Il faut un état, ou la Revue de l'An 6

Il faut un Etat, ou la Revue de l'An 6, proverbe en un acte, en prose et en vaudeville, de Leger, Chazet et Buhan, 1er jour complémentaire de l'an 6 [17 septembre 1798].

Théâtre du Vaudeville

Titre :

Il faut un Etat, ou la Revue de l'An 6

Genre

proverbe en vaudeville

Nombre d'actes :

1

Vers ou prose ,

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

1er jour complémentaire an 6 (17 septembre 1798)

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

Chazet, Léger et Buhan

Almanach des Muses 1800

Duval aime Félicité, fille du C. Dupont, marchand de craps ; mais celui-ci ne veut donner sa fille qu'à un homme qui ait un état, et Duval n'en a point. Duval prouve bientôt qu'il peut s'en donner un. Dupont a fait annoncer dans les journaux qu'il desirait trouver un gendre pour sa fille, et Duval joue successivement soue les yeux de son futur beau-père, qui par bonheur a la vue basse, les rôles d'imprimeur-libraire, de parfumeur, de maître de danse, de peintre, et de diseur de bonne aventure. Ce n'est que sous le costume de ce dernier personnage que Dupont reconnaît Duval, et consent à lui donner sa fille, parce qu'il connaît le directeur du Vaudeville, et qu'il est sûr de faire entrer Duval à ce théâtre.

Fonds très-léger. Dialogue vif et naturel, couplets spirituels et piquans.

Courrier des spectacles, n° 574 du 2e jour complémentaire an 6 [18 septembre 1798], p. 2-3 :

[Le critique a bien aimé la nouvelle pièce : elle a eu « le succès le plus brillant et le mieux mérité », les auteurs ont eu droit à un triomphe (ils « ont été demandés avec transport »), et il s’agit d’un des plus jolis ouvrages donnés à ce théâtre depuis longtemps, avec un « fond […] simple et léger », comme il convient à une comédie-proverbe. L’intrigue est présentée ensuite : c’est une suite de scènes où un amant qui veut convaincre le père de sa maîtresse de le choisir comme gendre, bien qu’il n’ait pas d’état dans la société, joue toute une série de rôles, occasion de se moquer de tous les états dans la société. Le futur beau-père se laisse convaincre : il placera son gendre au Théâtre du Vaudeville, où son aptitude au déguisement lui sera très utile. Le public a aimé, et le comédien protéiforme a réussi. Les couplets ont aussi été appréciés. Mais faute de place, leur publication est remise au lendemain.]

Théâtre du Vaudeville.

Le proverbe donné hier à ce théâtre, sous le titre de II faut un état ou la Revue de l’an six, a obtenu le succès le plus brillant et le mieux mérité. Les auteurs ont été demandés avec transport, ce sont les cit. Léger, Chazet et Buant. Cet ouvrage est un des plus jolis qui aient été donnés au Vaudeville depuis fort long-temps ; le fond en est simple et léger, comme doit être celui de tous les proverbes.

Un père ne veut marier sa fille qu’à un homme qui ait un état, et qui ait joui d’un bonheur constuant pendant toute la durée de l’an six ; en conséquence il a fait insérer sa demande dans les journaux. L'amant de la demoiselle ne pouvant obtenir la main de sa maîtresse, se décide à jouer quelques personnages de société ; il paroît donc alternativement sous les costumes d’un libraire, d’un entrepreneur de danses, d’un gascon banquier de biribi, d’un parfumeur et d’un magicien ; et sous ces différens travestissement il critique avec beaucoup d’esprit, de finesse et de mordant, les différens états de la société. Les nouveaux riches, les romanciers à la diable, les mauvais ouvrages dramatiques, les jardins publics, les escrocs adroits, les modes ridicules, etc. etc., tout passe en revue, chacun à son lot dans la critique, et ce qui est très-ordinaire, et cependant toujours très-plaisant, c’est que personne ne se reconnoît aux traits originaux, et que chacun y applaudit avec enthousiasme ; enfin l’amant est reconnu par le père qui l’unit à sa fille en lui promettant de le placer au théâtre du Vaudeville, où sans doute il fera grand plaisir.

Le public a vivement applaudi à cette application ; c’est le cit. Carpentier qui joue tous les rôles de travestissement, et il s’en acquitte avec une parfaite intelligence.

On a fait répéter beaucoup de couplets, la plupart sont faits avec soin, et dans le style le plus piquant. Nous nous les sommes procurés comme de coutume ; mais le défaut d’espace ne nous permettant pas de les insérer aujourd’hui, nous les donnerons dans le prochain numéro.

Courrier des spectacles, n° 574 du 3e jour complémentaire an 6 [19 septembre 1798], p. 2-3 :

[Les couplets promis. Avant de les proposer, le critique rappelle le principe de la pièce, la succession des personnages joués par le futur gendre. Un seul n’a pas la faveur du critique, le « banquier de biribi », dont le couplet est « un peu foible » : le critique pense qu’il faut supprimer son rôle. Suivent quatre couplets, dont chacun appréciera la qualité (mordant ou pas, épigrammatique ou pas). Puis le critique, de façon un peu inhabituelle, conseille au public d’aller voir la pièce : il y entendra « un grand nombre de charmans couplets, et une critique fine et judicieuse ». On sait ainsi ce que le critique du Courrier des spectacles appelle « de charmans couplets ».

Le biribi est un jeu de hasard que le Trésor de la Langue française compare au jeu de loto (des boules creuses contenant des billets numérotés et qu'on tire au sort). Le banquier de biribi est le meneur du jeu.]

Théâtre du Vaudeville.

Les personnages les plus saillans du proverbe Il faut un état, ou la revue de l’an six, sont ceux d’un Libraire, d’un Entrepreneur de danses, et d’un Magicien. Le rôle du Parfumeur nous a semblé aussi fort piquant. Il y a des couplets faits avec beaucoup de sel et de finesse, quant au personnage du Gascon, Banquier de biribi, il nous a semblé un peu foible, et nous engageons les auteurs à le supprimer, attendu qu’il a fait très-peu de sensation. Voici quelques couplets de ce très-épigrammatique et très-spirituel ouvrage.

Le premier qui se présente comme ayant joui d’un bonheur constant pendant l'an six, est un Libraire. Dupont (c’est le nom de celui qui veut marier sa fille) lui dit :

Heureux et libraire, vous m’étonnez.

Air : De Joconde.

De tous les commerces nombreux
      Qu’à Paris ont peut faire,
Je soutiens que le moins heureux
      Est celui du libraire.
Vos livres doivent vous rester,
      Car , vous avez beau dire,
Ceux qui pourroient les acheter
      Ne sauroient pas les lire.

Dupont demande ensuite au Libraire s’il vend beaucoup de bons ouvrages anciens. Le libraire lui répond que Lafontaine se vend encore assez bien, puis il fait ainsi l’éloge de ce fabuliste.

Air du Vaudeville de la soirée orageuse.

De la morale et du bon sens,
Chaque jour doublant les conquêtes,
Ce fabuliste a de son tems
Sçu prêter un langage aux bêtes.

Dupont.

Son secret est beau, mais ma foi,
De son avis le mien diffère,
Car il les fit parler, et moi
Je voudrois les faire taire.

Le second des prétendans qui se présente est un Entrepreneur de danses, apres avoir beaucoup critiqué tous les jardins publics, et notamment Idalie et l’Elisée, Dupont prend la défense du jardin de Tivoli, et lui dit :

      Air : Vaudeville des deux Veuves.

Tivoli doit être pourtant
A l’abri de votre censure,
Puisque dans ce séjour charmant
L’art est rival de la nature.

      L’Entrepreneur.

Quoique ce lieu soit fort joli,
Aux regrets il laisse une place,
On nous a rendu Tivoli,
On n’a pas pu nous rendre Horace.

Le dernier des personnages qui aspirent à la main de la fille de Dupont est un Magicien. Il fait les prédictions pour l’an sept. Parmi une foule de couplets très-saillans, nous n’avons pu nous procurer que le suivant.

Le Magicien.

Air : Des fleurettes.

      Les gascons, les gazettes,
      Diront la vérité ;
      Les auteurs, les coquettes,
Seront sans vanité, Changeant de mode et d’usage,
      La beauté se vêtira,
      Et du moins ne montrera
            Que son visage.

Nous engageons nos lecteurs à aller voir ce joli ouvrage , dans lequel ils trouveront un grand nombre de charmans couplets, et une critique fine et judicieuse.

Journal de Paris, n° 363, 3me jour complémentaire an VI, p. 1520 :

Théâtre du Vaudeville.

La Revue de l'an 6 ou il faut un Etat, petite pièce jouée avant-hier pour la première fois sur ce théâtre, y a obtenu le plus brillant succès.

Un marchand de draps, nommé Dupont, annonce dans les Journaux qu'il desireroit donner à sa fille un mari qui et un état, et qui put se flatter d'avoir été parfaitement heureux durant tout le cours de l'an 6. – Duval, amant aimé de la jeune personne, n'ayant pu réussir auprès du père en qualité de comédien de société & de rentier, vivant de son bien, prend le parti de se présenter successivement à lui sous divers déguisemens plus bizarres les uns que les autres, d'abord comme libraire, puis comme entrepreneur de bals publics, puis comme gascon, joueur & escroc,ensuite comme marchand de modes, & enfin comme magicien ! Le père Dupont ne trouvant son fait dans aucun de ces personnages, & s'appercevant qu'il y a intelligence entre sa fille & l'ami Duval, se détermine à les unir, & la pièce finit ainsi par un mariage.

Il seroit par trop sévère de vouloir juger le plan excessivement simple d'une pièce qui n'est annoncée que comme un proverbe, & qui est réellement un cadre à couplets plutôt qu'un ouvrage dramatique. Cette extrême simplicité, fut-elle, même, un défaut dans la Revue de l'an 6, il se trouverait suffisamment compené par des critiques fines & piquantes, par des saillies, des épigrammes très-heureuses, &, en un mot, par un cliquetis d'esprit presque continuel ; c'est véritablement une des plus jolies bagtelles qui aient été données depuis long-temps à ce théâtre.

Le rôle du gascon escroc est moins saillant que les autres, mais comme il importe peu à la marche de la pièce, il seroit très-facile de le supprimer & de le remplacer par un personnage beaucoup plus comique. On pourroit aussi relever dans le cours de l'ouvrage un certain nombre de calembourgs, mais plupart du moins sont neufs & piquans, & ce genre d'esprit n'est intolérable dans un Vaudeville que lorsqu'il est employé sans choix & sans modération.

Parmi les couplets qui ont fait plaisir, nous avons remarqué ceux-ci :

DUPONT, au Libraire.

Air du Pas redoublé.

De tous les commerces nombreux
      Qu'à Paris on voit faire,
Je soutiens que le moins heureux
      Est celui de libraire ;
Vos livres doivent vous rester,
      Car, vous avez beau dire,
Tel qui pourrait en acheter,
      Ne sauroit pas les lire.

DUPONT, à l'Entrepreneur de Fêtes.

Air : Vaudeville des deux Veuves.

Tivoli doit être pourtant
A l'abri de votre censure,
Musique dans ce séjour charmant,
L'art est rival de la Nature.....

L'ENTREPRENEUR.

Quoique ce lieu soit très-joli,
Aux regrets il laisse une place,
On nous a rendu
Tivoli,
On n'a pas pu nous rendre
Horace.

Le couplet suivant est dans la bouche du parfumeur, marchand de modes :

Air : On compteroit les diamans.

Avec art, ma sœur à Paris,
Transportant & Rome & la Grèce,
Vendit à nos chastes Laïs,
Bonnets et schalls à la Lucrèce,
Mais comme nos écrits, nos mœurs,
N'avoient pas la pudeur pour base,
A nos femmes à nos auteurs,
Ma sœur ne vendit point de gase.

La pièce a été bien jouée. Les auteurs ont été demandés ; ce sont les citens Léger, Buant & Chazet, déjà connus avantageusement par des productions agréables.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1798 (vingt-huitième année), tome I (octobre 1798, vendémiaire, an VII), p. 214-215 :

[Le fait qu’il s’agisse d’une pièce à tiroir ne dispensait pas les auteurs d’un plan raisonnable. Des couplets piquants ne suffisent pas, et l’exemple des Fâcheux de Molière est convoqué pour montrer qu’une scène à tiroir doit avoir un but. Or ce n’est pas le cas ici. Ce qui n’empêche pas les attaques contre tous les sujets à la mode d’être très drôles. Beaucoup de saillies originales, peu de pointes de mauvais goût. L’interprète principal s’est sorti à son avantage d’un rôle où il endosse conq travestissements. Un seul auteur est nommé.]

THÉATRE DU VAUDEVILLE.

Il faut un Etat, ou la Revue de l'an VI.

Si les auteurs ingénieux de cette bluette avoient donné un peu plus de raison à leur plan, les jolis couplets dont fourmille leur ouvrage, auroient encore plus d'agrément & de prix ; mais ils paroissent avoir pensé que les pièces qu'on nomme à tiroir n'en avoient pas besoin : c'est une erreur, chaque genre a ses règles, & Molière qui n'en a dédaigné aucun, les a posées dans celui - ci comme dans tous les autres. Il suffit de lire, pour s'en convaincre , la comédie des Fâcheux : toutes les scènes à tiroir doivent avoir un but. Il seroit difficile de deviner celui que se propose l'amant dans la pièce intitulée : La Revue de l'an VI ; il est même impossible de soumettre l'ouvrage à une analyse. Mais cette faute une fois pardonnée, rien n'est plus piquant que les traits lancés dans des couplets assez bien tournés contre les romans anglais, les sorciers, les diables, les drames, les travers du jour & les sottises des modernes parvenus. Il y a d'autant plus de mérite à faire encore rire sur cette matière, que depuis un an c'est la base & le refrain de tous les vaudevilles. A l'exception de quelques pointes & de quelques jeux de mots qu'on ne sauroit pardonner à ceux qui ont assez d'esprit pour s'en passer, il est difficile de rassembler plus de saillies originales : il est impossible aussi de ne pas admirer un vrai talent dans la manière dont le C. Carpentier varie ses tons sous cinq travestissemens La pièce est du C. Chazet & de deux coopérateurs.

Cette pièce de circonstance « obtint un succès de vogue justement mérité, ainsi qu'au théâtre des Troubadours, où elle fut transportée en 1799 » (Biographie universelle ancienne et moderne, nouvelle édition, tome sixième (1843), p. 125 (dans la biographie de Bihan)).

Dans la base César, un seul auteur, Chazet.

Les représentations : du 17 septembre 1798 au 14 mai 1799, 59 représentations au Théâtre du Vaudeville ; puis, du 23 mai au 21 septembre 1799, 16 représentations au Théâtre des Troubadours.

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