Isule et Orovèse

Isule et Orovèse, tragédie en cinq actes et en vers. de Népomucène-Louis Lemercier, 2 nivôse an 11 (23 décembre 1802].

Théâtre Français de la République

Titre :

Isule et Orovèse

Genre

tragédie

Nombre d'actes :

5

Vers / prose ?

en vers

Musique :

non

Date de création :

2 nivôse an 11 (23 décembre 1802)

Théâtre :

Théâtre Français de la République

Auteur(s) des paroles :

Louis (Népomucène) Lemercier

Almanach des Muses 1804

Première représentation si mal accueillie, que l'auteur n'a pas voulu s'exposer aux hasards d'une seconde.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Barba, an XI, 1803 :

Isule et Orovèse, tragédie en cinq actes ; par Louis Lemercier.

Les auteurs mal jugés, que les sifflets font taire,
Doivent au nez des sots rendre leurs camouflets :
Moi, ne puis-je, au public dénonçant mon parterre,
Juger son jugement, et siffler ses sifflets ?

Le texte de la pièce est précédé de ce texte :

Cette tragédie est encore toute neuve pour le lecteur ; car, le jour qu’on essaya vainement de la représenter, j’en ôtai le manuscrit au souffleur dès le commencement du troisième acte.

Des notes indiqueront les vers hués avec ou sans raison.

On reconnaîtra mon respect pour le public, et ma docilité à ses justes critiques que j’ai recueillies avec soin, et auxquelles je me soumettrai toujours.

Le public écoute et corrige : le vulgaire crie, outrage, sans rien entendre.

Les acteurs ont très-bien joué dans le peu qu’on a vu de ma pièce.

Il est dédié à Mme Bonaparte dans une longue lettre justificative.

L'effort de justification se poursuit dans les notes finales, des pages 105 à 112.

Courrier des spectacles, n° 2119 du 3 nivôse an 11 [24 décembre 1802], p. 2 :

[Ce compte rendu est le récit d’une chute qui ne semble pas peiner le critique, puisqu’il se demande même comment les acteurs ont pu accepter une telle pièce. Tout au long des trois actes qui ont pu être représentés, on a vu croître le désordre dans la salle et l’intervention d’un Officier de Police n’a pas réussi à calmer le tumulte et même les rixes. Cela n’empêche pas que le critique tente l’analyse de ce qui a été joué. Il le fait avec une ironie que souligne particulièrement l’emploi de l’italique : rien n’est cohérent dans cette intrigue, on ne comprend rien à une succession d’événements non motivés. L’émotion violente qui terrasse Orovèze est elle aussi traitée par le ridicule. L’article arrête là l’analyse de l’intrigue (comment faire autrement ?), et le critique se contente de citer deux vers sifflés abondamment. Le rideau a été baissé, semble-t-il à la satisfaction du public, même si certains ont réclamé qu’on reprenne la pièce plutôt que d’enchaîner sur la deuxième pièce, le très consensuel Avocat Patelin (une adaptation de la médiévale Farce de Maître Patelin, la plus populaire étant celle de Brueys et Palaprat, fréquemment jouée depuis 1706). Mais pas moyen de les satisfaire, puisque, selon l’acteur alors en scène, « l’auteur avoit emporté le manuscrit » : plus de souffleur ! Cette soirée du 23 décembre 1802 fait partie des grands moments dans l’histoire du Théâtre de la République !]

Théâtre de la République.

Première Représentation d'Isule et Orovèze.

Quelle imprudence lorsque les chefs-d'œuvre de nos grands maîtres ramènent peu-à-peu le goût du public, et que chacun a recouvré le droit de faire usage de son intelligence, quelle imprudence d'offrir sur la scène un ouvrage inintelligible ! Quelques beaux vers ont été vivement applaudis, d'autres ont excité des murmures, des cris, des sifflets. Le premier acte n’en a point été exempt : ils ont redoublé au second ; le troisième n’a point été achevé. Plusieurs fois des rixes se sont élevées ; la dernière auroit peut-être eu des suites fâcheuses, si les acteurs reconnoissant, mais un peu tard, que l’ouvrage n’étoit pas soutenable, n’eussent fait baisser la toile.

Au milieu des clameurs qui ont eu lieu à ce troisième acte, on a vu s’élever du milieu du parterre un Officier de Police qui s’est décoré du ruban tricolore. Le bruit ayant continué, nous ne pouvons savoir ce qu’il a dit, ni ce qu’il a fait; revenons à la tragédie.

Clodoer banni des Gaules par les Druides, on ne sait pourquoi, revient on ne sait d'où après trois ans, et l’on ne sait comment ; il n’est pas reconnu par ces mêmes Druides; il aime une certaine Isule, faite prisonnière par les Gaulois, on ne sait sur qui et qui vient, sans qu’on sache pourquoi, au milieu d’une forêt située on ne sait trop où. Clavis, chef des Druides, s’y trouve avec le sénat ; Clodoer y arrive tout seul, et conte, en grand détail, tous ses malheurs à Isule : celle-ci que ce récit ennuie presqu’autant que les spectateurs, l’écoute avec beaucoup d’indifférence. Esesyle, sœur d’Isule, lui annonce que les Bretons viennent fondre sur les Gaulois, Clodoer part pour combattre l’ennemi ; Clavis exhorte les Druides à défendre leur pays, et il est arrêté qu’Isule sera la récompense du vainqueur. Cette promesse ne plaît pas du tout à Isule ; la raison q aroît en être qu’Orovèze lui a fait promettre de ne point se marier : Orovèze avoit sans doute aussi ses petites raisons. Cet Orovèze est l’ancien chef des Druides, quoiqu’encore très jeune. Il aimoit Isule ; ce crime l’a détermine, à ce que nous croyons, à se retirer dans ce bois, qui vraisemblablement étoit solitaire, mais où, en ce cas, il n’est pas trop vraisemblable de voir ainsi arriver tout le monde. Quoiqu’il en soit, pendant qu’Orovèze avoue ses torts à son ami, Isule revient; l’amour combattu par le devoir produit un effet terrible sur le cénobite ; il tombe à la renverse, tandis que Clavis entraîne Isule : cet effet, produit par la vue d’une femme aimée , seroit neuf par-tout ; aussi a-t-il paru l’être au théâtre, et il y a été fort sifflé.

Au troisième acte, Clodoer fait le récit de sa victoire, c’est en détaillant ses hauts faits qu’il dit en parlant d’un chef des ennemis :

De son corps tout blessé je sépare la tête.

Ce vers n’a pas moins excité les sifflets que n’avoit fait auparavant celui-ci, dans la bouche d’Isule, parlant d’Orovèze :

Se roulant dans la poudre, il en souille son front.

Ces descriptions n’ayant rien de bien séduisant, c’est avec satisfaction que le public a vu baisser la toile. Cependant quelques personnes ont redemandé la pièce. Le calme a succédé à tous ces orages jusqu’au lever de la toile pour l’Avocat Patelin. Alors quelques voix ont crié : Isule ! Larochelle qui étoit en scène, à répondu qu’on ne pouvoit continuer cette pièce, parce que l’auteur avoit emporté son manuscrit.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, VIIIe année, tome quatrième, an IX, 1802, p. 532 :

[Comme personne n’a rien entendu de la pièce en raison du tumulte et des sifflets, le critique se limite à décrire la première représentation, en mettant en cause une cabale particulièrement bien organisée. Il semble accuser les élèves de l’école Polytechnique (« une poignée de jeunes gens, très-bons mathématiciens peut-être ») et regrette ensuite la manie du parterre de siffler selon son humeur (ils ont osé siffler Molière !).

Encore une tragédie nouvelle, et encore une chute : celle-ci a été terrible ; les sifflets ont commencé dès le premier acte, et la toile a été baissée vers le milieu du troisième. C'est le 2 nivose que cette pièce a succombé, moitié par la faute de l’auteur, moitié par les efforts d’une cabale tellement prononcée, qu’on siffloit avant que la pièce fût commencée. Quand donc le parterre sera-t il plus raisonnable, et surtout un peu plus décent ? En effet, comment juger un ouvrage au milieu du tumulte effroyable qui règne maintenant aux premières représentations. Une poignée de jeunes gens, très-bons mathématiciens peut-être, mais dont les jugemens ne sont pas sans appel en fait de littérature, se déclarent les tyrans du parterre, et s'attribuent exclusivement le droit de faire tomber ou réussir les pièces nouvelles. Pour donner une idée de leur goût, il suffit de dire que, depuis peu de temps, ils ont sifflé le Médecin malgré lui, et quelques autres ouvrages de Molière. Si cela ne répare pas le tort qu’ils font aux auteurs, au moins cela doit-il les consoler un peu, puisqu'on fait subir le même sort au père de la comédie.            T. D.

Geoffroy, Cours de littérature dramatique, seconde édition (1825), tome quatrième, p. 200-206 :

[La chute de la pièce de Lemercier donne à Geoffroy l’occasion de déplorer la ruine complète de la tragédie, par la faute de novateurs qui « ont voulu faire une autre tragédie que celle de Corneille et de Racine ». Plus de respect des « anciens principes », abandonnés « aux esprits vulgaires et routiniers ». Plus d’unités, plus de règles pour la vraisemblance, le plan, la conduite. Leur seul souci, c’est le brillant des ornements (belle image architecturale dans la fin du premier paragraphe). Bien entendu, Geoffroy en profite pour s’en prendre à celui qu’il considère comme le grand responsable de cette décadence, Voltaire, et sa prétention (réelle ou supposée) de faire une tragédie philosophique. Ce culte de Voltaire se poursuit à présent, et les auteurs du temps ont les défauts de Voltaire sans en avoir les beautés : « ni règles, ni principes, ni jugement ; un mépris absolu des bienséances ». Loin d’être neufs, ils sont «  bien extravagans, bien faux, bien bizarres ». Et la pièce de Lemercier confirme que la tragédie est bien morte, que « dans le nouveau champ qu'ils se sont ouvert, ils n'ont plus rien à moissonner que des affronts ». On arrive ainsi au résumé de l’intrigue d’Isule et Orovèse : d’abord l’avant-scène et la présentation des protagonistes, faite avec une évidente ironie (par exemple lorsque le talent oratoire d’Orovèse est évoqué. Et l’intrigue ? « Mes lecteurs se demandent comment de ces farces-là on peut faire une tragédie ? » La suite de l’article les éclaire médiocrement : Geoffroy décrit de façon confuse une action dont il ignore de toute façon la fin, puisque la pièce est arrêtée au troisième acte. Non seulement on a baissé la toile, mais l’auteur a emporté son manuscrit (le souffleur ne peut plus souffler ?). Et Geoffroy prend un malin plaisir de dire que c’est une grande perte que cette fin tronquée. Il ne va pas jusqu’à approuver les désordres qui ont marqué la représentation, mais il les comprend : la pièce est une parade burlesque, comment supporterait-on « des descriptions aussi ridicules, un style aussi barbare, des figures aussi outrées, aussi gigantesques, un galimatias aussi inintelligible » ? Il s’interroge sur les raisons qui ont fait admettre une telle pièce, le nom de l’auteur ne pouvant suffire. Il faut finir sur une note positive : il invite les auteurs à travailler dans le secret de leur cabinet : « étudiez les modèles, cultivez votre raison, formez votre goût. Il faut qu’ils oublient tout ce qu’ils ont appris » d’une éducation moderne, jugée mauvaise. Il faut revenir aux grands anciens, « Sophocle, Corneille et Racine ».]

ISULE ET OROVÈSE.

L'empire fondé par Corneille et Racine, affaibli par Campistron et Lagrange, raffermi un moment par le génie de Crébillon, illustré, mais ébranlé par l'ambition et l'audace de Voltaire, tombe aujourd'hui et s'écroule de toutes parts ; il n'atteste plus son existence que par des ruines. Les états se conservent par les mêmes principes qui les ont établis ; et les plus dangereux ennemis des arts, comme des sociétés, sont les intrigans, les brouillons, les novateurs, qui ne peuvent exister qu'à la faveur du désordre. La tragédie a été détruite du moment que des sophistes ont voulu faire une autre tragédie que celle de Corneille et de Racine. Chénier a prétendu que ces deux grands hommes n'avaient fait que la tragédie des esclaves. Des poëtes qui se croyaient supérieurs à Corneille et Racine, et qui même osaient le dire, ont abandonné tous les anciens principes aux esprits vulgaires et routiniers ; les unités leur ont paru des entraves honteuses; ils ont laissé aux dupes et aux manœuvres la vraisemblance, le plan, la conduite, tout ce qui tient à l'ensemble, à la solidité de l'édifice tragique : sublimes architectes, ils ont dédaigné la besogne des maçons ; ils n'ont voulu s'occuper que des colonnes, des plafonds et des lambris ; ils n'ont cherché qu'à frapper, qu'à éblouir les yeux, par les ornemens de la sculpture, par l'éclat de l'or et des couleurs ; mais ces constructions brillantes n'étaient au fond que des chaumières bien décorées, que la moindre secousse a renversées avec leurs peintures et leurs dorures.

Laissons ces vaines figures, le sujet est trop grave. La tragédie n'est pas un absurde roman parsemé çà et là de sentences et de vers pompeux, farci de lieux communs et de déclamations. Cette opinion avait prévalu vingt ans avant la révolution: on avait osé dire en pleine Académie que Corneille avait fait la tragédie de son siècle, Racine, la tragédie de la cour de Louis XIV ; mais que Voltaire seul avait fait la tragédie philosophique, la tragédie de la nature et de l'univers. Les créateurs de notre scène tragique étaient regardés comme des génies faibles et timides, resserrés dans des bornes étroites, parce qu'ils avaient respecté le bon sens et les conventions sociales. On se faisait un devoir sacré d'immoler ces deux grandes victimes à l'auteur du jour. On daignait à peine représenter de temps en temps, et par bienséance, quelques ouvrages de Corneille et de Racine ; Voltaire était le monarque, ou plutôt le dieu du théâtre ; la philosophie s'était emparée de la scène, et cette philosophie était une combinaison de niaiseries et d'atrocités, d'impiété et de morale. La révolution nous en a montré les fruits ; nous avons goûté l'humanité et la tolérance des hommes nourris de cette merveilleuse doctrine ; nous avons pu nous convaincre, par l'expérience, que le théâtre est une excellente école de mœurs et de vertus ; car il est notoire que tous les monstres qui ont déshonoré et déchiré la France, se faisaient un honneur d'être philosophes et disciples de Voltaire.

Nos poëtes conservent encore aujourd'hui le mauvais goût de cette tragédie philosophique dont notre théâtre fut infecté dans les dernières années de la monarchie : adorateurs de Voltaire, ils ont outré tous ses défauts, et sont bien loin d'atteindre à ses beautés ; ils n'ont ni règles, ni principes, ni jugement ; un mépris absolu des bienséances leur tient lieu de génie ; ils s'imaginent être neufs, quand ils sont bien extravagans, bien faux, bien bizarres. Sans rappeler ici les disgrâces récentes des fameux tragiques qui nous restent, voici encore une chute bien propre à leur faire sentir combien ils se sont écartés de la route : s'ils ne se hâtent d'y rentrer, ils peuvent se dispenser désormais de faire des tragédies ; car, dans le nouveau champ qu'ils se sont ouvert, ils n'ont plus rien à moissonner que des affronts.

L'auteur d'Isule et Orovèse nous transporte dans les forêts des anciens druides ; et, dans cet affreux séjour, quels personnages nous présente-t-il ? Une dévote séduite par son directeur. Isule et Orovèse nous rappellent mademoiselle La Cadière et le père Gérard. Isule, jeune princesse de la Germanie, prisonnière des Gaulois, n'a pu résister à l'éloquence brûlante, à la pieuse ardeur du druide Orovèse ; elle convient elle-même que l'onction du saint homme porte le trouble et la volupté dans tous ses sens : le druide, ne pouvant se marier avec elle, lui a fait contracter l'engagement, non pas de garder sa virginité, mais de renoncer au mariage. Un jeune prince gaulois, nommé Clodoer, aspirait à sa main ; il l'a fait proscrire comme un ennemi des dieux. Les tartufes amoureux ne sont pas susceptibles de remords ; rien n'endurcit le cœur comme l'hypocrisie ; cependant le druide se reproche sa passion criminelle : il s'est retiré dans un antre pour en faire pénitence ; il y vit de racines, comme les anciens moines ; il couche sur la dure ; et, ce qu'il y a de plus fâcheux, il ne prêche plus : c'est bien dommage ; car c'était un excellent prédicateur, qui produisait des effets admirables sur le cœur des jeunes filles : Isule se désole de ne plus entendre ses sermons.

Orovèse n'avait pas renoncé aux humains de bonne foi, car son ermitage est auprès de la ville ; c'est le rendez-vous de tout le monde. Isule vient y chercher des consolations ; à son aspect, l'amoureux ermite tombe à la renverse. Un ami officieux entraîne Isule dans la coulisse, et il ne résulte rien de cette courte et pathétique entrevue, que de grands éclats de rire du parterre ; plus, un très-long récit d'Isule, qui raconte à sa sœur toutes les particularités curieuses de cette scène. Rien n'est plus comique que la description qu'elle fait des austérités et de l'anéantissement de l'ermite :

. . . . . . . . . . . . S'il veut parler, il pleure;
S'il fait un pas, il tombe. . . . . . . . . . . .

Elle regrette le temps où elle l'a vu si brillant,

Des filles de Bardus touchant la harpe d'or.

Mes lecteurs se demandent comment de ces farces-là on peut faire une tragédie ? Il faut qu'ils sachent que ce Clodoer, ce rival proscrit par le druide, s'avise de revenir après quatre ans d'exil ; il raconte ses malheurs à Isule, qui s'en embarrasse fort peu, attendu qu'elle est amoureuse du saint druide. Les Bretons, dans ce moment, s'avisent aussi d'attaquer les Gaulois ; Clodoer vole au combat, et le sénat décide que la main d'Isule sera le prix du vainqueur. Clodoer revient triomphant, et, pour son malheur, il s'engage dans une grande narration de la bataille ; il sait qu'Isule aime l'éloquence ; mais, au lieu des applaudissemens que devait attendre l'orateur victorieux, il est hué et sifflé universellement, surtout lorsqu'il raconte son duel avec le général ennemi, et comment de son corps tout blessé il sépara la tête.

Clodoer, mauvaise copie de Tancrède, après avoir sauvé son ingrate patrie, refuse de se faire connaître : il ne devrait cependant pas avoir besoin de se nommer ; la figure d'un prince gaulois, proscrit par les druides, devrait être connue de tout le monde. Mais quand ce nouveau Tancrède apprend qu'Isule est le prix de la victoire, alors il décline son nom ; Isule, à son tour, lui décline un refus. Les choses en sont restées là, quoique le troisième acte ne fût pas encore fini: c'est la faute du parterre; il n'a pas su ménager son plaisir ; il a ri et sifflé trop long-temps. L'auteur s'est impatienté ; il a emporté son manuscrit ; on a baissé la toile ; et, malgré les instantes sollicitations des amateurs, on a refusé de nous apprendre le sort du vaillant Clodoer, du pénitent Orovèse, et de la vestale Isule ; cela devait être très-pathétique. Le dénouement, dit-on, retraçait l'aventure de Corésus et de Callirhoé, sujet d'une mauvaise pièce de Lafosse : c'est une véritable perte pour les plaisans.

Je suis loin d'approuver le désordre qui a troublé cette représentation ; mais comment supporter des parades aussi burlesques sur le premier théâtre de la nation, des descriptions aussi ridicules, un style aussi barbare, des figures aussi outrées, aussi gigantesques, un galimatias aussi inintelligible ? La pièce n'a pas même figure de tragédie. Le dernier vers qu'on ait entendu, et qui a fait la clôture, est celui-ci :

Se roulant dans la poudre, il en souille son front.

Comment les comédiens ne rejettent-ils pas ces rapsodies ? Le nom de l'auteur ne fait rien à l'affaire. Comment un homme d'esprit peut-il s'oublier jusque-là ? Mais l'esprit, sans le goût, n'enfante que des monstres. On a retenu deux vers ambitieux que débite Clodoer :

Le Nord et le Midi roulent les flots errans
De peuples tour à tour conquis et conquérans.

Auteurs dramatiques, fuyez les cercles, les musées ; enfermez-vous dans le cabinet, étudiez les modèles, cultivez votre raison, formez votre goût, et pour cela commencez à oublier tout ce que vous avez appris ; abjurez les préjugés d'une mauvaise éducation ; vivez avec Sophocle, Corneille et Racine ; vivez avec vous-mêmes : nos mœurs vous perdent ; le ton des sociétés étouffe votre talent ; renoncez aux petits succès des salons, ou ne comptez plus sur ceux du théâtre. ( 14 nivose an 11 [4 janvier 1803].)

La base la Grange de la Comédie Française indique qu’il n’y eut pas d’autre représentation que celle du 23 décembre 1802, représentation inachevée.

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