fait fortune qu'un peu tard, et n'est devenu un homme recherché que depuis qu'on recherche l'argent par-dessus tout, ne fait dater son existence que de ce temps-là ; il devrait presque, d'après cela, être encore au collège. Ce caractère peut avoir des modèles dans ce temps-là. Celui d'une tante de quarante ans qui attend toujours quelqu'un qui l'aime, et prend pour elle tous les complimens qu'on adresse à sa nièce, a son modèle dans dix comédies qui ont copié la Bélise des Femmes Savantes. La soubrette a de l'esprit comme les soubrettes de comédie ; c'est elle qui dit les plus jolis vers de la pièce. L'oncle est ce qu'il faut qu'il soit, un oncle qui s'oppose pendant toute la pièce et consent à la £in. L'amant est comme ils sont tous ; la maîtresse, bien étourdie, bien généreuse, bien tendre, est comme on en voit beaucoup à la comédie ; car, dans le monde, les personnes bien tendres ne sont pas ordinairement si étourdies. Un certain fat, comme ils le sont dans les romans et les contes du temps de Crébillon le fils, vient presser cette Julie de lui avouer sa tendresse, afin qu'il puisse, dès demain, publier et faire constater dans le monde leur liaison, qui durera bien quinze jours, dit-il, car c'est le temps qu'il donne à ses plus longues amours , attendu que

L'on s'aimait autrefois, on s'arrange aujourd'hui,

vers de connaissance, et ce n'est pas le seul. Ce fat de Gersan a pris à Julie son portrait qu'elle voudrait bien ravoir , car elle l'a fait faire pour Dorval son amant. Gersan le rendra d'autant moins qu'elle vient de lui donner son congé.

Mais le portrait me reste, et tout n'est pas perdu,

dît-il en s'en allant. Elle n'imagine d'autre moyen de le lui reprendre que de se déguiser. Si c'était en masque, sous un domino, qu'elle feignît, sous le nom d'une autre femme, de l'amour pour Gersan, afin d'en obtenir le sacrifice du portrait ; si son amant la soupçonnait, et que cette démarche qu'elle fait pour lui les brouillât plus que jamais, cette idée serait jolie, et j'avais eu d'abord assez bonne idée de l'auteur pour croire qu'il l'avait conçue. Mais point du tout ; c'est en homme qu'elle se déguise pour faire peur à Gersan et le forcer à rendre le portrait. Jamais pareille idée n'est entrée dans la tête d'une femme ; elle ne suppose pas qu'un homme à qui elle a consenti de parler, puisse être un lâche. Gersan, en effet, se moque des menaces et veut en venir au fait. Il a pris dans l'ombre Julie pour Dorval dont elle a l'uniforme, et dont apparemment elle a aussi la voix ; il lui propose un cartel, qu'heureusement Dorval, qui arrive, se trouve-là pour recevoir, comme Orgon se trouve-là pour recevoir l'embrassade que Tartuffe destinait à Elvire. Julie voudrait bien courir après pour les séparer, quoiqu'un peu embarrassée de son costume; mais elle est arrêtée par des gens que l'oncle envoie pour enlever Dorval, qu'il veut faire conduire à son régiment, afin de l'empêcher d'épouser Julie. On a bientôt découvert et réparé la méprise ; mais l'oncle, que Julie ne connaît pas et qui ne veut pas se faire connaître à elle pour mieux l'observer, s'avise de lui dire, pour justifier l'arrestation, qu'il a une prise de corps contre Dorval pour une dette de vingt mille francs. Julie s'écrie qu'elle veut les payer sur-le-champ ; et quand l'oncle est parti pour aller, dit-il, chercher son billet, elle pense qu'elle n'a pas cette somme chez elle; mais n'importe, elle l'empruntera à son vieil amoureux, le banquier Robert. Cette idée est bien dans le caractère de l'étourdie; elle pourrait produire des incidens qu'une pièce en cinq actes ne suffirait pas pour débrouiller. Elle ne produit presque rien. L'oncle qui ne s'opposait au mariage de son neveu que parce qu'il ne le croyait pas aimé, touché de cette générosité de Julie, consent au mariage. Le bon oncle, qui ne sait pas qu'une femme est capable de donner vingt mille francs aujourd'hui pour l'amant qu'elle est capable de quitter demain ! Mais enfin Julie est corrigée et promet

De n'aller plus au bal que deux fois par semaine.

Quant à l'auteur, il promet du talent pour les vers de comédie, quoiqu'il fasse rimer charmant avec plaisant, ce qui ne rime pas ; quoiqu'en parlant d'un amant aussi impérieux que s'il était déjà mari, il lui dise : Vous usurpez vos droits, ce qui ne veut rien dire, au lieu de vous anticipez sur les droits que vous aurez, ce qui n'est pas la même chose. Mais ces défauts sont rares, et les vers faciles et agréables sont fréquens dans la pièce. D'ailleurs, l'auteur a d'heureux commencemens d'idées, il faut qu'il les achève ; il a de l'esprit à lui, il faut qu'il le sépare de celui des autres et l'emploie sur un meilleur fonds ; alors il pourra obtenir des succès ailleurs qu'à Louvois, où ils ne sont pas difficiles à obtenir. Il a été demandé, et on nous a dit que c'était un des premiers essais de M., Lemaire.                        P.

L'Opinion du parterre, cinquième année (janvier 1808), p. 238 :

Première représentation de l'Etourdie, ou la Coquette sans le savoir, comédie en trois actes, en vers, de M. Lemaire. Cet auteur est jeune : on s'en est bien aperçu en voyant jouer sa pièce. Quelques représentation.

Les Quatre Saisons du Parnasse, été 1808, quatrième année, p. 291 :

[Pour une fois qu’une pièce n’a pas Arlequin pour personnage, elle « est un véritable habit d'arlequin »... Un réel manque de part personnelle dans cette pièce.]

L’Étourdie, ou la Coquette sans le savoir,

comédie en vers.

Première représentation le 8 juin.

Cette pièce, qui est le coup d'essai de M. Le Maire, est un véritable habit d'arlequin. On y trouve tantôt du ton et des tournures de Regnard, tantôt un peu de la fatuité poétique de Dorat, tantôt des détails empruntés à la Coquette corrigée de La Noue et aux Femmes Savantes de Molière, etc. On sourit à certains traits, quoiqu'on ne soit pas bien sûr qu'ils appartiennent à l'auteur ; et à quelques autres, parce qu'on est bien sûr qu'ils ne lui appartiennent pas.

Ce jeune homme annonce de l'esprit et des dispositions; mais il faut qu'il se tienne en garde contre sa mémoire, et qu'il n'ambitionne plus d'être appelé le Dorat du dix-neuvième siècle.

Dorat est un poète et dramaturge né en 1734, mort en 1780, qui a écrit dans un grand nombre de genres. A quoi la fin de l'article fait-elle allusion ? Aux emprunts trop évidents et trop nombreux de Dorat (et donc aussi à ceux de Lemaitre) ?

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