L’Honnête menteur

L’Honnête menteur, comédie en un acte et en prose, de Dumaniant, 6 juin 1809.

Odéon. Théâtre de l’Impératrice.

Titre :

Honnête menteur (l’)

Genre

comédie

Nombre d'actes :

1

Vers / prose

prose

Musique :

non

Date de création :

6 juin 1809

Théâtre :

Odéon. Théâtre de l’Impératrice

Auteur(s) des paroles :

A. J. Dumaniant

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Adrien Garnier et chez Martinet, 1809 :

L’Honnête Menteur, comédie en un acte et en prose, Par A. J. Dumaniant. Représentée pour la première fois, sur le théâtre de l’Odéon, par les comédiens ordinaires de S. M. l’Impératrice, le 6 juin 1809.

Journal de l’Empire, 8 juin 1809, p. 3-4 :

[Un premier paragraphe qui peut surprendre règle le compte d’une débutante qui paraît plus susceptible d’attirer l’attention sur son physique que sur son talent. Hors sujet, bien sûr, mais c’est tout de même un passage intéressant sur les mœurs des coulisses. La pièce nouvelle est ensuite présentée comme d’un niveau supérieur à ce qu’on voit habituellement sur le théâtre de l’Odéon : « un petit acte qu'on n'accusera pas d'être vide ; il n'est au contraire que trop plein », ce qui n’est certainement pas qu’un compliment. Cet acte est-il « trop plein » ? Le résumé de l’intrigue montre en effet une histoire assez compliquée (une femme ruinée, dont le fils est amoureux de la fille de celui qui l’a ruinée, et un jardinier fidèle à la femme ruinée qui fait tout pour faire rendre l’argent à son ancienne maîtresse, mais aussi pour arriver à marier les jeunes gens qui s’aiment. Il y arrive, bien entendu, en combinant les deux choses : le procureur véreux rend l’argent qu’il a détourné pour que sa fille puisse épouser son amant, qu’il croit très riche du fait du mensonge honnête du jardinier. Le jugement porté sur la pièce est mitigé : peu d’intérêt, les personnages sont froids, seul le jardinier est brillant ; les incidents sont brusques (mal préparés ?) ; et elle emprunte à bien d’autres pièces : c’est une pièce « passable » pour l’Odéon, théâtre que le critique ne semble pas porter aux nues. Mais l’auteur pouvait se faire nommer : il vaut bien d’autres auteurs qui n’ont pas eu ses scrupules.]

THÉATRE DE L’IMPÉRATRICE.

            L’Honnête Menteur.

On a remarque dernièrement à ce théâtre une belle débutante nommée Mad. Merval. Elle n'est pas encore bonne ; elle n'a paru jusqu'à présent sur aucun théâtre : le temps et l'exercice la formeront sans doute ; mais il y a beaucoup et même tout à faire du côté de l’art. Une belle femme ne manque jamais de professeurs empressés à lui offrir leur savoir-faire ; mais elle a aussi une foule de distractions : obligée de donner beaucoup de temps à ceux qui veulent lui plaire, elle n'en a guère de reste pour ceux qui veulent l’instruire

L’Odéon est une carrière continuellement ouverte aux essais des acteurs et des auteurs : on y voit paroître sans cesse des comédiens nouveaux et des comédies nouvelles : la plupart ne font que passer. L'Honnête Menteur pourroit y faire un séjour plus long que les autres : c'est un petit acte qu'on n'accusera pas d'être vide ; il n'est au contraire que trop plein.

Une Mad. Déricour a été ruinée par un procureur nommé Dubuc ; incident très-naturel. Le procureur s'est approprié les dépouilles de la dame : rien de plus ordinaire. Mais voici quelque chose de moins commun : la dame ruinée a un fils qui revient du Nouveau-Monde pas bien riche, et toujours amoureux de Mlle Dubuc, fille du procureur ; ce n'est pas encore là ce que j'appelle du merveilleux. Mais voici le romanesque, l'incroyable : Mad Déricour, qui n'a plus rien, a un jardinier qui lui est resté fidèle dans sa disgrace Cet homme ne s’en tient pas à un sentiment stérile ; il offre à sa bonne maitresse, qui est dans le besoin, une somme assez considérable, fruit de ses éparges [sic] ; et pour qu’elle ne rougisse pas de l’accepter, il porte la déticatesse jusqu'à déclarer à la dame qu'il est chargé par le jeune Dericour, son fils. de lui offrir cette somme. La dame, il est vrai, pourroit être étonnée que son fils lui fasse offrir de l’argent par son jardinier sans lui en donner avis : cela est étrange et bizarre ; mais si le jardinier n'est pas un menteur adroit, c’est assurément un menteur fort honnête. Ce ne sera pas le dernier de ses bienfaits et de ses mensonges ; ce jardinier est un vrai héros de roman, et il tient dans la pièce un rang plus considérable que ses maîtres.

Ce n'est rien pour lui d'avoir si habilement secouru Mad. Déricourt ; il faut qu'il marie le jeune homme revenu d'Amérique sans autre fortune que son amour pour Mlle Dubuc ; et c'est là le diffficile. Comment imaginer qu'un procureur riche donne sa fille au fils de la femme qu'il a ruinée et lui fasse ainsi une sorte de restitution ? Le jardinier en vient à bout par un second mensonge non moins honnête et plus ingénieux que le premier. Il fait entendre au procureur que le fils de Mad, Derircur revient d'Amérique cousu d'or ; qu'il a des millions, mais qu'il se fait pauvre pour éprouver ses amis. Il ajoute que le jeune homme, amoureux de sa fille, ne demanderoit pas mieux que de l’épouser mais qu'il se feroit scrupule de choisir pour beau-père l'auteur de la ruine de sa mère, et l'avide spoliateur de son patrimoine. Sur cette fausse confidence, le procureur bâtit le plan d'une action héroïque ; il se détermine à restituer ce qu'il a volé à la mère dans l'espoir d'être amplement dédommagé par le fils. Dans cette affaire on voit un jardinier bien madré et un procureur bien dupe. M. Dubuc n'a pas plutôt fait sa sublime restitution, qu’il reconnoît qu'il a été joué : mais le malheur est sans remède ; il s’en console en pariant sa fille au jeune Déricour, qui, grace aux biens rentrés dans sa famille, devient un assez bon parti.

Ce petit roman n'est pas d'un intérêt bien vif Le jeune Déricour et Mlle. Dubuc sont à la glace ; le procureur n'est pas très-comique, mais le jardinier est brillant : les incidens sont brusques. La pièce rappellc tantôt le Pasquin du Dissipateur, tantôt l’Habitant de la Guadeloupe, tantôt le procureur d’une petite comédie de Dancourt intitulée les Vacances ; mais pour une pièce de l’Odéon, elle est assez passable. L'auteur, demandé, a voulu garder l’anonyme : il eût mieux mérité d’être nommé que beaucoup d'autres.

Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, 14e année, 1809, tome III, p. 382 :

[Un honnête menteur, c’est un menteur qui ment pour la bonne cause. Celui-ci permet un mariage à la fin de la pièce... « selon l’usage ». Succès « dû à des détails comiques » et à un acteur nouvellement embauché. L’auteur a gardé l’anonyme... jusqu’à la publication de la brochure !]

ODÉON. THÉATRE DE L’IMPÉRATRICE.

L'Honnête Menteur, comédie en un acte et en prose, jouée le 5 juin.

Cet honnête menteur n'est pas comme celui de Corneille, qui ment par besoin de mentir. Il trompe les gens pour faire du bien ; il fait passer des pauvres pour riches; en un mot, il ment avec les meilleures intentions du monde. Grâce à ses mensonges honnêtes un mariage se termine, et la pièce avec, selon l'usage. Le succès en est dû à des détails comiques, et à un bon rôle joué avec talent par Chazelles, acteur qui doit être pour ce théâtre une bonne acquisition.
L'auteur a gardé l'anonyme.

L’Esprit des journaux français et étrangers, année 1809, tome VIII (août), p. 274-279 :

[Un compte rendu où il est plus question du mensonge que de la pièce, dont le succès est dû à un rôle réussi, « vif et spirituel ». Car sinon, la pièce est un peu courte (c’est rare de voir un tel reproche !) en raison de la multitude des événements, et un peu froide « malgré cette brièveté ». Article à lire pour apprendre à distinguer la foule des types de menteurs et de mensonges.]

Théatre de l'Impératrice.

L'honnête Menteur.

Pour une manière de dire la vérité, il y en a mille de mentir. Toutes les routes devoyent du blanc, une y va, dit Montaigne ; mais outre les variétés de moyens employés pour le mensonge, que de variétés dans les intentions, depuis le menteur noir qui y cherche

Son bien premièrement et puis le mal d'autrui,

ou bien

Le mal d'autrui d'abord et puis ton bien après,

jusqu'au menteur généreux comme Sophronie et Olinde, qui s'accusent à faux eux-mêmes, l'un pour sauver les chrétiens, ses frères ; l'autre pour sauver sa maîtresse !

Magnanima menzogna ! or quando é il vero,
Si bello, che si passa a te preporre !

« Mensonge magnanime ! la vérité sera-t-elle jamais assez belle pour surpasser ta gloire » ?

C'est cependant un mensonge et bien conditionné ; quelle immense famille que celle des menteurs, s'il y faut comprendre non-seulement les honnêtes gens, mais les gens vertueux ! Et quel menteur que l'honnête homme, quelle menteuse que l'honnête femme qui protestent n'avoir jamais menti ! Serait-il encore honnête homme, serait-elle encore honnête femme sans le secours de quelques mensonges ? On lui a donné un secret à garder ; il est questionné : vous croyez qu'il en sera quitte pour dire : je le sais et ne le dirai pas. Non, assurément, car une partie du secret, c'est qu'il y ait un secret, c'est qu'il le sache ; s'il en convient tout est dit, il a manqué au secret promis. II n'avait qu'à, dira-t-on, ne pas s'en charger ; mais il l'a su par hasard, il l'a entendu en passant ; mais c'est le secret de son père, de quelqu'un que son devoir est de servir ; c'est le secret d'un malheureux qui n'a de soutien que lui. Une femme sensible, un peu susceptible d'amour-propre, se voit suivie, accablée de soins, d'attentions par un homme aimable. Elle lui dira que ses soins lui déplaisent, elle mentira et elle le doit ; car si elle disait la vérité, elle dirait : vos soins me plaisent, mais pas assez pour me déterminer à vous aimer ; ou bien: ils me plaisent, mais mon devoir me défend de les recevoir ; on bien: ils me plaisent, et c'est pour cela que je les rebute, parce que je les crains. Quelle honnête femme peut se croira permis de parler ainsi à un homme qui n'est pas un ange, et qui a déjà sur elle l'avantage de ne pas lui déplaire ? C'est donc précisément parce que la chose n'est pas vraie qu'elle doit la dire ; si elle l'était, cela serait inutile.

Entre tous ces cas où le mensonge est de devoir, est-il bien aisé de démêler toujours les cas où il n'est que de précaution ? Et dans les mensonges de précaution a-t-on toujours le temps de démêler si la précaution elle-même est bien légitime, si la prudence n'est pas quelque chose de plus que de la prudence ? Examinez même le mensonge officieux ; n'est-il pas possible que le bon office qu'il a rendu à l'un ait nui à l'autre ? Comment faire quand il est certain qu'il faut mentir quelquefois, et qu'on doit mentir le moins possible ? Il faut ne pas savoir mentir, il faut se mettre dans la nécessité de faire une étude et un effort sur soi-même, chaque fois qu'un devoir indispensable exige un mensonge. Il me semble qu'un honnête homme doit être bien mécontent de lui, lorsque, même dans le but le plus honnête, le plus vertueux, il a menti avec grâce, avec aisance, sans trouble, sans peine et sans préparation ; il a perdu envers lui-même le plus sûr garant de sa véracité, l'aversion du mensonge, l'instinct qui le repoussait. Il n'est plus certain d'être averti par rien dans le cas où la faiblesse, l'irréflexion, l'intérêt d'une passion lui demanderont un mensonge, sans que le raisonnement ait eu le temps de lui apprendre s'il est légitime ou s'il est vraiment nécessaire. Et, fût-il sûr de lui, il n'a plus une de ses vertus qui puisse lui assurer la confiance des autres. Si quelqu'un m'avait menti en perfection pendant deux ans de suite pour me sauver la vie, je ne pourrais plus m'y fier : sûr qu'il ne serait capable de tromper que pour mon bien je n'en croirais pas moins qu'il me trompe, je ne croirais plus à un seul des bonheurs qu'il pourrait me promettre, et son honnêteté ferait le tourment de ma vie. L'honnête menteur est donc celui que je craindrais le plus ; dans le menteur mal-honnête, le mensonge ne gâte rien. Qu'un valet vous trompe pour vous voler, il n'y a qu'à le chasser et on est tranquille. Mais à la place de Mme. Déricourt je ne toucherais plus un écu avec tranquillité après le tour que lui a joué son jardinier Thomas, qui, la voyant dans la détresse, et n'osant lui offrir le produit de ses épargnes, lui a persuadé que la somme qu'elle recevait venait de son fils le jeune Déricourt, qui la lui envoyait des Grandes-Indes. Voilà non-seulement un honnête menteur, mais un menteur vertueux ; c'est encore pis ; il n'y a rien dont ces gens-là ne soient capables. Cependant le mensonge peut avoir été arrangé, prémédité d'avance : un honnête menteur qui ne l'est pas de premier mouvement, mais avec réflexion, c'est pas encore un menteur, c'est un honnête homme qui ment par nécessité, sans en avoir le goût ni le talent. Mais voilà le fils qui arrive, qui, au lieu d'avoir fait fortune aux Indes, arrive aussi ruiné que sa mère ; il n'a pu envoyer l'argent qu'il n'avait pas. C'est ici que, pour soutenir le premier mensonge de Thomas, il faut de l'esprit, et malheureusement Thomas ne manquera ni de mensonges, ni d'esprit. Voilà donc le talent arrivé ; gare que le goût ne lui vienne ; il est si ordinairement la suite du talent ! Et en effet il lui vient si bien, que Thomas, qui s'était borné jusqu'alors à tromper de bonnes gens, entreprend de duper un procureur.

C'est pour un coup d'essai vouloir un coup de maître.

Il est vrai que ce procureur ne doit pas croire qu'on puisse vouloir tromper pour le profit des autres, et qu'il doit être sans méfiance contre un mensonge désintéressé. Ce n'est probablement pas par des mensonges de ce genre qu'il a ruiné Mme. Déricourt, dont il s'est approprié tous les biens, tandis que sa fille s'est approprié le cœur du jeune Déricourt. Le père fait peu de cas de cette dernière propriété, depuis qu'elle n'est plus accompagnée des autres ; c'est pour la remettre en valeur que Thomas entreprend de persuader à M. Dubuc (c'est le nom du procureur) que Déricourt revenu millionnaire, cache sa richesse pour éprouver ses amis, et que, toujours disposé à épouser Mlle. Dubuc, il n'attend pour s'y déterminer qu'une restitution de ses biens qui lui prouve l'honnêteté de son futur beau-père, ce qu'une restitution prouve à merveille, attendu qu'on ne restitue que ce qu'on avait commencé par prendre. On conçoit que, pour faire réussir un semblable projet, il faut que le procureur soit bien bête et Thomas bien spirituel ; tous deux remplissent très bien la condition, et Déricourt une fois en possession de ses biens, qui lui ont été rendus par le procureur, les rend à la fille en l'épousant, ce qui n'est peut-être pas la même chose pour le père. Je lui conseille, pour s'en dédommager, de prendre Thomas pour son premier clerc. Ce rôle de Thomas, qui est vif et spirituel, a fait réussir la pièce qu'on a trouvée un peu courte pour la multiplicité d'événemens qui s'y entassent, et quelquefois un peu froide, malgré cette brièveté.                         P.

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