Jean Calas, tragédie en 5 actes, par [Marie-Joseph Chénier]. (6 juillet 1791.) [Moutard].
Théâtre de la République
Almanach des Muses 1794.
Sujet qui n'a pas besoin d'être expliqué. Des peintures déchirantes ; de longues conversations semées de sentimens pleins d'humanité et de philosophie ; des pensées dont l'expression a beaucoup d'éclat. Un portrait de Voltaire, et des prédictions sur la suppression du parlement, etc.
Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Moutard, 1793 :
Jean Calas, tragédie en cinq actes, Par Marie-Joseph Chénier, Député à la Convention Nationale ; Représentée pour la première fois à Paris, sur le Théâtre d ela République, le 6 Juillet 1791.
Le texte de la pièce est précédé d'une Lettre de M. Palissot sur la tragédie de Calas (p. v-xi) :
LETTRE DE M. PALISSOT, SUR LA TRAGÉDIE DE CALAS.
L'honneur d'avoir tenté le premier ce sujet difficile, appartient incontestablement à l'Auteur ; il est vrai qu'il avait eu l'imprudence de se confier à des Comédiens, & vous n'ignorez plus, Messieurs, qu'il s'est trouvé dans la classe obscure des Gens de Lettres, des hommes assez peu délicats pour chercher à lui en dérober la fleur. L'Auteur fut moins affecté de ce procédé mal-honnête, que du chagrin de voir son sujet ìndignement profané. Non seulement il le fut, en mauvais vers, au Théâtre du Fauxbourg Saint-Germain, mais encore au Théâtre de la rue de Richelieu, en mauvaise prose : tellement que celui qui en avait conçu la première idée, & dont le travail était presque fini long-temps avant que ces Messieurs n'eussent barbouillé leurs canevas, semblait avoir été devancé par eux, & se traîner à leur suite sur un sujet épuisé.
Le Public, à la vérité, sentit bien la différence du pinceau. Vous l'avez attesté vous-mêmes, Messieurs, aucune Pièce de l'Auteur ne fut plus généralement applaudie ; mais elle eut moins de succès d'affluence, précisément parce que le sujet, prodigué, sans intervalle, à deux Théâtres, commençait à inspirer une espèce de satiété. Mais si l'on peut affaiblir pour un temps l'impression d'un Ouvrage de génie, l'effet en est indestructible : ainsi l'on a vu la Phèdre de Racine se relever plus brillante de l'outrage d'une indigne concurrence ; & cette injure renouvelée avec tant d'audace, & par des Ecrivains si inférieurs à Pradon, devient un motif de plus pour moi de rendre à l'Auteur la justice qui lui est due.
J'ose le dire, avec ce sentiment qui m'a toujours animé peur la gloire des Arts, je ne connais point d'Ouvrages qui présentât plus de difficultés à vaincre, & qui pût donner une idée plus haute du talent capable de.les surmonter.
Avoir soutenu le fardeau des cinq actes, en commençant cette Tragédie précisément où elle devait commencer, 1e jour même du jugement de Calas ; avoir osé mettre en action, ce qui jusqu'alors était sans exemple, un interrogatoire juridique, & en avoir fait une des plus intéressantes Scènes de la Pièce ; avoir franchi une difficulté, peut-être encore plus grande, en faisant un honnête homme du Juge qui a le malheur de condamner l'innocence (& prenez garde, Messieurs, que sans cette difficulté surmontée, l'Ouvrage n'avait plus de but moral, & ne pouvait plus s'appeler l'École des Juges), c'était assurément avoir remporté le prix de son Art. Mais si vous ajoutez à ce prodigieux mérite celui que suppose l'invention du personnage de la Salle, l'un des plus beaux modèles de vertu qui ait jamais été mis au Théâtre, quel rang assignerez-vous à l'Auteur, qui, en moins de deux années, des succès de Charles IX & d'Henri VIII, s'était élevé à cette nouvelle gloire ? Quelle sublime leçon de morale que cette Pièce ! Et, depuis les chef-d'œuvres de notre Scène, sur quel Théâtre avions-nous entendu une pareille suite, non interrompue, de beaux vers ? Où ce jeune Auteur, à qui l'on disputait la sensibilité, a-t-il puisé cette foule de sentimens, exquis, délicieux, sublimes, sans aucune ostentation, & uniquement par leur extrême vérité ? De quelles richesses il a su semer un sujet en apparence si stérile, & dont l'action n'égale, pour ainsi dire, que la durée de la représentation ! Quel tableau que celui des cruautés de Baville en Languedoc, & des funestes effets de la révocation de l'Edit de Nantes ! Quelle savante opposition que celle des deux portraits de Louis XIV ! Enfin quel magnifique éloge de Voltaire, & qu'il se trouve heureusement placé dans une des plus glorieuses époques de sa vie !
Oh ! je sens que je n'écouterais jamais avec patience l'homme injuste qui se permettrait des propos légers, non sur le talent, mais sur le caractère moral du jeune Poëte qui a su rendre la vertu si respectable, & qui a trouvé dans son cœur cette abondance de sentimens puisés dans la plus belle nature.
Cependant, il faut l'avouer, ce n'est pas à lui seul que nous devons tout le plaisir que nous a fait son Ouvrage. II a été secondé par le talent le plus digne du sien. Quiconque n'a pas vu Monvel dans le personnage de Calas, ne connaît qu'imparfaitement le talent supérieur de cet Acteur célèbre. Je me plais d'autant plus à lui rendre cette justice, que j'avais eu le malheur de me laisser prévenir contre lui. On m'avait dit (peut-être avec plus de perfidie que.de vérité), mais enfin j'avais eu la faiblesse de croire qu'il avait cherché à nuire au succès d'un de mes Ouvrages. Je déclare que j'ignore & que je veux ignorer si réellement il a eu ce léger tort envers moi : mais je ne m'en accuse pas moins d'injustice à son égard, & je la répare autant qu'il est en moi, par l'aveu que j'en fais. Si le Public m'a fait l'honneur d'adopter quelquefois mes jugemens, je crois me donner de nouveaux droits à sa confiance, en lui prouvant qu'une rétractation n'est qu'un plaisir pour moi, quand je reconnais que des préventions ont pu m'égarer. Oui, Monvel, j'aime à vous témoigner publiquement l'estime que je fais de vos talens, & à vous dire que vous serez toujours compté parmi les plus grands Maîtres de votre Art. Je vous ai admiré sur l'une & l'autre Scène ; mais vous ne m'avez jamais paru plus sublime que dans ce personnage de Calas, infiniment plus intéressant, à mon gré, que celui de Socrate.
Qu'il me soit permis de revenir encore un moment à l'Ouvrage que vous avez si bien fait valoir. Par quelle heureuse magie un sujet qui pouvait ne sembler que sombre & atroce, a-t-il pu devenir si touchant ? Comment l'Auteur est-il venu à bout de réaliser son propre vers :
Qu'il soit attendrissant, qu'il ne soit point horrible !
C'est sans doute par le caractère de constance & de dignité qu'il a su donner au personnage de son héros. C'est lui, c'est la victime elle-même qui console, pendant toute la Pièce, tous les infortunés qui prennent part à son malheur ; c'est lui qui, dans la situation la plus terrible, entouré de sa femme & de ses enfans, étend encore sa sensibilité sur une Servante qui pleure, & dont le rôle a été parfaitement bien rempli. Enfin c'est le sommeil de Calas dans sa prison, ce sommeil tranquille de l'innocence opprimée, mais soumise aux ordres de la Providence, qui a produit une Scène d'une beauté si neuve & si touchante, une Scène qui adoucit la terreur ; & le Public, au lieu d'un spectacle atroce, ne voit plus, dans cette paix du Juste, qu'un spectacle digne des regards de Dieu même. Eh ! quoi de plus beau, de plus grand, de plus auguste, dit Sénèque, que l'ame d'un Juste luttant, avec sa seule vertu, contre tous les orages de l'adversité !
D'après la base César, la pièce a été jouée 18 fois : 15 fois au Théâtre français de la rue de Richelieu (4 fois en juillet 1791, 3 fois au début de 1792, 9 fois de janvier à mars 1796 ; 2 fois au Théâtre du Marais en septembre 1799 e 1 fois au théâtre Molière le 9 novembre 1799.
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