La Femme de quarante-cinq ans

La Femme de quarante-cinq ans, comédie en un acte,d'Hoffman, musique de Solié, 29 brumaire an 7 [19 novembre 1798].

Théâtre de la rue Favart, Opéra-Comique

Almanach des Muses 1800

Une veuve qui s'ennuie de l'être, veut se faire aimer d'un jeune militaire qui courtise sa nièce. Elle tourmente la jeune personne pour la punir de la préférence qu'elle obtient, et finit par introduire dans sa chambre, lorsqu'elle l'y croit endormie, un vieil avare qui se prête à ses vues ; la tante espère faire un éclat, et contraindre sa nièce à épouser le vieillard. Mais la jeune personne s'est réfugiée chez son amant, et lorsque la femme de quarante-cinq ans a dénoncé le fait qui devait servir ses prétentions, elle est bien étonnée de voir paraître, au lieu de sa nièce, une vieille servante qui a passé la nuit dans la chambre. Elle rougit enfin de son égarement,r enonce au jeune homme, et l'unit à celle qu'il aime.

Titre qui promettait une autre action que celle que l'auteur a choisie. Pièce qui n'a point été goûtée ; revers qui a pu étonner le C. Hoffmann, parce qu'il est accoutumé aux succès.

Musique spirituelle et gracieuse, dont on a regretté la perte.

 

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Vente, an VII :

La Femme de quarante-cinq ans, comédie en un acte et en prose, mêlée de musique ; Sifflée, pour la première et dernière fois, sur le Théâtre Favart, le 29 brumaire an 7. Dédiée aux siffleurs, Et enrichie de notes à l'usage des jeunes Auteurs. Paroles du C. Hoffman ; Musique du C. Solié.

 

La dédicace aux siffleurs :

Aux Siffleurs.

CHERS AMIS,

C'est à vous que je dédie ce petit ouvrage qui vous a tant amusés par sa chûte : un succès vous eût moins divertis. Je vois cependant avec peine que vous vous êtes ôté les moyens de prolonger votre plaisir. Avec un peu de modération, vous vous seriez ménagé l'agrément de siffler cette pièce à sa sixième représentation, comme mon Léon de Montenero ; mais vous avez été gourmands, vous avez tout dévoré dans un jour.

Trop de pétulance gâte tout.

Dédommagez-vous donc aujourd'hui ; voilà l'ouvrage imprimé, sifflez à la lecture. Convenez, chers amis, que je suis le meilleur homme du monde, je m'occupe de vos plaisirs, et je ne néglige rien de ce qui peut faire briller votre goût exquis, et votre critique éclairée. Comme je me défie de votre mémoire, j'ai eu soin d'indiquer à l'impression les phrases où vous avez improuvé, et où vous devez siffler encore : votre Capitaine vous désignera beaucoup d'autres endroits sifflables qui ont échappé à votre sagacité : ce généreux ennemi achèvera ma Femme de quarante-cinq ans, et elle pourra se vanter d'avoir reçu le coup de pied.... d'un grand homme.

Page 48 :

Dernière note.

Les sifflets ne prouvent pas qu'une pièce soit mauvaise ; il est plus facile d'acheter un sifflet que du bon sens : mes raisonnemens ne prouveront pas non plus que cette pièce soit bonne ; je sais aussi bien qu'un Siffleur les défauts qu'elle a, et les qualités qui lui manquent. Mes lecteurs, s'il s'en trouve, lui assigneront sa place. Quant à mon dénouement que quelques érudits ont trouvé immoral, je les renvoie à la lecture des Auteurs qu'ils ne lisent guère ; ils y verront que l'immoralité dramatique ne consiste point dans l'action irrégulière commise par une personne passionnée, mais dans l'effet qui en résulte. Que diront-ils d'une foule de pièces de la Comédie Française ! elles sont immorales sans doute.... Il est fàcheux qu'elles soient bonnes. Or, que résulte-t-il de l'action de Camille ? sa confusion devant ses complices ; sa honte devant ceux de qui elle vouloit se venger ; sa punition, par le moyen même qui devait servir à sa vengeance.

Courrier des spectacles, n° 637 du 30 brumaire an 7 [20 novembre 1798], p. 2-3 :

[L’article commence par l’analyse, très précise de l’intrigue, une rivalité amoureuse entre une tante de 45 ans et sa jeune nièce : toutes deux aiment Victor, et la tante, qui finit par s’apercevoir qu’elle n’est pas la préférée du bel officier, décide de marier sa nièce avec un vieil avare, qui ne demande évidemment pas mieux que d’entrer en possession de la dot. Elle n’aurait ainsi plus de rivale, même si elle sait que Victor préfère la jeune nièce à la moins jeune tante. Pour contraindre sa nièce à épouser son vieil avare, la tante utilise une ruse : elle fait entrer le vieillard chez sa nièce, pour la compromettre et rendre nécessaire ce mariage. Mais la nièce est entrée chez Victor, et c’est donc lui qui doit épouser la nièce qui est loin de s’en plaindre. Ce qui choque les spectateurs, c’est à la fois l’idée d’une tante qui essaie de compromettre sa nièce, et celle d’un jeune homme qui ose violer les lois de l’hospitalité en amenant la fille de la maison dans son appartement. Mais le critique laisse entendre que toutes les « improbations » n’étaient pas aussi vertueuses, et que certains siffleurs ou murmureurs agissaient avec des arrière-pensées. La pièce a besoin d’être améliorée, mais elle a aussi besoin qu’on l’écoute. Les interprètes sont jugés positivement, mais seule la citoyenne Dugazon a droit à une citation.]

Théâtre Favart.

Une femme de quarante-cinq ans, et veuve depuis deux seulement, habite, avec Agathine sa nièce, une campagne agréable aux environs de Naples. L’âge n’a point éteint dans la tante les prétentions à plaire, et un jeune officier, nommé Victor, a fait sur son cœur une vive impression. Mais Victor n’aime qu’Agathine, qui, tendre , sensible et ingénue, répond eu secret à ses sentimens. La tante encore incertaine de ceux de Victor, interroge sur ce point une vieille domestique, dont les réponses sont assez ambiguës. Cette femme, à son tour, dans la vue de plaire à sa maîtresse, veut s’assurer des véritables sentimens de Victor, et le voyant enthousiasmé du tableau qu’elle trace tour-à-tour de la tante et de la nièce, ne sait trop de laquelle des deux il est réellement épris. Enfin la tante elle-même ne pouvant supporter plus long-tems le doute qui la tourmente, trouve l’occasion de faire à Victor l’aveu de sa passion. Celui-ci. étourdi de ce coup inattendu, joue la profonde reconnoissance pour tant d’amour, joue mieux encore l’embarras et le trouble où vient de le plonger cet aveu, et demande la permission de s’éloigner pour aller, plus solitaire, savourer dans les allées du jardin l’idée d’un si grand bonheur. Cette conduite éveille le soupçon ; on devient jalouse de la nièce, et pour se venger de la préférence qu’elle obtient, on projette de la marier à un monsieur Roc, vieux avare, qui doit se laisser prendre à l’appas d’une forte dot.

Les amans enfin ont une entrevue, dans laquelle après bien des ménagemens, ils parviennent à s’avouer leur tendresse réciproque. On médite les moyens de former un lien durable ; il est convenu que Victor partira le jour suivant pour aller chercher le consentement de son père. Agathine compte sur celui de sa tante ; mais elle est dupe de l’adresse avec laquelle celle-ci lui arrache son secret. La tante furieuse renvoye impérieusement Agathine dans sa chambre, et intime à Victor l’ordre de partir sans attendre le jour suivant. Arrive M. Roc, qui, instruit des avantages qu’on lui propose, déclare ses vues à la nièce ; n’en obtient qu’un refus obstiné, et la quitte en la menaçant de 1’amener à remplir les intentions de sa tante. Agathine reste seule au jardin pour attendre Victor qui doit, à la faveur de la nuit, lui dire un dernier adieu ; mais la vieille gouvernante entraîne Agathine, qui bientôt profite du sommeil de sa surveillante pour revenir au jardin où Victor l’attend. Celui-ci entend du bruit et engage Agathine à venir se cacher dans le pavillon qu’il habite.

La tante reparoît avec M. Roc, et l’introduit dans la chambre de sa nièce, où elle doit ensuite le faire prendre par la justice, et le contraindre à réparer par un contrat de mariage l’outrage qu’il seroit censé avoir fait à l’honneur d’Agathine. Effectivement arrivent les gens de la loi : on leur indique la chambre d’Agathine, en font sortir M. Roc, mais pas d’autre femme que la vieille gouvernante. Agathine au contraire sort du pavillon opposé avec Victor, qui reproche à la tante la bassesse de sa fourberie, et parvient à la toucher au point d’en obtenir la main de son amante.

Telle est l’analyse de la pièce donnée hier à ce théâtre, sous le titre de la Femme de 45 ans ; le dénouement, où tontes les convenances sont violées, a excité tant de murmures, que les acteurs ont eu de la peine à finir la pièce. On n’a pu supporter l’idée d’une tante qui compromet publiquement l’honneur de sa nièce, pour la contraindre à un mariage disproportionné, non plus que l'idée d’un jeune officier violateur des droits de l’hospitalité, au point d’accueillir, ou plutôt d’amener la nuit dans son appartement une jeune personne que cette démarche, quelque vertueux que soit un amant, expose toujours à un juste blâme. Mais beaucoup d’animosité s’est jointe à ce jugement sévère ; des improbations moins motivées avaient, dans la pièce, frappé sur de simples expressions qui n’étoient rien au véritable comique des situations, et appellé une sorte de défaveur sur un ouvrage qui, sans doute, a besoin d’être retouché ; mais qu’il faudroit alors écouter avec plus d ecalme et sur-tout avec l’intérêt qu »il sembl mriter.

Le rôle de la Tante, joué par la cit. Dugazon, et tous les autres rôles, ont été fort bien rendus.

La Décade philosophique, littéraire et politique, Septième année de la République, 1er trimestre, n° 7, 10 frimaire, p. 436-437 :

La Femme de quarante-cinq ans, Comédie mêlée d'ariettes en un acte.

Si quelque chose démontre évidemment combien ayant de l'esprit et du talent, on peut encore se tromper dans la carrière dramatique, c'es, sans contredit, l'erreur dans laquelle vient de tomber l'auteur d'Euphrosine, de Stratonice, du Secret, d'Azeline, de Léon, et de beaucoup d'ouvrages estimables, en donnant au public I.a Femme de quarante-cinq ans.

Cette femme de quarante-cinq ans est une veuve qui s'ennuie de l'être, qui fait les plus indécentes avances à un jeune militaire, amant de sa nièce ; qui tourmente celle-ci pour la punir d'être préférée, et finit par introduire dans sa chambre où elle la-croit endormie, un vieux et dégoûtant avare qui se prête à la supercherie, le tout afin d'avoir un prétexte de faire un éclat, et de contraindre cette jeune victime à réparer son honneur en épousant le vieux monstre qu'on lui destine ; mais l'Amour qui veille heureusement sur elle, l'arrache à cet horrible stratagème, en lui conseillant, comme dans l'Ecole des Maris, de Molière, de se réfugier dans la demeure et sous la protection de son amant-. A sa place, on n'amène qu'une vieille gouvernante, qui cette nuit même s'est avisée de coucher auprès de la jeune personne. La tante, confondue, rougit enfin de son égarement, renonce à ses projets, et unit les jeunes gens»

Telle est la fable d'une pièce dont le public avait d'abord écouté avec patience les scènes principales, parce que le nom des auteurs lui inspirait assez d'intérêt pour qu'il se crût obligé à des ménagemens envers eux, mais dont le dénouement a paru le révolter d'autant plus que l'auteur du poëme ne s'est pas donné la peine de racheter le vice de son sujet par ces détails spirituels et par ce dialogue piquant qui lui sont pourtant ordinaires.

Si nous sortons de la règle que nous nous étions faite de ne point parler des ouvrages tombés, c'est d'abord que l'auteur lui-même, par le ton qu'il a pris tout récemment avec ses juges, a paru provoquer toute leur sévérité ; c'est ensuite que le titre de son dernier ouvrage est encore une de ces hardiesses que le plus grand succès aurait à peine rendu supportable. Quoi ! l'auteur généralise, sans égard, le portrait d'une femme odieuse, et paraît l'appliquer à toutes les femmes de quarante-cinq ans ! Où et comment voit-il donc le monde ? Ce titre piquant avait attiré, parce qu'il semblait promettre des observations fines et spirituelles sur ce passage délicat et difficile qui sépare pour les femmes la saison des hommages de celle des regrets ; sur cet âge où les roses ne sont plus, mais où les rides ne sont pas encore ; cet âge où les femmes doivent peut être renoncer aux nouvelles conquêtes, mais où elles peuvent très-bien conserver celles qu'elles ont faites ; cet âge où beaucoup de femmes aimables et prévoyantes savent remplacer, par des moyens nouveaux de plaire, les moyens d'avoir plu qui leur ont échappé ; cet âge enfin où l'estime, le respect et la solide amitié remplacent, par des affections durables, des jouissances plus vives sans doute, mais plus fugitives. C'était là la femme de quarante-cinq ans, qu'un observateur de bonne compagnie, et qu'un écrivain à-la-fois gracieux et moral, aurait eu quelque plaisir à peindre; mais sous ce titre général de Femme de quarante-cinq ans, peindre une Araminte, une folle qui n'est pas même assez ridicule pour se faire pardonner d'être odieuse, c'est blesser toutes les convenances, c'est insulter gratuitement tout un sexe, dont la moitié doit s'offenser de l'application, et l'autre moitié de la perspective. Il faut plaindre l'auteur, s'il a cru de bonne-foi que sa misantropie était fondée, ou si son expérience lui a.fourni quelques modèles.

Il est à regretter que le malheur d'un sujet mal choisi ait privé le public de la musique du C. Solié, qui nous a paru pleine de grâces, de chant et d'esprit1.

L. C.

Dans la base César : la pièce est un peu cachée par la façon dont le titre est écrit : La Femme de 45 ans. Elle est accessible par la collection Marande de l'Université de Warwick. 1 représentation, le 19 novembre 1798.

1 Un mauvais plaisant disait à la première représentation, qu'il fallait renvoyer la Femme de quarante-cinq ans dans le Cabriolet jaune.

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