L’Ivrogne corrigé

L’Ivrogne corrigé, ou Un Tour de Carnaval, comédie en deux actes et en prose, de Dieulafoy et Longchamps, 17 février 1806.

Théâtre de l’Impératrice.

Titre :

Ivrogne corrigé (l’), ou Un Tour de Carnaval

Genre

comédie

Nombre d'actes :

2

Vers / prose

en prose

Musique :

non

Date de création :

17 février 1806

Théâtre :

Théâtre de l’Impératrice

Auteur(s) des paroles :

Dieulafoy et Longchamps

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez M.me Masson, 1806 :

L’Ivrogne corrigé, comédie en deux actes et en prose, par MM. DieulaFoy, L***, Représentée pour la première fois sur le Théâtre de l’Impératrice, le 17 février 1806.

Courrier des spectacles, n° 3305 du 18 février 1806, p. 3-4 :

[La pièce, qui était pourtant, comme l’indique son sous-titre, une pièce de carnaval, a droit à un compte rendu sérieux, qui s’ouvre même sur des réflexions sérieuses sur l’image des médecins au théâtre. Si on peut être choqué de voir peindre un médecin alcoolique, c’est qu’on oublie que « toutes les professions ont comme le corps humain leurs parties nobles, et celles dont on ne parle pas ». Ainsi mis en garde, le lecteur peut suivre l’analyse de l’intrigue, qui consiste en une série d’épreuves que fait subir à ce médecin ivrogne celui qui voudrait épouser sa fille. Ces épreuves sont des tours bien classiques de la farce (on fait un faux procès, on se déguise, on change l’aspect des lieux pendant qu’il dort, on affirme qu’il a accepté de marier sa fille). Bien sûr, il finit par accepter le mariage, et le critique pousse la bonté jusqu’à croire qu’il est « corrigé » de son ivrognerie. La pièce a eu du succès, elle a beaucoup fait rire. Certaines situations sont qualifiée de « hazardées », mais la pièce est créditée d’un « but honnête et moral (l’indispensable correction des mœurs !). Les auteurs ont donc été demandés : le bien connu Dieulafoi et un inconnu.]

Théâtre de l’Impératrice.

L’ivrogne corrigé.

Comment se fait il que d’une part, les médecins aient reçu les honneurs de la divinité, et que d’une autre part, les poëtes dramatiques en aient fait des sujets de comédie ? comment concilier les hommages rendus à leurs autels avec les pasquinades dont ils sont l’objet pendant nos saturnales ? C’est que chaque art a ses Crispin et ses Purgon ; que l’armée des Grecs comptoit parmi ses guerriers Achille et Thersite ; c’est que les pédans, les empyriques, les docteur» aux 48 verres d’eau, les distributeurs d’onguent et de mithridate n’ont aucun rapport avec ces généreux amis de l’humanité qui consacrent toutes leurs méditations et leurs veilles au soulagement de leurs semblables ; c'est que la robe de Rabelais ne cache que trop souvent un héros de carnaval. Quelle distance, en effet, d’Hyppocrate à Sganarelle, de Gallien à M. Diafoirus, ou au rédacteur de la gazette de santé ! Le bon Lafontaine l’a dit :

D’un magistrat ignorant
C’est la robe qu’on salue.

On pourroit être choqué de voir un respectable enfant d’Esculape transformé en enfant de Bacchus ; mais toutes les professions ont comme le corps humain leurs parties nobles, et celles dont on ne parle qu’à voix basse. Le médecin dont il est question dans la pièce nouvelle est de cette dernière classe.

Ce médecin se nomme Dumont ; il exerce l’art de guérir dans la petite ville de Montbrison ; soit qu’il ait eu la foiblesse de faire partie de quelque société de gourmands, ou de se livrer aux conseils de l’almanach qui leur est consacré, il a contracté depuis quelque tems la fâcheuse habitude de boire un peu plus qu’il ne convient. Il en résulte chez lui de fréquentes aberrations dont les effets sont tantôt préjudiciables, tantôt utiles peut être à ses malades.

Sa famille s’assemble pour remédier à ce fâcheux inconvénient. Un des personnages les plus intéressés à faire cesser cette humiliante conduite, est un jeune homme fort aimable, que Dumont a refusé pour son gendre, parce qu'il est sobre et modeste. M. Dubrouillage, avocat, se met à la tête de la coalition ; on dresse les plans ; on lui en laisse toute la direction. On sait de quelle manière La Fontaine a peint l’ivrogne et sa femme ; c’est à-peu-près le même dessein, mais chargé de plus de détails :

Un jour que le Docteur, plein du jus de la treille,
Avoit laissé ses sens au fond d’une bouteille.

Ses pareils commencèrent par lui persuader que dans un moment de colère, il avoit assommé et presque éborgné son valet Claudin, homme affidé qu’il aimoit beaucoup. Celle première leçon étant infructueuse, ils en tentent une seconde. Taudis que Dumont l’ennyvre hors de chez lui, ou change, ou plutôt l’on défigure toutes les maisons qui avoisinent la sienne. A son retour, il ne reconnoit plus rien. Comme il avoit reproché à Derval d’être sans parens et sans relations, le jeune homme se deguise successivement sous le costume de divers personnages ses parens prétendus, et vient lui donner des leçons de sobriété.

Dermont ne comprend rien à tout. ce qui se passe ; il sort pour aller chercher des explications chez son beau-frère ; pendant ce tems on rétablit les maisons dans leur premier état, et le pauvre docteur se voit reduit à convenir qu’il a bu outre mesure, il promet de se corriger, invite ses amis à souper et s’envire de nouveau. Dubrouillage invente une troisième leçon. C’est une conception digne d’un avocat. Tandis que M. Dumont dort, on le transporte dans une salle qui représente un tribunal criminel ; Derval fait les fonctions d’avocat général, Dubrouiilage celle de juge. On accuse le prévenu d’avoir tué un médecin avec lequel il étoit en querelle ; on va aux opinions, on prononce le jugement, et l’on emmène Dumont, qui tombe évanoui entre les bras de sa femme. On profite de ce moment pour parer la salle de fleurs, de lustres et de tout l’appareil d’une fête.

Dumont revient à lui, et pour dernière mystification, ou lui persuade qu’il a consenti la veille au mariage de sa fille avec Derval, et que toutes les personnes réunies sont des amis qu’il a invités à la nôce. Dumont consent à tout, et paroît assez corrigé pour qu’il ne soit plus nécessaire de continuer les expériences.

Cette pièce a obtenu un succès complet. La gaieté s’est manifestée de toutes parts. Les traits comiques dont l’auteur a semé son ouvrage ont fait pardonner quelques situations hazardées. On y a reconnu un but honnête et moral. Les auteurs, qui ont été demandés avec empressement, sont MM. Dieu-le Foi et un anonyme.

L’Esprit des journaux français et étrangers, année 1806, tome III (mars 1806), p. 286-287 :

[Le critique aborde le compte rendu d’une manière qui peut nous sembler curieuse : l’ivrognerie n’est pas un vice qu’il soit nécessaire de mettre au théâtre, car il est devenu « rare et méprisé ». Et les médecins ne sont pas particulièrement ivrognes (la pièce traite donc un sujet peu utile, puisqu’il ne corrigera pas grand monde...). Avant de résumer la pièce, le critique parle ensuite d’une « ancienne farce » montrant un marchand ivrogne s’endormant dans la rue et qu’il faut persuader qu’il n’est pas chez lui. La pièce nouvelle ne repose pas sur la même situation. Et on apprend enfin deux des supercheries par lesquelles on essaie de détourner le médecin de son vice. A la site de ces farces, le médecin promet de s’amender, et le critique croit qu’il tiendra parole. La suite de l’article se consacre aux causes de l’ivrognerie (« une soif artificielle contractée par l'usage trop fréquent du vin »), comparée au besoin de fumer. On sort un peu de la critique théâtrale, comme au début de l’article... L’interprétation est tout de même évoquée : deux acteurs sont nommés de façon élogieuse, et la pièce devrait « survivre encore quelques jours au Carnaval ».]

L'Ivrogne corrigé.

L'ivrognerie fut autrefois commune en France, même dans la bonne compagnie : aujourd'hui ce vice est rare et méprisé ; ce n'est pas celui qui a le plus besoin de la correction du théâtre. L'ivrogne qu'on veut corriger est un médecin : les médecins sont gourmands, on le sait ; mais ils ne passent pas pour être ivrognes. Quoi qu'il en soit, M. Dumont, médecin, est un bon homme fort gai, qui n'a d'autre défaut que de s'enivrer souvent. Sa femme et ses amis essaient de le corriger par des mystifications un peu fortes.

Dans une ancienne farce, un marchand de Paris , revenant chez lui fort ivre . est accosté par des filoux : le marchand les prend pour ses commis ; il se croit dans sa boutique ; il se déshabille, et se couche sur le pavé , croyant être dans son lit. Les filoux, après l'avoir dévalisé, le laissent là. Sa femme et ses domestiques, qui le cherchaient avec une lanterne, le trouvent ainsi étendu à la belle étoile, et ont bien de la peine à lui persuader qu'il n'est pas dans sa chambre à coucher, C'est autre chose dans la pièce nouvelle : l'auteur s'est arrangé de manière que l'ivrogne revenant chez lui, ne retrouve plus sa maison ; il va frapper aux maisons voisines, où tout le monde est d'accord pour s'égayer à ses dépens.

Une autre fois on lui fait accroire que dans l'ivresse il a tué un de ses confrères : il est traduit devant un tribunal ; on instruit la cause ; son avocat plaide pour lui d'une manière burlesque ; il se croit à la veille d'être pendu. Ce dernier tour fait une vive impression sur son cerveau ; et lorsqu'il se retrouve avec sa femme et ses amis, l'image de son procès et de sa condamnation le tourmente encore ; il se promet bien de se corriger, et il faut croire qu'il tiendra parole, pour faire mentir le proverbe qui a bu boira. Ce proverbe est fondé sur la cause même de l'ivrognerie ; c'est une soif artificielle contractée par l'usage trop fréquent du vin, qui désséchant la gorge et la poitrine, produit un besoin continuel de boire : il est aussi difficile de résister à ce besoin factice, que de se priver de tabac quand on en a pris l'habitude.

Picard aîné est extrêmement plaisant dans le rôle d'un avocat barbouilleur , qui crie prodigieusement, et dont on perd la moitié des paroles. Vigny joue très-gaiement l'ivrogne. Cette bouffonnerie de circonstance fait rire, et paraît devoir survivre encore quelques jours au Carnaval.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 11e année, 1806, tome II, p. 179-180 :

[La pièce est une « plaisanterie de carnaval », qu’il faut juger comme telle. Toutefois, elle fait rire, et sa valeur n’est pas si mince : elle possède « un but moral, des traits d'un bon comique, et surtout une grande gaîté » (Castigat ridendo mores »). Le compte rendu résume ensuite une intrigue qui tient en effet de la farce, avec force tromperies destinées à guérir l’ivrogne, qui finit par promettre de s’amender, mais faut-il le croire ? Une scène bien jouée par Picard, et le rôle de l’ivrogne très bien joué. Le nom de l’auteur est donné.]

L'Ivrogne corrigé.

Cette plaisanterie de carnaval a complètement réussi. On pourrait la critiquer sous plus d'un rapport ; mais on est contraint de dire, après l'avoir vue,

J'ai ri, me voilà désarmé.

(Métromanie.)

On y trouve d'ailleurs un but moral, des traits d'un bon comique, et surtout une grande gaîté.

M. Dumont, médecin à Montbrisson, joint à beaucoup de bonnes qualités le défaut de boire un peu trop. II n'est personne qui n'ait son foible ; mais celui-là est d'autant plus funeste, qu'il entraîne mille suites fâcheuses, qu'il altère la raison et la santé, en un mot qu'il finit par abrutir l'homme. M. Dumont, sans écouter les avis de ses amis et de sa femme, se livre donc aux. plaisirs de Bacchus. On projette de le corriger par une bonne leçon. Un jour qu'il s'est enivré complètement, lorsqu'il veut rentrer chez lui, il ne retrouve plus sa maison ; il cherche à s'orienter, et ne voit à la place qu'un cabaret. Les maisons des voisins ont subi de même divers métamorphoses. Il frappe en vain : on lui soutient qu'il se trompe. Il appelle le commissaire, et voit sortir à sa place un fou qui l'est devenu par l'excès du vin. Ces mystifications le fatiguent. Il va chez son frère, qui le ramène, lui montre la maison (qu'on a remise dans son premier état). Il rentre et promet de se ménager à souper. Il tient si peu sa parole, qu'il perd entièrement la raison et s'endort tout habillé. Quand il se réveille, il est bien surpris de se trouver dans une chambre qu'il ne connoît pas, entouré de gens eu robes noires qui tiennent conseil, et le condamnent à être pendu pour avoir, dans l'ivresse, tué un de ses confrères. Il s'évanouit ; pendant ce temps on remet tout en ordre, et lorsqu'il revient à lui il se trouve entouré de- sa famille, et croit n’avoir fait qu'un rêve affreux ; mais il se doute bientôt de la leçon, et promet de se corriger.

Entre autres scènes, on a .remarqué celle du plaidoyer, dans laquelle Picard est très-comique. Vigny joue aussi, très-bien le rôle de l'ivrogne. L'auteur de la pièce est M. Dieu-Lafoi.

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