Le Faux insouciant

Le Faux insouciant, comédie en cinq actes & en vers ; par M. de Maisonneuve, 5 juillet 1792.

Théâtre de la Nation.

Titre :

Faux Insouciant (le)

Genre

comédie

Nombre d'actes :

5

Vers / prose

en vers

Musique :

non

Date de création :

5 juillet 1792

Théâtre :

Théâtre de la Nation

Auteur(s) des paroles :

M. de Maisonneuve

Journal encyclopédique ou universel, tome LXXIV (Juillet-décembre 1792) (Slatkine Reprints,1967,p. 64-65 (tome V, vingt juillet, n° XX, p. 511-515) :

[Le critique plutôt favorable à la pièce, cherche à s’expliquer pourquoi elle a paru froide au public, qui pourtant l’a appréciée. Il considère que c’est la meilleure des œuvres, pourtant estimables, de M. Maisonneuve.]

T H É ATRE DE LA N AT I O N.

La comédie du Faux-Insouciant, en cinq actes & en vers, représentée pour la premiere fois le 5 de ce mois, pourroit être aussi intitulée, l'Homme sensible malgré lui. On sent combien ce caractere est d'un heureux choix, combien il prête à la fois au comique, à l'intérêt, & à la morale.

Cet homme sensible , qui ne veut plus l'être, est M. Dorville, militaire âgé de 52 ans. Il en a servi 30. Le prix de ses services lui étoit dû & promis: mais il essuie des passe-droits. Il se rebute, & se retire dans son château, résolu de ne plus vivre que pour lui. Un faux ami le confirme dans cette résolution par ses conseils & par son exemple. C'est M. de Roselle, égoïste dur & poli, dont toute la conduite est une insouciance froidement calculée. Il a un neveu nommé Germeuil. C'est à lui que Dorville, de concert avec son faux ami, veut donner sa fille Angélique. Une fois ce mariage conclu, le pere sera tranquille. C'est à quoi il aspire. Germeuil arrive dans cet espoir au château, qui est le lieu de la scene. Damis , neveu de M. Dorville, y arrive en même tems avec le chevalier, amant aimé d'Angélique.

Damis & son ami s'informent de ce qui se passe au nouveau fermier Thomas, qui , dans l'intention de les mettre au fait, leur dit tour-à-tour & sans les connoître, des vérités piquantes : scene d'exposition très-comique,

Il est a propos de dire que ce jovial Thomas remplace depuis peu le fermier Michaut, vieux serviteur chargé d'une nombreuse famille. Mais son grand âge commence à devenir incommode à M. Dorville, dont la bonté naturelle ne pourroit s'empêcher de prendre intérêt à la famille de ce fermier : c'est ce qu'il craint. Thomas est amusant : voilà l'homme qu'il lui faut, dans son nouveau systême.

Instruite de la liaison de son oncle avec Roselle & des principes qu'il a adoptés , Madame Florimon, jeune veuve douce & serviable, s'empresse de se rendre auprès de lui pour le ramener à son vrai caractere. Elle reçoit des villageois cet accueil touchant, qui est le prix de la vertu bienfaisante. Cet hommage , dont M. Dorville est témoin, est une leçon pour lui, leçon bien propre à lui faire regretter ces jouissances du cœur, que l'insouciance ne connoît pas. Elle cherche à éconduire Roselle, qui s’esquive adroitement les explications. Elle rassure Angélique & le chevalier  ; elle se flatte de faire consentir son oncle à leur mariage, mariage très-assorti, & fondé sur un penchant mutuel. Une incartade du chevalier met un obstacle à ses prudentes mesures. Il provoque en duel son rival ;
& l'oncle irrité motive ses refus sur le caractere impétueux d'un jeune homme, qui troubleroit son repos domestique, s'il étoit son gendre.

Dorville lutte sans cesse contre sa sensibilité naturelle, & sans cesse il est près de s'y livrer malgré lui. Un nouvel incident le met à une nouvelle épreuve. Damis, frere de Madame Florimon, a fait un billet d'honneur. Il compte dans l'embarras où il se trouve, sur les bontés de son oncle.- Mais celui-ci, qui s'est fait un principe de ne plus se mêler des affaires d'autrui, veut qu'il se tire d'embarras, comme il pourra. Sa sœur acquitte sa créance. Damis, qui croit avoir cette obligation à son oncle, vient l'en remercier avec toute l'effusion de la reconnoissance; Celui-ci a le regret de sentir qu'elle ne lui est pas due.

Roselle, froid témoin de tout, sans paroître prendre part à rien, lui en impose Par sa présence, Dorville se l'est proposé pour modele. Plus Madame Florimon observe le faux ami, plus elle se confirme dans les raisons qu'elle a de croire, qu'il est le même, qu'un certain M. Dermon, homme indigne , qui a poussé son insouciance immorale & barbare, jusqu'à laisser sa femme & ses enfans dans un cruel abandon, après avoir placé tous ses revenus sur sa tête en rentes viageres. Si elle peut le démasquer, elle est bien sûre de guérir son oncle de son faux système. Elle a mandé un notaire qui connoît l'homme en question. Germeuil, qui est bien loin de suivre les principes de son oncle, a renoncé de lui-même, à la main d'Angélique. Le notaire arrive pour le contrat des deux amans. Roselle reconnu pour Dermon , cede le terrein, & prend lui-même son congé. Dorville, détrompé par sa niece, dont l'activité serviable lui a fait obtenir du ministre un gouvernement, renonce à son insouciance affectée, & systématique. Il la remercie de l'avoir rendu à lui même ; il condamne l'indifférence coupable de ces lâches insoucians qui font beaucoup de mal, ne faisant pas le bien, il veut faire le bonheur de sa fille & de tout ce qui l'entoure, & le vieux Michaut rentre dans sa ferme.

Cette piece a été en général fort applaudie. Mais son succès n'a pas été aussi brillant que M. de Maisonneuve, auteur de Roxelane & de Mustapha avoit droit de l'attendre. Elle est très-bien conduite & très bien écrite. Rien de mieux tracé que le caractere de Dorville. Rien de plus touchant, de plus aimable, de plus vrai que celui de Madame Florimon. Comment se fait-il néanmoins que la piece ait paru un peu froide ? Ne seroit ce pas que les autres personnages sont effacés par les deux premiers, & que l'intérêt que les deux amans devroient inspirer est trop foible ? Ne seroit-ce pas que le véritable insouciant, M. de Roselle, qui ne dit & ne fait presque rien, est essentiellement peu dramatique ? Puisque l'essence du théâtre est l'action & le dialogue. Quoi qu'il en soit, la piece, dans son ensemble & dans ses details, est un ouvrage d'un ordre très-distingué, une comédie du vrai genre, préférable peut-être aux autres ouvrages de l’auteur, couronnés par de plus grands succès.

Journal encyclopédique ou universel, tome LXXIV (Juillet-décembre 1792) (Slatkine Reprints,1967,p. 95 (tome V, trente juillet, n° XXI, p. 67) :

Vers sur la première représentation du Faux insouciant. Par M. S***., R***.

L’Homme, sur ses défauts, redoute qu’on l’éclaire ;
De la raison envain l’on se fait un appui ;
Ce n’est qu’en l’abusant qu’on parvient à lui plaire.
Ainsi qu’il fut toujours, il se montre aujourd’hui.
Indulgent aux flatteurs, il blâme qui l’afflige,
Et juge avec humeur celui qui le corrige.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1792, volume 9 (septembre 1792), p. 321-325 :

[Compte rendu quid ésire montrer que le sujet est impossible, parce que l'insouciance ne peut être considéré comme un caractère, parce que l’insouciant est ou un égoïste et un hypocrite, ou un imbécile qui ne prend même pas soin de ses intérêts : «  ce caractere-là est faux ; il ne peut exister dans la société ». Un long paragraphe, au début du compte rendu, établit avec soin l’inexistence de l’insouciant, simple nuance de l’égoïsme.

Une fois ce fait établi, le compte rendu résume longuement la pièce, avant de porter un jugement sévère : la pièce n’a pas réussi : trop longue, trop froide, trop mal conçue, montrant des caractère « repoussant[s] », qui ne sont « point dans la nature » (on ne peut imaginer quelqu’un qui « repousse des êtres vertueux » : « ce personnage ne peut produire aucun intérêt ». La pièce nouvelle est rapprochée aux grands classiques de l'hypocrisie et de l’égoïsme (Tartuffe et Misanthrope en tête). Et si le public a applaudi, « car la piece a été souvent applaudie », elle le doit à « un grand mérite de style & des détails brillans ». L’auteur, dont le critique fait l’éloge, s’est trompé « dans les moyens qu’il a mis en oeuvre », «  il a vainement lutté contre les difficultés de son sujet ».

Le compte rendu s’achève sur de vifs compliments aux acteurs : interprétation remarquable, comme toujours au Théâtre de la Nation...]

THÉATRE DE LA NATION.

Le jeudi 5 juillet, on a donné la premiere représentation du Faux Insouciant, comédie en cinq actes & en vers.

Avant de faire connoître plus particuliérement cette piece, nous demanderons à nos lecteurs s'il existe des insoucians, sous l'acception entiere que présente l'insouciance qui n'est point un caractere, mais seulement une nuance ? Un insouciant est-il un homme qui ne s'inquiete jamais des autres, pourvu qu'il soit heureux ? qui fuit les malheureux pour n'avoir point à s'attendrir sur leurs maux ? qui sacrifieroit parens, amis, fortune, honneurs, dignités, à la passive tranquillisé de son inutile existence ? Sous ce point de vue l'original de ce tableau ne seroit point un insouciant, mais bien un égoïste. A ce titre, Tartufe & Orgon seroient des insoucians ; le Philinte de Moliere seroit un insouciant ; l'Homme du jour de Boissy, seroit encore un insouciant, &c. Mais nous sommes convenus de donner à ces personnages une épithete un peu moins froide que celle d'insoucians : nous les regardons comme des hypocrites, des hommes faux & trompeurs, des égoïstes en un mot. Si un insouciant est au contraire un homme qui s'est fait un système pour vivre tranquille, qui s'est décidé à ne se mêler de rien, à ne s'inquiéter de rien, pas même de ses propres infortunes, ce caractere-là est faux ; il ne peut exister dans la société. On n'y rencontre point d'êtres, qui, assez passifs pour ne point s'affliger des malheurs des autres, le soient au point de ne pas sentir même leurs propres chagrins. De tels êtres, s'il en est, ne sont point des insoucians, mais des sots & des insensés. Tout homme, quelque dur qu'il soit, sort de son apathie quand il s'agit de son individu, de ses intérêts. Quelle est donc la véritable nuance de l'insouciance, car elle existe, & nous croyons qu'elle n'est elle-même qu'une nuance de l'égoïsme ? On peut être insouciant sans être méchant; si l'on est méchant, on est plus qu'insouciant, on est égoïste. Voyons maintenant le sujet de la nouvelle comédie.

Un M. de Roselle s'est introduit dans la maison de Dorville. Ce M. de Roselle est un égoïste, qui pour vivre tranquille, pour éviter toute gêne, tout embarras, ne se mêle de rien, n'oblige personne, & rit de tout ce qu'il voit : il a réduit l'égoïsme en système ; & Dorville, homme d'ailleurs généreux & sensible, s'est passionné, on ne sait pourquoi, pour ce système atroce, destructeur de tout lien social & privé. Voilà Dorville, qui, pour obtenir la tranquillité dont il voit jouir son ami Roselle, s'étudie à devenir insouciant, c'est-à-dire, égoïste comme lui. Son neveu a fait des folies de jeunes gens ; Dorvílle rejette de son sein ce neveu que dans le fonds il aime. Son fermier Michau, pere de huit enfans, est un honnête homme, mais triste, mais vieux & sombre. Dorville n'aime point d'ailleurs à voir chez lui une troupe d'enfans. Dorville renvoie donc Michau & sa famille pour prendre Thomas, garçon malin, qui rit toujours, qui l'amusera, le divertira. Dorville enfin, pour compléter le malheur de tout ce qui l'entoure, veut marier sa fille Angélique au neveu de Roselle. En vain Angélique se jette aux genoux de son pere : elle aime le chevalier, ami de son cousin ; elle supplie Dorville de ne point contraindre son inclination : Dorville lui répond à-peu-près comme Orgon du Tartuffe.

Allons, ferme, mon cœur ; point de foiblesse humaine.

Les choses en sont-là, lorsque Mme. Florimon, niece de Dorville, femme-sensible, spirituelle, & qui a toujours eu le plus puissant ascendant sur l'esprit de son oncle, arrive dans son château. Etonnée du désordre qu'elle y trouve, elle apprend que Roselle en est la cause, & que son oncle est dominé par un faux systême d'insouciance qui rend malheureux tout le monde. Mme. Florimon, persuadée que le bon cœur de son oncle ne tiendra pas long-tems contre ce rôle, qui n'est pas fait pour lui, attaque d'abord sa sensibilité : elle s'en prend ensuite à Roselle, que rien n'émeut, pas même le persifflage ni les reproches sérieux : elle paie une dette pressée pour son cousin : enfin, elle engage Germeuil, neveu de Roselle, à céder généreusement la main d'Angélique à celui qu'elle aime. Peu-à-peu le faux insouciant revient de son erreur, &, pour achever de l'en dégager, il apprend à la fin que ce Roselle, qui l'y avoit plongé, a abandonné sa femme & ses enfans pour vivre plus tranquille.

Tel est le fonds de cet ouvrage , qui n'a point satisfait le public. On l'a trouvé long, froid & mal conçu. Le caractere de Roselle a paru repoussant : on a jugé que celui de Dorville n'étoit point dans la nature. En effet, qu'un homme dise à des gens qui l'ont trompé : je vous abandonnerai, & je vivrai pour moi, rien de plus naturel : mais qu'un homme repousse des étres vertueux, & réduise son égoïsme en systême, ce personnage ne peut produire aucun intérêt : un homme sensible d'ailleurs ne prendra jamais ce travers, & n'offrira tout au plus qu'un caractere comme celui du Bourru bienfaisant. On ne sait pourquoi aussi, en voyant cet ouvrage, on se rappelle, sans le vouloir, & le Misanthrope, & le Tartufe, & le Philinte de M. Fabre d Eglantine, & les Dehors trompeurs, &c. Si le public s’est rendu compte de ses sensations, il verra clairement que le faux insouciant ne lui présentoit que des nuances de tous ces personnages. Il y a néanmoins, dans cet ouvrage, un grand mérite de style & des détails brillans ; & c'est sans doute à ce rare mérite qu'il a dû son succès : car la piece a été souvent applaudie ; & l'on en a demandé l'auteur : c'est un homme de mérite, M. de Maisonneuve, à qui l'on doit l'intéressante tragédie de Mustapha & Roxelane. Mais il nous semble qu'il s'est trompé cette fois-ci dans les moyens qu'il a mis en œuvre ; & il a vainement lutté contre les difficultés de son sujet. Dire que M. Molè & Mlle. Comtat se sont surpassés dans les rôles difficiles de Dorville & de Mme. Florimon, c'est ne rien apprendre au public. M. Dazincourt a tiré le plus grand parti du petit rôle de Thomas ; & MM. Fleury , S. Fal, Naudet, Dupont, ainsi que Mlle. Mezeray, ont joué les autres rôles de cette piece avec cette perfection & cet ensemble qui caractériseront toujours la bonne comédie à ce théatre.

D’après la base César, la pièce a eu 4 représentations, du 5 juillet au 26 juillet 1792 (plus une représentations sans date ni lieu). Nombre de représentations identique, toutes en 1792, dans la base La Grange de la Comédie Française.

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