Jean Calas (Laya)

Jean [de] Calas, drame en 5 actes en vers, de J. L. Laya, 18 décembre 1790.

Théâtre de la Nation.

Titre :

Jean Calas

Genre

drame, tragédie

Nombre d'actes :

5

Vers / prose

en vers

Musique :

non

Date de création :

18 décembre 1790

Théâtre :

Théâtre de la Nation

Auteur(s) des paroles :

J. L. Laya

Almanach des Muses 1792

Genre de pièces qu'on nommoit autrefois Tragédie bourgeoise. Excessive simplicité dans le sujet, puisqu'il ne consiste que dans l'accusation du crime imputé à l'infortuné vieillard, dans sa détention, sa condamnation, et son affreux supplice. L'auteur a imaginé quelques incidens, comme celui du Capitoul qui tente de corrompre la servante de Calas en lui offrant une bourse d'or, et de cette domestique qui vient déclarer ce fait devant le tribunal en déposant la bourse sur le bureau. Cet épisode produit de l'effet au théâtre.

Beaucoup d'invraisemblances ; plusieurs scènes touchantes ; de la chaleur dans le rôle du vertueux Lasalle qui prend la défense de Calas. Style quelquefois trop ambitieux, et souvent peu correct.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Maradan et Perlet, 1791 :

Jean Calas, tragédie en cinq actes, en vers. Représentée pour la premiére fois, à Paris, sur Théâtre de la Nation, par MM. Les Comédiens Français, le 18 décembre 1790. Précédée d'une Préface historique sur Jean Calas et suivie d'un nouveau Ve Acte. Par J. L. Laya.

La préface qui précède la pièce et qui s'occupe surtout de faire le récit le plus exact possible de l'affaire Calas, en faisant appel à Voltaire, bien sûr, avant de revenir sur le dénouement dont Laya propose une nouvelle version, et de dire tout le bien qu'il pense des interprètes de sa pièce.

PRÉFACE HISTORIQUE.

Voici comment s'exprime Voltaire dans son Traité sur la tolérance à l'occasion de la mort de Jean Calas :

« Jean Calas, âgé de soixante-huit ans, exerçait la profession de négociant à Toulouse depuis plus de quarante années, et était reconnu de tous ceux qui ont vécu avec lui pour un bon pere. Il était protestant ainsi que sa femme et tous ses enfans. excepté un qui avait abjuré l'hérésie, et à qui le pere fesait une petite pension. Il paraissait si éloigné de cet absurde fanatisme qui rompt tous les liens de la société, qu'il approuva la conversion de son fils Louis Calas, et qu'il avait depuis trente ans chez lui une servante zélée catholique, laquelle avait élevé tous ses enfans. »

« Un des fils de Jean Calas, nommé Marc-Antoine, était un homme de lettres : il passait pour un esprit inquiet, sombre et violent. Ce jeune homme ne pouvant réussir ni à entrer dans le négoce auquel il n'était pas propre, ni à être reçu avocat parce qu'il fallait des certificats de catholicité qu'il ne pût obtenir, resolut de finir sa vie, et fit pressentir ce dessein à un de ses amis, il se confirma dans sa résolution par la lecture de tout ce qu'on a jamais écrit sur le suicide »

« Enfin, un jour ayant perdu son argent au jeu, il choisit ce jour là même pour executer son dessein. Un ami de sa famille et le sien, nommé Lavaisse, jeune homme de dix-neuf ans, connu par la candeur et la douceur de ses mœurs, fils d'un célèbre avocat de Toulouse, étoit arrivé de Bordeaux la veille; il soupa par hazard chez les Calas. Le père, la mère, Marc-Antoine leur fils ainé, Pierre leur second fils, mengèrent ensemble. Après le soupé on se retira dans un petit sallon ; Marc-Antoine disparut : enfin, lorsque le jeune Lavaisse voulut partìr, Pierre Calas et lui, étant descendus, trouvèrent en bas, auprès du magazin, Marc-Antoine en chemise, pendu à une porte, et son habit plié sur le comptoir. Sa chemise n'était pas seulement dérangée ; ses cheveux étaient bien peignés : il n'avait sur son corps aucune plaie, aucune meurtrissure ».

« On ne décrira pas la douleur et le désespoir du père et de la mère. Pendant qu'il étaient dans les sanglots et dans les larmes, le peuple de Toulouse s'attroupe devant la maison. Ce peuple est superstitieux et emporté ; il regarde comme des monstres ses frères qui ne sont pas de la même religion que lui, etc. C'est à Toulouse qu'on solemnise, tous les ans, par une procession et par des feux de joie, le jour où l'on massacra quatre mille citoyens hérétiques, il y a deux siecles ».

« Quelque fanatique s'écria que Jean Calas avait pendu son propre fils Marc-Antoine. Ce ́cri répété fut unanime en un moment; d'autres ajoutèrent que le mort devait, le lendemain faire abjuration ; que sa famille et le jeune Lavaisse l'avaient étranglé par haine contre la religion catholique. Le moment d'après on n'en douta plus : toute la ville fut persuadée que c'est un point de religion chez les protestans, qu'un père et une mère doivent assassiner leur fils dès qu'il veut se convertir ».

« Le sieur David, Capitoul de Toulouse, excité par ces rumeurs, voulant se faire valoir, par une prompte exécution, fit une procédure (1) contre les regles et les ordonnances. La famille Calas, Lavaisse, la servante catholique, furent mis aux fers ».

(1) Le procès verbal, par exemple, fut fait à l'hôtel-de-ville, au lieu d'être dressé dans les lieux même où l'on avait trouvé le mort, ainsi que l'exige l'ordonnance.

« On publia un monitoire, non moins vicieux que la procédure. On alla plus loin, Marc-Antoine Calas était mort calviniste ; et s'il avait attenté sur lui-même, il devait être traîné sur la claie : on l'inhuma avec la plus grande pompe, dans l'église de Saint-Etienne, malgré le curé, qui protestait contre cette profanation ».

« Les pénitens blancs firent à Marc-Antoine un service solemnel comme à un martyr. Jamais aucune église ne célébra la fête d'un martyr véritable avec plus de pompe ; mais cette pompe fut terrible. On avait élevé au-dessus d'un magnifique catafalque, un squelette qu'on faisait mouvoir, et qui représentait Marc-Antoine Calas, tenant d'une main une palme, et de l'autre la plume dont il devait signer l'abjuration de l'hérésie, et qui écrivait en effet l'arrêt de mort de son pere ».

« Dès ce moment la mort de Jean Calas parut infaillible ».

« Ce qui, sur-tout, prépara son supplice, ce fut l'approche de cette fête singuliere que les Toulousains célebrent tous les ans, en mémoire des quatre mille huguenots. Cette année était l'année séculaire, etc. etc. ».

On peut juger d'après ce précis, qu'on lira plus au long dans Voltaire, que je n'altere aucuns des faits principaux ; à moins qu'on ne veuille mettre au rang des faits, les motifs de vengeance, que j'ai prêtés au Capitoul pour donner à mon action une marche plus dramatique. Si le fanatisme conduit toutes les mains qui vont signer l'arrêt de mort de Calas, me suis-je dit, ne répandrai-je pas sur mon ouvrage la même couleur, et n'est-il pas plus adroit et plus théâtral de montrer les Juges de Toulouse comme autant d'instrumens dans les mains d'un seul, qui, moins aveugle, fait servir leur fanatisme à ses projets, réveille adroitement leur haine contre les protestans, pour mieux satisfaire la sienne propre contre Calas ?

Ce ne sera point, peut-être, le Capitoul de Toulouse, cet homme grosierement et maladroitement féroce ; mais qu'importe, si les fils sont les mêmes, que la trâme, soit ourdie par telle où telle main ? dès que ce sont des fanatiques qui se souillent du sang d'un vieillard, qu'importe qu'ils soient commandés par un homme aveugle comme eux, ou que cet homme plus éclairé dirige et assure leurs opérations ? Ce n'est donc point David que j'ai mis en scene : il n'est point nommé dans l'ouvrage ; quoique plusieurs personnes qui ont vécu à Toulouse m'aient dit: qu'on avait soupçonné dans le Capitoul d'autres motifs (1) que ceux de la religion. C'est si l'on veut, un personnage d'invention ; je ne prétends rien changer à la mémoire de David ; la rendre ni plus odieuse, ni plus excusable : ce que je crois bien fermement, c'est que ce personnage, tel qu'on le représente dans les mémoires, ne saurait être supporté sur notre scene, et que, traîtant Calas, j'ai dû, mème aux dépens de la vérité, rendre son assassin supportable.

(1) Ce qui paraîtrait justifié par cette réponse du capitoul à son collègue, qui lui montrait l'illégalité du trop prompt emprisonnement des Calas : « N'importe, je prends tout sur mon compte ; qu'on les emmène ; et par cet affreux monitoire, que David avait obtenu à charges seulement, encore contre le vœu de l'ordonnance ; et par cet acharnement qu'il mit à poursuivre le malheureux vieillard jusqu'à son dernier soupir. David voulut assister à l'exécution ; Calas allait expirer ; le Capitoul s'élance vers l'échafaud, et s'écrie ; misérable! vois ce bucher qui va réduire ton corps en cendres, dis la vérité, etc. etc.

A l'égard de la bourse, un mot suffira encore pour me justifier. Puisque mon capitoul, comme je viens de le dire, est, quant à ses motifs, un personnage de création ; j'ai pu, sans blesser davantage la vérité historique, que je n'avais pas suivie en ce point, lui faire employer, soit par lui, soit par ses agens (1), des moyens de séduction auprès d'une servante qu'il devait croire à moitié gagnée contre des protestans, puisqu'elle était catholique. Au reste c'est au moins un fait vrai et historique qui m'a fourni ce mouvement du troisieme acte, que ceux même qui l'ont improuvé le plus, ont trouvé vraiment beau et théâtral.

C'est encore Voltaire qui parle.

(1) Ce n'est plus à présent le capitoul qui donne la bourse à Jeannette.

En 1762, la servante catholique de l'infortuné Calas, s'étant cassé la jambe, les zélés s'imaginerent qu'elle était morte des suites de sa chûte, et qu'elle avait déclaré en mourant, que son maître était coupable du meurtre de son fils. Ce bruit fut adopté avidement par les pénitens, et le reste de la populace de Toulouse ».

Cette servante fut obligée, pour arrêter les suites de cette imposture, de faire une déclaration juridique chez le commissaire Hugues : par laquelle elle atteste que rien n'est plus faux que ces bruits : qu'elle a toujours soutenu, et qu'elle soutiendra jusqu'au dernier instant de sa vie, que ses maîtres n'ont contribué en aucune manière à la mort de leur fils Marc-Antoine, etc.

Quant au personnage de l'assesseur, qui n'est pas encore celui de Toulouse, il me suffirait de citer quelques noms connus, pour prouver combien ses traits sont tirés de nature.

Beaucoup de personnes n'ont pu supporter le dénouement de cet ouvrage. J'en avait fait un autre bien moins déchirant : messieurs les comédiens ont préféré celui qu'on a vu ; je laisse au public, seul juge de ses plaisirs, à décider entre les deux, que j'ai cru devoir lui soumettre.

Je dois, en finissant, des remerciemens à ceux de messieurs les comédiens qui ont eu des rôles dans ma pièce, et qui tous ont contribué à son succès ; mais en particulier à M. Vanhove, qui a joué Calas avec une sensibilité simple et touchante, le vrai caractere de ce rôle ; à M. Fleury, qui a déployé dans celui du conseiller de la Salle l'éloquence noble et animée de la vertu ; à Mlle. Joly, qui, en donnant un caractère de vieillesse à ses moyens, a montré dans Jeannette toutes les ressources de son talent. Les rôles, de Lavaisse et de Rose, ont été remplis avec beaucoup de sensibilité par M. Saint-Phal et Mme. Petit.

Sur la page de titre de la brochure, Avignon, Jacques Garrigan, 1791 (site Gallica) :

Jean Calas, tragédie en cinq actes et en vers, Représentée, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la Nation, par les Comédiens Français, le 18 décembre 1790. Par J. L. Laya.

Mercure de France, tome CXXXIX, n° 52 du samedi 25 décembre 1790, p. 164-165 :

On a donné Samedi dernier, sur le Théatre de la Nation, la première représentation de Calas, Drame en 5 Actes & en vers, par M. Laya, Auteur des Dangers de l'Opinion. Nous nous empressons d'annoncer son succès. Nous reviendrons sur cet Ouvrage dans le cours de ses représentations.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1791, volume 1 (janvier 1791), p. 306-309 :

[L’essentiel du compte rendu est un résumé de l’intrigue. Puis le critique formule des critiques envers la pièce, essentiellement sur la question de l’exactitude (l’auteur a beaucoup latéré les faits ») et de la vraisemblance des éléments inventés. Il lui reconnaît aussi des beautés et félicite l’auteur d’avoir « adouci avec art quelques traits qui rendroient ce spectacle trop douloureux ». La pièce, bien jouée, a rencontré le succès. Dernier élément : fallait-il que « l’assesseur tutoyât Calas » ? Le critique rappelle que ce n’est que le reflet de « la dureté de certains juges » et énumère quelques preuves de leur terrible cruauté.]

Le samedi 18 décembre, on a donné la premiere représentation de Jean-Calas, drame en cinq actes & en vers, qui a eu beaucoup de succès.

On ne voit point Marc-Antoine Calas dans cette piece ; il est seulement question des sujets de mécontentement qu'il donne à son pere, & de sa continuelle mélancolie. Au moment où Calas reconduit Lavaise, après souper, le corps de ce malheureux est découvert ; Calas sort pour faire sa déclaration.

Le capitoul David, ennemi des protestans, & sur-tout de Calas, vient annoncer à Mde. Calas qu'elle est arrêtée ; mais qu'à sa sollicitation, elle est encore libre. Ce malheureux donne en sortant une bourse à Jeannette, pour l'engager à déposer contre son maître. Rose, fille de Calas, découvre cette abominable noirceur, & en fait part à sa mere.

On voit le tribunal du capitoul ; la haine réunit ce magistrat à l'assesseur pour perdre Calas. Il est interrogé sur la sellette. Le vertueux la Salle ose seul embrasser sa défense. On fait entrer sa femme, sa fille & Lavaise : tout dépose en faveur de Calas ; enfin le capitoul invoque le témoignage de la servante qu'il a séduite ; la Salle veut la recuser ; l'assesseur prétend que c'est un témoin nécessaire ; elle entre & dit :

Ecrivez que mon maître est un fort honnête-homme,
Et que pour l'accuser j'ai reçu cette somme.

Le capitoul défend au greffier d'écrire cette déposition ; la salle insiste ; les juges embrassent le parti du capitoul. La salle proteste ; la séance est levée ; la salle court embrasser au parlement la défense de Calas.

On voit ce malheureux pere dans sa prison. La Salle doit revenir seul, s'il est absous, & avec sa fille s'il est condamné. Quelle inquiétude ! C'est la première fois que Calas a craint la présence de sa fille. La Salle entre avec elle ; l'arrêt est porté ; Calas cache à Rose cet horrible mystere. On entend le bruit des verroux ; c'est Lavaise qui entre par une- porte cachée, conduit par un geôlier qu'il a séduit : il veut faire sauver Calas, Rose & la Salle se joignent à lui : Calas refuse ; on entend du bruit, tous les acteurs se cachent sous une voûte. Calas reste seul ; c'est le capitoul qui vient insulter à sa misere. Rose au désespoir s'élance du lieu qui la cache ; Lavaise 1a suit, la Salle confond le capitoul, & court le dénoncer ; il fait espérer à Calas la révocation de l'arrêt.

Madame Calas attend avec sa fille, dans une prison moins obscure. Lavaise lui apprend la fatale sentence ; mais il lui reste un espoir dans l'éloquence courageuse de la Salle. Cet espoir est bientôt détruit : le perfide assesseur, en observant que la Salle & Lavaise ne devoient pas être dans le cachot de Calas, qu'ils s'y font introduits par surprise, annulle leur témoignage. Le monstre David annonce à Mde. Calas qu'elle est libre, & que son époux est condamné. Calas vient lui-même, accompagné de son confesseur, dire à sa famille un dernier adieu ; il embrasse pour la dernière fois sa femme, sa fille & ses amis ; &, en attestant son innocence, il va recevoir son supplice avec résignation

L'auteur a beaucoup altéré les faits. Il suppose à David & à son assesseur des motifs de vengeance qui les rendent plus odieux. Peut-être seroit-il plus utile pour la bonne cause de faire voir qu'ils n'ont été que fanatiques. La scene de l'argent donné par David, celle de la fausse porte ouverte dans la prison, sont encore des invraisemblances ; mais il y a des beautés dans cet ouvrage. L'auteur a adouci avec art quelques traits qui rendroient ce spectacle trop douloureux. La sentence n'est pas portée sur la scene ; on ne voit pas Marc-Antoine, & malgré cela plusieurs femmes n'ont pu soutenir toute la représentation.

L'ouvrage a été vivement applaudi. On a demandé l'auteur, c'est M. Laya. M. Vanhove, Mde. Petit, Mlle. Joly & M. Fleuri ont très-bien joué.

On a paru improuver que l'assesseur. tutoyât Calas : on a donc déjà oublié la dureté de certains juges ; on a donc oublié que le capitoul David vouloit être témoin du supplice de Calas, quoiqu'il ne fût pas nommé commissaire : lorsque 1'exécuteur s'apprêta à terminer les peines de ce malheureux père étendu sur la roue : « malheureux, lui dit David d'exécrable mémoire, voici le bûcher qui va réduire ton corps en cendres, dis la vérité. » Calas détourna la tête, & le bourreau lui ôta la vie.

Le confesseur de Calas étoit le père Bouges, jacobin ; pourquoi, dans le drame, en fait-on un docteur de Sorbonne ?

Mercure de France, tome CXXXIX, n° 8 du samedi 19 février 1791, p. 153 :

[Compte rendu de la publication de jean Calas, de Laya. Après les renseignements bibliographiques, la pièce est présentée de façon positive, elle impressionne autant à la lecture qu’à la représentation. L’auteur a proposé une cinquième acte nouveau, signe de la difficulté éprouvée à mettre l’affaire Calas sur la scène. Une phrase me paraît regretter qu’il faille utiliser d’aussi terribles moyens que « les supplices et les bourreaux » pour émouvoir le lecteur ou le spectateur ». Mais la pièce montre bien le talent de l’auteur.]

Jean Calas, Tragédie en cinq Actes & en vers, représentée sur lc Théatre de la Nation le 18 Décembre 1790, précédée d'une Préface historique sur J. Calas, & suivie d'un nouveau 5e. Acte ; par M. J. L. Laya. Prix, 30 sous. A Paris, chez Maradan & Perlet, Hôtel de Châteauvieux, rue St-André-des-Arts.

Cette Piece, qui fait un très-grand effet à la représentation, peut en faire beaucoup aussi à la lecture. La diversité des dénouemens que l'Auteur a essayés pour terminer cette Tragédie, prouve moins l'incertitude de son imagination & de son talent, que l'extrême difficulté de mettre un pareil sujet sur la Scene Française. Nous ne sommes pas encore familiarisés avec les supplices & les bourreaux, & on peut émouvoir nos cœurs sans cet appareil. Au surplus, cet Ouvrage confirme les idées flatteuses qu'on avait déjà conçues du talent de M. Laya.

Mercure de France, tome CXXXIX, n° 44 du samedi 29 octobre 1791, p. 182-189 :

[Long compte rendu de la lecture de la pièce, faite après la publication de la pièce. Le critique souligne d'emblée la difficulté du sujet, que Laya, l’auteur aurait en partie surmontées. Première difficulté, choisir entre une action trop simple en commençant près du dénouement, et une action prenant l’intrigue plus en amont, mais avec l’impossibilité de respecter l’unité de temps (on s’en préoccupe encore en 1791...). Ce choix d’une itrigue plus longue introduit une deuxième difficulté, qui est de devoir simplifier l’action judiciaire, réduite à la seule sentence du Parlement de Toulouse (alors qu’il y a eu 2 procès : « ici tout est confondu », les formes du procès ne sont pas respectées. Troisième écueil : l’intrigue arrive trop vite au dénouement, et Laya a été amené à introduire un épisode destiné à donner « quelque surprise, & quelques motifs d'espérance ». C’est l’histoire de la bourse offerte à la servante pour qu’elle incrimine son maître. Episode très théâtral, mais dont Laya ne tire pas tout ce qu’il aurait dû : le défenseur de Calas n’exploite pas ce qui est bien une tentative de corruption. Pareillement, la visite effectuée par la Salle dans la prison, « second moyen de suspension » n’aboutit qu’à « des difficultés, & des obscurités nouvelles ». Tout cela ne parvient pas à « mettre du mouvement, de l'action, & des alternatives d'espoir & de crainte dans un sujet qui en était peu susceptible », mais le critique fait portée la faute de ces manques sur le sujet plus que sur l’auteur, qui aurait mieux fit de ne pas donner à sa pièce le dénominatif de Tragédie, non pas à cause de la présence d’une servante (la tragédie telle se pratique alors accepte des « personnages d’une condition commune), mais pour des raisons de style, qui ne doit jamais se départir « d'une certaine élégance dont ne doit jamais se dépouiller la Poésie, & sur-tout la Poésie tragique » (la dignité tragique, à laquelle le langage d’une servante accède sans doute difficilement !). La pièce a été écrite rapidement, et cette hâte explique l’inadéquation du ton (parfois trop commun, parfois trop recherché, avec « des métaphores peu naturelles ». Il faut toutefois reconnaître à l’auteur un réel talent qui se manifeste dans des passages très éloquents, dont le critique donne une série d’exemples. Mais la précipitation est cause presque toujours que une pièce perd « la régularité du plan, le développement approfondi des caracteres, & la perfection du style » : trois beaux critères pour juger une pièce.]

JEAN CALAS, Tragédie en cinq Actes, en vers, représentée pour la premiere fois à Paris sur le Theätre de la Nation, par MM. les Comédiens Français, le 18 Décembre 1790 ; précédée d’une Préface historique sur Jean Calas, & suivie d'un nouveau 5e. Acte, par J. L. Laya. Prix, 3o s. A Paris, chez Maradan & Perlet, rue Saint - André-des-Arts, Hôtel de Château-Vieux.

Trois Auteurs Dramatiques ont traité ce sujet si intéressant, mais qui présente des difficultés presque égales à l'intérêt qu'il inspire. M. Laya, dont la Piece a beaucoup réussi au Théâtre, & qui l'a fait imprimer le premier, paraît avoir senti ces difficultés. Il en a même vaincu plusieurs ; & c'est beaucoup dans une Piece qu'il a faite, dit-on, très-précipitamment. L'une des principales était dans la trop grande simplicité d'action, si on la prenait près du dénouement ; & dans l'impossibilité de conserver l'unité de temps, si l'on donnait à cette action plus d'étendue, si sur-tout on voulait montrer au Spectateur l'intérieur de la famille Calas avant le suicide du fils. L'Auteur a préféré les inconvéniens attachés à ce dernier parti. Antoine Calas ne paraît point dans le 1er.Acte; mais on y parle de sa mélancolie, de sa passion pour le jeu, & des craintes que donne sa conduite : c'est vers la fin de cet Acte que son pere & son ami le trouvent suspendu à la corde fatale ; c'est pendant le premier entr'Acte que ce malheureux pere est arrêté, & jeté dans un cachot.

De-là naît une autre difficulté plus grande que la premiere ; c'est que le Jugement qui conduisit Calas sur l’échafaud, prononcé par le Parlement de Toulouse, dut être & fut précédé d'une Sentence portée par le Tribunal inférieur, & qu'ici tout est confondu. Un Acteur qu'on nomme le Capitoul, se trouve l'un des Juges ; il préside même le Parlement, & cet Echevin de Toulouse (car les Capitouls n'y étaient pas autre chose) fait en même temps les fonctions de Président du Siége & d'Accusateur public. Pas un seul autre Capitoul ne l'accompagne; & ce Tribunal, d'une formation particuliere, n'est composé que de lui, de son Assesseur, & de quelques Conseillers.

L'action ainsi engagée présentait un troisieme écueil dans sa pente trop rapide vers le dénouement, & dans l'impossibilité apparente d'en arrêter ou d'en détourner le cours par aucun incident qui suspendît l'intérêt, & pût donner au Spectateur quelque surprise, & quelques motifs d'espérance. M. Laya imagine un premier moyen qui produit beaucoup d'effet au Théâtre. Le Capitoul acharné à la perte de Calas, cherche à séduire sa Servante, & lui donne une bourse d'or, à condition qu'elle viendra à l'Audience déposer publiquement contre son Maître. On amene cette fille au milieu de l'interrogatoire ; elle déclare devant tous que Calas est innocent, que 1e Capitoul a voulu la corrompre, & dépose la bourse sur le bureau. Cette scène est fort théâtrale ; & dans la position où sont tous les personnages, elle ne pouvait manquer de produire une sensation très vive.

Mais que devient cette accusation solennelle de corruption contre le premier Juge ? Comment le Capitoul n'est-il pas récusé sur le champ ? Comment tous les Conseillers restent-ils muets témoins de cette scène ? Comment M. de la Salle, seul défenseur de l'innocence, se borne-t-il à vouloir que le greffier écrive la déposition de cette fille ? Il se récuse lui-même, & sort de ce repaire de l'injustice. Comment ne proclame-t-il pas dans toute la ville ce qui vient de se passer sous ses yeux ? Comment ne se sert-il pas des armes que ce trait lui donne pour sauver Calas, ou du moins pour embarrasser les Juges, & suspendre le jugement ?

Il y a encore des objections à faire contre le second moyen de suspension employé au 4e. Acte. La Salle d'un côté, Lavaisse de l'autre, pénetrent dans la prison de Calas ; & pourquoi ? l'un, seulement pour conduire sa fille auprès de lui, signal dont ils sont convenus, si l'Arrêt de condamnation était porté ; tandis qu'il serait venu seul si la Sentence eût été favorable, sans qu'il soit possible de deviner le motif de cette convention bizarre ; l'autre, pour proposer à Calas de s'échapper de prison, & de suivre avec lui une route qu'il s'est ouverte à prix d'or. Calas refuse, comme on peut le penser, mais de tous ces mouvemens peu vraisemblables, il ne résulte rien au profit de l'intérêt de la Piece.

Il en résulte au contraire des difficultés, & des obscurités nouvelles. Calas était condamné ; le vertueux la Salle le lui avait dit positivement, mais ses Tyrans ont rouvert leur lice criminelle. La Salle a surpris dans la nuit l'affreux secret du Capitoul. Il mande le matin le Sénat , qui s'assemble ; il y prend encore avec plus de chaleur la défense de Calas, & accuse le Capitoul. Mais l'Arrêt n'était-il pas porté ? Est-ce une révision de cet Arre êt que la Salle a obtenue ou voulu obtenir ? Quel secret avait-il appris que ne lui eût précédemment révélé la dénonciation de la Servante ? Et à quoi aboutit ce faible incident ? L'Assesseur dit un mot : il dit que ni la Salle, ni Lavaisse ne doivent en être crus, parce qu'ils sont entrés la veille, au soir, clandestinement dans la prison. Et tous deux sont déclarés suspects & récusables, & l'Arrêt est confirmé, & le malheureux Calas, ballotté par ces fausses espérances, subit enfin son sort.

Tous ces efforts inutilement employés pour mettre du mouvement, de l'action, & des alternatives d'espoir & de crainte dans un sujet qui en était peu susceptible, prouvent plus contre le sujet que contre l’Auteur. Il s'est encore préparé un écueil dans le titre de Tragédie donné à sa Piece. Ce n'est pas que la Tragédie, telle qu'on peut la faire maintenant, exclue les personnages d'une condition commune, & qu'une Servante même n'y puisse paraître ; mais en descendant jusqu'à la simplicité, il ne faut pas aller plus bas, & cette simplicité doit toujours être revêtue d'une certaine élégance dont ne doit jamais se dépouiller la Poésie, & sur-tout la Poésie tragique.

C'est à quoi M. Laya ne nous paraît pas avoir toujours pris garde. Quelquefois, par un défaut contraire, ses personnages parlent en métaphores peu naturelles, & son style a une ambition qui ne s'accorde ni avec le caractere & la position des Acteurs, ni avec la couleur générale de la Piece. Mais si la rapidité avec laquelle elle a été composée, a causé la plus grande partie de ces fautes, elle n'a pas empêché l’Auteur d'y donner des preuves assez nombreuses de talent, pour confirmer les espérances qu'il avait déjà données.

Les discours du vertueux la Salle sont généralement écrits avec chaleur & avec l'éloquence de l'ame. La scène de l'interrogatoire & plusieurs autres sont fort bien dialoguées. On trouve souvent des traits de sentiment heureusement rendus, comme dans ces quatre vers que Rose Calas adresse à son pere :

Laissez-moi, laissez-moi les presser sur mon cœur,
Ces fers, signes du crime, aujourd'hui du malheur,
Que d'autres mains peut-être ont rendus exécrables,
Mais sur vous à jamais sacrés & respectables.

Quelquefois l'expression a de l'énergie & de la nouveauté, comme dans ce mot de Calas :

Comme si je pouvais de mes ans pleins d'honneur,
Démentir ce qui reste, & souiller mon malheur !

Il faut cependant observer que démentir ce qui reste dit précisément le contraire de ce qu'il veut dire : en quittant le sentier de l'honneur, lorsqu'on y a marché, on ne dément point le reste de ses années, mais les années qui ont précédé ce changement.

On a justement applaudi aux représentations ces quatre vers de la premiere scène, qui expriment une pensée méconnue dans des siecles barbares, & qu'un reste de fanatisme aveugle semble encore aujourd'hui perdre de vue :

L'homme juge dc l'homme ! Eh ! n'a-t-il pas dû voir
Qu'il osait de Dieu même usurper le pouvoir ?
L'Univers tombe aux pieds de son Maître suprême :
Le Culte est différent, mais l'hommage est le même.

Il serait malheureux qu'un jeune Poëte, capable de faire d'aussi bons vers, & plusieurs autres qu'on lit avec plaisir dans sa Piece, nuisît lui-même à son talent en composant avec une précipitation qui exclut presque toujours dans les Ouvrages Dramatiques la régularité du plan, le développement approfondi des caracteres, & la perfection du style.

( G. ...... )

La pièce de Laya a été jouée le lendemain de la première de celle de Lemierre d'Argy, Calas ou le Fanatisme (créée le 17 décembre 1790 au Palais-Royal).

D'après la base César, la pièce a été jouée 19 fois, du 18 décembre 1790 au 15 septembre 1799 : 7 fois au Théâtre de la Nation, jusqu'au 5 mars 1791 ; 3 fois au Théâtre Italien en 1794 et 1795 ; 7 fois en 1799 (7 fois au Théâtre du Marais, également appelé Théâtre Molière, du 16 juillet au 15 septembre).

Ajouter un commentaire

Anti-spam