Les Etats de Blois

Les États de Blois, tragédie en cinq actes, en vers, par M. Raynouard, 22 juin [1814].

Théâtre Français.

Almanach des Muses 1815.

Catherine de Médicis, veut réprimer l'insolence des ligueurs et fait part de son projet à Crillon. Elle reconnaît Bourbon pour le plus ferme appui du trône et l'appelle à Blois. Mais arrive Henri de Navarre, qui a un entretien avec Guise ; celui-ci ne veut rien moins que le trône. On traitait de la paix ; le traité est rompu. Combat entre les ligueurs et les troupes de Navarre. Guise est mandé au conseil, et au moment où l'on croit que la couronne va être placée sur sa tête, sa mort est proclamée.

Pièce qui, malgré les beautés qu'elle renferme, n'a pas obtenu le succès auquel pouvait s'attendre l'auteur des Templiers, et que désiraient pour lui tous les véritables amis des lettres.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Mame, 1814 :

Les États de Blois, tragédie en cinq actes et en vers, représentée, pour la première fois, sur le théâtre de Saint-Cloud, le 22 juin 1810 ; et sur le Théâtre Français, le 31 mai 1814 ; précédée d'une notice historique sur le duc de Guise ; Par M. Raynouard, membre de l'Institut de France et de la Légion d'Honneur.

Un avertissement précède la pièce et en rappelle l'histoire : pièce composée en avril et mai 1804, reçue le 6 août de la même année au Théâtre Français, représentée une seule fois, le 22 juin 1810 sur le théâtre de Saint-Cloud. Ce n'est qu'en mai 1814 qu'elle a été jouée sur le Théâtre Français, avec des modifications dont l'auteur souligne la faible ampleur.

La notice historique s'étend de la page 7 à la page 174, et précède une préface, de la page 175 à la page 196.

L'Esprit des journaux français et étrangers, année 1814, tome VII (juillet), p. 30-51

Les Etats de Blois , tragédie en cinq, actes et en vers, représentée pour la première fois au théâtre de Saint-Cloud, le 22 Juin 1810 et sur le théâtre Français le 31 Mai 1814 ; précédée d'une notice historique sur le duc de Guise, par M. Raynouard, membre de l'institut. In-8°. Prix : 5 fr. et 6 fr. 5o c. par la poste. Papier vélin, 10 fr. et 11 fr. 5o c. par la poste. A Paris, chez Mame frère, rue Pot-de-Fer.

Les ouvrages dramatiques de M. Raynouard sont pour lui l'occasion et le motif d'intéressantes discussions historiques. Sa tragédie des Templiers, à laquelle aucune critique ne fut épargnée, après avoir épuisé toutes celles que la justice et le goût, et peut-être aussi la malignité et l'envie purent faire sur le plan, l'ordonnance, les caractères et le style, fut aussi très-vivement attaquée comme brouillant tout dans le domaine de l'histoire, et dénaturant des faits que le poète lui-même doit respecter, puisqu'ils intéressent l'honneur des corps puissans, des têtes couronnées, du sceptre et de la thiare. M. Raynouard ne répondit point aux critiques littéraires, mais il se défendit contre les critiques historiques, et en cela il fut parfaitement guidé par les bienséances. C'est au parterre et aux lecteurs à venger un poëte dramatique des censures littéraires. Il a presque toujours mauvaise grâce à défendre lui-même son goût, son talent, son génie ; mais il a toujours le droit de se disculper d'un tort, et c'en serait un assez grave d'avoir altéré la vérité historique au point de flétrir par des fausses accusations d'injustice, de cruauté et de tyrannie un roi et ses ministres, un souverain pontife et une partie considérable du clergé, qui n'auraient fait qu'abandonner des coupables à la juste sévérité des lois, et de présenter comme des héros à nos hommages et à notre admiration, des ambitieux et des rebelles adonnés à tous les vices et couverts d'infamie : c'était donc pour M. Raynouard non-seulement un droit, mais une sorte de devoir de prouver qu'à travers les contradictions des historiens, l'obscurité dont le grand procès des Templiers a été enveloppé, il était suffisamment autorisé par les monumens historiques les moins incertains, à peindre les événemens tels qu'il les a peints, à représenter les personnages tels qu'il les a représentés.

Il n'avait pas sans doute des raisons aussi pressantes pour nous donner l'histoire des états de Blois, de l'assassinat du duc de Guise et des événemens qui précédèrent et amenèrent cette sanglante catastrophe. Ce n'était plus pour lui un devoir, car il me semble que sa tragédie n'a essuyé aucun reproche sous le rapport historique ; mais c'était toujours un droit, comme pour tout autre écrivain, et il avait de plus que les autres un heureux prétexte d'écrire de nouveau cette histoire, qu'il a dû bien étudier pour y puiser les caractères, l'action et l'intérêt de sa tragédie. On voit les preuves de eette étude sérieuse et réfléchie dans la dissertation pleine d'intérêt qu'il a publiée sur cette époque orageuse de notre histoire. Je n'examine point encore si les états de Blois offrent un heureux sujet au poëte dramatique ; mais je n'hésite point à affirmer que c'est un des plus intéressans que nos annales puissent offrir aux pinceaux de l'historien. Cicéron disait avec une vérité dont sa propre expérience l'avait bien convaincu, et que la nôtre ne nous fait que trop bien sentir, qu'il est extrêmement agréable de lire l'histoire de ces agitations politiques, de ces discordes intestines, de ces guerres civiles, dont,il est extrêmement désagréable d'être le contemporain : Quœ et si nobis optabiles in experiendo non fuerunt, tamen in legendo erunt jucundœ. C'est un genre d'agrément et d'intérêt qui ne manque pas plus à l'histoire de la Ligue qu'il ne manquera à la nôtre.

Il y a beaucoup de tristes et honteux rapports entre ces deux époques de nos annales, mais il me semble que dans leur égarement les peuples et les grands d'alors eurent bien plus d'excuses que de nos jours. Je ne parlerai point de Henri III et de son odieuse mère, et de sa cour corrompue ; ce serait faire injure au vertueux Louis XVI, d'établir quelque comparaison entre lui et le dernier des Valois ; mais du moins, en abandonnant ce roi mou et efféminé, les Ligueurs se laissèrent séduire par de nobles apparences et des réelles et grandes qualités. Ce n'étaient ni des faméliques orateurs sortis des dernières classes de la société, et dont la vile ambition n'était qu'une basse jalousie ou une honteuse cupidité, qu'ils voulaient mettre à la tête du gouvernement, ni un aventurier que ne recommandaient ni l'éclat de la naissance, les services de ses aïeux, ni les grâces extérieures qui séduisent la multitude, ni enfin le charme de la politesse et du langage, et cette générosité de sentimens qui ont quelquefois fait oublier ou pardonner les crimes de l'ambition. Les princes de la maison de Guise à qui ils s'attachèrent, rehaussaient par les plus brillantes qualités l'illustration de leur origine. Politiques habiles, ils étaient les plus grands capitaines que la France pût opposer à des puissans ennemis, et deux fois ils l'avaient sauvée des entreprises ambitieuses de Charles-Quint et de Philippe II. Ils joignaient à leurs talens militaires l'éclat de la bravoure personnelle. Le nom des Guise se trouve mêlé à plusieurs des plus fameux duels du seizième et du dix-septième siècle. Princes de la maison de Lorraine, ils se battaient sans difficulté, et sans se prévaloir de leur rang, contre les plus simples gentilshommes ; et comme ils étaient extrêmement adroits, ils leur faisaient assez ordinairement l'honneur de les tuer. Ces manières chevaleresques, unies à beaucoup de magnificence et d'éclat, leur attachaient les cœurs des grands et de la noblesse ; l'affabilité qu'ils savaient montrer à propos, leur générosité, leurs largesses, leur zèle vrai ou affecté pour la religion, entraînaient le peuple et la multitude ; les femmes, toujours extrêmement sensibles à l'héroïsme et à la grandeur, et qui se laissent souvent tromper par ce qui en a l'apparence, déjà captivées par les exploits militaires des Guise et par leur bravoure incontestables, étaient encore séduites par l'élégance de leurs manières et par leurs grâces extérieures. « Ils avaient si bonne mine, disait la maréchale de Retz, ces princes de la maison de Lorraine, qu'auprès d'eux les autres princes paraissaient peuple. » Il est probable que c'est encore une femme qui disait que-les Huguenots étaient de la Ligue quand ils regardaient le duc de Guise.

Tels [sic] est le principal de la dissertation de M. de Rayuouard, comme de sa tragédie ; mais dans sa dissertation il reprend les choses de plus haut, il remonte jusqu'à François de Guise, père de Henri de Guise, qu'une honorable blessure fit surnommer le Balafré, et qui fut l'idole des Parisiens et le véritable héros de la Ligue. L'ambition du père avait frayé la route à celle du fils. François Ier. avait pressenti les tristes effets de cette ambition naturelle aux ducs de Guise ; il avait conseillé à son fils, dit l'historien de Thou, de s'en défier, et laissé entrevoir que leur dessins n'allaient à rien moins qu'à s'emparer du trône à travers les guerres civiles, la ruine et la désolation de la France ; c'est ce qu'un poëte du temps exprimait ainsi :

Le feu roi devina ce point :
Que ceux de la maison de Guise
Mettraient ses enfans en pourpoint,
Et son poure peuple en chemise.

Mais, à l'exemple de tous les ambitieux adroits, François de Guise commença par se faire adorer de ce peuple sur lequel il voulait assurer sa domination ou celle de ses enfans. La belle défense qu'il avait faite à Metz, contre une puissante armée de Charles-Quint, et l'éclat de plusieurs autres triomphes militaires lui avaient concilié la faveur publique. La noblesse de son caractère et la franchise de ses procédés subjuguaient même quelquefois ses ennemis ; M. Raynouard en cite un exemple qu'il tire des mémoires de d'Aubigné, zélé protestant, et par conséquent peu favorable aux Guises. Après la bataille de Dreux, où l'habilité de François de Guise triompha enfin de l'opiniâtreté et du courage des protestans, le sort des armes fit tomber leur chef, le prince de Condé, dans les mains du vainqueur. Voici comment d'Aubigné raconte l'entrevue des deux généraux, dans une situation où ils devaient être animés de sentimens si différens. Cette courte narration me semble très-belle et d'un style qui, quoiqu'un peu vieux, me paraît rappeller celui de Bossuet : « Quant au prince de Condé, il fut reçu du duc avec toute courtoisie, et pource que le bagage, le lit et la vaisselle d'argent de ce chef d'armée avaient été emportés par les lansquenets réformés, ces deux chefs se contentèrent d'un lit à eux deux, afin que le sort de la guerre couvrit des mêmes linceuls et enveloppât des mêmes rideaux les regrets cuisans, le dépit, les méditations de ressource et de vengeance du vaincu ; et de l'autre côté, les joies retenues, les hautes espérances, et les sages courtoisies du victorieux. » Le même historien remarque que le lendemain matin le prince avoua que pendant toute la nuit il n'avait pu fermer l'œil, et que le duc avait dormi comme s'ils avaient été les meilleurs amis.

Ce fut peu de temps après cette victoire de Dreux, qu'un fanatique, Jeau Poltrot de Meré, exécuta, en assassinant François de Guise, ce qui avait été déjà tenté par un autre protestant à qui le duc avait adressé ces belles paroles : « Votre religion vous a porté à vouloir me tuer, et la mienne fait que je vous pardonne ; » mot sublime que Voltaire a un peu délayé, mais qu'il a exprimé néanmoins en quatre beaux vers dans sa tragédie d'Alzire.

Henri de Guise n'avait que douze ans lorsque son père fut assassiné ; mais, dès cet âge tendre, il avait déjà donné quelques marques de ce qu'il serait un jour. Son ressentiment contre les réformés, et principalement contre les Coligny qu'il regardait comme les auteurs de la mort de son père, fut extrême ; l'ambition l'accrut encore, et la faiblesse inouïe du dernier des Valois ne sut mettre aucun frein à cette ambition. Incapable de porter le poids de la couronne, ce monarque efféminé semblait inviter un prince actif, entreprenant, audacieux, et secondé par les factieux et la multitude, à la lui arracher. Les protestans qu'il persécutait et tolérait tour-à-tour, et toujours par faiblesse, les catholiques qu'il scandalisait par ses débauches, lui étaient à-peu-prés également contraires. Il voulait quelquefois reconquérir l'affection de ceux-ci par des actes de religion : mais sa piété dégénérant en pratiques superstitieuses, en momeries indiques d'un roi, et s'alliant souvent avec la licence et le libertinage, ne le rendait que plus méprisable. Elle était tournée en dérision jusque dans les chaires ; et l'on vit un de ces prédicateurs insolens caractériser ainsi, dans son éloquence indécente et burlesque, une de ces processions de pénitens que le faible monarque avait instituées, et auxquelles il assistait souvent lui-même : « J'ai été averti de bon lieu qu'hier soir, vendredi, jour de la procession, la broche tournait pour le souper de ces bons pénitens, et qu'après avoir mangé le gras chapon, ils eurent pour collation de nuit le petit tendron qu'on leur tenait tout prêt. Ah ! malheureux hypocrites, vous vous moquez donc de Dieu sous le masque et portez pour contenance un fouet à la ceinture : ce n'est pas là, de par Dieu, où il faudrait le porter ; c'est sur votre dos et sur vos épaules, et vous en étriller très-bien : il n'y a pas un de vous qui ne l'ait - bien gagné. »

Au lieu de réprimer par des actes de rigueur ces excès d'insolences, Henri III, qui avait de l'esprit, se contentait de se venger par un bon mot. Ayant appris que la Sorboune avait osé faire une déclaration très-séditieuse, il ne fit que railler les docteurs : « Je sais, leur dit-il, votre belle résolution de Sorbonne, du 16 de ce mois, à laquelle j'ai été prié de n'avoir aucun égard pource qu'elle avait été faite après déjeûner. » Le cardinal de Guise ayant enlevé dans les caisses publiques tout l'argent qui appartenait au roi dans la province de Champagne, il se contenta de dire tout haut, en le voyant revenir de cette expédition : Voici mon receveur-général de Champagne.

Il eût fallut punir rigoureusement le cardinal, et son frère plus coupable encore, et non les plaisanter ; mais leur audace naturelle mettant à profit tant de faiblesse, ils s'étaient élevés au-dessus des lois, et le roi n'osant les faire juger, les fit misérablement assassiner. Il ne faut pas craindre de trop répéter le noble discours de Crillon à qui Henri III voulait confier l'exécution de cet assassinat : « Sire, je suis bon serviteur de votre majesté, mais je suis soldat et gentilhomme : si elle m'ordonne d'appeller en duel le duc de Guise, et de me couper la gorge avec lui, je suis prêt à obéir : mais que je serve de bourreau, c'est ce qui ne convient pas à un homme de condition, et ce que je ne ferai jamais. » Observons, pour l'honneur de la France et de la noblesse française que le vicomte d'Orthez, gouverneur de Bayonne, fit une réponse non moins généreuse, lorsqu'il reçut des ordres relatifs au massacre de Saint-Barthélemy; observons encore comme une preuve de quelque générosité dans l'ame plus faible que tyrannique de Henri III, qu'il ne fut point choqué de la vertueuse réponse de Crillon. Nous avons tel tyran à qui on ne l'eût pas fait impunément.

Ces coups d'état, ces exécutions sanglantes, dans lesquels, foulant aux pieds toutes les lois divines et humaines, on n'observe aucune des formalités de la justice, devraient être jugés avec une égale sévérité, pour tous les hommes ; mais il n'en est point ainsi dans les temps de convulsions politiques et de discordes civiles : l'esprit de parti érige trop souvent le crime en vertu et la vertu en crime, et considère, selon les passions dont il est affecté, la même action sous des couleurs entièrement opposées. Les diverses relations de la mort du duc et du cardinal de Guise, donnent une nouvelle preuve de cette vérité si souvent observée de nos jours. Miron, médecin de Henri III, ne désapprouve nullement ce double assassinat ; il semble même le justifier dans une période trop longue pour que je la rapporte toute entière, et extrêmement chargée de figures ; il s'exprime ainsi : « Or, ce fut en ce lieu et sur ce théâtre, (les états de Blois) que le duc fit paraître à découvert le vol de son ambition si long-temps couvert du crêpe de la piété, et, sous ce même voile, va s'élevant de jour eu jour si haut, qu'il touche déjà, ce lui semble, du doigt, la souveraine autorité, etc. » Avec son éloquence emphatique, Miron met néanmoins dans la bouche de Henri III, un discours plein d'énergie et d'adresse, pour déterminer ceux de ses serviteurs à qui il confia l'exécution de cet odieux projet. Ce discours, très-déplacé dans la bouche d'un roi, serait excellent dans celle d'un conspirateur et d'un chef de parti. La relation, au contraire, que publia un ligueur, sous le titre de Martyre des deux Frères, appelle le roi un judas, ses conseillers des judaistes, les quarante-cinq hommes de sa garde qui le suivirent dans sa vengeance, et qui étaient presque tous des provinces méridionales, quarante-cinq diables, assassinateurs gascons, et le duc de Guise un prince débonnaire, un Isaac obéissant, qui se reprochait seulement d'être sorti le matin, de chez lui sans avoir prié Dieu, ce à quoi il n'avait jamais failli.

L'historien des états de Blois ne mérite que des éloges, quoiqu'il eût pu fondre quelquefois plus heureusement dans sa narration, les matériaux, curieux qu'il a su rassembler.

M. Raynouard, que sa tragédie des Templiers puisée dans nos annales a placé au premier rang des poëtes qui ont voulu faire revivre parmi nous la tragédie historique et nationale, a fait précéder ses états de Blois d'une dissertation littéraire dans laquelle, il établit .tous les droits qu'a ce genre, jusqu'ici peu cultivé en France, aux encouragemens du public, à l'intérêt des spectateurs. Sa dissertation est assurément très-concluante ; il n'est pas douteux que le genre ne.soit très-bon en soi ; l'essentiel est d'y réussir, et le meilleur de tous les plaidoyers en faveur de la tragédie nationale serait sans contredit une bonne tragédie dont notre histoire aurait donné les personnages et le sujet. C'est, comme l'observe très-bien M. Raynouard, et comme on l'avait observé avant lui, dans leurs propres annales, et dans leur mythologie, qui en est une partie, et qu'ils regardaient comme leur hisioire ancienne, que les poètes grecs, premiers inventeurs de la poésie dramatique, cherchèrent les sujets de leurs ouvrages. Ils eussent peu intéressé des spectateurs athéniens en leur offrant la représentation d'actions tragiques puisées dans les histoires étrangères qu'ils ne connaissaient point, qu'ils ne voulaient point connaître, et chez des peuples qu'ils étaient bien décidés à mépriser. Si quelquefois ils introduisent :des barbares sur la scène, c'est pour les humilier, pour les sacrifier à la vanité nationale des Grecs. Les Romains ne suivirent que bien tard cet exemple : fidèles, ou plutôt serviles imitateurs des Grecs, ils ne traitèrent long-temps que des sujets grecs. Il est vrai qu'un même système religieux rendait communs aux deux peuples les sujets mythologiques ; mais les tragédies puisées dans cette source avaient bien moins d'intérêt pour les Romains que pour les Grecs : les personnages mythologiques appartenaient, il est vrai, à la religion, mais non à la patrie des deux peuples ; c'était chez les Grecs qu'ils avaient pris naissance, qu'ils avaient régné, qu'ils avaient donné des lois, qu'ils avaient éprouvé leurs diverses aventures. C'est donc sur le théâtre des Grecs que les tragédies, où étaient représentées ces aventures, avaient le double intérêt de la religion et de la patrie, et étaient éminemment nationales : c'est ainsi que, quoique les livres saints soient également révérés et par les juifs et par nous, si un poëte hébreu, d'un génie égal à Racine eût traité les sujets d'Esther et d'Athalie, ces deux tragédies eussent dû exciter encore plus d'intérêt et d'enthousiasme sur le théâtre de Jérusalem que sur celui de Paris.

A la renaissance des lettres, nos vieux poètes, en traitant des sujets religieux, rappelèrent le théâtre à sa première origine ; ils tentèrent aussi, dans ces premiers essais, de traiter quelques sujets historiques et nationaux. La plaie faite à la France par l'assassinat du meilleur des rois saignait encore, lorsqu'un poëte fit jouer la Mort de Henri IV. Mais ces ébauches informes n'étaient pas faites pour accréditer la tragédie historique et nationale. Les beaux génies qui immortalisèrent notre scène donnèrent à la muse tragique une autre direction : Corneille, après avoir puisé un de ses chefs-d'œuvres dans l'histoire espagnole, chercha des sujets analogues à la trempe mâle et vigoureuse de son esprit, dans les faits éelatans de l'histoire romaine ; Racine, passionné pour la littérature grecque, emprunta la plupart de ses sujets de l'histoire et du théâtre des Grecs. Voltaire prit dans l'histoire moderne et dans celle de son pays des noms et des souvenirs ; mais ses ouvrages dramatiques sont plutôt d'ingénieux romans, souvent fort intéressans et écrits en beaux vers, que des tragédies historiques. Les Espagnols, les Anglais, et plus tard les Allemands, ont plus constamment, et avec plus de succès, cultivé ce genre. Chez ces peuples, plus que partout ailleurs, le théâtre a servi de supplément aux annales, et a rendu la renommée des hommes illustres de la patrie plus populaire : la reconnaissance des faits éclatans de l'histoire plus générale. Quelquefois une de leurs tragédies contient la vie entière, ou une partie considérable de la vie du héros dont elle retrace les principaux exploits, et qu'elle nous représente, selon l'expression de Boileau,

Enfant au premier acte, et barbon au dernier.

C'est-là, dans toute sa beauté, celte tragédie romantique qui trouve encore de nos jours d'ingénieux avocats, des partisans spirituels qui nous représentent vivement la régularité de notre système dramatique, et ne peuvent nous la pardonner, même eu faveur de Cinna, d'Athalie, de Mérope, et de tant d'autres chefs-d'œuvre qu'elle a produits. Je ne sais même si M. Rayuouard n'est pas un secret approbateur de cette doctrine ; il dit en effet de Lopez de Véga, de Caldéron, de Cervantes, de Shakespeare, qui l'ont constamment suivie, qu'ils out agrandi la carrière tracée par les tragiques grecs. Quoi qu'il en soit, s'il adopte dans la théorie les principes de la littérature romantique, dans la pratique il marche très-heureusement sur les traces de nos écrivains classiques. On voit même la contrainte qu'il s'est imposée pour renfermer dans la régie des vingt-quatre heures tous les événemens qui se passent dans sa tragédie des Templiers. L'observation de cette règle lui a moins coûté, et est moins contraire, à la vraisemblance dans la tragédie des états de Blois, il lui a suffi que, dans vingt-quatre heures, il soit possible de parler beaucoup et de tuer un homme.

 Je ne puis m'empêcher, eu effet, d'être de l'avis des spectateurs et des critiques qui ont reproché à cette tragédie de M. Raynouard le défaut de mouvement et d'action : elle consiste presqu'entièrement en longues discussions politiques sur la royauté, sur la république, sur la tolérance religieuse, sur les droits de succession au trône, sur les droits que, dans les temps des troubles, les factieux ne manquent jamais d'attribuer au peuple, pour profiter eux-mêmes et eux seuls des agitations qui en résultent. Ces discussions sont souvent fort belles ; souvent l'auteur y exprime en beaux vers de nobles sentimens ; les personnages y sont en général peints fidèlement d'après l'histoire, et les discours qu'ils tiennent sortent assez naturellement de la situation où ils se trouvent. Il est donc possible qu'ils aient parlé ainsi ; cela est même probable jusqu'à un certain point ; et c'est un mérite sans doute : mais cela ne suffit pas ; il faudrait encore que leurs entretiens fussent plus nécessaires à la marche de la tragédie, qu'ils la fissent avancer, qu'ils en marquassent la progression : c'est ce qu'on ne saurait dire, ce me semble, d'un assez grand nombre de ces conversations politiques. Elles sont sans doute, pour la plupart, écrites avec une mâle énergie : considérées à part, elles ont beaucoup de mérite ; mais on ne pourrait en supprimer plusieurs sans que l'action en fut plus obscure, le nœud moins serré, le dénoûment moins naturel ; elles n'amènent point des changemens de situation, de nouveaux incidens, de nouvelles péripéties dans cette, pièce qui en est assez généralement dépourvue. J'y vois donc de belles discussions, de belles scènes ; mais je ne vois pas dans leur ensemble une belle tragédie.

Je-suppose que je parle à des lecteurs qui connaissent le plan et la contexture des états de Blois : 1'analyse leur en a été présentée dans ce journal par un écrivain après lequel je me garderai bien de la faire ; je me contente donc de hasarder quelques réflexions sur l'effet général de l'ouvrage et sur les caractères. Celui qui m'a paru le mieux tracé, c'est celui du duc de Guise, et c'est un mérite de la pièce, puisqu'il en est le héros ; il est fidèlement historique dans la tragédie; il est vrai qu'il est parfaitement dramatique dans l'histoire : plein de grandes qualités et de grands défauts qui aboutissent à une grande catastrophe. Toutes les fois qu'il est sur la scène, et il y est souvent, il l'anime, et sa présence échauffe une pièce qui menacerait en plus d'un endroit d'être froide et languissante. Le brave Crillon, beaucoup plus parfait, est par cela même moins dramatique. Dans la tragédie comme dans l'histoire, on lui fait la proposition odieuse d'assassiner le duc de Guise, et il répond de même : la seule différence, c'est qu'il répond en vers ; mais il y a des mots tellement connus, des réponses tellement belles dans la simplicité du langage dans lequel elles ont été faites, que les ornemens de la poésie les gâtent au lieu de les embellir. Henri, qui n'est encore que roi de Navarre, annonce déjà les brillantes qualités qui lui feront conquérir le trône, son héritage, et les vertus paternelles qu'il y fera briller. La scène où il propose à Guise de terminer par un duel leurs différens politiques et les agitations intestines qui en sont la suite, est vive et animée; seulement il se tait un peu vite dès que Catherine de Médicis s'est opposée au duel auquel il n'a plus l'air de penser du tout, il laisse Guise et Médicis converser longuement sans s'en mêler le moins du monde. Je trouve aussi qu'en entrant sur la scène il parle un peu trop en vainqueur ; il répète trop souvent ce mot, il s'appelle un généreux vainqueur ; il dit qu'il est réduit au malheur de vaincre les Français, et les conjure de plaindre leur vainqueur. Henri aurait pu parler ainsi après les victoires d'Arques, d'Ivri, de Fontaine Française, mais il était jeune alors, et n'avait encore eu qu'un succès à Coutras ; son parti avait eu jusque là plus de revers que de succès, et avait dû et ses succès et ses revers au prince de Condé, à Coligni, à Daudelot, aux autres chefs des huguenots, beaucoup plus qu'à Henri.

M. Raynouard a voulu donner au caractère de Bussy une sorte de profondeur et de dissimulation, et il prête au personnage des intentions secrètes et non avouées qui ne rendent pas toujours son rôle très-clair. Il me semble, par exemple, qu'il y a quelque chose d'obscur et d'entortillé dans la troisième scène du second acte, où Bussy veut éprouver Guise, et, pénétré par lui, confondu et même menacé, finit en enrageant, et de mauvaise grâce par se dévouer à sa cause : c'est ainsi que. dans toute la pièce, il veut être républicain et ne peut l'être, toujours subjugué par l'ascendant de Guise. Mais, je le répète, ces divers sentimens ne se développent pas toujours clairement. Le caractère de Mayenne est, dans la tragédie, d'une générosité que l'histoire est loin de lui accorder; Catherine de Médicis parle et agit d'une manière plus conforme à celui que lui donne tous les historiens. Je trouve que le poëte a eu raison de mettre dans sa bouche plutôt que dans celle de Henri de Valois, l'odieuse proposition que repousse si noblement Crillon.

M. Raynouard présente des tableaux pleins de vérité et d'énergie de la corruption, de la lâcheté ou de l'insolence de ces factieux ou de ces instrumens des factions qui, aux jours de discordes civiles, siègent dans les assemblées politiques. Dans les temps malheureux, d'où nous venons de sortir, les modèles ne lui manquaient pas, et l'on voit bien qu'il les avait devant les yeux, ou présens à sa mémoire, lorsqu'il peignait ainsi les ligueurs :

Que font ces députés ? Tous trahissent la France :
Ceux-ci par leurs discours, ceux-là par leur silence ;
Et moins dignes de haine encor que de mépris,
Ils proscrivent souvent de peur d'être proscrits.
Tel parle liberté, nous insulte et nous brave,
Qui n'est dans son parti que le premier esclave ;
Souvent par un terrible et rapide retour,
Le héros de la veille est le tyran du jour.

Le style de M. Raynouard a plus d'élévation, de vigueur et d'énergie que de facilité, de souplesse et de charme. Il y a beaucoup de beaux vers dans les états de Blois ; mais moins que dans la tragédie des Templiers, à laquelle elle est en tout inférieure ; quelquefois on y remarque une affectation de simplicité dans l'expression qui n'est pas heureuse, comme dans ce vers :

Cependant je lui fais des périls qu'il ignore.

M. Raynouard affecte aussi trop souvent de ne point suspendre l'hémistiche et marquer le repos des vers, ou de le rejetter à la huitième, neuvième, ou dixième syllabe:

Que tous les factieux s'arment, | je les attends....

Bourbon a déposé les armes, | je pardonne

En sauvant l'unité de la foi, | j'ose dire....

Il faut que les états délibèrent ; | je vais....

Avez-vous confié ce projet | — A personne, etc. etc.

On sait qne cette tragédie fut représentée en 1810 sur le théâtre de Saint-Cloud et qu'elle déplut beaucoup au tyran qui y tenait alors sa cour ; il devait soupçonner en effet que plus d'une personne était tentée d'applaudir à ces vers :

Combien ces vils ligueurs sont encor plus coupables !
Ils osent rejetter et combattre Bourbon !

. . . . . . . . . . . . .

De Guise vous jugez la criminelle audace,
Il repousse Bourbon pour monter à sa place, etc.

Beaucoup d'autres vers et de sentimens répandus principalement dans le rôle de Henri, devaient beaucoup déplaire à un homme cent fois plus coupable et plus odieux que Guise.                           A.

Magasin encyclopédique ou journal des sciences, des lettres et des arts, année 1814, tome IV. (juillet), p. 456-459 :

Les Etats de Blois, tragédie en cinq actes et en vers, représentée pour la première fois sur le Théâtre de Saint-Cloud, le 22 juin 1810 ; et sur le Théâtre Français, le 31 mai 1814 ; précédée d'une Notice historique sur le Duc de Guise ; par M. Raynouard, Membre de l'Institut de France, et Chevalier de la Légion d'honneur. Un volume in-8.°. A Paris, chez Mame, frères, imprimeurs-libraires, rue du Pot-de-Fer, n.° 14.

La tragédie des Etats de Blois, composée pendant les mois d'avril et de mai 1804, lue et reçue, au Théâtre Français, le 16 août de la même année, avoit été représentée, une seule fois, sur le théâtre de Saint-Cloud, le 22 juin 1810.

En la faisant paroître sur la scène française, l'auteur s'est permis seulement quelques corrections indiquées par l'expérience des nouvelles répétitions : ces légers changemens ne portent sur aucun des passages que. les spectateurs ont accueillis avec, le plus de bienveillance, et que les personnes qui n'avoient pas assisté à la représentation de Saint-Cloud, ont cru peut-être avoir été ajoutés.

L'auteur auroit pu, il auroit dû, sans doute, faire des corrections plus importantes ; mais, en soumettant son ouvrage au jugement du Public, il a désiré, avant tout, que l'on vît, sur le Théâtre Français, en 1814, cette tragédie telle qu'elle avoit été jouée, en 1810, sur le théâtre de Saint-Cloud.

Cette tragédie est précédée d'une Notice historique, où sont exposés les faits,-les mœurs et les caractères des personnages mis en scène.

A la suite de cette notice, M. Raynouard a placé une Préface dans laquelle il traite de la tragédie historique ; il cite plusieurs morceaux des Perses d'Eschyle, et de l'Œdipe à Colonne de Sophocle, pour faire connoître l'effet que ces pièces devoient produire chez les Grecs. Il cite les pièces historiques des auteurs espagnols et de Shakespear. Il est étonnant qu'il ne parle pas de celles de Schiller, de Werner, de Dubelloy, du Comte de Guibert, et des drames de Mercier.

Il se contente de citer le drame du Président Hénault, intitulé François II, dans lequel il a violé toutes les unités reçues. M. Raynouard a tenté de ne s'affranchir d'aucune. Il expose les motifs qui l'ont déterminé à introduire les personnages qu'il a choisis, et à leur donner le caractère qu'ils ont dans son ouvrage. Il en puise les raisons dans la notice historique que nous venons d'indiquer. Il n'a donc rien innové, dit-il ; il a tenté de ramener la tragédie à sa première institution, sans s'autoriser des licences que les poètes étrangers des théâtres modernes se sont permises, quand ils ont traité la tragédie purement historique.

Après la tragédie, dont nous avons déja rendu compte à l'époque de sa représentation(1), M. Raynouard a imprimé les pièces relatives à la mort du duc de Guise. Ce sont principalement les informations prises à la requête de la Duchesse par la Commission nommée le dernier de janvier 1589. Le tout est terminé par un extrait de la relation de la mort du Duc et du Cardinal de Guise, écrite par Mira, médecin de Henri III. Il y joint d'autres circonstances tirées du livre intitulé le Martyre des deux Frères.

Parmi les monumens historiques dont cette publication est enrichie, nous citerons la curieuse médaille que Jeanne de Navarre, mère de Henri IV, fit distribuer aux officiers de l'armée des réformés, où on voit au revers, dans trois couronnes, ces mots : ou victoire entière, ou paix assurée, ou mort honneste. Le Père Ménétrier l'avoit déja publiée dans le Journal de Trévoux de janvier 1702 ; mais elle est très-rare, et M. Raynouard a cru devoir reproduire ce singulier monument. Le frontispice est orné du portrait de Guise-leBalafré. Ainsi rien ne manque à l'intérêt de cet ouvrage, qui est à la fois un livre de littérature et un très-bon morceau d'histoire.                          A. L. M.

D’après la base La Grange de la Comédie Française, la pièce de Raynouard a été jouée 8 fois sur ce théâtre, en 1808.

(1) Suprà, t. 3, p. 472.

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