La Fausse marquise

La Fausse Marquise, mélodrame nouveau, en trois actes, de *** [Jean-Baptiste Dubois et Gobert], musique de Piccini fils, ballets de M. Aumer, 9 messidor an 13 [28 juin 1805].

Théâtre de la Porte St-Martin.

Titre :

Fausse marquise (la)

Genre

mélodrame à spectacle

Nombre d'actes :

3

Vers ou prose ,

en prose

Musique :

oui (ballet)

Date de création :

9 messidor an 13 [28 juin 1805]

Théâtre :

Théâtre de la Porte Saint-Martin

Auteur(s) des paroles :

Jean-Baptiste Dubois et Gobert

Compositeur(s) :

Alexandre Piccini fils

Chorégraphe(s) :

Aumer

Almanach des Muses 1806.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Barba, (an xiii – 1805) :

La Fausse Marquise, mélodrame en trois actes, à spectacle, Paroles de MM. ***. Musique de M. Piccini fils, Ballets de M. Aumer, tous deux de l'Académie Impériale de Musique. Représenté sur le théâtre de la Porte S.-Martin, le 9 messidor an xiii.

« Prendre le nom d'une personne estimable, et le profaner pour s'emparer de ses biens, c'est un double délit qu'il faut punir pour l’intérêt de la vertu et le repos de la société. »

Joseph Marie Quérard, Les supercheries littéraires dévoilées, seconde édition, 1870, Volume 2, p. 192, attribue la pièce à Gobert, nom falsifié de Montgobert, artiste dramatique. Elle a été écrite en collaboration avec J.-B. Dubois. Le même duo avait fait jouer en 1804 (an 12) Tipoo Saïb, ou la Prise de Seringapatam.

La Fausse Marquise, selon la même source, a été reproduite, sans autre réimpression que les quatre première pages, sous le titre de la Dame du château, ou la Ressemblance, mélodrame-comédie, Paris, Barba, 1816, in-8.

data.bnf.fr se contente de donner comme auteur J.-B. Dubois.

L'histoire de cette fausse marquise s'inspire d'une affaire judiciaire célèbre, celle de la prétendue marquise de Douhault, racontée (de façon partisane) par Victor Perceval dans Un Drame judiciaire, la Marquise de Douhault, Paris, 1872. Il s'agit d'une femme sortie de l'hospice de la Salpétrière en 1789, et qui essaya de se faire passer pour la veuve du marquis de Douhault, enfermée par son frère M. de Champignelles qui en voulait à sa fortune. L'affaire occupa les tribunaux de longues années, la cour de cassation ne rendant son arrêt que le 30 avril 1807 : la marquise était bien morte en 1788, et celle qui se présentait sous son nom était un imposteur (une imposteuse ?).

Le très beau site Utpictura18 consacre une page à la pièce à propos du costume d'un des personnages de la pièce, Furet, image également visible sur le site de la BNF.

Courrier des spectacles, n° 3055 du 10 messidor an 13 (29 juin 1805), p. 2 :

[Encore un grave débat sur le genre où ranger la pièce : comédie ou mélodrame ?]

La Fausse Marquise, mélodrame en trois actes représenté hier au Théâtre de la Porte St.- Martin, a été favorablement accueilli. L’affluence étoit très considérable ; l’intérêt de cet ouvrage va toujours croissant ; il y règne de la gaité. A ce titre, il pourroit plûtôt être regardé comme une comédie, et même comme une comédie d’intrigue ; mais il y a de la musique, des ballets, etc., c’est ce qui a déterminé à lui conserver la dénomination de mélodrame Les auteurs des paroles ont gardé l’anonyme ; celui de la musique est M. Alexandre Piccini, et celui des ballets M. Aumer.

Courrier des spectacles, n° 3056 du 11 messidor an 13 (30 juin 1805), p. 3-4 :

[Après le bref article de la veille, la Fausse Marquise a droit à une vraie critique. Premier point : la pièce reprend une affaire en cours de jugement, mais cela ne trouble ni l’opinion publique, ni le critique : il semble que personne ne doute que la marquise ressuscitée ne soit une fausse marquise. Deuxième point, le procès est très complexe, et il ne pourrait pas entrer dans le cadre étroit de trois actes. Il fallait donc se limiter à un épisode essentiel, le retour de la prétendue marquise dans le château qu’elle revendique. Par délicatesse, les auteurs ont changé les noms et fait retomber la responsabilité sur un valet fourbe (personnage récurrent au théâtre !). Le critique arrive à ce moment à l’analyse de l’intrigue, longuement résumée, avec une large place laissée à l’avant-scène, et beaucoup de précision dans l’enchaînement des faits. Ce résumé fait d’ailleurs bien ressortir que cette intrigue est bien l'œuvre des auteurs de la pièce, et qu’ils se sont écartés largement des données du procès, à peine évoqué à travers la figure du juge et qui devient naturellement inutile à la fin de la pièce. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle l’article arrive : la question posée est celle du genre de la pièce (mélodrame ou comédie d’intrigue ?). On est loin de l’affaire de la fausse marquise de Douhault. Le jugement porte bien sûr sur le style, jugé assez sévèrement, sur la gaîté et l’esprit présents dans le dialogue : certaines scène « ont mérité d’être applaudies ». Les acteurs ont été à la hauteur de leurs rôles, et les ballets ont été dansés avec ensemble. Rien sur les auteurs, mais il en a été question la veille.]

Théâtre de la Porte St-Martin.

La Fausse Marquise.

Quoique la cause de la Fausse Marquise de Douhault ne soit pas encore, grâces à un dernier appel, entièrement terminée, cependant l’opinion publique, d’accord avec les décisions des divers tribunaux, autorisoit assez les auteurs à transporter sur la scène quelques-uns des événemens qui ont rendu cette cause si célébre et si intéressante. On ne peut donc point les accuser avec quelque fondement d’avoir anticipé sur le prochain arrêt qui terminera cette longue affaire, et ils ne peuvent que se féliciter d’avoir saisi les premiers un sujet qui, dans les circonstances actuelles, pouvoit offrir un spectacle digue de la curiosité publique.

Il étoit impossible de resserrer dans un cadre de trois actes toutes les circonstances de ce procès, il a fallu en prendre les plus saillantes et les plus propres à être mises en scène. Les auteurs ont choisi, sans contredit, la plus remarquable, l’époque du retour de la fausse Marquise dans le château dont elle se dit propriétaire, et ils ont eu l’adresse et même la délicatesse, en changeant les noms, de faire tomber sur un valet fourbe et adroit tout l’odieux de cette intrigue.

La scène se passe au château de Senneville. La Dame du lieu est morte depuis dix ans, et son frère a quitté sa patrie à-peu-près à la même époque, laissant sa propriété sous la garde d’un vieux serviteur, nommé Mathurin, qui, pour honorer la mémoire de sa bienfaitrice, a rassemblé tons les paysans des environs près du tombeau dans lequel elle repose. Il leur retrace les vertus de madame de Senneville, ses attentions, ses habitudes, ses goûts favoris ; enfin il entre dans plusieurs détails qui sont recueillis par un domestique nommé Lafleur. Celui-ci, caché derrière une charmille, écrit tout sur ses tablettes, et lors que les villageois se sont retirés, il rend grâces au hasard, qui lui a applani les obstacles qu’il redoutoit pour parvenir à son but. Espérant tout de la ressemblance d’une certaine Nicole avec la Marquise, il l’a amenée dans le village voisin du Château, et pour lui bien faire son rôle, il a pris les devants. Tandis qu’il cherche les moyens d’annoncer la résurrection de la Marquise de la manière la plus éclatante, Furet, le garde-chasse, garçon simple et novice, s’offre à ses yeux. Lafleur l'ambrasse, lui rappelle les jeux de leur enfance ; bref, il parvient à lui inspirer une certaine confiance, et enfin il lui déclare que celle dont on honore la mémoire n’est point morte. Furet est enchanté, il court au village, rassemble les paysans au milieu desquels Lafleur amène la Marquise, à qui il a en chemin donné de nouvelles instructions, Tout le village la reconnoît pour la Marquise. Un seul s’y refuse avec opiniâtreté, c’est Mathurin ; il a connu autrefois sa bienfaitrice, il sait trop bien qu’elle n’existe plus, pour ouvrir les portes de son château a une intrigante. Le juge du lieu lui-même ne peut l’y déterminer. C’est dans cette conjoncture que l’on annonce l’arrivée du frère de mad. de Senneville. La fausse Marquise est déconcertée ; mais bientôt rassurée par son fidèle Lafleur, elle reçoit M. de Senneville avec froideur, lui reproche ses injustes procédés, dont elle demande réparation. Lafleur a eu soin aussi d’enlevcr à ses adversaires un témoignage bien puissant, c’est celui de l'ancienne femme-de-chambre de la Marquise, qui étoit venue pour attester la mort de sa maîtresse, et que l’adroit valet a sçu gagner par la promesse des récompenses. Privé de cet appui, M de Senneville déclare qu’il se constitue prisonnier chez le juge, en attendant qu’il puisse prouver son innocence et démasquer sa fausse parente. Celle-ci demeure de son côté au château, que le vieux Mathurin abandonne. Lafleur y tranche de l’intendant, Les fermiers viennent payer les arrérages de dix ans et renouveller leurs baux. En un instant le voilà riche de cinquante mille francs. Avec cette somme, il conseille prudemment à la Marquise d’éviter en fuyant une nouvelle visite du Juge ; mais lorsqu’il veut sortir, il trouve toutes les portes occupées par des factionnaires. Que faire ? Il s’arme d’audace et de résolution, d’un coup-d’œil il ranime sa complice tremblante, et il attend de pied ferme les Juges et M. de Senneville ; mais la restitution des cinquante mille francs, exigée par le Magistrat, comme d’une somme touchée sans aucun droit, commence déjà à diminuer sa confiance.

Le plaidoyer qu'il a composé à la Marquise lui rend une nouvelle force ; il croit triompher, et M. de Senneville lui-même flatte leur espoir en s’avouant coupable d’avoir persécuté sa sœur, de l’avoir tenue renfermée pendant dix ans ; mais lorsqu’il déclare que c’est dans le château que celle sœur est prisonnière, et qu’elle va paraître à l’instant pour confondre l’imposture, la fausse Marquise est altérée ; elle balbutie quelques mots pour sa justification, et lorsque Mathurin, qui est dans le secret, vient annoncer à haute voix Mad. de Senneville, l’intrigante tombe aux pieds du Magistrat en s’avouant coupable. Lafleur ouvre de grands yeux, cherche partout, ne voit point paroître la dame de Senneville, et s’apperçoit, mais trop tard, qu’il a été pris pour dupe. Le succès de cette affaire et le retour de M. de Senneville donnent lieu à une jolie fête qui termine le spectacle.

On voit par cette analyse que cette pièce est moins un mélodrame qu’une comédie d'intrigue. Il v a quelques longueurs, quelques expressions de mauvais goût qu’il faut corriger. En général le style n’est pas le premier mérite de cet ouvrage ; mais il y a de la gaîté et de l’esprit dans le dialogue ; plusieurs scènes ont mérité d'être applaudies.

Les acteurs se sont très bien acquittés de leurs rôles. Bourdais a joué avec un grand talent celui de Lafleur ; Talon a été très-comique dans celui de Furet ; Fusil, simple et franc dans celui de Mathurin. MM. Dogrand et Adnet ont rendu les personnages de Juge et de M. de Senneville avec dignié et intelligence ; Mad. Potier a bien joué tour-à-tour l’embarras et l’assurance dans le rôle de la Fausse Marquise, et elle a sçu donner à son plaidoyer la couleur la plus favorable, et s’y rendre même intéressante.

Le ballet de la fin a été exécuté par les premiers sujets de ce théâtre avec un ensemble et une précision rares. Dans celui du premier acte ont paru pour la première fois M. et Mad. Degville ; ils ont mérité, dans un pas de deux, de nombreux applaudissemens.

L'Esprit des journaux français et étrangers, an XIII, tome XI (Thermidor an XIII, juillet 1805), p. 284-287 :

[Un premier paragraphe souligne le succès et les qualités de la pièce, où le critique voit « une belle et bonne comédie » plutôt qu’un mélodrame : « une comédie d'intrigue sagement conçue, habilement conduite, ingénieusement dénouée », et la part du mélodrame est tout à fait sage. Il s’agit bien d’un « sujet connu », un fait divers, une usurpation d’identité. Le compte rendu raconte l’intrigue, de l’arrivée de la prétendue marquise avec son fripon de valet, à l’intervention de la justice. La pièce se voit ensuite créditée de nombreuses qualités : pièce bien conduite, intérêt vif, dénouement neuf et inattendu (qualité rare !), style peut-être un peu précieux, mais « généralement spirituel, brillant et comique ». Les auteurs ont gardé l’anonymat, et les musiciens et chorégraphes sont seuls connus : respectivement MM. Piccini fils et Aumer. Et les interprètes sont remarquables.]

THÉATRE DE LA PORTE ST.-MARTIN.

La fausse Marquise a obtenu et mérité un brillant succès. Suivant l'affiche, c'est un mélodrame ; suivant nous, c'est réellement une belle et bonne comédie, une comédie d'intrigue sagement conçue, habilement conduite, ingénieusement dénouée ; on y a fait entrer quelques intermèdes de danse, mais avec une juste sobriété, et de manière à ne faire ni surcharge, ni même diversion à l'action ; c'est pour la fin de la pièce qu'est réservé le luxe des ballets, et ce divertissement – bien lié au dénouement en est un complément très-heureux.

Le sujet est connu. Une aventurière se présente au château de Senneville, sous le titre de la marquise de ce nom, que tout le monde croit morte depuis dix ans ; elle a pour compère un valet rusé, qui s'adresse d'abord à une espèce de niais ; celui-ci s'imagine facilement reconnaître la véritable marquise, et induit bientôt en erreur toute la gent moutonnière. Il ne reste qu'un mécréant, le concierge du château ; on le force de livrer les clefs ; le véritable maître du lieu, M. de Senneville arrive alors ; on ne veut plus voir en lui que le persécuteur de la soi-disant marquise, et il est forcé de se constituer prisonnier. Son ton de franchise paraît de l'effronterie. L'aventurière demeure au château.

Cependant le fripon de valet, peu curieux d'avoir affaire aux gens de justice, et satisfait des recouvremens qu'il a provisoirement faits chez les fermiers, au nom de la marquise, se dispose à prendre le large ; l'arrivée des juges l'en empêche.

Il s'agit alors de confronter le marquis de Senneville à sa prétendue victime. Celle-ci persiste dans ses accusations ; lui, forcé de s'expliquer, joue à son tour la comédie ; il annonce une révélation importante, et se donne l'attitude d'un coupable. « Oui, je suis criminel, dit-il aux juges ; oui , j'ai supposé la mort de ma sœur, la pauvre marquise de Senneville ; oui , je l'ai tenue renfermée pendant dix ans dans une des chambres de ce château ; mais ce n'est pas elle qui est devant vous ; vous l'allez voir paraître. » A ces mots, il donne une clef qu'il dit être celle de la prison, où la véritable marquise doit être détenue, et il ordonne qu'on amène cette victime ; surprise générale, stupéfaction de l'aventurière et de son complice, Tremblans de voir réellement paraître madame de Senneville, ils se jettent enfin aux pieds des juges, et avouent leur odieuse intrigue. C'était là qu'on les attendait. La déclaration du marquis n'était qu'une contre-ruse ; la morte est bien morte ; et les fripons sont livrés aux tribunaux.

Nous le répétons avec plaisir, cette pièce est bien conduite ; l'intérêt en est vif et pressant ; le dénouement neuf et inattendu ; le style nous a semblé trop recherché en quelques endroits, mais il est généralement spirituel, brillant et comique. Bref, l'ouvrage est fait pour attirer la foule, et pour se maintenir longtemps au répertoire.

Les auteurs ont voulu garder l'anonyme, malgré les réclamations les plus vives du public contre cet excès de modestie. On n'a fait connaître que les auteurs de la musique et des ballets ; l'un est M. Piccini fils ; les autres sont de M. Aumer, auquel ils font beaucoup d'honneur. Mme. Quériau, dans la danse, et Bourdais, dans la pièce, ont été vivement applaudis, et sont, d'ailleurs, très-bien secondés par tous leurs camarades.

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