Jean-Jacques Rousseau au Paraclet

Jean-Jacques Rousseau au Paraclet, comédie en prose & en trois actes ; par Aude, 10 septembre 1793.

Théâtre National, rue de Richelieu.

Titre :

Jean-Jacques Rousseau au Paracler

Genre

comédie

Nombre d'actes :

3

Vers / prose ?

en prose

Musique :

non

Date de création :

10 septembre 1793

Théâtre :

Théâtre National, rue de Richelieu

Auteur(s) des paroles :

Aude

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1793, volume 12 (décembre 1793), p. 329-334 :

[Le compte rendu s’ouvre sur un fort long résumé de la pièce, insistant sur le caractère sentimental de l’intrigue.. Il faut dire que l’intrigue est plutôt compliquée. Une fois le dénouement dûment révélé, le jugement : succès de la pièce, auteur demandé et qui a paru. On passe ensuite aux qualités et aux défauts de la pièce. Les qualités : « Elle est remplie de détails intéressans & d'oppositions-bien entendues ». Défauts : des « longueurs qui nuisent à l'effet, & font sur-tout languir l'exposition », la première entrevue d’Edmond et de Louise peu vraisemblable : « on ne peut pas trop concevoir comment deux amans qui ne se sont pas vus depuis si long-tems, & qui croient se reconnoître, n'en viennent pas à une explication positive ». La scène est sauvée par l’intérêt qu’elle inspire. Félicitations à l’auteur pour son talent dramatique, et aux interprètes (« Cette piece a été fort bien jouée. »

La pièce invente une situation qui permet d’évoquer la Nouvelle Héloïse et de faire l’éloge de Rousseau.]

Jean-Jacques Rousseau au Paraclet, comédie en prose & en trois actes ; par Aude.

La diligence de Paris est arrivée au village du Paraclet, & Mme. Robert, hôtesse de l'Aigle d'or, a eu le plaisir d'en voir sortir M. Tourneisen, dessinateur suisse ; Jean-Jacques Rousseau, qui se fait appeller M. de Saint-Preux ; un jeune homme, nommé Théodore. Mais qu'il est intéressant, ce jeune homme ! une douceur angélique est peinte sur sa figure, une profonde sensibilité regne dans son cœur. Pourquoi faut-il que des soupirs entrecoupés trahissent de tems-en-tems son secret, & que des larmes, que souvent il veut cacher, décelent qu'il est malheureux ?

Tourneisen en est ému ; Jean-Jacques y prend le plus vif intérêt. A peine sont-ils descendus de voiture, que Théodore prend un livre ! Rousseau va herboriser ; Tourneisen cherche ses crayons, & que le révérend qui s'ennuie, lie avec le dessinateur une partie aux dames : mais il n'oublie pas de recommander à la bavarde Mme. Robert, qui veut tout savoir, de lui préparer un bon potage ; car ses sermons le tuent, & sa poitrine est dans un état affreux.

Jean-Jacques rentre ; il a fait une abondante récolte de simples, qu'il arrange sur différentes feuilles de papier ; & Théodore , qui jusqu'alors avoit paru absorbé dans sa lecture, se leve, & s'écrie en pleurant sur son livre : « L'eau est profonde, la roche est escarpée, & Saint-Preux est au désespoir ! Ah Dieu! c'est la situation de mon cœur.

La surprise de Rousseau, de Tourneisen & du capucin, est inexprimable. Ils s'approchent de Théodore, le questionnent, saisissent le livre qui lui fait répandre tant de pleurs : c'est la nouvelle Héloïse. Grand homme, dit Tourneisen, pénétré en parlant bas à Jean-Jacques, reçois cet hommage ! Quel digne tribut au génie !

Mme. Robert vient l'interrompre pour annoncer que le souper est servi.

Saint-Preux demeure avec Théodore. Le son de sa voix, la douceur de ses traits, lui ont fait plusieurs fois soupçonner qu'il n'étoit qu'une jeune personne déguisée. Elle en convient ; son nom est Louise Verneuil ; ses malheurs sont ceux d'une ame sensible, à qui la calomnie a fait perdre tout ce qu'elle aime, l'ingrat Edmond, dont le cœur est maintenant possédé par une autre.

Il étoit indigne du vôtre, dit Jean-Jacques transporté ; oubliez-le. Je veux changer votre sort ; je suis lié depuis long-tems avec la plus respectable des femmes, riche, belle, & recommandable par toutes les qualités du cœur, Myladi Howard. Elle me demande, depuis long-tems, un secrétaire, une compagne ; allez la joindre à Montpellier, & nous serons heureux tous les trois.

Louise Verneuil a accepté les offres de Jean-Jacques ; elle lui a juré qu'elle ne songeroit plus à Edmond, quand bien même il paroîtroit à ses yeux ; lorsqu'au second acte, Cécile Howard elle-même arrive au Paraclet. Sa voiture a été arrêtée par des brigands dans la forêt prochaine ; ses domestiques l'ont désendue, & un jeune homme que ses [sic] malfaiteurs avaient gardé pendant six mois malgré lui dans leur repaire, s'est précipité à ses pieds, pour la supplier de l'emmener, & par-là de lui sauver la vie. Ce jeune homme, c'est Edmond, & il paroît avec la belle Angloise. Louise, qui l'a apperçu, & qui croit que Cécile Howard est sa rivale, se laisse aller au désespoir. Elle veut même partir sur le champ. Vaine résolution ! l'amour la ramene sans cesse vers Edmond, à qui il semble de la reconnoître ; mais qui, après quelques questions auxquelles elle affecte de répondre, de maniere à éluder toute explication, ne croit voir Louise par-tout, que parce que son imagination est en délire.

O ciel ! un villageois qui a été arrêté quelques jours auparavant sur la grand'route, a reconnu Edmond, & la maréchaussée vient l'enlever au milieu de Cécile Hovard, de Louise & de saint-Preux. O ! malheureux jeune homme, quel affreux destin t'est réservé ! O Théodore ! tu succombes, & ta douleur te trahit ! Mais Jean-Jacques Rousseau a volé au secours de ce malheureux, & il s'expose à tout pour sauver l'infortune. Pouvoit-il ne pas réussir ? Le juge, plein de respect pour Jean-Jacques, lui a rendu ce jeune homme sur son témoignage.

Cependant le philosophe de Geneve ne doit point perdre de vue l'objet pour lequel il est venu au Paraclet avec Tourneisen. Il veut que celui-ci dessine tous les monumens que renferme le lieu autrefois habité par Héloïse, & sur-tout le tombeau d'Abailard. O monument cher & sacré ! dit-il; est-ce une froide cendre, un marbre inanimé que je presse ? -- Non, ces ombres aimantes errent autour du mausolée. Elles ne répondent point à ma voix, mais je suis sûr qu'elles m'entendent ! oui, je crois au miracle de l'amour. -- Voici son temple. L'air qu'on y respire est de flamme, je crois être encore à Clarens.

Myladi Howard, dont Jean-Jacques ignore l'arrivée, parce que Tourneisen a voulu lui ménager la surprise & le plaisir de l'embrasser au point du jour, auprès du tombeau d'Héloïse, paroît tout-à-coup, & se précipite dans les bras du grand homme. Leur joie est inexprimable. On en vient à des explications. L'Angloise dit qui est Edmond ; & Louise, qui est venue se jetter aux pieds de.cette femme estimable pour lui demander son époux, est bien agréablement surprise, lorsqu'au-lieu d'une rivale, elle rencontre une bienfaitrice, qui, de concert avec Jean-Jacques, la réunit en présence du curé du Paraclet, & auprès du tombeau d'Abailard, à l'amant le plus tendrement aimé, & qu'à tort elle avoit cru infidele.

« Ah! dit alors Rousseau, je trouvois la scene du tombeau trop nue ; je voulois y voir la tolérance sous l'habit d'un bon curé, de mon vicaire savoyard ; l'amour, sous la forme de deux jeunes cœurs bien épris ; la bienfaisance, sous les traits de Cécile Howard ; & voilà mon dessein réalisé, puisqu'il est vrai que je trouve auprès de ce mausolée, la bienfaisance, la philosophie & l'amour. »

Cette piece a obtenu un succès complet. On en a demandé l'auteur, qui a paru. Elle est remplie de détails intéressans & d'oppositions-bien entendues. Il nous semble toutefois qu'on pourroit la dégager de quelques longueurs qui nuisent à l'effet, & font sur-tout languir l'exposition. La premiere entrevue d'Edmond & de Louise n'est peut-être pas assez ménagée ; & malgré toute l'adresse que l'auteur a mise pour sauver l'invraisemblance qui naît de cette situation, on ne peut pas trop concevoir comment deux amans qui ne se sont pas vus depuis si long-tems, & qui croient se reconnoître, n'en viennent pas à une explication positive. Heureusement l'intérêt qu'inspire cette scene, empêche de raisonner l'effet qu'elle produit.

Tout cela n'empêche pas que Jean-Jacquet Rousseau au Paraclet ne soit une des pieces les plus attachantes qu'on ait mises depuis quelque tems au théatre, & qu'elle ne donne une fort bonne opinion du talent dramatique de son auteur. Cette piece a été fort bien jouée.

César : auteur inconnu... Première le 10 septembre 1793. 26 représentations jusqu'au 1 avril 1794. Reprise au Théâtre de société de Momus le 11 août 1795. 11 représentations jusqu'au 29 février 1796.

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