Hamlet (reprise d')

Hamlet, tragédie en cinq actes et en vers de Ducis, 30 septembre 1769.

Théâtre Français, salle du Jeu de Paume de l'Étoile.

D'après la base La Grange de la Comédie Française, l’adaptation de la pièce de Shakespeare a été jouée 203 fois à la Comédie Française, de 1769 à 1851. La presse signale sa reprise à plusieurs reprises.

Titre :

Hamlet

Genre

tragédie

Nombre d'actes :

5

Vers ou prose ,

en vers

Musique :

non

Date de création :

30 septembre 1769, reprises en 1807 et 1809

Théâtre :

Théâtre Français

Auteur(s) des paroles :

Jean-François Ducis

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome VII, juillet 1807, p. 259-266 :

[La reprise de l’adaptation du Hamlet de Shakespeare par Jean-François Ducis, absente du Théâtre Français depuis cinq ou six ans, a connu un beau succès. Le jugement que le critique porte sur la pièce est largement positif : Ducis a réussi à ses yeux un équilibre savant, qui lui permet de conserver les beautés de l’original « sans en partager les défauts » (et ces défauts sont nombreux aux gens des Français du temps !). Qualités : « la couleur en est sombre : la terreur s'y mêle à la pitié : le génie tragique y respire : les émotions les plus vives et les plus profondes s'y succèdent ». Défauts : plan irrégulier, action trop lente, noeud faible, intérêt insuffisant, dénouement inacceptable. Le problème du dénouement, c‘est celui du cinquième acte, dont Ducis a donné une troisième version. Le critique s’incline devant la persévérance du vieil auteur (la première de sa pièce remonte à près de quarante ans !). Mais il lui faut reconnaître que ce nouveau dénouement ne le satisfait pas : tout en ayant des qualités, il a trois défauts, introduire une action nouvelle, être plutôt invraisemblable, recourir à la pantomime, qui n’a rien à faire dans la tragédie. Après avoir longuement décrit ce dénouement, il revient à une épineuse question, celle de l’utilisation des « moyens extraordinaires » (la folie ?). Le public du Théâtre Français s’est montré attentif à la pièce, à un moment où il se voue habituellement au « culte presqu'exclusif » de Corneille et de Racine, ce qui le rend réticent face à «des beautés d'une nature étrangère à ces maîtres de l'art ». Les scènes les plus fortes ont néanmoins recueilli de vifs applaudissements (le critique en énumère plusieurs, où il retrouve « le génie du poète anglais […] épuré ». L’interprétation ne valorise que deux rôles, celui joué par Talma, qui a doit à un éloge enthousiaste, et celui que joue Mlle Duchemin, elle aussi très applaudie.]

Théatre Français.

Ducis trempe de pleurs son vers tragique et sombre.

Ce beau vers s'est plusieurs fois reproduit à l'esprit pendant la représentation d’Hamlet, dont la reprise a attiré une affluence extraordinaire. Hamlet n'avait pas été donné depuis cinq à six ans, époque où il fut représenté pour un bénéfice : cette pièce est une de celles où le pinceau vigoureux, énergique et touchant du poète, que nous nommons le Skapeskear français, a su reproduire avec le plus d'avantages les beautés de son modèle, sans en partager les défauts : la couleur en est sombre : la terreur s'y mêle à la pitié : le génie tragique y respire : les émotions les plus vives et les plus profondes s'y succèdent ; et ce serait, sans doute, un ouvrage placé à un rang élevé dans l'opinion, si le plan répondait par sa régularité à toute la force du sujet : si l'action était moins lente, le nœud plus fort, l'intérêt plus pressant, et sur tout si, pour le dénouement, on pouvait satisfaire la raison de ceux dont les premiers actes ont si vivement ébranlé l'imagination.

Il faut que le cinquième acte, dans un sujet tel que celui d''Hamlet, soit bien difficile à concevoir et à exécuter; car voici la troisième fois que l'auteur de cette tragédie tente de le rendre plus digne des quatre premiers ; ses efforts méritent de grands éloges, sans doute : il est beau pour les lettres, il est honorable pour le caractère d'un auteur, de le voir, après, une longue carrière glorieusement parcourue, employer les veilles qu'il peut encore consacrer aux muses, à revoir les premiers fruits de son heureux commerce avec elles, à en rechercher les défauts, à scruter leurs imperfections secrettes, à chercher à développer en eux le germe des bonnes qualités qui ont été leur constitution première.

Assez d'autres auteurs parvenus an terme présumé de leurs travauxont voulu produire et produire encore ; ils n'ont donné que la mesure, malheureusement trop exacte, de leur impuissance. S'ils s'étaient bornés à revoir leurs ouvrages, et à marquer les fruits de leur génie du sceau de leur expérience, peut-être eussent-ils laissé des productions plus dignes d'eux : M. Ducis l'a tenté pour Hamlet. Son nouveau cinquième acte a l'avantage de placer Hamlet dans un péril nouveau, de développer davantage le caractère de Clodius, de mettre Gertrude dans la seule position qui lui est propre après l'aveu de son crime : mais d'un autre côté, ce dénouement nous semble avoir le défaut de recommencer en quelque sorte une action nouvelle, de enter une pièce sur une autre pièce : il a quelques-uns des caractères de l'invraisemblance, et tous les inconvénient de l'emploi de ces moyens pantomimes que la tragédie regarde comme indignes d'elle.

Hamlet s'est presque déclaré ; dans les scènes du troisième et du quatrième acte, il a fait connaître à Clodius les soupçons qu'il a conçus : les états le couronnent : il n'a qu'à paraître : il est maître de se venger ; il règne : et comme fils et comme roi, il peut punir le meurtre de son père. Dès-lors, pourquoi fuir de son palais ? Pourquoi, à la tête de ses amis, du peuple qui le seconde, et des soldats qui embrassent sa cause, revenir assiéger ce propre palais où il était, où il devait être le maître ? Il force les issues, et arrive devant Clodius que le danger ne fait pas pâlir. Que trouve-t-il dans Clodius ? Un sujet humilié, un coupable anéanti sous le poids de son crime et la crainte du supplice ? Non, Clodius entouré d'un petit nombre de conjurés, ose tenir tête à son roi, au fils de sa victime, à celui qui vient de vaincre sans combat, et qui n'a qu'un mot à dire pour le faire charger de chaînes. L'un et l'autre se portent mutuellement l'accusation de parricide ; l'un et l'autre en appellent aux soldats, comme si Clodius en avait encore. Hamlet, dans cette lutte inégale, où toute la justice de sa cause, et toute la supériorité de son nom devraient se faire sentir, descend au rôle d'accusé ; il est réduit à se défendre, à récriminer ; il faut que Gertrude paraisse, et que dévorée par le poison qu'elle a pris, elle déclare son crime et révèle son complice ; il faut enfin que Clodius désespérant de son salut, ait recours à un acte de folie, et lève son épée sur Hamlet, qui l'étend à ses pieds d'un coup de poignard.

Ce dénouement qui appartient au théâtre de Dubelloy, n'a pas paru satisfaire le -public ; et nous revenons à l'idée de sa difficulté ; en considérant les moyens extraordinaires que Voltaire lui-même a cru devoir employer pour amener celui de Sémiramis, dont l'auteur a visiblement emprunté le sujet de Shakespear, fidèle à son usage de critiquer le poète anglais dans ses dissertations, et d'enrichir ses ouvrages des beautés qu'il lui dérobe.

La représentation d’Hamlet a été écoutée avec un grand intérêt ; cependant il y avait dans les spectateurs des dispositions évidentes à un jugement rigoureux : le culte presqu'exclusif que le public habitué du Théâtre-Français a voué depuis quelques années au génie de Corneille et de Racine, rend son admiration scrupuleuse, et le tient en quelque sorte en défiance de soi-même : il semble craindre de compromettre son goût en applaudissant des beautés d'une nature étrangère à ces maîtres de l'art, et en se livrant à des émotions qu'ils n'ont pas souvent cherché à produire : mais, quel que soit le genre de l'ouvrage qu'on lui présente, le spectateur impartial, sans l'admettre exclusivement, sait y démêler les beautés qui lui appartiennent, celles dont on peut le doter, celles qu'il y voit substituées aux écarts d'une imagination trop déréglée et aux licences d'une scène trop hardie. Aussi ce spectateur a couvert d'applaudissemens vifs et nombreux, et marqué sur-tout par son émotion profonde la scène dans laquelle Hamlet, agité par le spectre de son père, tombe dans les bras de son ami et lui raconte les terribles révélations qu'il a reçues ; celle où le récit de la mort du roi d'Angleterre sert d'épreuve à Hamlet pour juger sa mère et son complice ; celle si tragique, où, sur l'urne de son père, Hamlet demandant à sa mère un serment de son innocence, reçoit l'aveu de son crime, et dans laquelle se trouvent ces vers admirables d'Hamlet à sa mère :

Votre forfait est grand, punissable , odieux;
Mais il n'est pas plus grand que la bonté des dieux.
.    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .

et celui-ci, si beau de situation et d'effet :

Mon père, tu la vois, grâce, je suis son fils:

Toutes ces scènes dans lesquelles le génie du poète anglais se retrouve épuré, et qui sont remplies de beautés de détail et de traits excellens tout-à-fait dûs [sic] au poète français, ont été senties et couronnées par de vifs applaudissemens. Maïs l'ensemble de la représentation n'a pas été très-satisfaisant : la pièce a le défaut de n'offrir qu'un rôle sur lequel s'attachent tous les regards ; presque tous les autres sont secondaires et sacrifiés à l'éclat et à l'effet de celui d'Hamlet.

Quant à Talma, ses cris à l'aspect de l'ombre de son père l'avaient annoncé, et son effrayante pantomime Ta bientôt fait reconnaître : et quel autre, à son entrée sur la scène, aurait déjà pu s'identifier ainsi avec son rôle, donner le caractère d'une terreur si profonde à son port, à ses yeux , à son geste et à sa voix ? Qui pourrait ainsi, et dès les premiers vers, avoir l'accent d'un homme dont la raison s'égare, et que le retour de cette raison réconcilie bientôt avec l'amitié ? Quel autre pourrait varier si bien l'expression d'une situation qui est long-temps uniforme, s'effrayer d'une manière si diverse à la vue d’un spectre qui revient toujours le même, et passer si rapidement et avec tant de vérité, de la terreur qui s'empare de lui, à la réflexion qui veut voir, observer et connaître, à la noble audace qui vent punir un parricide, à l'amour filial qui a besoin de pardonner ? Dans tout le cours de ce rôle difficile, Talma a été constamment au niveau de la grandeur et de la force des situations ; toujours tragique, toujours profondément ému, et, ce qui est loin d'en être une conséquence ordinaire, toujours répandant l'émotion, la terreur ou l'attendrissement qu'il éprouve. Jamais sa pantomime n'a été plus expressive, plus savante, plus terrible ; jamais il n'a été mieux secondé de ces rares moyens dont la nature et l'imagination réunies ont constitué son précieux talent.

Dans cette représentation , il a été très-bien secondé par Mlle. Duchesnois, qui a eu dans le cours de son rôle d'excellentes intentions, souvent un accent, un geste et une figure très-tragiques, une grande expression, de la fermeté et de l'énergie. Elle a d'abord essuyé quelques momens de défaveur, mais ils ont semblé un éveil donné à son talent ; elle a ensuite mérité de très-vifs applaudissemens dans tout le reste de la représentation.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 14e année, 1809, tome I, p. 179 :

[Faut-il jouer les adaptations en français des pièces de Shakespeare ? La réponse du critique est bien prudente...]

THÉATRE FRANÇAIS.

Malgré les critiques de plusieurs journaux, Macbeth et Hamlet continuent d'attirer la foule. Nous n'entrerons pas dans la discussion qui s'est élevée à leur sujet ; mais nous ne craignons pas de dire que le talent de Talma est pour beaucoup dans le succès de ces deux ouvrages. Ce grand tragédien excelle surtout dans le genre sombre et terrible ; il a été bien secondé par
Mademoiselle Raucourt, qui a joué le rôle de Frédégonde, comme elle joue celui de Cléopâtre. On prétend cependant que Madame Vestris y produisoit plus d'effet. Le succès des deux ouvrages que l'on vient de ressusciter ne peut point nuire, comme on l'a dit, à la scène française. Pourquoi n'auroit-on pas emprunté quelque chose aux tragiques anglais, comme Corneille lui-même l'a fait aux auteurs espagnols. Ces emprunts ne pourront jamais rien diminuer de l'admiration .qu'on doit aux chef-d'œuvres de nos grands maîtres.

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