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Harpaginet, ou la Cassette

Harpaginet, ou la Cassette, comédie-vaudeville en un acte, par Duronceray ; in-12. Paris, Bacot.

Comédie non représentée.

Titre

Harpaginet, ou la Cassette

Genre

comédie-vaudeville

Nombre d'actes :

1

Vers / prose ?

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

non représentée (publiée en 1811)

Théâtre :

non représentée

Auteur(s) des paroles :

Duronceray

Almanach des Muses 1812.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 17e année, 1812, tome I, p. 239 :

[Juste l’annonce de la publication de la brochure :]

Harpaginet , ou la Cassette, comédie-vaudeville en un acte, par Duronceray. A Paris, chez Sacot, libraire, Palais-Royal, n.° 252. Prix,75 cent. ; franc de port, 1 fr.

Journal des arts, des sciences et de la littérature, n° 121 (deuxième année), 15 décembre 1811, p. 348-354 :

[De longues pages pour ironiser sur la publication de cet acte dont le titre rappelle assez bien Molière et son Avare. Après quelques piques contre l’auteur, analyse de la pièce. On peut s’interroger sur l’inétrêt de consacrer tant d eplace à quelque chose qu’on estime sans intérêt.]

Harpaginet, ou la Cassette, comédie-vaudeville en un acte, par Duronceray. Brochure in-12. Prix : 75 c., et 1 fr. franc de port. A Paris, chez Bacot, lib., au Palais-Royal, n°. 252.

Cet ouvrage va fournir un problème historique de plus. Vraisemblablement la postérité ignorera toujours si l'un des quatre ou cinq théâtres qui jouent à Paris le vaudeville, sous différens noms, a refusé de nous faire jouir de celui-ci ; si tous se sont donnés le mot pour cela, ou bien si l'auteur, satisfait des honneurs moins dangereux de l'impression, n'a pas voulu hasarder cet enfant de sa muse sur un terrain si glissant. Pas un mot de préface ou d'avertissement, pas même une épître dédicatoire ou une petite note qui nous donne là-dessus quelques lumières. Il faut donc se résoudre à ignorer la destinée antérieure d'Harpaginet. Heureusement sa destinée future est plus facile à deviner.

On conviendra que le titre est heureusement choisi. Harpaginet est un petit Harpagon ; il s'ensuit tout naturellement que M. Duronceray doit êirë un petit Molière : ce sont de ces conséquences qu'on laisse modestement tirer à ses lecteurs. C'est apparemment pour ressembler encore mieux à l'auteur de l'Avare que M. Duronceray n'a voulu ajouter à son nom aucun de ses titres littéraires. Mais il a beau faire ; il y a ici disparité ; tout le monde sait que Molière a manqué à la gloire de l'Académie française, et trois ou quatre académies de province ont la gloire de posséder M. Duronceray comme membre, associé ou correspondant : on voit bien de quel côté est ici l'avantage.

Mais laissons-là le père d'Harpaginet pour nous occuper de sa production, et faisons la connaître avec quelque détail. Il est des ouvrages dont tout ce que l'on pourrait dire au lecteur ne vaut pas ce qu'on en peut citer. A ce titre, il faudrait se borner à transcrire celui-ci ; et, quelqu'étendu que soit le compte que j'en rendrai, je dois avertir qu'on y perdra beaucoup.

La scène est à Carrouges, en Normandie, et le théâtre représente une place publique, sur laquelle donne l'auberge d'Harpaginet, qui a pour enseigne : Au bon Tuteur. Voilà sans doute une singulière enseigne ! On voit assez communément des Soleils d'or, des Cadrans bleus, etc. ; et, comme l'a dit l'auteur de Maison à Vendre, pour des Grands Cerfs, il y en a par tout ; mais des bons Tuteurs, cela ne se trouve guère, même en Normandie. Au surplus, il ne faut pas trop chicaner M. Duronceray sur son enseigne ; écoutons son Harpaginet :

« Oh! la sotte charge que celle de tuteur ! Administrer comme des biens propres des biens dont on n'est point propriétaire ! n'en pouvoir distraire un centime pour soi ! etc. » Après une demi-page de désolations pareilles, l'honnête aubergiste nous apprend que le général Marcel, mort chez lui il y a quinze ans, lui laissa la tutelle de son fils Jules, à peine âgé, de six ans, tutelle fort peu onéreuse, puisqu'il lui confia, en même temps, une cassette renfermant quatre mille louis. Malheureusement on a profité de son sommeil pour la rendre moins pesante ; le trésor a disparu, et Harpaginet raconte cela avec un si beau sang-froid qu'on voit bien que M. Duronceray n'a pas voulu s'attirer le reproche d'avoir toujours imité Molière. Survient mademoiselle Constance, fille de Verbibus, le doyen des avocats de Carrouges, et l'amante de Jules de Marcel. On peut juger déjà qu'elle est pour quelque chose dans la disparition, des 4000 louis, d'après son premier mot : « Enfin, l'oiseau est déniché. » L'aubergiste veut savoir de quoi elle rit ; la petite folle lui répond qu'elle a « pris.dans le trou d'un certain hibou l'objet de sa tendresse, le petit magot. du vieux sot. » Cela serait partout passablement clair ; mais apparemment que les tuteurs de Carrouges sont encore plus niais que les autres ; car le nôtre.ne doute pas, d'après cela, qu'il ne s'agisse d'un oiseau, et ne soupçonne rien de plus. Constance demande à son tour la cause de la tristesse de M. Harpaginet ; il lui répond par un couplet trop Joli d'un bout à. l'autre pour ne pas le citer en entier:

N'en deplaise à maint cerveau creux,
A maint orateur. ou poëte,
A plus d'un auteur femmelette,
Je vois que le vide est affreux :
La nature ainsi le decide.
Oui, de concert avec mon cœur,
Je dirai, comme un vieil auteur,
Qu'elle a toujours horreur du vide.

Harpaginet, qui s'est bien gardé de convenir de la perte qu'il a éprouvée, devrait naturellement songer que ce couplet va paraître vide de sens à mademoiselle Constance ; mais l'auteur n'a pas jugé à propos de lui donner tant de réflexion. Du reste, celle-ci, sans nous apprendre si elle partage l'horreur du vide, que témoigne l'aubergiste, s'en va, en se disant : « Il est en humeur ; c'est bien pardonnable. » Il est possible que dans la ville de Carrouges, en Normandie, être en humeur signifie avoir de l'humeur ; mais, en bon français, ce n'est pas du tout la même chose. La jeune personne ajoute, à part, qu'elle va consulter son père sur cette trouvaille. Quand il s'agit de 4000 louis pris dans une cassette, le terme est honnête.

Harpaginet, resté seul, achève de vous faire connaître son inquiétude. Jules, son pupille, est majeur de la veille. L'avocat Verbibus, dont il aime la fille, voudra discuter le compte de tutelle. On finira par découvrir le dépôt qui avait été fait entre ses mains ; et comment le restituer, puisqu'il ne l'a plus ? Ajoutez à cela que Verbibus sera secondé dans ses chicanes par M. Grapin, procureur, qui en veut mortellement au tuteur, à cause de certain soufflet qu'il en a reçu jadis pour tous honoraires. Ce n'est pas plaider à trop haut prix, surtout si l'on songe au pays où se passe l'action.

Il paraît que mademoiselle Constance ne s'est pas beaucoup occupée de chercher son père, pour lui parler de la trouvaille, car elle revient en folâtrant avec son amant ; et comme ils ont entendu qu'il était question de soufflets, chacun débite un couplet là-dessus à l'aubergiste. La demoiselle dit, entre autres jolies choses, que

Du tendre amour c'est le cachet.

Et ensuite, en présence d'Harpaginet, les deux amans s'embrassent sur la place publique de Carrouges ; c'est apparemment l'usage du pays.

Pendant qu'ils folâtrent à leur aise, Harpaginet fait un petit aparte d'une demi-page, dont le résultat est qu'il ne convient pas

             Qu'une mégère
A son mari confère
             Un bon soufflet.

A peine a-t-il fini, que le soufflet lui est conféré par madame Clopinette, son épouse : c'est sans doute encore un usage du lieu.

Les jeunes gens s'enfuient. Pour apaiser sa chère moitié, le tuteur lui découvre le secret du dépôt de la cassette et de la perte du trésor ; il lui fait voir qu'il n'y a-qu'un moyen d'éviter le procès qu'on pourrait lui faire : c'est de brouiller les deux amans, et surtout de prévenir contre Jules l'avocat Verbibus. Il a, dans cette intention, fabriqué une lettre qu'il faudrait faire tomber adroitement entre les mains de la vieille Camusette, la marraine de Constance, qui a un grand ascendant sur son esprit. Madame Clopinette s'en charge, et reste seule pour nous apprendre qu'elle déteste son époux, quoiqu'elle vienne de se réconcilier avec lui, et que

D'un mari soûl dès le matin,
Elle aime mieux le tintamarre,
Les caprices d'un libertin,
Que les caresses d'un avare.

Elle aperçoit de loin Camusette ; et se souvenant qu'il faut faire tomber adroitement la lettre en son pouvoir, elle la jette par terre ; moyen dramatique, en effet, aussi adroit que neuf.

On se doute bien que Camusette va ramasser la lettre ; et, voyant qu'elle est décachetée, ne trouver que demi-mal à la lire. On a vu cela dans vingt pièces ; mais que contient cette lettre supposée, adressée à M. Harpaginet, et censée écrite par Nicodet de Marcassin, petit-neveu de Camusette, qui apparemment ne connaît pas son écriture ? Le voici :

« Monsieur, je reconnais dans l'état que vous me décrive tous les caractères de la maladie de nerf; dont vous craignez que Jules, votre pupille, ne soit atteint ; il n'y a pas un instant à perdre pour le sauver. Je vous envoie ci-incluse une petite consultation ad hoc. Je l'ai faite en latin ; c'est ce que la prudence exige quelquefois de nous pour ne pas effrayer le malade, etc., etc. Signé Nicodet de Marcassin, employé » dans une maison de santé, à Paris. »

Il faut convenir que les habitans de Carrouges ne sont pas de très-fins Normands, puisqu'on peut leur faire croire qu'un employé d'une maison de santé est médecin ou chirurgien, et envoie des consultations. Madame Camusette de Marcassin donne complètement dans le piège. La maladie de nerfs de Jules l'effraie beaucoup pour sa filleule ; elle n'avait pas déjà ltrop bonne opinion des jeunes gens du jour. « Ils ont bien, dit-elle, quelques apparences :

Ils ont bésicles et bambou,
Breloques, parfums à la rose,
A tous leurs doigts est un bijou ;
Mais sur ces Crésus comme on glose ! »

L'avocat Verbibus arrive avec le procureur Grapin. Camusette leur remet la consultation latine, sans dire de quoi il est question, et demande seulement si l'on peut, avec cette pièce, mettre opposition à un mariage. Ce qu'il y a ici de merveilleux, c'est que Verbibus, qui ne dit pas une phrase sans y joindre une citation latine, ne sait plus un mot de cette langue dès qu'on lui montre cet écrit, et le prend pour de l'italien ; mais, en revanche, sa fille à qui il le donne à examiner, et qui ne sait pas un mot de latin, devine sur-le-champ que c'est dans cette langue qu'est la consultation. En conséquence, Verbibus et Grapin vont chez le curé de l'endroit pour se la faire traduire. Au reste, il y a dans ces deux scènes des épigrammes qui ressemblent beaucoup à des énigmes, et j'y soupçonne quelques -petites malices locales qui me feraient croire que l'auteur a .perdu quelque procès dans ce canton de la Normandie. Cela divertira beaucoup, probablement les plaideurs de Cararouges ; .c’est toujours. quelque chose.

Comme il ne faut pas que la pièce finisse si vite, madame Camusette se garde bien de dire clairement à Constance de quoi il est question ; et la pauvre petite, qui a cru comprendre que son amant est infidèle, lui fait des reproches amers, et le laisse là tout étonné.

C'est ici que l'auteur s'est réservé un de ces événemens qui

Change tout, donne à tout une face imprévue.

Ne voilà-t-il pas que Nicodet de Marcassin arrive de Paris, sans que personne l'attendît ! Il entend Jules, qui, se croyant seul, dit d'un air sombre : «  Amour ! Amour ! est-ce là ce que Jules devait attendre de tes faveurs ? — Oh ! oh ! se dit à part Nicodet, voilà M..Jules qui se plaint de l'amour ; il a ses raisons sans doute ; eh bien ! me voilà venu fort à propos. » On voit que ce n'est pas de la maladie de nerfs que Nicodet va vouloir le traiter. Il commence par se présenter à lui comme le plus renommé des saigneurs de Paris ; mais, attendu que la scène aurait été difficile à continuer, Jules s'en va en pestant contre l'importun. Tout se découvre bientôt ; Harpaginet est reconnu pour l'auteur de la fausse consultation : il s'enfuit, accablé des invectives de maître Verbibus, qui consent à unir sa fille avec Jules, quand il apprend que ce dernier est propriétaire des 4000 louis de la cassette. Mais où sont-ils ces 4000 loujs ? c'est mademoiselle Constance qui va nous le dire enfin sans mystère : « Suspectant cet Harpaginet, inspirée sans doute aussi par l'amour, j'ai pénétré cette nuit furtivement dans la maison de ce dépositaire infidèle, et, pendant qu'il dormait, j'ai enlevé le trésor, et je lui ai laissé la cassette. » Vous remarquerez que ce n'est que dans un des papiers qui servaient à envelopper les rouleaux de louis, que l'on trouve la preuve qu'ils sont la propriété de Jules. De sorte que si mademoiselle Constance, après avoir pénétré la nuit dans une maison, avait été arrêtée en s'emparant du trésor, je ne sais trop si l'éloquence de maître Verbibus aurait pu la tirer de là. Je doute beaucoup que l'inspiration de l'amour eût paru à la justice de Carrouges une excuse suffisante en pareil cas.

M. Duronceray ne se borne pas à imiter Molière ; il ne craint point de joûter avec Racine, quand l'occasion s'en présente. Ce dernier avait dit :

Et ne devrait-on pas à des signes certains
Reconnaître le cœur des perfides humains ?

Notre auteur a bien eu la même pensée ; mais comme il a su la rajeunir par l'expression !

Quand aura-t-on l'avantage,
Auprès d'un homme sans foi,
De lire sur son visage :
Voici le loup : défends-toi ?

Pour le coup, on ne dira pas que c'est là un plagiat.

Je ne serais pas étonné cependant que, trouvant l'auteur d'Harpaginet un peu avare d'esprit et même de sens commun, on ne s'accordât pour le laisser tranquille et seul possesseur des beaux yeux de sa cassette.                        T.

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