Guillaume Tell

Guillaume Tell, drame lyrique, en trois actes, en prose, mêlé d'ariettes, par le citoyen Sedaine, musique de Grétry. (9 avril 1791). Maradan.

Opéra-comique National, ci-devant Théâtre Italien

Titre

Guillaume Tell

Genre

drame lyrique mêlé d’ariettes

Nombre d'actes :

3

Vers / prose ?

prose avec des couplets en vers

Musique :

oui

Date de création :

9 avril 1791

Théâtre :

Théâtre Italien

Auteur(s) des paroles :

M. Sedaine

Compositeur(s) :

M. Grétry

Almanach des Muses 1794

Tableau digne de spectateurs républicains, mais peu analogue au genre de l'opéra-comique. Musique de Grétry : c'est en faire l'éloge.

 

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Maradan, seconde année de la République française :

Guillaume Tell, drame en trois actes, en prose et en vers ; par le citoyen Sedaine, Musique du Citoyen Gretry. Représenté, au mois de Mars 1791, sur le ci-devant Théâtre Italien.

 

L'Esprit des journaux français et étrangers, vingtième année, tome V (mai 1791), p. 316-320 :

Le samedi 9 avril, on a donné, à ce théâtre, Guillaume Tell, drame lyrique en trois actes & en prose, paroles de M. Sedaine, musique de M. Gretry.

Le sujet de Guillaume Tell. le fondateur de la liberté helvétique, est parfaitement connu de tout le monde, & a déja été mis au théâtre françois par M. Lemierre. Il étoit piquant de savoir comment on en avoit pu faire un opéra-comique, & sans doute le talent de M. Sédaine promettoit beaucoup. Aussi Guillaume Tell, opéra, a-t-il obtenu du succès. Voyons comment l'auteur a conçu son plan, &, après avoir dit l'impression qu'il a faite sur le public, permettons-nous quelques observations.

Tell, simple cultivateur du canton de Schweitz, est au moment de marier sa fille au fils de Melctal, chef de la justice, & son ami. Marie, femme de Tell, pose le bandeau virginal sur la tête de sa fille ; tous les habitans se rendent à la fête ; on danse, on chante, on se prépare à jouir du bonheur, lorsqu'on vient annoncer que le pere de Melctal, qu'on attend, qu'on désire avec impatience, ne peut se trouver au mariage de son fils. Grisler, gouverneur pour l'empereur Albert I, le despote Grisler, choqué d'une réponse de Melctal, vient de faire brûler les paupieres à ce vieillard infortuné. Le deuil succede à la joie & la rage à la consternation. Grisler a fait mettre son bonnet au bout d'une pique, dans la place publique, avec ordre, à tout passant, de se prosterner. Tell & Melctal fils, se proposent de renverser cet appareil ridicule : on veut en vain les retenir : ils partent ; la haine du despotisme, les aveugle sur le danger qu'ils vont courir. Ici arrive un héraut de Grisler, qui vient proclamer l'ordre de s'agenouiller devant bon [sic] bonnet, sous peine de mort. Scene froide, longue & absolument inutile, puisqu'on est déja prévenu de ce trait du tyran.

Au second acte, le fameux bonnet, bien différent de celui de la liberté, est élevé & gardé par quatre factionnaires ; chacun se courbe en murmurant. Tell est le seul qui n'ait pas voulu s'avilir à ce point. Grisler ordonne qu'il meure. Marie, sa fille, son fils, tout le monde se jette à ses genoux, le tyran est inexorable : cependant deux vils courtisans de ce monstre lui apprennent que Tell est le plus adroit des Cantons pour tirer une fleche, & le prient de leur donner le plaisir de le voir ajuster un but avant sa mort. Grisler déclare alors que si Tell a 1'adresse de percer une pomme sur la tête de son fils, il sera libre. Douleur de Marie, inquiétude de Tell, il se décide enfin. On entraîne le fils sous une espece de hangar ; le public le perd de vue, & ne voit seulement que l'action de Tell qui lance sa fleche. Nous croyons que l'intérêt est plus puissant dans la piece de M. le Mierre, où l'on voit l'enfant infortuné, lié à un arbre, attendre le coup qui peut le priver de la vie & livrer celle de son pere. Enfin Tell a percé la pomme, & le tyran, trouvant sur lui une fléche destinée, suivant l'histoire, à lui percer le sein, si Tell eût perdu son fils, fait arrêter ce malheureux pere, & donne une seconde fois l'ordre de son trépas. Tell est entraîné, & tous ses amis, excités par Marie & par ses compagnes, jurent de le délivrer & de le venger.

Au troisieme acte, Tell s'est sauvé pendant un orage affreux, en foulant du pied la barque qui le portoit, & en sautant sur le rivage (trait historique.) Il annonce à sa femme, à ses enfans, à ses amis, que le moment de la liberté est arrivé. Ici, il y a un effet très-intéressant, & qui n'appartient qu'à M. Sedaine. Tell embouche un cornet, & l'on entend les cantons de Zurich & d'Underval, qui lui répondent par les mêmes sons. Après quelques longueurs & quelques jérémiades du pere Melctal, qui refroidissent la situation, des feux s'allument, les habitans s'arment, l'armée de l'empereur Albert approche, le combat s'engage sur les montagnes, les femmes s'en mêlent, roulent des pierres sur les ennemis, & les Suisses remportent la victoire. Ici Tell ne perce point d'une fleche le barbare Grisler, comme dans l'histoire & dans la tragédie de M. le Mierre ; c'est son fils, c'est le jeune Tell qui venge son pere & sa patrie ; & l'on peut dire, en général, que le héros de M. le Mierre n'est point celui de M. Sedaine, quoiqu'il donne son nom à la piece : c'est plutôt le pere Melctal, ce chef de la justice, ce vieillard que Grisler a privé de la vue, qui, par ses conseils, sa fermeté, & les ordres qu'il donne, se montre, sur le premier plan du tableau, sur-tout dans le troisieme acte.

On voit que ce poëme, qui d'ailleurs est écrit souvent plus que négligemment, avoit besoin de la belle musique qu'y a faite M. Gretry. On y trouve néanmoins de ces effets, de ces détails magiques, si nous osons le dire, qui ont fait & qui feront toujours le succès des opéras de M. Sedaine.

M. Grétry a déployé, dans cet ouvrage, tous les charmes de l'harmonie, de la mélodie & d'une originalité piquante. Les deux premiers actes sur-tout sont très-beaux : un orchestre savant, un chant neuf & agréable, une parfaite entente de la scene, des effets & de la déclamation, prouvent que ce compositeur fécond a encore tout son talent, & que nous pouvons attendre de lui d'autres ouvrages marqués du même cachet. Un style large & profond distingue ses deux finales, ses airs de situation, & sur-tout son ouverture, dans laquelle il a su faire entrer cet air singulier que nous a noté Rousseau, à la fin de son dictionnaire de musique, nommé le Ranz des vaches, & si chéri des Suisses, qu'il fut défendu, sous peine de mort, de le jouer dans leurs troupes, parce qu'il faisoit fondre en larmes, déserter ou mourir ceux qui l'entendoient, tant il excitoit en eux l'ardent désir de revoir leur pays(*). Les jeunes bouviers le jouoient sur leur cornemuse en gardant leurs troupeaux. M. Grétry l'a mis en situation au lever du rideau, où l'on voít le jeune Tell assis sur les montagnes, & jouant le Ranz des vaches sur sa cornemuse.

MM. Philippe, Elleviou, & Mesd. Desforges, Rose Renaud & Carline ont parfaitement joué leurs rôles.

(Mercure de France ; Journal de Paris ; Chronique de Paris ; Spectateur national ; Affiches, annonces & avis divers.)

 

L'Esprit des journaux français et étrangers, vingt-troisième année, tome IV (avril 1794), p. 113-119 :

Guillaume Tell, drame en trois actes, en prose & en vers; par Sedaine , musique de Grétry : représenté sur le ci-devant théatre italien. Prix 25 sols. A Paris, chez Maradan, libraire, rue du cimetiere St.-André-des-Arts, n°. 9.

L'auteur de cet ouvrage nous apprend, dans l'avertissement qui le précede, qu'il l'avoit fait dans le désir de le voir représenter sur les grands théatres des departemens, tels que ceux de Bordeaux, de Lyon, de Toulon , &c. pour qu'il eût le bonheur d'y alimenter le feu sacré de l'amour de la patrie. Quoique le théatre de Toulon ne soit rien moins qu'un des grands théatres des départemens, & que cette ville ne semble se trouver là qu'en raison des circonstances, il n'en est pas moins vrai que les sentimens civiques de M. Sedaine sont infiniment louables, & qu'il seroit à désirer que tous les auteurs suivissent son exemple.

Mais il est vrai aussi qu'il seroit également à désirer que l'auteur de Guillaume Tell, qui a mis au théatre tant de pieces bien échaffaudées, eût moins dédaigné les agrémens du style, & eût conséquemment un peu plus soigné le sien. Le patriotisme est sans doute une excellente chose ; mais c'est parce qu'il est une excellente chose qu'un auteur doit se piquer de le présenter sous les formes les plus aimables, & sur-tout de se faire bien entendre. Or ce couplet que le jeune Guillaume adresse à sa sœur, est-il bien intelligible ?

Ah ! quand viendra donc cet age
Où je te dirai : ma sœur,
Viens te à mon mariage,
Il promet tant de douceur !
Pour commencer mon ménage,
Avec ma femme je veux,
Je veux pour premier ouvrage
Avoir d'abord des neveux.
          Nous irons
Ensemble dans ces vallons
Promener tous nos garçons.

Qu'est-ce que c'est donc qu'un homme qui veut avoir de sa femme, des neveux pour premier ouvrage ? Depuis quand donc les hommes peuvent-ils préférer que leurs femmes fassent l'ouvrage de leurs sœurs, & qu'elles leur donnent des neveux au lieu d'enfans ? De quelle misérable structure sont donc les onze vers que nous venons de rapporter, puisqu'il leur faut, de bon compte, six chevilles pour les soutenir ? Or, comme nous appellons chevilles tout ce qui n'est mis dans les vers que pour la mesure ou pour la rime, nous ne balancerons pas de gratifier de ce nom les mots Ah! vite, je veux, d'abord & tous, qui ne semblent ici avoir été mis à leur place, que pour démontrer qu'ils pouvoient se dispenser de s'y trouver.

Tell, (c'est ainsi qu'on te nomme)
Tu remportois tous les prix :
A l'instant je veux voir comme
Tu remportois tous les prix,
A cinquante pas préfix
ll faut abattre une pomme
Sur la tête de ton fils.

Mais si les mots que nous avons soulignés dans les vers précédens ne sont que de simples chevilles, comment appellerions-nous le vers entier : Tu remportois tous les prix, que l'auteur a ingénieusement répété, si l'on trouvoit qu'il fût trop trivial de lui donner le nom de ce bâton dont on se sert pour serrer la charge d'une charrette, ou, si l'on aime mieux, le nom de cheville à tourniquet ? Nous l'ignorons ; mais nous savons bien que cette espece de licence devroit être aussi peu tolérée que celle qui fait écrire à l'auteur cinquante pas préfix. L'adjectif préfix ne marche d'usage qu'après les mots : somme, jour, tems ou terme, & l'employer ailleurs, c'est se permettre une inconvenance, sinon aussi piquante, du moins aussi singuliere que celle de Guesler, lorsqu'il dit à Tell lui-même : Tell, c'est ainsi qu'on te nomme. Est-ce qu'on pourroit présumer que Tell a oublié son nom, comme on est en droit de supposer que M. Sédaine ne se rappelloit pas les regles de la poésie, lorsqu'il a mis en guise de vers la sentence suivante, dans la bouche de Melktal : un jour de gloire vaut cent ans de vie.

La prose de ce drame n'en est souvent pas mieux soignée que les vers. Aussi entendons-nous dire à Guillaume Tell : Venez apprendre comme on endort les enfans, les soirs ; & à Marie : on a privé ton pere de la lumiere du jour ; comme s'il étoit possible de le priver de la lumiere de la nuit, ou comme si en le privant de la lumiere, on avoit pu seulement le priver de celle du jour, sans le priver de celle des bougies, des lampes ou des chandelles.

Nous ne ferons pas l'analyse de Guillaume Tell, parce que cette piece est connue de tout le monde, & nous ne disons pas que la musique faite pour ce drame, par M. Grétry, est digne de cet excellent compositeur, parce que personne ne l'ignore ; mais nous ajouterons que ce compositeur est d'autant plus louable d'avoir créé de beaux chants, d'après les paroles de cet opéra, que jamais poésie ne fut moins rhythmique que celle qu'il présente. En attendant que nous puissions expliquer ce que nous entendons par le rhythme que le poëte doit observer, lorsqu'il destine ses vers à être mis en musique, nous nous bornerons à dire que la coupe ordinaire des vers offre presque toujours des difficultés insurmontables au musicien, & que si nous avons tant de pauvres chants & tant de fastidieuses répétitions au théatre, c'est plutôt la faute du poëte que celle du musicien. La musique a sa poétique comme la littérature. Lorsque le poëte remet son manuscrit, ses phrases sont faites, ses périodes font arrondies, & le compositeur éprouve alors plus ou moins de difficulté à faire ou à arrondir les siennes, en raison du plus ou moins de rhythme de la poésie qu'on lui livre. M. Sédaine ne paroît pas se piquer de l'observer dans la sienne. On trouve l'article suivant à la fin du drame qui vient de nous occuper.

» Scene patriotique proposée. Je désirois que cette piece, qui finit ainsi, pût, (attendu les circonstances qui le permettent,) se terminer par les scenes suivantes : «

On entendroit en sourdine l'air des Marseillois, que tout le monde connoît.

Melktal pere diroit : qu'entends-je ? Vas voir ce que c'est, Guillaume Tell. Il iroit, reviendroit & diroit :

Ce sont les François, les sans-culottes de la nation françoise.

Alors paroîtroient les sans-culottes ; l'un d'eux diroit aux Suisses, sur l'air des Marseillois :

O vous qui donnâtes l'exemple
Pour conquérir la liberté !
Ne renversez jamais le temple
Que votre sang a cimenté.
Ne protégez jamais l'empire
Des rois & de leurs attentats ;
Qu'ils ne dirigent point vos pas,
Et ne nous forcez point à dire
Aux armes, citoyens, &c.

Melktal, père.

Si jamais ma coupable race
Devoit protéger les tyrans,
Que le ciel à l'instant l'efface
De la liste de nos enfans.
Qu'un même zele nous rassemble :
Il faut affranchir l'univers ;
De l'homme il faut briser les fers,
Et que nos cœurs disent ensemble :
Aux armes, citoyens, &c.

Ensuite, François & Suisses, Suisses & François, chanteroienr ensemble, amour sacré de la patrie, &c. Et je suis persuadé que cela feroit un bon effet.

S'il est vrai que le patriotisme n'est déplacé nulle part, que du moins il n'impose pas aux artistes le pénible devoir de violer toutes les regles de la vraisemblance, & faire des anachronismes. On a blâmé Virgile d'en avoir fait un, en nous présentant Enée comme contemporain de Didon, & l'on blâmeroit les artistes de l'opéra comique national, s'ils faisoient les Suisses de 1307 contemporains des François de 1793 ou de l'an second de la république. Nous aimons autant voir MM. Chéron, Lainez & tous les autres artistes de l'opéra, célébrer quelquefois, quand on donne Fabius, la révolution des François sous le costume des Romains qui vivoient une vingtaine de siecles avant cette révolution.

Dans la base César : nombreuses représentations du 9 avril 1799 à la fin de 1799 (et sans doute au-delà), d'abord au Théâtre Italien, puis à celui de l'Ambigu-Comique (à partir de 1795).

9 représentations en 1791, 17 en 1792 (dont 2 à la Monnaie de Bruxelles), 22 en 1793, 26 en 1794 (toutes au Théâtre Italien – sauf les deux représentations de Bruxelles) ; 40 en 1795 ( 35 à l'Ambigu-Comique, 1 au théâtre du Vaudeville, 2 au théâtre du Marais, 2 au Théâtre Italien), 7 en 1796 (dans quatre théâtre différents : 1 au théâtre du Marais, 3 à l'Ambigu-Comique, 1 au théâtre Italien, 2 au théâtre de la rue Martin) ; 4 en 1797, 6 en 1799 (9 fois au Théâtre Italien, 1 fois au Théâtre des Victoires. Total : 141 représentations.

(*) V. Rousseau, tome I, page 596, et tome II, page 150 du dictionnaire de musique,

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