L'Honnête criminel

L’honnête Criminel, drame en cinq actes, en vers, de Fenouillot de Falbaire, 3 ou 4 janvier 1790.

L'Honnête criminel se voit souvent adjoindre un sous-titre, ou l'Amour filial, ou la Piété filiale. La pièce a été souvent imprimée, et le sous-titre apparaît très tôt (dès 1768), mais pas de façon constante.

Théâtre de la Nation.

Titre :

Honnête criminel (l’)

Genre

drame

Nombre d'actes :

5

Vers / prose ?

en vers

Musique :

non

Date de création :

3 ou 4 janvier 1790

Théâtre :

Théâtre de la Nation

Auteur(s) des paroles :

M. Fenouillot de Falbaire

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1790, tome II (février 1790), p. 336-339 :

[Article repris du Mercure de France, tome CXXXVIII, n° 3 du 16 janvier 1790, p. 142-144. L’Esprit des journaux a ajouté l’exemple de la tirade du comte pour donner un exemple de passage applaudi.

La pièce est nouvelle à Paris, mais elle a déjà une longue carrière en province (et ajoutons, à l’étranger). Cela dispense de l’analyser. Le critique préfère expliquer son absence des scènes parisiennes par le fait qu’elle traite d’un sujet sensible, puisqu’elle montre l’intolérance envers le protestantisme, le seul crime de l’honnête criminel étant d’avoir pris la place de son père huguenot aux galères. Ce sujet, adapté d’un fait réel « assez moderne » était difficile à porter au théâtre, et c’est le mérite de l’auteur d’avoir su en tirer des scènes pathétiques, et de susciter à travers elles un vif intérêt. Si la pièce a connu un succès complet, c’est aussi par ses « caractères bien tracés, et tous intéressans ». Les quelques défauts « dans la contexture de cet ouvrage » ne pouvaient nuire à l’effet d’ensemble.]

Le lundi 3 janvier, on a donné pour la premiere fois, sur ce théatre, l'Honnête criminel, drame en cinq actes, en vers, de M. Fenouillot de Falbaire.

Ce drame étant imprimé depuis long-tems, & ayant souvent paru sur les théatres de la province, nous ne nous traînerons point sur l'analyse d'un ouvrage aussi connu, mais nous devons annoncer le succès qu'il vient d'obtenir dans la capitale. Comme il y est question du protestantisme, & des effets d'une cruelle intolérance, le ministere en avoit toujours empêché la représentation à Paris, quoique la reine l'eût permise, ordonnée même à Versailles. Cette apparente contradiction se joint aux cent mille & une preuves, que c'est plutôt autour du trône que sur le trône, que siege le despotisme ; & que c'est bien moins à la source de l'autorité, que dans ses canaux, qu'il faut en rechercher les abus.

On sait qu'un trait historique, assez moderne, a fourni le sujet de ce drame. C'est un fils qui prend la place de son pere, condamné aux galeres pour cause de religion. Quelle douce satisfaction pour les ames sensibles, de songer que cette anecdote n'est point due à l'imagination de l'auteur ; que ce héros de l'amour filial a existé ; & que c'est le cœur d'un François qui a donné I'exemple de cet acte de vertu qui honore l'humanité !

Une pareille situation, dans le genre noble, étoit difficile à adapter à la scene ; mais, ces premieres difficultés vaincues, le sujet ne pouvoit que vivement intéresser ; aussi M. Fenouillot de Falbaire en a-t-il tiré des scenes du plus grand pathétique. La reconnoissance d'André & de sa maîtresse qui croyoit l'avoir perdu ; le refus qu'il fait courageusement de déclarer le sujet de sa détention, parce que son aveu peut compromettre la liberté de son pere ; ce noble dévouement qui le fait consentir à passer pour coupable, même dans l’esprit d'une femme qu'il adore ; cette pudeur qui le retient au moment où il est prêt à tomber à ses pieds, dans ce costume humiliant qui est l'effet & le triomphe de sa vertu, mais qui semble déposer contre elle ; cet héroïque désaveu dans lequel il persiste encore, même en présence de son pere qui vient réclamer ses chaînes : c'est à ces moyens victorieux que l'auteur de l'Honnête criminel a joint le mérite de plusieurs caracteres bien tracés, & tous intéressans ; aussi son succès a-t-il été complet ; & quelques taches que l'esprit a pu appercevoir dans la contexture de cet ouvrage, n'ont pu nuire à l'impression qu'il a produite sur l'ame des spectateurs.

Parmi le grand nombre de vers qu'on a applaudis avec transport, nous nous bornerons à une tirade du comte d'Anplace, commandant des galeres, quand il releve & embrasse le pere & le fils, précipités à ses genoux, & se disputant les fers de l'esclavage. D'Olban s'écrie d'abord :

                            O Dieu ! vois ces nobles combats,
Baise un moment ici tes regards sur la terre !
Ce spectacle en est digne.

LE COMTE.

                               O vrai fils d'un tel pere,
Bon vieillard, mes amis, venez tous dans mes bras.
Ah ! que vos cœurs sont grands, sont au-dessus des nôtres !
Vous étiez à mes pieds , c'est à moi d'être aux vôtres.
Mais, encore un moment, à nos yeux j'ai voulu
Vous laisser déployer toute votre vertu ;
Elle honore la terre ; & votre délivrance
Doit de tant d'héroïsme être la récompense.
Aussi j'en viens pour vous d'obtenir la faveur,
Sûr qu'elle aura 1'aveu d'un roi dont la clémence
De la loi, quand il faut, tempere la rigueur.
Il prise la vertu, quelque part qu’elle brille ;
Et demandant au ciel d'éclairer vos esprits ;
Il vous traite en enfans égarés, mais chéris,
Qu'il se plaît à compter toujours dans sa famille.

Mlle. Contat, MM. Molé, Saint-Fal & Vanhove ont joué les principaux rôles avec un succès aussi brillant que mérité.

Courrier des spectacles, n° 180 du 17 messidor an 5 [5 juillet 1797], p. 2 :

[La pièce de Fenouillot de Falbaire a été reprise au Théâtre de la République en 1797, lors de la création du Journaliste, ou l'ami des mœurs, occasion pour le critique de revenir sur l’interprétation, mais aussi pour contester que l’auteur ait ramené la pièce dans son état originel.]

On avoit donné pour première pièce l’Honnête criminel, autre drame, dans lequel M. Brion a continué son début par le rôle d André. Nous répéterons à cet acteur ce que nous lui avons dit sur son organe, qui n’est point du tout sonore. II a été foible dans ce rôle ; il y a cependant montré beaucoup d’intelligence ; on voit qu’il sent parfaitement ce qu’il dit, mais il n’est pas heureux dans l’exécution. Ses gestes sont en général trop forcés, trop abandonnés. Nous croyons devoir ajouter qu’il n’a pas mis assez de chaleur dans plusieurs morceaux qui ne peuvent s’en passer.

Mademoiselle Vanhove a parfaitement rendu le personnage de Cécile ; il est impossible d’y mettre plus de naturel et plus de sentiment.

M. Baptiste a été applaudi dans le rôle de Dalban. Si le jeu de cet acteur répondent toujours à sa diction, on pourroit, avec raison, le mettre à côté de M. Molé.

Il y a quelque temps que l’auteur de cette pièce nous fit insérer une lettre pour annoncer qu’il l’avoit rétablie comme elle étoit autrefois. Il nous semble avoir remarqué des additions, sur-tout à la fin. Nous ne croyons pas qu’elles aient ajouté au mérite de son ouvrage.

L. P.

D’après la base César, la pièce a d’abord été jouée en 1768 chez M. de Villeroy, à Paris, puis elle a fait carrière à l’étranger : de1770 à 1785, elle est jouée 13 fois à Bruxelles, et en 1773 et 1776 2 fois à Maestricht. Elle est ensuite jouée à Toulouse 5 fois en 1786. Une représentation aurait eu lieu au Théâtre des Beaujolais de Paris à une date inconnue, et c’est le 4 janvier 1790 qu’elle est jouée pour la première fois sur le Théâtre de la Nation, début d’une longue carrière sur divers théâtre parisiens  14 représentations au théâtre de la Nation, jusqu’au 20 janvier 1791, 37 représentations au Théâtre Français de la rue de Richelieu, 9 au Théâtre d’Emulation, 8 au Théâtre de la Rue Martin, 1 à l’Ambigu Comique, 7 au Théâtre Feydeau, 7 au Théâtre du Marais, 2 au Théâtre des amis de la Patrie, 5 au Théâtre Molière, 4 au Théâtre des Victoires entre 1792 et 1799). A ces représentations parisiennes s’ajoutent 4 représentations à Bruxelles, entre 1790 et 1792.

Les Œuvres choisies de Diderot, Fenouillot de Falbaire et Imbert, publiées par Nodier et Lepeintre (Paris, 1824), rappellent les difficultés que la pièce a connues pour être jouées à Paris. La préface de Fenouillot de Falbaire à sa pièce, puis la notice historique qui précède la pièce permet de mesurer la portée politique d'une œuvre qui montre l'injustice faite aux protestants. Cette notice s'achève par le constat d'un succès assez maigre : 13 représentations au Théâtre Français, maintien au repertoire jusqu'en juillet 1804, mais plus de représentations ensuite.

La base Lagrange de la Comédie Française confirme le succès très relatif de la pièce : de 1790 à 1806, la pièce a connu 27 représentations et n'a plus été jouée ensuite.

La base César signale l'existence d'une parodie de l'Honnête criminel, le Roué vertueux, poème en prose, en quatre chants, propre à faire, en cas de besoin, un drame à jouer deux fois par semaine de Charles-Georges Coqueley de Chaussepierre (mort en 1791). Elle a été publiée en 1770 à Lausanne.

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