L'Inconnu, ou le Préjugé nouvellement vaincu

L'Inconnu, ou le Préjugé nouvellement vaincu, comédie en trois actes en prose, de Collot d'Herbois, 17 novembre 1789.

Théâtre du Palais-Royal

Almanach des Muses 1791

 

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez la Veuve Duchesne, 1790 :

L'Inconnu, ou le préjugé vaincu, comédie en trois actes et en prose, Représentée pour la première fois à Paris, sur le Théâtre du Palais Royal, le 17 novembre 1789. Par M. Collot d'Herbois.

 

L'Année littéraire et politique, année 1790, n°. XV. p. 171-178 :

[C'est de la publication de la brochure que parle l'Année littéraire. L'article prend la forme d'une sorte de lettre. Il s'ouvre sur le projet de la pièce, « attaquer les préjugés », une pièce située en Allemagne, présentée comme le pays où il règne en maître. L'intrigue racontée ensuite met en scène un aristocrate victime d'une tentative de vol et qui ne doit son salut qu'à la présence d'un inconnu, qui, de façon très surprenante, se présente comme un bandit dont la tête est mise à prix (en fait il n'est que le frère de ce bandit). Le préjugé veut que le frère d'un bandit soit un bandit lui aussi, mais le baron à qui il a fait son aveu décide de prendre chez lui celui qui lui a fait un tel aveu. Le critique feint de s'étonner qu'une intrigue aussi mince ait rempli une pièce de trois actes, mais il donne la solution : c'est qu'il y a bien des éléments annexes dans la pièce, qui aurait donc une « double intrigue ». Ne reste finalement qu'une scène « véritablement dramatique », celle de l'aveu par le frère du bandit de son identité. L'interprétation a aussi fortement agi sur les spectateurs. Mais le préjugé qui est combattu, le fameux « préjugé des peines infamantes » n'existe plus grâce au décret pris par l'assemblée nationale et qui « délivre les familles de l'opprobre héréditaire : du préjugé à vaincre, la pièce est devenue « le préjugé nouvellement vaincu ».]

L'Inconnu ou le Préjugé nouvellement vaincu, comédie en trois actes et en prose, représentée pour la première fois à Paris, sur le théâtre du Palais Royal, le 17 novembre 1789. Par M. Collot . d'Herbois. Prix, 1 livre 10 s. A Paris, chez la veuve Duchesne et fils, libraires, rue Saint-Jacques, au Temple du Goût. 1790.

Il est beau, Monsieur, d'attaquer les préjugés ; mais il est hardi, je l'avoue, de porter la scène en Allemagne où ils sont en possession de régner depuis un si long-tems, et où ils ont pris des racines si profondes.Au surplus c'est assiéger tout de suite la capitale du pays. La place une fois emportée, le reste est bientôt conquis.

Le baron Dochberg, seigneur allemand, retiré dans ses terres, a été arrêté le soir, avec sa fille, à son retour de Mayence. Il pourroit dire comme le Distrait de la Bruyère, demandez à mes gens ; ils y étoient : car c'est par ses gens même qu'il a été volé, ou du moins qu'il l'auroit été, sans le secours d'un valeureux inconnu, qu'il ramène avec lui dans son château. L'inconnu est très-aimable ; cela va sans dire : il estime beaucoup Caroline ; c'est la fille du baron : elle se sentiroit disposée à l'aimer : vous devinez tout cela, Monsieur, Mais ce que vous ne devinez pas, c'est que ce brave et aimable inconnu est encore victime d'un préjugé bien injuste, mais trop généralement répandu, qui fait rejaillir la honte d'un crime ou d'un supplice sur les enfans et les parens du criminel ; enfin, il est le frère d'un brigand fameux, de Crauss.... Crauss ! dites-vous ? Oui, Monsieur ; et le trait suivant, que l'auteur met dans la bouche d'un de ces valets fripons, vous fera connoître ce Crauss, et si ce chef de brigands étoit un voleur ordinaire.

« Sa tête étoit à prix pour dix mille florins. Voilà qu'il rencontre un pauvre gentil-homme avec sa femme et six enfans. Ami, lui dit Crauss, venez avec moi au tribunal, je vous ferai gagner dix mille florins. Comment cela, dit le gentil-homme ? Venez toujours. Il l'emmène ; et une fois dans l'hôtel du juge : Je suis Crauss, lui dit-il à l'oreille ; je suis désespéré, résolu à mourir : nommez-moi, et votre fortune est faite. Le gentil-homme fut forcé d'accepter. »

Ce trait est beau. Crauss, en toute autre position, eût peut-être été un grand homme ; mais enfin, sa vie et sa mort ont été celles d'un brigand. Et le sauveur du baron et de Caroline est frère de Crauss : de là son profond chagrin, son désespoir. En vain le baron et sa fille lui prodiguent-ils les témoignages de leur reconnoissance, rien ne peut dissiper sa mélancolie, dont il a grand soin de taire la cause. Caroline engage sa fidelle Georgette à faire jaser le valet. Vaine tentative. Michel est très-discret, car il ne sait rien. Il se tire d'affaire par une prétendue confidence. Il fait entendre que son maître est un très-grand seigneur ; qu'il s'est battu ; qu'il a tué son homme, et qu'il va chercher un asile à Bruxelles. Georgette, qui a promis le secret, va bien vîte conter tout cela à sa maitresse, qui s'empresse de le dire à son père; et voilà des gens bien instruits. Mais cette erreur ne dure pas long-temps ; car l'étranger qui, à leurs consolations, devine leur méprise, se croit obligé de la faire cesser par une affreuse confidence. Et c'est ici que M. Collot d'Herbois a déployé toutes les ressources de son art : car vous saurez, Monsieur, que c'est le premier homme du monde pour les situations déchirantes, pour les coups de théâtre.

« Hé bien donc, dit l'étranger, vous l'apprendrez ce secret redoutable... Sachez ( Il se couvre le visage) Ah !grand Dieu ! grand Dieu ! qu'il est pénible d'avouer le déshonneur ! tout mon courage s'y épuise ..... Je veux parler, et ma langue s'embarrasse .... Et là, là... je sens un poids douloureux qui me serre, qui m'ôte la voix et jusqu'au pouvoir de respirer.... (Il tombe sur un fauteuil qui est au milieu du théâtre : tout le monde l'entoure : il règne sur la scène une sorte de terreur silencieuse ; l'étranger se lève et continue avec une espèce de délire) : mais j'acheverai, j'acheverai.... Vous voulez savoir qui je suis, vous le voulez ; hé bien, apprenez.... »

Vous savez d'avance, Monsieur, le secret horrible qu'il va leur confier ; mais j'ai cité exprès ce qui précède, pour vous donner une idée de la manière de M. Collot d'Herbois. Cet aveu ne refroidit point l'amitié du baron et de sa fille pour leur libérateur. Il n'en est pas de même de Michel, qui pousse un cri d'étonnement.

« Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! que dites-vous ? est-il possible ?..... Comment, Monsieur, vous êtes le frère de...., et vous m'avez pris à votre service sans me le dire.... mais, Monsieur, on doit avertir les domestiques de ces choses-là. »

L'étranger.

Michel, Michel, ménagez-moi, je vous prie.

Caroline à Michel.

Au nom du Ciel, taisez - vous, mon ami.

Michel.

Mais, Mademoiselle, où voulez-vous que je trouve une condition actuellement ?... on me demandera d'où je sors, qui j'ai servi... et je dirai.. je serai bien embarrassé.. qu'est - ce qu'on pensera de moi ?

Cette colère, a, n'est-il pas vrai, quelque chose de comique. Bientôt la douceur de son maître, l'exemple du baron et ses propres réflexions le rendent honteux de son emportement ; et le baron, aidé de sa fille, finit par persuader à l'étranger de venir se fixer dans sa terre, au milieu d'un petit nombre d'amis.

Eh quoi ! m'allez-vous dire, si peu de matière, et trois actes ! oui Monsieur, trois actes. Mais il faut dire tout ; deux à peu près sont consacrés à l'ivresse d'un valet, aux amours de ce même valet et de la suivante de Caroline, aux confidens des deux fripons de valets, auxquels la scène est presque toujours livrée. Il y a entre-autres une bague volée, qui circule de doigt en doigt et qui semble devoir être le nœud de l'intrigue ; ce qui fait évidemment double intrigue. Aussi la pièce m'a-t-elle paru pécher entièrement par le fond et peu intéressante par les détails, semée trop souvent de mauvaises plaisanteries. La scène de la pièce, celle qui a dû en faire la fortune, et qui véritablement est dramatique, c'est celle où l'étranger avoue son état. Aussi ne puis-je mieux finir que par citer une note de l'auteur lui-même, qui rend compte de l'effet prodigieux de cette situation :

« Il est impossible de retracer les déchiremens, le trait profond qu'a laissé dans l'ame des spectateurs, pendant cette scène, le jeu vrai, pathétique, supérieur de M. Monvel. Les talens réunis et bien chers au public de MM. Beaulieu, Michot, Valois, Mademoiselle Sainpair, et Madame Saint-Clair, toujours si intéressantes, ont produit dans l'exécution un ensemble excellent. La pièce a eu un très-grand succès. C'est la première où l'on ait osé combattre de front le préjugé des peines infamantes, et diriger par un sentiment naturel, l'opinion publique vers son abolition. Il y avoit peut-être un peu de courage à cette tentative : l'auteur a dû s'en féliciter ; il a été bien glorieux pour lui de voir l'assemblée nationale adopter les mêmes principes, et les consacrer par le décret du 21 janvier, qui délivre les familles de l'opprobre héréditaire dont elles étoient souillées depuis tant de siècles, par un effet de la plus dure de toutes les injustices. Depuis ce décret rendu, la pièce a été annoncée et affichée le Préjugé nouvellement vaincu ; on l'annonçoit auparavant, le Préjugé à vaincre. »

Je suis, etc,

D'après la base César : 13 représentations au Théâtre du Palais Royal, du 17 novembre 1789au 21 septembre 1790. Reprise, pour 3 représentations, au Théâtre français de la rue de Richelieu, les 19, 24 et 28 mars 1792.

 

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