Héloïse

Héloïse, drame en trois actes et en vers, par M. de Murville ; 27 septembre 1812.

Théâtre de l'Impératrice.

Titre :

Héloïse

Genre

drame

Nombre d'actes :

3

Vers / prose ?

en vers

Musique :

non

Date de création :

27 septembre 1812

Théâtre :

Théâtre de l’Impératrice

Auteur(s) des paroles :

de Murville

Almanach des Muses 1813.

Sujet trop connu pour qu'il soit nécessaire d'en donner l'analyse. L'auteur n'a pas craint de choisir pour catastrophe de son drame le malheur d'Abeilard. Le parterre, qui rit beaucoup des choses les plus sérieuses, a eu pitié de ce pauvre amant, et l'a assez bien accueilli. Au surplus, de belles scènes et de beaux vers.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, J. G. Dentu, 1812 :

Héloïse, drame en trois actes et en vers ; par P. N. André Murville. Représenté pour la première fois, sur le théâtre de S. M. l'Impératrice, le 27 octobre 1812.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome XII,décembre 1812, p. 280-287 :

[Il s’agit d’abord de souligner le caractère exceptionnel de cet opéra, attendu de tous, suscitant un vif intérêt. Il s’agissait de oir la nouvelle composition de M. Murville, reprenant une œuvre antérieure, jamais jouée au Théâtre Français auquel elle était destinée, une tragédie dont le drame nouveau reprend le langage, ce qui lui donne une couleur tout à fait inappropriée. Le critique entreprend ensuite de nous résumer l’action, qu’il juge « d’une extrême simplicité ». Ce résumé est très précis, avec l’explicitation de ce qui motive l’enchaînement des événements. Il insiste sur l’obligation où l’auteur s’est trouvé de s’écarter de l’histoire d’Héloïse et Abeilard, quand Héloïse refuse d’épouser son amant, avec qui elle est déjà secrètement mariée. Il respecte ainsi les convenances, mais il rend aussi bien plus banale la situation des deux personnages. Cette fin, jugée pleine d’artifices, mais respectueuse des convenances, a été applaudie, même si dans l’ensemble la pièce a paru froide. Le style ne peut guère se voir faire de reproches, sinon celui d’être un peu trop pompeux (« un abus fatigant des sentences, des lieux communs, de l'emphase, de l'exagération, et qui pis est, dans un sujet de cette nature, des madrigaux »). L’auteur a voulu paraître à la fin de la pièce et donner des explications : le critique ironise sur « la petite scène qui a égayé le public après la représentation ». Les deux acteurs principaux ont visiblement eu du mal à trouver le ton juste dans ces rôles inhabituels pour eux. Et les « rôles secondaires » n’ont pas été non plus à la hauteur.]

THÉÂTRE DE L’lMPÉRATRICE.

Héloïse et Abailard.

Je pourrais commencer cette notice sur le drame nouveau donné à l'Odéon, en parodiant la fameuse lettre de Mme. de Sévigné sur le mariage de Mademoiselle, et dire : « Je vais vous annoncer la chose la plus étonnante, la plus surprenante,. la plus merveilleuse, la plus brillante, la plus digne d'envie, une chose que nous ne saurions croire à Paris, comment pourra-t-on la croire en province ; devinez, et je vous le donne en trois : Jetez-vous votre langue aux chiens, il faut donc vous le dire.... » Il y avait un concours immense à l'Odéon, tout Paris semblait s'y être donné rendez-vous; presque toutes les loges étaient louées.

M. de Murville avait composé, il y a déjà nombre d'années, une tragédie intitulée Héloïse et Abailard ; je me rappelle parfaitement en avoir entendu des fragmens. J'ignore pourquoi cette tragédie n'a pas paru au Théâtre-Français, pourquoi elle a été réduite en deux actes, sous le titre de drame ; pourquoi, par une fatalité qui semble s'attacher au nom de son héros, ce nom même devenu si inséparable de celui d'Héloïse, s'en trouve aujourd'hui séparé sur l'affiche, car le titre de l'ouvrage est Héloïse et non Héloïse et Abailard.

Le public n'aurait pas su que primitivement l'ouvrage était une tragédie, que sous sa nouvelle forme, il l'aurait facilement reconnu. L'ordre des événemens, le rang et la nature des personnages, l'action en elle-même n'ont rien de tragique ; mais le style de l'auteur s'élève ou veut s'élever presque toujours au ton de ce genre, et il en résulte pour le spectateur une sorte d'indécision et d'incertitude pénible entre ce qu'on lui annonce et entre ce qu'il entend, situation en général défavorable à une représentation. Il voit le chanoine Fulbert, et l'entend dire, en parlant de sa maison qu'il commande en ces lieux. Héloïse parle des remparts de Soissons, Abailard des rives de la Seine. Voilà le langage des héros tragiques, donné à des théologiens, et des bourgeois ; voilà le style de Melpomêne emprunté par la fausse Thalie. Ce défaut n'existe pas dans Mélanie : M. de Murville a tout le goût et toute la littérature nécessaires pour s'en être apperçu le premier ; mais il n'a pas eu le courage de renoncer à des vers en général faciles, élégans et doués d'une certaine harmonie ; et la couleur tragique est très-improprement répandue sur un sujet qui était essentiellement du domaine du drame, si toutefois, ce qui ne m'est nullement démontré, ce sujet était susceptible d'être, traité à la scène.

L'action est d'une extrême simplicité ; les actes s'en ressentent, ils sont courts ; les scènes principales supporteraient aussi plus de développcmens. L'exposition est sage, claire, et faite de manière à intéresser vivement, Héloïse en est chargée ; elle met le spectateur dans la confidence de sa situation, en la faisant connaître à une amie qui peut ne la pas connaître encore. Abailard est éloigné d'elle ; il a été banni de la maison de Fulbert par cet oncle vindicatif d'Héloïse, et les liens d'une censure théologique le retiennent à Soissons. Mais la cour de Rome a prononcé en sa faveur contre le parti qui l'accusait, et Abailard n'ayant plus à braver que la vengeance particulière de Fulbert, s'expose à reparaître à Paris. Héloïse attend Pierre, ami d'Abailard, pour le rendre dépositaire d'une lettre pour son amant ; elle croit le voir paraître, et c'est Abailard lui-même qui se montre à ses yeux ; Fulbert ne lui donne pas le temps de se livrer au charme d'un tel entretien ; malgré la surveillance protectrice de Pierre, l'active inimitié du théologien Gérard a donné à Fulbert avis de 1a présence d'Abailard dans sa maison. L'entrevue est vive ; Fulbert menace au nom de la religion outragée ; Abailard se justifie au nom de Rome calmée et approbatrice, et cédant aux perfides instances de Gérard, Fulbert consent qu'Abailard reprenne dans sa maison le dangereux emploi d'instituteur d'Héloïse.

Gérard espère que, dans de si douces leçons, Abailard s'oubliera une seconde fois, et qu'il tombera dans le piège tendu à sa faiblesse ; Abailard, en effet, ne le fait pas attendre ; après avoir parcouru les lieux autrefois si chers à son amour, revu les jardins qui en furent le mystérieux asyle, et le cabinet d'étude, où, prés de sa séduisante élève, il savait si bien,

A l'austère Moïse associer Ovide.

Il voit Héloïse qui revient reprendre le cours de leurs études communes : des livres, des cartes sont sur une table ; c'est la scène de l'Ami de la Maison reproduite dans un sens différent ; on croit entendre : C’est donc là qu'était la Grèce, et puis bientôt : Ah ! laissons-là, laissons-là nos leçons ! Virgile et la Bible, qui se succèdent en effet bien rapidement, sont bientôt oubliés l'un et l'autre ; les noms de. Didon et de Rachel réveillent des sentimens trop tendres, Abailard s'oublie et tombe aux pieds de sa maîtresse : c'est dans cette partie de sa leçon que Gérard le fait surprendre une seconde fois par Fulbert.

Ici il n'est plus possible, sans perdre Abailard, de proposer à Fulbert de lui pardonner de nouveau ; Gérard revient à son idée favorite ; tendre un piège est son moyen constant, et cette similitude de moyens en entraîne une d'expression qui n'a pu manquer de déplaire. Le nouveau piège consiste à déterminer Fulbert à proposer à Abailard la main d'Héloïse, comme la seule réparation que puisse admettre sa faiblesse. Fulbert trouve raisonnable un moyen qui en effet terminait tout ; mais Gérard persuade à Héloïse que Fulbert ne fait cette proposition que pour immoler Abailard aux pieds de l'autel. Héloïse est donc placée entre son bonheur et le salut de son amant ; dans une scène vive, bien filée, et remarquable par des traits éloquens et passionnés, Héloïse refuse donc un hymen qu'elle ne peut accepter sans danger pour son amant : c'est ainsi que l'auteur a profité du trait historique et du refus que fit en effet Héloïse de donner de la publicité à son mariage secret avec Abailard. Si l'auteur n'eût pas pris ce parti, on aimerait à savoir comment il aurait traité une telle scène dans les véritables idées d'Héloïse, comment il aurait peint cette femme préférant le déshonneur attaché à sa position, l'idée de ne devoir la tendresse d'Abailard qu'à sa qualité d'époux, préférant de se déclarer séduite par son amant, à la félicité trop commune de vivre et de se nommer son épouse. La scène eût été plus difficile, les développemens en eusseut exigé plus d'art et de délicatesse ; mais ce motif n'est qu'indiqué, et Héloïse ne refuse Abailard que pour le sauver ; ce qui fait rentrer sa situation dans un cercle d'idées assez communes au théâtre.

Abailard ne doit rien comprendre à un tel refus ; il accuse sa maîtresse d'indifférence ; il soupçonne Héloïse d'infidélité, et voilà par ce seul mot deux caractères dépouillés de l'intérêt qu'ils ont toujours inspiré, et du charme qui leur est particulier ; mais Héloïse déclare que sa résolution

... Est inébranlable alors qu'elle est fixée.

Et il ne reste plus à Abailard que d'aller signifier son refus à Fulbert ; c'est où l'attendait Gérard : tous les instrumens de la vengeance étaient prêts ; la victime est saisie....... On entend du bruit ; Héloïse veut courir au secours de son amant ; Pierre l'arrête, Abailard s'est consacré à Dieu, il lui a consacré Héloïse et la toile baisse.

Cette dernière partie d€ l'ouvrage n'a paru manquer ni d'artifice, ni de respect pour les convenances dont il était si difficile de ne pas s'écarter : on a justement applaudi cette partie du drame et quelques autres ; mais l'effet général a été froid. L'auteur qui a montré de la hardiesse dans le choix de son sujet en a manqué dans l'exécution, et sous des noms consacrés par de si touchans souvenirs, ne nous a montré que des amans ordinaires dans une situation fort commune.

Le style de l'ouvrage serait sa partie la moins reprochable ; on y trouve des tirades bien écrites, quelquefois de la. chaleur et du mouvement, mais un abus fatigant des sentences, des lieux communs, de l'emphase, de l'exagération, et qui pis est, dans un sujet de cette nature, des madrigaux.

Nous voudrions éviter de parler de la petite scène qui a égayé le public après la représentation ; le drame n'avait pas assez fait verser de larmes pour qu'elle parût nécessaire, et nous croyons qu'il était en quelque sorte convenu parmi les .gens de lettres de ne soumettre que leur ouvrage au public, sans jamais exposer leur personne, même aux marques équivoques en sa faveur, et sur-tout sans quitter le rôle si difficile de poëte pour le rôle imprudent d'orateur. On ne sait si l'auteur d’Héloïse a été plus surpris qu'enivré de son triomphe, mais il a paru, il a parlé et on a beaucoup ri.

Les acteurs ont fait dans cet ouvrage l'essai de leurs forces dans un genre qui leur est peu familier ; ils ont eu les défauts du style, un mélange d'élévation et de faiblesse, de l'exagération dans le débit, et l'accent tragique dans des rôles qui ne le sont pas. Mlle. Délia a paru cette première fois intimidée ; son organe l'a trahie, et elle est restée au-dessous de l'attente générale, sentiment qu'il lui était flatteur d'avoir mérité : Clozel a été plus heureux dans Abailard ; il y a développé de beaux moyens, beaucoup d'ame et de sensibilité. Les rôles secondaires ont très-passablement secondé les principaux, et probablement aux représentations suivantes, l'affluence en se soutenant paraîtra moins remarquable.               S.....

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, année 1812, tome VI (Novembre 1812), p. 171-173 :

[Comme tout le monde connaît l’histoire d’Abélard et d’Héloïse, inutile de la raconter : une courte analyse permettra de voir comment l’auteur l’a modifiée. Et le compte rendu analyse assez longuement la version nouvelle des amours de la belle et de son maître, en montrant des sentiments qui peuvent nous paraître bien modernes. La pièce est ensuite rapidement jugée : « La curiosité a conduit jusqu'au dénouement ce drame foible d'invention, et inégal dans ses détails. Les sifflets et les applaudissemens se sont contre-balancés. ». Et le compte rendu s’achève par le récit comique du comportement de l’auteur, venu sur scène recevoir le prix de ce qu’il croit être son triomphe. La scène s’achève dans le bruit et la confusion (elle donne une bonne idée de ce que peut être une fin de représentation...]

ODÉON. THÉATRE DE L'IMPÉRATRICE.

Héloïse, drame en trois actes et en vers, joué le 27 octobre.

Tout le monde connoît l'histoire des amours d'Abélard et d'Héloïse ; nous ne la répéterons pas ici. Nous nous bornerons à indiquer, par une courte analyse, la manière dont l'auteur du drame nouveau a cru devoir la modifier pour la mettre au théâtre.

Abélard est à Soissons, où il vient de subir les censures du Concile. Héloise, qui habite toujours la maison de son oncle, confie à Isaure, son amie, son amour pour son maître ; mais elle tremble, s'il ose revenir auprès d'elle, qu'il ne devienne la victime de ses ennemis ; le plus acharné d'entre eux est un rival de doctrine nommé Gérard, qui gouverne à son gré l'esprit de Fulbert. Héloïse lit une lettre par laquelle elle ordonne à Abélard de se tenir encore éloigné. Le vertueux Pierre, leur ami commun, doit la lui faire parvenir. Mais Abélard paroît au moment même, et déclare qu'il vient mourir ou s'assurer à jamais la possession de sa maîtresse. Cependant il se cache à l'arrivée de Fulbert et de Gérard ; Héloïse et Pierre plaident la cause du précepteur. Abélard est réintégré dans la maison.

Gérard, indigné de la foiblesse de Fulbert, se propose d'épier Abélard, qu'il soupçonne d'avoir séduit Héloïse. L'occasion s'en présente aussitôt ; l'imprévoyant docteur vient expliquer Virgile et la Bible à son élève. Des amours de Didon, il passe à ceux de Rachel, de ceux de Rachel au sien, et de là aux genoux d'Héloïse, qu'il conjure de se laisser enlever. Gérard, qui a tout entendu, fait arriver Fulbert. L'ardente Héloïse déclare alors qu'elle n'est pas séduite ; qu'elle aime, parce qu'elle le veut bien, et que la mort seule peut la séparer d'Abélard. Pierre arrive à son secours comme au premier acte, et la paix semble faite une seconde fois.

Mais la haine de Gérard n'est pas assouvie ; pour rendre sa vengeance plus piquante, il conseille à Fulbert d'unir Héloïse à son séducteur, et dévoilant en même temps à cette fille crédule un prétendu complot, il la porte à rejeter l'hymen qui lui sera proposé. Celle-ci, fière de la découverte, étonne bien Abélard lorsqu'il vient lui annoncer les bontés de Fulbert ; elle refuse de lui donner la main : la jalousie que ce refus fait naître dans le cœur de son amant ne la déconcerte pas, elle persiste. Abélard se retire, mais hélas, à peine est-il sorti, un bruit étrange, des cris affreux se font entendre ;. Héloïse veut courir, Isaure l'arrête ; des mots entre-coupés lui annoncent un crime horrible ; Héloïse s'élance de nouveau. – Il n'est plus temps, lui dit le bon Pierre, les chants ont cessé, Abélard n'a plus à vous offrir que des vœux.... et l'ombre des autels.

La curiosité a conduit jusqu'au dénouement ce drame foible d'invention, et inégal dans ses détails. Les sifflets et les applaudissemens se sont contre-balancés. L'auteur, M. André MURVILLE, enthousiasmé de son succès, et voulant répondre aux cris de ceux qui demandoient l'auteur, a donné pour dénouement à son drame une scène singulièrement réjouissante. Il s'est avancé sur la scène, sa canne à la main, ses lunettes sur le nez, et ayant fait signe de la main qu'il vouloit parler, il a calmé pour un moment le bruit occasionné par son apparition inattendue.

« Messieurs, a-t-il dit : Je reconnois avec une grande reconnoissance l'indulgence que vous avez eue pour mon foible talent ; je vous remercie sur-tout de vos bontés pour la charmante actrice qui m'a prêté...... »

Il alloit poursuivre : mais les éclats de rire, les applaudissemens, les sifflets, ont produit un tel brouhaha, qu'il en est resté tout déconcerté, et qu'il seroit encore sur le théâtre, si un acteur n'étoit venu charitablement le chercher et l'emmener.

Pierre-Antoine Berryer, Souvenirs de M. Berryer, doyen des avocats de Paris, de 1774 à 1838, tome second (La haye, 1839, p. 107-110 :

[La carrière d’Héloïse àl’Odéon a valu à Murville l’occasion d’un procès contre l’illustre Duval, directeur du théâtre. Son avocat raconte l’anecdote, qui donne une idée de l’ambiance des théâtres du temps.]

André Murville, entre autres productions théâtrales, avait fait recevoir à l'Odéon son drame d'Héloïse, qui déjà y avait obtenu onze représentations. Tout à coup, par un caprice intolérable de l'acteur Clauzel, la pièce avait été suspendue. André Murville s'en était plaint à M. Duval, le directeur, qu'il croyait chargé du personnel. C'était M. Gobert qui, comme entrepreneur, engageant et payant les acteurs, à ce titre, pouvait les gourmander. Au lieu d'une répression, qui eût fait prévaloir ses droits d'auteur, le ridicule, dans un pamphlet, avait été versé à pleines mains sur le pauvre Murville et sur son Héloïse, qui, disait-on, faisait mourir d'ennui et de rire.

Blessé dans son amour-propre d'auteur, André Murville avait répliqué par un autre pamphlet, intitulé les Infiniment Petits, dans lequel il s'en était pris à M. Duval de tous les abus de l'administration de l'Odéon. Dans sa colère, il avait été jusqu'à lancer, contre M. Duval, les personnalités les plus désobligeantes : c'était un homme sans éducation, auteur et acteur désenfariné du boulevard ; d'une négligence coupable dans ses fonctions, paresseux, indolent, jaloux, envieux.

M. Duval s'était pourvu contre les Infiniment Petits, pour cause de calomnie, il avait choisi pour son défenseur M. Gautier, mon ancien élève, qui ne plaisantait pas à l'audience, surtout quand il attaquait.

Je sentis, moi, que je ne pouvais réussir, dans la défense de Murville, que du côté plaisant.

Un incident, flatteur pour M. Duval, venait de le venger amplement des traits satiriques de Murville : l'Académie française venait de l'admettre dans son sein. Dans son discours de réception, M. Duval avait fait le modeste aveu que son éducation avait été fort négligée ; qu'il avait été assez heureux pour se former de lui-même.

Je profitai de cet aveu et d'ailleurs des définitions de l'Académie, qui, dans son Dictionnaire, fait ressortir la différence d'entre les vices et les simples défauts de l'homme. J'établis en thèse que le Code pénal ne réprimait comme calomnies que les imputations de faits faux ou de vices déterminés, de nature à faire encourir à l'inculpé la haine ou le mépris.

Après quoi, paraphrasant la plainte de M. Duval, sur chacune des imputations de Murville, je dis en substance :

Homme sans éducation ! Vous vous en faites un titre d'honneur ; vous ne devez vos succès qu'à vous-même.

Auteur et acteur désemfariné du boulevard ! Vous avez enrichi la scène française de pièces charmantes, qui vous ont valu le fauteuil académique. De meunier vous êtes devenu évêque.

Négligent dans vos fonctions ! Notoirement ce n'est pas sur vous que roule le personnel de l'Odéon; vous ne pressez pas, pour la remise en scène de mon Héloïse.

Paresseux, indolent ! Horace, Pline, ont loué ceux qui vivaient dans cette douce habitude ; dulce otium ; c'était le naturel du bon La Fontaine. Regnard, notre modèle, a fait l'éloge de la paresse ; La Rochefoucault en forme l'apanage du philosophe.

Envieux, jaloux ! Thémistocle l'était bien des succès de Miltiade.

Jalousie d'auteur, preuve d'émulation. Murville, que vous poursuivez après l'avoir persiflé le premier, trois fois a été couronné par cette même académie qui vient de vous accorder les honneurs du fauteuil.

Le tribunal correctionnel a jugé que les querelles de ces deux joûteurs n'étaient pas de sa compétence.

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