Jenny, ou le Mariage secret

Jenny, ou le Mariage secret, ballet pantomime en deux actes, chorégraphie d'Aumer, musique de Darondeau, 20 mars 1806.

Théâtre de la Porte Saint-Martin.

Almanach des Muses 1807.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Barba, 1806 :

Jenny, ou le Mariage secret, ballet-pantomime en deux actes, De la composition de M. Aumer, Artiste de l'Académie Impériale de Musique ; Représenté, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la Porte St.-Martin, le 20 Mars 1806. Musique de M. Darondeau.

Courrier des spectacles, n° 3333 du 22 mars 1806, p. 4 :

Le ballet de Jenny, ou le Mariage secret a eu avant-hier, à la Porte St.-Martin , un succès brillant et mérité ; c’est une production chorégraphique très-intéressante, et qui doit attirer la foule à ce théâtre.

Courrier des spectacles, n° 3334 du 23 mars 1806, p. 2-3 :

[L’article s’ouvre sur un chaleureux éloge de M. Aumer, un élève de l’illustre d’Auberval, et qui propose sa première chorégraphie après avoir beaucoup travaillé à la gloire de son maître. So coup d’essai est réussi : il a montré à la fois ses talents et ses connaissances, associant « le touchant, le pathétique, le gracieux et l’élégance » dans une « sorte de mélodrame en pantomime » aux situation variées et intéressantes. Puisuq’il y a là « une sorte de mélodrame », le critique se lance dans le résumé d’une intrigue en effet digne d’un mélodrame, nous peignant les malheurs d’une jeune fille qui s’est mariée secrètement et a eu un enfant, au grand scandale de son père, victime des assiduités du seigneur du canton, puis d’un incendie qui ruine sa chaumière, elle sauve son fils près de brûler dans la chaumière en feu. Son père l’accable de ses malédictions, elle devient folle et est sur le point de se jeter à la mer, quand elle entend le chant de son mari qui revient de la guerre. Elle retrouve à la fois la raison, son mari, et l’affection de son père. L’article s’achève par un nouvel éloge de M. Aumer, dont la composition est très réussie, mais aussi celui des interprètes, d’abord l’interprète principale, vraiment excellente, puis toute la troupe des danseurs et danseuses. Les auteurs ont bien sûr été demandés, d’abord le chorégraphe, puis le compositeur.]

Théâtre de la Porte St-Martin.

Jenny, ou le Mariage secret.

Jusqu’à ce jour, M. Aumer, élève du célèbre d’Auberval, n’avoit travaillé que pour la gloire de son maitre ; tout entier à la reconnoissance, il se contentoit de donner ses soins à la remise des ballets du célèbre compositeur qui avoit dirigé ses premières études.

Aujourd’hui il vient de s’associer d’une manière personnelle à la gloire des premiers chorégraphes, et son coup d’essai donne de ses talens et de ses connoissances l’idée la plus heureuse. Il a sçu concilier à-la-fois le touchant, le pathétique, le gracieux et l’élégance, et renfermer dans un même cadre un grand nombre de situations variées dont l’intérêt va toujours croissant. Cette composition est une sorte de mélodrame en pantomime ; mais un mélodrame bien conçu, bien ordonné, et d’un mérite très-distingué.

Jenny, fille de Cibber, éprise de l’amour le plus vif pour John, jeune et brave Ecossais, s’est mariée avec lui sans consulter sa famille, et a donné le jour à un enfant qu’elle fait élever en secret. Privée de sa mère, il ne lui reste que son père, homme dur et inflexible, objet continuel d’alarmes pour elle et pour son fils. Cependant le jour de sa fête arrive, et les habitans du lieu qu’elle habite se proposent de couronner une Rosière. Le prix est décerné à la meilleure et à la plus belle. Le jeune Arthur, seigneur de ce canton, présent à cette fête, remarque Jenny, et sent se rallumer dans son sein une passion ancienne et mal éteinte. John, témoin de ses transports, est furieux ; mais il se contraint.

On bat la générale ; on court aux armes. Arthur, pour éloigner John, lui confie le drapeau. Jenny est alarmée ; elle veut suivre son époux. La vue de son enfant l’arrête. Arthur profite de ce moment pour renouveller ses poursuites, et ne réussit pas mieux qu’auparavant. Jenny, plongée dans l’inquiétude, apprend que le combat a été livré, et que son époux a reçu une blessure ; elle s’abandonne à son désespoir ; en ce moment même un incendie menace de consumer sa chaumière et le dépôt précieux qui lui reste encore. Cette mère désolée s’élance au milieu des flammes, et rapporte son enfant. Son dévouement devient un trait de lumière pour son père. Jenny se jette à ses pieds, et confesse sa foiblesse. Le barbare l’accable de malédictions. Elle fuit avec son fils dans les bras, et se retire vers la tombe de sa mère. L’effroi, la douleur, le désespoir se peignent tour-à tour dans ses traits, son esprit s’aliène ; elle court égarée de son enfant à la tombe, de la tombe à son enfant ; enfin dans son délire, elle monte sur un tertre pour se précipiter dans les flots, lorsqu’un air touchant, le même qui l’avoit séduite lors de ses premières amours, suspend l’effet de son égarement. John arrive, il l’arrête, la rend à sa famille, et un baiser de l’enfant la rappelle à la raison. Son père est désarmé, tout se livre à la joie, et une fête dessinée avec beaucoup de grâce, termine gaiment toutes ces catastrophes.

M. Aumer a joint, par cette composition le titre d’auteur habile à celui de compositeur agréable. Il a soigné le sujet et ne l’a point étouffé, comme on le fait quelquefois par des accessoires froids et insignifians.

On ne doit pas moins d'éloges à Mad. Quériau, qui s’est surpassée dans le rôle de Jenny. Grâce, sentiment, passion, douleur, tout se peint dans l’étonnante mobilité de ses traits. Si M. Aumer l’a bien servie en lui confiant ce persnnage difficile, il n’a pas moins à se louer de la manière dont elle l’a représenté. Ce rôle est une bonne fortune pour l’actrice, et le talent de l’actrice une bonne fortune pour l’auteur. Mlle. Sophie Degville a bien secondé Mad. Quériau, et parmi les danseurs, MM. Morand, Mérante et Spitalier ont déployé des talens distingués,et ont excité tour-à-tour les plus vifs applaudissemens. Mlle. Boissi del Caro a dansé un pas demi-caractère avec infiniment d’aisance et de légèreté, et a réuni tous les suffrages dans l’anglaise, qu’elle exécute avec un talent rare ; Fusil, par son talent vrai et naturel, a beaucoup ajouté à l’intérêt de l’ouvrage ; en un mot, l’exécution ne laisse rien à désirer.

Les auteurs ont été vivement demandés ; celui des ballets est, ainsi que nous l’avons déjà dit, M. Aumer ; et celui de la musique, composition très agréable et parfaitement analogue au sujet, M. Darondeau.

Geoffroy, Cours de littérature dramatique, seconde édition (1825), tome 6, p. 129-131 :

Jenny, ou le Mariage secret

UN mariage secret est, au théâtre, un mariage sans façon et sans cérémonie, sans prêtre et sans notaire, et dont l’amour seul dresse le contrat à .huis clos, à l’iusu des parens et du public. Ces unions clandestines, formées par deux amans pressés de leurs désirs, passent, sur la scène, pour de bons et légitimes mariages ; elles sont conformes au code matrimonial du théâtre, qui ne reconnaît d’autres lois et d’autre morale que le cœur et la nature. Les époux ainsi mariés sont considérés comme des amans, et ne participent point au dégoût qu’inspirent ordinairement, dans les drames, les époux légitimes jouissant tranquillement de leurs droits.

L’enfant qui naît de ces amours furtifs trahit enfin le mystère : alors, grande colère du père et de la mère ; grand scandale dans toute la famille : ce mariage, si théâtral, si intéressant pour les spectateurs, est regardé comme le déshonneur des parens de la fille ; tant les idées et les maximes de la société sont en contradiction avec celles du théâtre ! Les filles-mères sont mieux placées dans les ballets-pantomimes que dans les pièces dialoguées, parce qu’étant privées de la parole, l’auteur ne peut pas leur faire dire une infinité de sottises philosophiques, pour prouver qu’elles n’en sont pas moins vertueuses, pour avoir fait un enfant sans les formalités requises par les préjugés de la société : permis aux spectateurs de penser ce qu’ils voudront. de cette espèce de mariage; on s’intéresse à la mère, on la plaint sans l’approuver.

La scène est dans un village d’Écosse. Jenny, fille d’un vieux soldat habitant de ce village , s’est mariée, à sa manière, à un jeune militaire nommé John ; elle en a un enfant qu’elle cache soigneusement à sa famille. Les alarmes de la mère et les grâces de l’enfant sont le charme du premier acte, rempli d’ailleurs de danses vives et animées. Le second acte est du plus grand pathétique : le seigneur du village, amoureux de Jenny, découvre l'enfant; bientôt il en soupçonne la mère. Une invasion des Anglais dans l’Écosse, force l’amant de Jenny de prendre les armes : quelque temps après on annonce sa mort. Les Anglais mettent le feu à la chaumière où l’enfant est caché ; Jenny s’élance pour le dérober aux flammes. Le vieux père apprend que sa famille s’est augmentée à son insu ; il maudit sa fille, et la chasse de la maison.

Jenny emporte son enfant dans la solitude , et va se réfugier au pied du tombeau de sa mère. Sa raison s’est égarée; et ce délire n’est pas seulement l’ouvrage de l’amour, comme celui de Nina, c’est l'effet de la tendresse maternelle. On voit cette malheureuse, pâle, échevelée, errante dans ce lieu sauvage, et toujours occupée de son enfant : tantôt une noire mélancolie l’accable; tantôt on aperçoit sur son visage abattu le triste sourire de la démence, comme le soleil à travers un sombre nuage ; tantôt elle danse et cueille des fleurs. Mais son enfant est toujours l’objet de sa folie : dans un moment où elle croit l’avoir perdu, elle donne tous les signes du plus affreux désespoir. Quelques-uns de ces traits d’amour maternel avaient déjà été employés dans une ancienne comédie italienne, intitulée le Fils d'Arlequin perdu et retrouvé.

Enfin ce John , qu’on croyait. mort, revient auprès de sa maîtresse ; l’enfant se retrouve, le père s’adoucit, la raison revient à la mère infortunée, et tout finit par son mariage avec son amant. Ce ballet peut apprendre aux filles qu’un moment de faiblesse les expose aux plus cruels tourmens, aux derniers des malheurs, et qu’il n’y a qu’un mariage public qui puisse faire leur bonheur. On n'avait point encore vu tant d’intérêt, tant de situations touchantes, réunis dans un genre qui semblait uniquement consacré à la gaîté et à la grâce. Cette composition fait beaucoup d’honneur au talent et à l’imagination de M. Aumer, maître des ballets de ce théâtre ; et madame Quériau partage cet honneur avec lui. Cette actrice, jusqu’ici très-distinguée dans la pantomime comique, vient de se surpasser elle-même dans la pantomime tragique: il est difficile de porter plus loin l’expression théâtrale, et de peindre avec plus d’énergie les passions de l’âme par les mouvemens du corps et du visage.

Quoique ce ballet soit très-bien monté, madame Quériau éclipse tout ce qui l’environne : il ne reste d’attention et d'admiration que pour une danseuse, madame Bossi del Caro, très-surprenante aussi à ce théâtre parla précision, la légèreté et la grâce des pas qu’elle exécute. Quoique les esprits fussent préoccupés par le grand intérêt de l'action, ils ont été cependant si vivement frappés du talent de madame Bossi, qu’on lui a fait recommencer la danse anglaise : espèce de suffrage infiniment rare, et qui, par là même, a quelque chose de très-flatteur.

Ce ballet attire une foule prodigieuse à ce théâtre : aucun des ouvrages qu’on y a représentés jusqu’ici n’avait été accueilli avec autant de transports, et tous les symptômes de cet enthousiasme portent à croire qu’il sera très-constant. (27 mars 1806. )

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