La Folie musicale, ou le Chanteur prisonnier

La Folie musicale, ou le Chanteur prisonnier, opéra-comique en un acte, livret de François d’Allarde (Francis), musique de Louis-Barthélémy Pradher, 24 septembre 1807.

Théâtre de l’Opéra-Comique.

Titre :

Folie musicale (la), ou le Chanteur prisonnier

Genre

opéra-comique

Nombre d'actes :

1

Vers ou prose ,

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

oui

Date de création :

24 septembre 1807

Théâtre :

Théâtre de l’Opéra-Comique

Auteur(s) des paroles :

François d’Allarde (Francis)

Compositeur(s) :

Louis-Barthélémy Pradher

Journal de l'Empire, 28 septembre 1807, p. 1-2 :

[Compte rendu sévère d’une pièce qui ne méritait pas d’être jouée à l’Opéra-Comique : le compositeur est un musicien savant qui ignore tout du théâtre (il est un virtuose du « forté-piano », et l’expérience qu’il vient de faire au théâtre doit « lui apprendre à s'en tenir à son piano ». Autre folie musicale, celle des acteurs qui ont cru que le talent de l’un d’entre eux suffirait à sauver une pièce « dont les paroles et la musique sont extrêmement foibles ». Martin ne pouvait rien pour cet opéra comique, d’autant qu’« il n'est pas toujours très-bon juge de ce qui convient à la musique dramatique ». Quant à l’auteur, il a oublié, comme on le fait trop souvent, qu’un opéra-comique, voire un vaudeville, c’est d’abord « une petite comédie », avec « une intrigue qui ne soit pas trop déraisonnable ». Ce n’est pas ce que montre le résumé de l’intrigue, invraisemblable, ne serait-ce que par le fait que personne ne connaît personne dans cette famille. S’il a de l’esprit, il faut que le jeune auteur le mettre « au régime de la raison », au lieu d’accumuler les réminiscences, comme il l’a fait dans sa pièce : « ressemble à tout, et ne ressemble à rien ».]

THÉATRE IMPÉRIAL DE L'OPÉRA-COMIQUE.

La Folie musicale ou le Chanteur prisonnier.

On peut faire voler une main savante sur les touches du forté-piano et ne savoir pas écrire la musique de théâtre ; on peut être profond dans l'harmonie, et n'être qu'un médiocre compositeur ; il faut connoître son talent et ses forces ; c'est une grande science qui manque presque toujours aux plus savans.. Quand on a de la réputation dans un genre musical, la compromettre par l'ambition de s'élever à un autre, c'est vraiment là une folie musicale : celui qui l'a faite en aura cependant recueilli quelque fruit, si elle peut lui apprendre à s'en tenir à son piano.

Je crois que les acteurs ont aussi fait une folie musicale, lorsque sur la foi du gosier d'un de leurs camarades et sans autre caution que ses traits et ses roulades, ils ont reçu une pièce dont les paroles et la musique sont extrêmement foibles ; une pièce uniquement propre à grossir la liste des nouveautés infortunées, qui ne font que passer à ce théâtre comme des ombres. C'est avec raison qu'on loue le courage, la patience et le zèle infatigable des sociétaires de Feydeau qui ne se lassent point d'apprendre, de répéter et de jouer tant de rapsodies éphémères ; mais quand est-ce qu'on louera leur goût, leur discernement, leur prudence ?

On voit déjà que le mélomane, le chanteur prisonnier, c'est Martin; mais quand Martin lui-même feroit des roulades depuis le commencement de la pièce jusqu'à la fin, elle n'en serait que plus mauvaise. Martin est un excellent musicien, un chanteur très-distingué, dont la méthode est parfaite ; mais il n'est pas toujours très-bon juge de ce qui convient à la musique dramatique, je dirois même de ce qui convient à sa gloire théâtrale : presque jamais les airs qu'il choisit, qu'il se fait faire, ou qu'il .fait lui-même avec son musicien ne sont ceux que son rôle et la situation demandent ; ce sont des hors-d'.œuvre ordinairement très-ennuyeux par la longueur, par le défaut de chant, par la monotonie des passages, et, si l'on veut même, par leur .difficulté. Il n'est donc pas sage aux sociétaires de fonder le succès d'une mauvaise pièce sur les roulades de Martin, quelqu'agréables qu'on les suppose.

Il faut que les auteurs se persuadent toujours qu'un opéra comique, et même qu'un vaudeville doit être une petite comédie ; que cette petite comédie doit avoir une petite intrigue qui ne soit pas trop déraisonnable. Je voudrois qu'ils fissent graver en lettres d'or sur les murs de leur cabinet, ce vers de Boileau :

II faut même en chansons du bon sens et de l'art.

Puisque tous nos jeunes écrivains s'occupent aujourd'hui de chansons et de couplets, il est bon qu'ils sachent que la futilité même de ce genre ne l'affranchit pas des lois du sens commun. Le bon sens est le fondement de tout ; sans le bon sens, l'esprit devient à rien. Il est fort inutile d'amasser des magasins de sel quand on n'a rien à assaisonner :

Qu'est-ce qu'esprit ? Raison assaisonnée.

Les analyses de ces .sortes d'ouvrages sont des pièces justificatives de la folie des auteurs. Un oncle fait enfermer son neveu qu'il destinoit au barreau parce que ce neveu s'est livré à la musique qui l'a rendu fou : dans sa folie, il a fait beaucoup de dettes ; et les débiteurs qui ne paient pas ont cela de commun avec les fous, qu'on les enferme. Un débiteur en prison ne trouve pas d'argent ; mais quelquefois un fou retrouve la raison. L'oncle est curieux de savoir si son remède a opéré, et si so prisonnier est devenu plus sage ; il arrive au moment où le mélomane compose ; les idées ne venant pas, il est triste et rêveur ; l'oncle prend cette mélancolie pour un signe d'amendement ; mais bientôt le neveu entre en verve, l'enthousiasme le saisit : il chante-les délices d'une prison ; sujet neuf s'il en fût jamais. L'oncle a lieu de juger que son neveu est plus fou que jamais. Ce neveu a une cousine qui chante fort bien, quoiqu'elle ne soit pas folle de musique : elle s'intéresse beaucoup au cousin, s'introduit dans la prison pour le voir, et, d'une chambre voisine lui fait entendre une romance dont il est transporté. La chanteuse se fait connoître pour la nièce d'un homme que le prisonnier regarde comme un usurier impitoyable, et comme celui qui lui a ravi sa liberté. Mais n'importe, il est l'oncle d'une femme qui chante si bien : c'est un homme adorable ; et quand il apprend que cet honnête juif a un procès fâcheux qui peut le ruiner, il est prêt à se faire son avocat, quoiqu'il ait horreur du barreau; et ce qui est plus fort, il veut vendre, pour soulager cet usurier, un excellent violon qui lui a coûté deux cents louis. Ce dernier trait de folie enchante l'oncle : il pardonne à son neveu ; et après l'avoir fait enfermer parce qu'il était fou, il le fait sortir de prison plus fou qu'il n'y étoit entré. Ce qu'il y a de particulier à cette pièce, c'est que personne ne se connoît : l'oncle ne conçoit pas son neveu, le neveu ne connoît ni son oncle, ni sa cousine, ni son créancier ; et à tout cela le public ne connoît rien. Il y a cependant des traits dans le dialogue qui font connoître que l'auteur des paroles a de l'esprit. On exhorte ce jeune homme, nommé M. Francis, auteur de quelques jolis chansons, à nourrir mieux l'esprit qu'il peut avoir, à le mettre au régime de la raison ; cela lui donnera un peu d'embonpoint : alors il aura des idées à lui et ne vivra plus de réminiscences ; car l'auteur a emprunté de tous les côtés. Sa pièce ressemble à tout, et ne ressemble à rien.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome XI, novembre 1807,, p. 263-269 :

[Le début du compte rendu donne le ton général de l’opinion du critique : il souligne le danger d’un titre (cité d’ailleurs de façon à la fois inexacte et incomplète) qui promet « une folie » qui n’est finalement pas au rendez-vous. Dans le cas de la pièce nouvelle, la ressemblance flagrante avec la Mélomanie augmente encore la frustration du public. Le résumé de l’intrigue est fait avec une certaine distance, et s’achève sur la proclamation du nom des auteurs, avec gêne de la part de l’acteur chargé de cette mission. Certes les auteurs sont jeunes, mais ce n’est pas vraiment une excuse. Le parolier a de l’esprit, mais il n’a pas le sens du théâtre, et ses plaisanteries « ne sortent pas trop du sujet » (sont hors sujet) et « n’appartiennent point au ton des personnages » (sont inadaptées au personnage qui les prononce). Il n’a pas « fourni au musicien un cadre heureux et des situations favorables ». Le compositeur mérite, lui, qu’on le plaigne d’avoir dû composer de la musique sur un tel sujet. Il s’est trouvé face à un personnage qui ne fait que chanter « sans but, sans motif, sans liaison avec le sujet » des invocations à des personnages fort éloignés du sujet. Le talent de Martin, le chanteur, ne pouvait compenser le vide de la situation et de la composition. Néanmoins, le critique croit devoir encourager le jeune compositeur (fils d’un compositeur expérimenté) et l’invite à travailler, en lui donnant des conseils : celui de bien saisir la nature de l’opéra comique français, fondée sur « du chant et de l’expression » ; celui aussi de « se mettre en garde contre le piano », instrument mécanique, qui fournit trop facilement des solutions à la recherche du musicien : trop d’harmonie facile, pas assez de mélodie. Qu’il imite Mozart, qui ne s’approche pas de son piano quand il se sent « en verve ».]

Une Folie musicale.

Un conteur n'a plus qu'à se taire quand il a eu le malheur de promettre qu'il fera rire ; il naît aussitôt parmi ceux qui :l'écoutent une disposition telle qu'elle lui ôte tous les moyens de tenir sa parole. On peut en dire autant d'un auteur qui pour sa pièce choisit un titre annonçant à l'avance de la gaîté, de l'esprit, de la folie. De tels titres ont leur danger, comme l'avertissement du conteur. N'annoncez, ne promettez rien, ne vous engagez pas imprudemment, et si en effet votre ouvrage est une folie, si cette folie est courte et agréable, on le verra bien ; croyez que le public en rira beaucoup et vous en saura gré : avec ce juge sévère, qui a toujours à prononcer dans sa propre cause, la meilleure précaution oratoire est le talent.

De bonne foi , où l'auteur d'une Folie musicale a-t-il trouvé que sa pièce méritât ce titre ? A quoi les comédiens ont-ils jugé qu'ayant sur leur répertoire un ouvrage charmant, la Mélomanie, ils pouvaient sans danger pour l'amour-propre des nouveaux auteurs, les laisser traiter un sujet dont le fond est semblable ? Le public a tellement senti la ressemblance et la différence qui existent à la fois dans les deux opéra, que les comédiens sont impardonnables de n'avoir pas pressenti son arrêt.

Un mélomane auquel est destiné un modeste héritage de 50 mille livres de rentes, fait deux ou trois fois payer ses dettes au plus complaisant des oncles, lequel ne l'a pas vu depuis trente ans ; ce qui suppose que les dettes et les folies du musicien ne sont pas de la première jeunesse : las de payer toujours, et de laisser vieillir son neveu sans le, voir, indigné de ne pouvoir l'arracher à sa passion musicale, l'oncle prend, sous un nom supposé, le titre de créancier du mélomane, et le fait mettre en prison : or, une telle retraite convient à merveille à un homme enthousiaste du chant et de la composition : il y trouve une grande liberté, du silence, des voûtes sonores : cette prison est pour lui le temple de l'harmonie ; il n'en veut point sortir, sur-tout depuis que de la chambre voisine il a entendu une harpe mélodieuse, et vu sortir une femme charmante, qui s'est aussi mise en prison pour lui proposer à son tour de nouveaux liens, et le rendre deux fois captif. Les choses en cet état, l'oncle paraît, embrasse son neveu et paie ses dettes ; la jeune dame lui donne sa main, et voilà la pièce ; voilà ce qu'on nomme une folie. On ne saurait dire combien il y avait de jeunes gens au parterre qui seraient tentés d'en avoir une semblable à pareil prix : il y avait effectivement un très-grand nombre d'élèves musiciens, qui applaudissaient avec ferveur et les paroles et la musique. Ils sont même parvenus à rendre un mauvais office aux deux auteurs, en forçant Chenard à les nommer : Chenard paraissait un peu embarrassé de la commission, et a fait précéder adroitement la déclaration de leur nom de celle de leur jeune âge.

L'un d'eux, celui des paroles, a déjà concouru en communauté d'esprit et de gaîté, à la confection d'un grand nombre de vaudevilles qui ont réussi ; abandonné cette fois à ses propres forces, il nous a paru manier le sarcasme et décocher le trait épigrammatique avec assez d'aisance, mais mettre peu de soin à combiner une action, une intrigue, des ressorts comiques quelconques. Il n'y a rien dans sa pièce que quelques plaisanteries qui ne sortent pas trop du sujet, mais que le public a aussi vivement applaudies que si elles eussent été à leur place ; la plupart cependant n'appartiennent point au ton des personnages : il y a sur-tout un geolier qui a bien de l'érudition, et un valet qui a bien de l'esprit ; mais tout cela ne serait rien, si l'auteur, remplissant son titre, eût vraiment fourni au musicien un cadre heureux et des situations favorables.

Loin de là, nous plaignons sincèrement le jeune professeur que le titre de cet ouvrage a séduit : il n'a pas assez vu qu'il n'y avait dans la Folie musicale, aucune folie à mettre en musique. Champein, Cimarosa, Fioraventi et beaucoup d'autres, avec des moyens inégaux, ont également réussi dans leurs mélomanies. Ce sujet plaît à un théâtre lyrique, comme celui du dansomane à l'opéra ; mais leurs fous de musique sont dans une situation où leur manie est amusante, parce qu'elle est gaie et variée, et mise en action. Ici, c'est une scène de composition ; là, une répétition d'opéra ; ailleurs, un concert ; mais dans la pièce nouvelle le mélomane chante, chante encore, et chante toujours, sans but, sans motif, sans liaison avec le sujet. Et puis que chante-t-il ? Il invoque Apollon, Polymnie et Orphée, et je crois même le facteur célèbre Stradivarius ; toutes ces invocations froides et bannales ne peuvent faire naître dans la tête du compositeur que des idées vagues, des phrases de chants communes, ou plutôt point de chant du tout. Martin a fait habilement de brillans, mais inutiles efforts, pour couvrir le vide d'une telle situation, et celui d'une composition dans laquelle des traits agréables ne peuvent couvrir et dissimuler la nudité de l'ensemble.

Ce défaut de succès ne doit point décourager le jeune compositeur dont il est question ; fils d'un professeur habile, qui, aux dettes près, est un peu l'homme de la pièce nouvelle, professeur distingué lui-même, et connu par des productions légères, pleines de grace et de fraîcheur, il a besoin d'étudier, non la petite manière qui domine dans la plupart des bluettes nouvelles, mais cette expression dramatique, chantante, et toujours bien déclamée, qui règne dans les belles partitions, et qui seule fait la fortune des ouvrages lyriques : du chant et de l'expression, il est impossible de sortir de là à l'opéra comique français ; et si l'opéra italien nous ravit et nous enchante, quand l'ouvrage d'un maître est bien exécuté, c'est qu'à des chants exquis dont, à la vérité, cette école semble avoir seule le secret, on trouve réunie une expression piquante et originale, ou touchante, ou comique, mais une expression toujours vraie, toujours juste, sans laquelle la musique n'est qu'une suite d'accords insignifians et de préludes décousus : pour parvenir à cette grande expression, il faut peut-être se mettre en garde contre le piano, instrument sur lequel excelle le jeune compositeur dont nous parlons ; le piano nous semble être pour le compositeur, ce que le Dictionnaire de rimes est pour le poëte : on y trouve tout, on l'y trouve vîte. L'on suit avec trop de facilité une idée qui se présente, et · qu'on n'eût pas choisie, si on l'eût cherchée. Quoi qu'on y fasse, on est séduit par une certaine harmonie, et l'on perd de vue l'objet essentiel, l'objet unique, la mélodie, l'expression, la vérité, sans lesquelles il n'y a ni salut au théâtre, ni réputation au-delà de l'enceinte des écoles : quand Mozart était en verve, nous dit l'auteur de sa vie, il n'approchait jamais du piano : ce n'est pas que sa tête ne fût un instrument plus vaste encore, et que son imagination ne fût plus rapide que ses doigts ; mais dans ses compositions dramatiques, il voulait s'attacher à la pensée, et eût craint de s'abandonner au mécanisme. Cet exemple mérite d'être cité.                   S...

D’après Nicole Wild et David Charlton, Théâtre de l'Opéra-Comique Paris : répertoire 1762-1972, p. 261, la Folie musicale, ou le Chanteur prisonnier est un opéra-comique en un acte, livret de François d’Allarde, musique de Louis-Barthélémy Pradher, créé le 24 septembre 1807. Il a connu trois représentations seulement. Ils lui connaissent un autre titre : la Folie musicale, ou le Chanteur en prison.

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