Géta

Géta, tragédie en 5 actes, par le C. Petitot. 6 Prairial an 5 (25 mai 1797).

Théâtre françois de la rue de Louvois

Titre :

Géta

Genre

tragédie

Nombre d'actes :

5

Vers / prose

en vers

Musique :

non

Date de création :

6 prairial an 5 (25 mai 1797)

Théâtre :

Théâtre Français de la rue de Louvois

Auteur(s) des paroles :

Petitot

Almanach des Muses 1798.

Action qui a de la ressemblance avec celle de Britannicus.

Meurtre de Géta par Caracalla son frère. Ce dernier se tue ensuite : ce qui est directement opposé à l'un des traits historiques le plus connu ; car personne n'ignore que le féroce Caracalla n'a régné que trop long-temps pour l'humanité.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Delavigne, sans date :

Géta, tragédie en cinq actes, de M. Petitot, Représentée, pour la première fois, par les Comédiens Français, le 25 Mai 1797.

Le texte de la pièce est précédé d'une préface, p. iij à vij :

PRÉFACE.

J'ai cherché, dans cette pièce, à observer scrupuleusement les règles du théâtre ; le Public m'a su gré de l'intention, et ce n'est sûrement qu'à cela que j'ai dû son indulgence. On m'a fait quelques reproches auxquels je ne répondrais pas, si je n'avais à justifier les principes que j'ai adoptés, et dont j'ai peut-être fait une mauvaise application.

On a trouvé, dans le sujet de Géta, une grande ressemblance avec celui de Britannicus. J'avoue que, lorsque je commençai ma tragédie, je fus tellement effrayé de cette ressemblance, que je fus sur le point d'abandonner entièrement mon entreprise. Cependant, en y réfléchissant, je crus remarquer que les personnages n'étaient point dans la même position, qu'ils n'avaient point les mêmes caractères, et que les couleurs locales étaient absolument différentes. En effet, quoi qu'en ait dit, peut-être trop légèrement, un journaliste(1), Antonin et Géta ne ressemblent pas à Néron et à Britannicus, puisqu'ils ont la même portion d'autorité, puisque l'ambition n'a presque aucune part à leurs divisions. Agrippine, toujours sublime dans son dépit, et dans ses emportemens, voulant bouleverser l'Empire et mettre Britannicus sur le trône, parce qu'elle a perdu son crédit à la cour de Néron, n'a aucun rapport avec Julie, si bien peinte par Hérodien, et que le Peuple romain comparaît à la malheureuse Jocaste. Narcisse, dont le caractère nous semble un chef-d'œuvre, par la manière habile dont il est ménagé et développé, ne ressemble point à un conjuré, qui n'a pour objet que de s'emparer de l'Empire par tous les moyens qui sont en son pouvoir. Papinien, que l'histoire a si justement immortalisé, était le rôle qui paraissait le plus se rapprocher de Burrhus ; aussi ai-je fait tous mes efforts pour ne point le mettre dans la même situation. Les moyens qu'il emploie pour renverser les projets d'un guerrier ambitieux, sont bien différens de ceux dont se sert Burrhus contre un affranchi.

Je crois, par ce rapprochement qu'on m'a obligé de faire, et qui nuit tant à mon ouvrage, avoir démontré jusqu'à l'évidence, que je n'ai point imité servilement Racine.

On a fait d'autres critiques plus fondées ; et je dois à ceux qui ont bien voulu me les adresser avec cette modération qui honore les gens de lettres, une explication sur les motifs qui m'ont dirigé lorsque j'ai tracé mon plan. « Antonin, a-t-on dit, n'a point le caractère que la postérité lui assigne ; son suicide est contraire à l'histoire ; l'auteur a relegué dans les entre-actes deux scènes qui auraient pu produire de l'effet au théâtre ». Je n'ai pas cru pouvoir présenter dans toute sa noirceur, un monstre tel que Caracalla ; il m'a semblé que le héros d'une tragédie ne devait jamais inspirer l'horreur, sans que ce sentiment fût accompagné de la pitié qui doit l'adoucir. J'ai donc fait tous mes efforts pour fixer sur lui cet intérêt que fait naître un malheureux, dominé par un naturel féroce, qui lutte en vain contre le crime, et qui y est entraîné par de perfides conseils. Je me suis conformé, en cela, à l'idée qu'avaient les anciens, d'un personnage tragique qui ne doit être, ni entièrement vertueux, ni entièrement criminel. Après avoir ainsi établi le caractère de mon héros, je ne pouvais me dispenser de lui donner des remords, et de le porter à se punir lui-même de son crime. On voit que ce denouement est la conséquence de la manière dont j'avais conçu le rôle d'Antonin. Je pourrais au reste excuser la liberté que j'ai prise d'altérer l'histoire, par d'illustres exemples, et sur tout par celui d'Héraclius.

D'ailleurs j'ai toujours pensé que la vérité dramatique consistait moins dans l'observation de la chronologie, que dans la peinture sévère des mœurs, et le rapprochement exact des événemens remarquables qui ont distingué un siècle. D'après ce principe, j'ai puisé dans Hérodien toutes les couleurs locales que ce célèbre historien me présentait : je lui dois même une scène entière qui, dans l'original, est du pathétique le plus touchant. J'ai cherché encore à peindre les horreurs qu'entraîne après lui le gouvernement militaire, aussi funeste peut-être que l'anarchie constituée qui a désolé la France.

Je réponds enfin au dernier reproche que l'on m'a fait. On a pensé que j'aurais dû mettre en action le récit que fait Macrin, au quatrième acte, des moyens affreux qu'il a employés pour rallumer la fureur d'Antonin, et l'assassinat de Géta dans les bras de sa mère. Je conviens que ce fut ma première idée ; mais quand je réfléchis à la profonde horreur que pourraient inspirer ces deux scènes, je me décidai à les soustraire aux yeux des spectateurs, en me conformant à ce· principe de Boileau :

Mais il est des objets que l'art judicieux
Doit offrir à l'oreille, et reculer des yeux.

Voilà quelles ont été mes intentions, dans ma manière de traiter le sujet de Géta. Je le répète encore, je n'ai point prétendu justifier mes défauts par des digressions inutiles et orgueilleuses ; j'ai seulement cherché à développer des principes que je crois bons en général, mais qui doivent avoir une application particulière pour chaque sujet tragique. Au reste, la meilleure réponse que je puisse faire aux personnes qui ont examiné et critiqué ma tragédie, c'est de profiter de leurs avis, et de faire des nouvelles réflexions sur un art que la pratique seule peut enseigner, et dans lequel, on ne réussit souvent qu'après avoir donné dans bien des erreurs.

Courrier des spectacles, n° 140 du 7 prairial an 5 [26 mai 1797], p. 2-3 :

[Pour rendre compte d’une tragédie, le genre roi, il faut commencer par évoquer les pièces antérieures sur le même sujet. Ici, c’est simple, il n’y en a qu’une, et le critique n’en dit rien après l’avoir simplement signalée. Il en dira un tout petit peu plus à la fin. Il entame ensuite une analyse de la nouvelle tragédie. Et il prend garde de n’oublier aucun détail : on suit pas à pas les progrès des intrigues entre les deux frères (dont l’inévitable intrigue amoureuse), et entre ceux-ci et le traitre Macrin. Les rebondissements sont nombreux, les trahisons sont nombreuses. La fin de la tragédie est bien sûr tragique, comme il convient : Géta meurt sous les coups de son frère, Macrin, qui tente de devenir empereur et de faire condamner à mort Antonin, est démasqué, et c’est lui qu’Antonin envoie au supplice, avant d’abdiquer et de se tuer. Le dernier temps d’une critique consiste à apporter les éléments de jugement nécessaires aux futurs spectateurs (qui ne seront pas surpris à la représentation, tant le résume de l’intrigue a mis fin à tout suspens) : la représentation a été heureuse, les applaudissements ont été abondants, mais après un premier acte prometteur, qui semblait surpasser la pièce de Péchantré, c’est à la pièce de Péchantré que le critique donne la préférence, même si sa versification est inférieure à la pièce nouvelle. Le principal reproche (et le seul que le critique formule), c’est de ne pas avoir respecté l’exactitude historique : dans les annales de Rome, Macrin fait assassiner Antonin et règne deux ans. Ici, c’est Antonin qui condamne Macrin à mort. Les interprètes ont droit à un jugement collectif favorable, et seul l’acteur qui jouait Macrin se voit décerner un éloge particulier : il donne « les plus grandes espérances ».]

Théâtre Français.

Péchantré donna, en 1687, une tragédie de Géta, qui réussit alors et réussiroit peut-être encore aujourd’hui. M. Petitot vient de traiter de nouveau ce sujet. La première représentation de sa piece fut donnée hier, et fut applaudie. En voici l’analyse :

Macrin, né dans l'obscurité, après avoir été gladiateur, s’est vu élevé à la préture par les bienfaits de l'Empereur Severe. Après la mort de ce prince, il forme le projet de lui succéder, et a, à ce dessein , semé la division entre ses deux fils, Antonin et Géta. Les deux frères sont rivaux sans le savoir. Ils aiment tous deux Plautie, fille de Cinna, et Géta est celui que préfère cette jeune princesse, dont l’amour est approuvé par Julie, mère des princes. On attend leur retour, et la tendre Plautie, charmée de revoir son amant, redoute la présence d'Antonin. Ils arrivent tous deux, et déploient leur caractère. Celui d’Antonin est la fierté et la violence ; celui de Géta est la douceur ; cédant aux prières de leur mère, ils se réconcilient, mais c'est pour se brouiller bientôt, en apprenant qu’ils aiment le même objet. Cependant Antonin, gagné de nouveau par les dis cours de sa mère, et la douceur de son frère, modère ses transports, et est prêt à les oublier lorsque Macrin 1es ranime en lui parlant de Plautie, et lui peignant son frère comme son plus grand ennemi. Il le détourne sur-tout du dessein où il est d’éloigner son rival de lui, et lui représente son éloignement comme dangereux pour sa sûreté. Pompinien, consul, qui a élevé les enfans de Severe, et qui est resté attaché à sa famille, pénètre la conduite de Macrin, et lui déclare qu'il saura s'opposer à ses desseins. Cependant Antonin, persistant dans son projet, de partager l’Empire avec son frère, lui propose d’aller régner en Asie, tandis que lui, Antonin, conservera l’Europe ; et lui apprend que Plautie, ne pouvant être à son amant, se fait vestale. Géta consent à tout, et se dispose à partir. Ils se rendent au sénat ; mais le fidèle Pompinien annonce à Julie qu’une sédition est prête à éclater parmi les troupes. Ils soupçonnent tous deux que Macrin en est le chef. On a voulu assassiner Géta ; c’est par l’ordre de son frere ; Macrin a gagné le soldat qui devoit le frapper, mais Pompinien a prévu et empêché le crime. Antonin, qui le croit consommé, est surpris de voir son frère. Les remords l’accablent ; il s’avoue coupable ; son frère lui pardonne. Cette générosité ramène Antonin ; mais Macrin, qui voit tous ses projets renversés, fait apporter la nouvelle au prince que la révolte est dans le camp, qu’il est soulevé contre lui en faveur de Géta. La fureur se ranime dans le cœur d’Antonin ; il va percer son frère de sa propre main, et se livre bientôt à de nouveaux remords. Macrin profite de l’assassinat de Géta pour se faire déclarer Empereur par les troupes, et condamne Antonin à la mort. Pompinien arrive à la tête du sénat devant lequel il a traduit l’esclave qui devoit d’abord assassiner Géta. Cet esclave a déclaré qu’il obéissoit à Macrin. Pompinien harangue les soldats, leur persuade d'abandonner un scélérat dans la personne de Macrin. Antonin use du pouvoir souverain qu’il recouvre pour envoyer ce traitre au supplice, et après avoir abdiqué la couronne, il se tue.

Malgré les applaudissemens donnés à cette tragédie, dont le premier acte sembloit promettre beaucoup, et qui, à plusieurs égard, paroissoit mieux prise que celle de Péchantré. Nous ne dissimulons pas que nous trouvons cette dernière bien au-dessus, quoiqu’elle ne présente pas d’aussi beaux vers. Un des défauts les plus apparens de la nouvelle pièce, et le seul que le temps nous permet de relever, c'est l’anachronisme qui nous paroit un peu fort dans l’histoire. Macrin a succédé à Antonin , qu'il avoit fait assassiner, et a régné plus de deux ans ; et ici c’est Antonin qui condamne Macrin au supplice. Tous les rôles ont été parfaitement joués ; celui de Macrin a été rendu par M. Chevreuil, de manière à donner les plus grandes espérances de son talent.

L. P.          

Courrier des spectacles, n° 146, du 13 prairial an 5 [1er juin 1797], p. 3-4 :

Théâtre Français.

Nous avons donné le 7 de ce mois, dans notre numéro 140, l’analyse de Géta, tragédie, représentée la veille à ce théâtre. Voici les divers jugemens que nous avons recueillis depuis sur cet ouvrage.

Journal de Paris , 8 prairial.

Cette pièce, dans laquelle on a applaudi quelques beautés, et sur-tout un assez grand nombre de vers sentencieux, n’a pas eu le succès que sembloit promettre le premier acte. L’ana lyse en seroit longue et pénible pour les lecteurs. Le prolongement de l’action n’est fondé que sur des incidens peu-intéressans, des raccommodemens sans objet, et des remords peu naturels.

On reproche à l’auteur d’avoir altéré l’histoire dans un point capital. Antonin se tue après le meurtre de son frère, tandis que ce monstre a régné trop long-temps pour l’humanité.

On lui reproche également une maladresse qui nuit beaucoup à son succès, c'est une similitude avec la tragédie de Britannicus ; car Géta a aussi son Narcisse ; le spectateur est obligé, malgré lui, d’en faire la comparaison.

Cette pièce a été jouée avec un ensemble précieux, par MM. Saint-Prix, Saint-Fal, Vanhove et Chevreuil ; et par mesdemoiselles Raucour et Simon.

Le Déjeûner, du 8 prairial.

Cet ouvrage a été généralement applaudi, sur-tout au second acte, et dans la scène de réconciliation entre Antonin et Géta au quatrième acte. Cette scène annonce un grand talent. Cependant on peut reprocher à la pièce, en général, un peu de froideur, et de la foiblesse dans les moyens ;, souvent les scènes intéressantes se passent dans les entr'actes ; telles que celles où. Antonin prend la résolution d’assassiner son frère par les conseils de Macrin. On pouvoit aussi tirer plus de parti de l’amour des deux frères pour Plautie. Le style a souvent de la couleur, et de très-beaux vers ont été universellement applaudis, entr’autres celui-ci, que nous avons retenu :

« Et l'aspect de la mort est la leçon de l'homme.»

(La suite au prochain Numéro.)          

Courrier des spectacles, n° 147, du 14 prairial an 5 [2 juin 1797], p. 2-3 :

Suite du jugement des Journaux, sur la tragédie de Géta.

Journal d'indications , du 8 prairial.

Ce sont les funestes effets de la haine, de l’amour et de l’ambition, que le poète offre dans cet ouvrage. Cependant aucun des caractères n’est parfaitement dessiné. L’amour des deux frères pour Plautie, n’est autre chose qu’un motif de plus pour Antonin de haïr Géta ; il n’est là qu’une passion secondaire. Le caractère d’Antonin n’est pas celui que l’histoire lui a donné, ni même celui qu’on lui avoit accordé. Au premier acte, il est impatient, fougueux, franc et sauvage ; il a le cœur d’un vandale et la férocité d’un parthe ; dans les actes suivans il est un prince cruel, foible, irrésolu, maîtrisé par Macrin.

Le rôle du préfet du prétoire est celui d’un lâche, d’un scélérat obscur, mais adroit ; il frappe dans l’ombre ; on est étonné du succès de ce scélérat ; on n’a connu ni ses ressources, ni son plan, ni ses complices.

On ne voit jamais agir le consul ; il paroît toujours pour faire des récits ; on aime cependant son courage et sa franchise. Les scènes dans lesquelles il ose démasquer Macrin, ou le combattre, sont, à mon gré, ce qu’il y a de mieux dans la pièce.

Le caractère de Julie est parfaitement dessiné ; il a de l’ensemble et se soutient toujours ; celui de Géta peint un bon cœur, mais il n’est pas celui d’un héros ni d’un homme prudent.

Le premier acte est bien fait ; les règles de l’art sont exactement observées. Il règne de très-belles scènes dans les actes suivans ; mais les situations se répètent ; l’action languit quelquefois, l’intérêt ne va pas toujours en croissant, le dénouement n'a pas fait généralement plaisir ; l’auteur auroit pu tirer un meilleur parti de l'historique même des événemens, et produire un plus grand effet.

On a remarqué de très-beaux vers dans cette tragédie. Il y a quelques morceaux foibles, négligés quelquefois, mais la magie du style n'a pas peu contribué à son heureux succès. L’auteur est le citoyen Petitot.

Saint-Prix, Saint-Fal, Vanhove et la citoyenne Raucour étoient chargés des principaux rôles. Chevreuil, dans le rôle odieux de Macrin, a été très-applaudi.

L'Esprit des journaux français et étrangers, vingt-sixième année, tome IV (juillet & août 1797, messidor & thermidor an 5), p. 254-257 :

[La pièce nouvelle est présentée comme un succès (alors que la base César lui octroie le modeste total de 5 représentations). Résumé de l’intrigue, puis liste des vices et défauts de la pièce : sa « ressemblance inévitable avec le Britannicus de Racine, » (dans sa préface, l’auteur réfute cette idée), la relégation de l’essentiel de l’action « dans les entractes », le viol de l’histoire (« en faisant mourir Caracalla et Macrin, en même temps que Macrin, tandis que tous deux ont régné plusieurs années après », non pas qu’il soit prohibé de violer l’histoire, mais il faut le faire « que quand elle [la violation de l’histoire] devient utile à l'action, ou quand elle produit quelque beauté dramatique »). Mais la cause de ces défauts, c’est « le choix du sujet », qui n’est pas heureux : la pièce n’est pas sans qualité dans la conception, le style, l’opposition des caractères (elle montre même un progrès de l’auteur par rapport à ses essais antérieurs). Pour le style toutefois, attention à « ne pas déparer son style, assez pur d''ailleurs, par des taches trop visibles » (avec un exemple à l’appui).

Théâtre Français, rue Louvois.

On donne à ce théâtre, avec succès, une tragédie nouvelle, intitulée Géta.

Septime Sévère, par sa mort, laisse l’empire romain aux prétentions de ses deux fils, Caracalla et Géta : Macrin, préfet du Prétoire, entretient entre ces deux frères, déjà portés à se haïr, une division qu'il prévoit devoir être favorable à son ambition, & malgré les soins du consul Pompinien, malgré les tendres remontrances de Julie leur mère, l'impétueux Antonin ou Caracalla ne peut vivre vec son frère : il propose pour tout moyen de conciliation le partage de l'empire : Julie, par une xcès d efausse tendresse ; & Macri, par suite de ses vues intéressées, cherchent à les réunir. Caracalla cède bientôt aux transport furieux de sa haine toujours croissante, & assassine Géla : Macrin, qui pendant ce temps s'est fait un parti dans la garde prétorienne, profite du meurtre de Géta pour la soulever contre sonf rère, espérant obtenir l'empire par la perte des deux fils de Sévère : mais Pompinien dévoile au sénat & à l'armée les crimes et les vues de Macrin ; les soldats l'abandonnent, & le sénat le condamne. Quant à l'assassin de Géta, il se trouve indigne de l'empire & de la vie, & se tue pour s'absoudre de son crime.

Telle est la marche de cette tragédie : il est aisé de voir tout de suite que le vice radical de ce sujet est une ressemblance inévitable avec le Britannicus de Racine, et c'est ce qu'on avoit déjà reproché à Péchantré, qui l'avoit traité autrefois avec une sorte de succès : comment empêcher en effet que les caractères & le coloris ne soient absolument les mêmes ? Caracalla est Néron, Géta, Britannicus ; Julie, Agrippine ; Pompinien, Burrhus ; & Macrin, Narcisse. Peut-être le nouvel imitateur a-t-il poussé encore plus loin que Péchantré l'imitation presque servile de l'ouvrage de Racine.

Un défaut plus réel qu'on peut reprocher au cit. Petitot, c'est d'avoir relégué presque toute l'action réelle dans les entractes, & de n'avoir su par conséquent, ou de n'avoir pas voulu traiter son sujet dans les formes dramatiques.

On lui reproche avec fondement aussi d'avoir trop ouvertement violé l'histoire en faisant mourir Caracalla et Macrin, en même temps que Géta, tandis que tous deux ont régné plusieurs années après. Cette violation manifeste n'est légitimée que quand elle devient utile à l'action, ou quand elle produit quelque beauté dramatique : ici rien ne l'excuse ; il valoit mieux trahir la vérité historique dans l'imprudence que fait Julie de s'opposer au traité de partage pour réunir deux frères rivaux et ennemis.

Cependant en jugeant cette pièce avec sévérité, parce que ce n'est pas le premier ouvrage de l'auteur, il faut lui rendre la justice d edire que si le choix du sujet n'est pas heureux, il y a pourtant du talent réel dans plusieurs parties, surtout dans le second acte ; que la tragédie de Géta est au dessus de celle de Pison pour la conception & pour le style, ce qui annonce un progrès marqué, & que l’opposition des deux caractères est heureusement ménagée. Quelquefois, et même assez souvent, on ne s'apperçoit du vice de son sujet que quand on l'a traité, & ne trouve pas toujours qui veut des sujets exempts de tout reproche.

Nous lui conseillerons cependant par lui conseiller de ne pas déparer son style, assez pur d''ailleurs, par des taches trop visibles : nous croyons devoir lui reprocher celle par laquelle il finit son ouvrage. Caracalla dit en se donnant la mort : Je m'absous de mon crime : l'ellipse est trop forte : s'en punir n'est s'en absoudre ; mais on ne fait cette remarque que parce qu'on en trouve fort peu à faire de semblables dans tout l'ouvrage, bien écrit en général ; d'ailleurs ;

Ubi plura nitent in carmine, non ego paucis
Offendar maculis.

[citation d’Horace, Art poétique, vers 351-352 : « Là où brillent un grand nombre de beautés, je n’irai pas me choquer de quelques taches » (traduction empruntée aux Fleurs latines, de Pierre Larousse) .]

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 3e année, 1797, tome I, p. 410-411 :

Le compte rendu accorde une assez large place au résumé de l’intrigue, avant de dire qu’on a applaudi « quelques beautés » (surtout des « vers sentencieux »), mais qu’après un premier acte prometteur la pièce a déçu par le manque de cohérence de l’intrigue (« des incidens peu intéressans, des racommodemens sans objet, et des remords peu naturels »). Deux reproches : l’altération de l’histoire « dans un point capital », le rapprochement avec Britannicus auquel le spectateur ne peut s’empêcher de penser. Pièce jouée avec ensemble, auteur demandé et nommé.]

On a donné le 6 prairial an théâtre français, rue de Louvois, la première représentation de Géta, tragédie. L'empereur Sévère en mourant laissa deux fils, Caracalla (Antonin) et Géta. Le premier, ambitieux et féroce, avoit conçu le projet de tuer son père ; le second, annonçant les mêmes dispositions dans son enfance, devint dans sa jeunesse doux, humain et pacifique ; après la mort de Sévère, les deux frères furent proclamés empereurs, et l'empire partapé entre eux. Mais pour régner seul, Antonin tua de sa main son frère, sous les yeux de Julie, leur mère commune. C'est ce dernier meurtre qui fait le sujet de la tragédie de Géta, donné avant-hier pour la première fois.

Cette pièce , dans laquelle on a applaudi quelques beautés , et sur-tout un assez grand nombre de vers sentencieux, n'a pas eu le succès que sembloit promettre le premier acte. L'analyse en seroit longue et pénible pour les lecteurs. Le prolongement de l'action n'est fondé que sur des incidens peu intéressans, des racommodemens sans objet, et des remords peu naturels.

On reproche à l'auteur d'avoir altéré l'histoire dans un point capital. Antonin se tue après le meurtre de son frère, tandis que ce monstre a régné trop long-temps pour l'humanité.

On lui reproche également une maladresse qui nuit beaucoup à son succès, c'est une similitude avec la tragédie de Britannicus ; car Géta a aussi son Narcisse ; le spectateur est obligé malgré lui d'en faire la comparaison.

Cette pièce a été jouée avec un ensemble précieux, par MM. St.-Prix, St.-Phal, Vanhove et Chevrenil: et par Mesdemoiselles Raucourt et Simon.

L'auteur a été demandé : on est venu annoncer que la pièce étoit du citoyen Petitot.

Dans la base César, la pièce est créditée de 5 représentations, du 25 mai au 7 juin 1797.

(1) Caracalla est Néron ; Géta, Britannicus ; Julie, Agrippine ; Pompimien, Burrhus ; et Macrin, Narcisse. Peut-être le nouvel imitateur a-t-il poussé encore plus loin que Péchantré l'imitation presque servile de l'ouvrage de Racine. Voyez le No. 26. de la décade phil. et litt.

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