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La Jeune prude, ou les Femmes entr’elles

La Jeune Prude, ou les Femmes entr’elles, opéra en un acte, paroles de Dupaty, musique de Daleyrac. 23 nivôse an 12 [14 janvier 1804].

Théâtre de l'Opéra Comique

Cette Jeune prude est parfois appelée fausse prude...

Almanach des Muses 1805

Lucrèce, jeune prude, s'est permis quelques sarcasmes contre Mad. de Verseuil, qui jure de s'en venger. Celle-ci s'est apperçue que Lucrèce n'a pas vu avec indifférence son jeune frère Lindor. Sa ressemblance avec lui est parfaite. Elle se déguise en homme, et se fait présenter à Lucrèce sous le nom de Lindor. La jeune prude ne tarde pas à être éprise du faux Lindor, qui feint de l'aimer très-vivement, la désole et lui fait commettre mille inconséquences. Le faux Lindor pénètre pendant la nuit dans l'appartement de Lucrèce : celle-ci se courrouce d'abord, s'appaise par la suite, écoute les aveux de Lindor sans l'interrompre, lui laisse deviner son amour, reçoit un baiser, donne une bague et... Lorsque les sœurs de Lucrèce, qui sont du secret, viennent les surprendre, Lucrèce est désespérée ; mais ses sœurs, après avoir joui un instant de sa confusion, lui découvrent le véritable sexe de Lindor. Mad. de Verseuil s'est vengée, et Lucrèce promet de se corriger.

Beaucoup d'esprit et de gaieté, musique charmante, succès brillant.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez les Marchands de nouveautés, an xii – 1804 :

La Jeune Prude, ou les femmes entre elles, comédie en un acte, mêlée de chants ; Par Emmanuel Dupaty. Musique de M. Dalayrac. Représentée sur le Théâtre de l'Opéra-Comique rue Feydeau.

« Il y a une fausse sagesse, qui est pruderie. »

La Bruyère, ch. 3.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . « et ce n'est pas le temps,
« Madame, comme on sait, d'être prude à vingt ans. »

Molière, Misanthr. act. III, sc. 3.

Courrier des spectacles, n° 2512 du 25 nivôse an 12 (15 janvier 1804), p. 3 :

Une simple annonce du succès, pas tout à fait complet, puisque le milieu de la pièce « a paru un peu froid ». Esprit, scènes imprévues, quiproquos, caractères, tout est de qualité. Les auteurs sont nommés.]

Théâtre Feydeau.

Première Représentation de la Jeune Prude, ou les Femmes entr'elles.

Le commencement de cet opéra a fait le plus grand plaisir, le milieu a paru un peu froid, et a même excité quelques murmures ; mais la fin a réparé ce léger échec.

L’esprit qui pétille continuellement dans le dialogue, les scènes imprévues que l’on a su y amener, les quiproquos plaisans et les traits de caractère vraiment comiques, ont donné gain de cause aux auteurs : ce sont MM. Dupaty pour les paroles, et Dalayrac pour la musique.

C’est à regret que nous sommes forcés de remettre à demain les détails de cette représentation.

Courrier des spectacles, n° 2514 du 27 nivôse an 12 (17 janvier 1804), p. 2 :

[Le sujet de la pièce est tiré d’un roman, mais ce n’est pas une source « très-pure », si bien que l’auteur de la pièce a eu raison d’adoucir ce que le critique appelle « les couleurs du tableau » (sans doute quelque peu inconvenantes »). Car la pièce a quelque chose d’audacieux : tous les rôles sont des rôles de femmes, y compris un rôle où une femme adopte un costume masculin (il faut peut-être rappeler que les pièces où des hommes se travestissent en femmes sont nombreuses : la nouvelle pièce est un sorte de monde à l’envers...). Le résumé de l’intrigue est d’une grande complexité : elle consiste dans la tentative d’un groupe de femmes de se venger d’une « jeune prude » qui a banni de chez elle l’amant de sa jeune sœur, coupable de lui avoir envoyé un message. La vengeance passe par une ruse : une femme, qui ressemble à son jeune frère, que la prude a vue avec intérêt, prend le costume de ce frère et s’introduit chez la jeune prude (ce qui est fort compromettant), et déclenche une foule d’incidents, jusqu’à ce que la jeune prude prenne enfin conscience de « l'inconséquence de sa conduite ». La partie proprement critique de l’article relève successivement la ressemblance de l’intrigue avec celui d’une autre pièce (l'Heureuse erreur, de Patrat, 1783), l’invraisemblance de la scène où le faux jeune homme se cache dans les jupes de la jeune prude (invraisemblance, mais probablement aussi inconvenance qui explique bien mieux les murmures du public) et le succès indiscutable de la pièce. La musique est mise en valeur : à la fois « simple et savante », elle comporte plusieurs morceaux remarquables, et permettent aux chanteuses de mettre en valeur leur talent. Et c’est tout une cohorte d’actrices qu’il faut citer : toutes « ont rendu par leurs talens ce spectacle extrêmement agréables ».]

Théâtre Feydeau.

La Jeune Prude, ou les Femmes entr'elles.

Un roman célèbre et qui a fait la réputation littéraire de son auteur est la source où l’on a puisé le sujet du nouvel opéra. Cette source-là n’est pas très-pure, et la pièce elle-même n’est pas tout-à fait exempte du même reproche. Mais l’on a eu soin d’adoucir les couleurs du tableau, et quoique les situations soient les mêmes que dans le roman, la nature des personnages que l’on a mis en scène, la gaîté des détails, l’esprit du dialogue et le comique des incidens et des quiproquos ont désarmé la critique et forcé d’applaudir au parti que l’on avoit sçu tirer d’un sujet jusqu’ici traité sans succès au théâtre. Dans cette pièce tous les rôles sont confiés à des femmes, tous les rôles sont des rôles de femmes, même celui où l'une d’elle prend de concert avec quelques autres le costume d’un jeune homme pour séduire celle qu’elles veulent corriger.

Lucrèce, jeune prude, qui ne veut recevoir aucun homme dans sa société, vient de surprendre un billet doux que Germeuil, amant d’Elise sa jeune sœur, vient de lui faire remettre. Ses cris au scandale, à l’abomination, redoublent encore en présence d’une vieille tante qui vient passer quelques jours chez elle, et qui est fort de l’avis de sa nièce. Lucrèce donne à ses gens l’ordre de ne plus recevoir Germeuil, et elle se permet même quelques sarcasmes contre ses sœurs et contre une dame de Verseuil qui vient d’arriver, et qui ne jouit pas à ses yeux d’une réputation intacte. Ces traits de satyre se pardonnent rarement, sur-tout entre femmes, et madame de Verseuil jure de s’en venger. Elle associe à sa querelle les sœurs de Lucrèce, et toutes prêtent le serment de donner à la prude une leçon dont elle puisse se souvenir. Voici le plan de leur vengeance. Madame de Verseuil s’est apperçue que son jeune frère Lindor, qu’elle a amené avec elle, n’a pas été vu avec indifférence par Lucrèce, et comme sa ressemblance avec lui est parfaite, elle en profite pour se déguiser et pour s’introduire la nuit à onze heures par la croisée dans la chambre de la jeune prude. Le faux Lindor prie, conjure, parle raison, vertu, amitié, amour même, et obtient sa grace. Cependant Elise les surprend en tète à-tête ; l’amant déguisé n’a que le tems de se jetter aux genoux de Lucrèce et de s’envelopper d’un pan de sa robe ; bref, il échappe aux yeux de la jeune personne. A ce danger en succède un nouveau. La Soubrette entre, et Lucrèce par une fausse confidence et par ses caresses croit acheter son secret. Il s’agit de faire partir Lindor ; mais ses habits le trahiroient. La Soubrette va chercher une robe qu’il revêt lorsque la tante et les sœurs surviennent. Madame de Verseuil leur fait découvrir ses habits d’homme, et Lucrèce semble ne pouvoir récuser de pareils témoins, lorsque tout à-coup elle déclare que tout ceci n’est qu’une plaisanterie et qu’elles voient effectivement madame de Verseuil ; les sœurs sont à leur tour déconcertées, mais madame de Verseuil ne se tient pas pour battue, et feignant de sortir, elle rentre dans l’appartement à l’instant où tout le monde s’est retirée [sic]. Lucrèce qui se croit seule est surprise de retrouver Lindor caché derrière une glace. Pour cette fois, ce n’est plus, dit-il, pour lui parler d’amour, c’est pour obtenir son pardon, c’est pour lui jurer qu’il ne l’aimera jamais. La déclaration est nouvelle, mais ne fait qu’augmenter l’amour qui a pénétré dans le cœur de la prude. Le bruit que la tante et les sœurs entendent dans l’appartement de Lucrèce les fait revenir ; elles surprennent de nouveau le faux Lindor que l’air gauche qu'il se donne sous les habits de femme fait bientôt reconnoître. La Prude est confondue et forcée de tout avouer. Elle va essuyer les reproches de sa tante, lorsque madame de Verseuil reparoît en homme et disculpant Lucrèce, il lui rappelle les diverses particularités de la scène qui s’est passée entr’elles, et parvient à lui faire sentir l’inconséquence de sa conduite.

On doit voir que ce fonds a quelque ressemblance avec l’Heureuse erreur, de Patrat.

La scène où Lindor se cache sons la robe de Lucrèce a paru invraisemblable, et les murmures ont assez indiqué à l’auteur la nécessité de changer les moyens qu’il avoit d’abord cru devoir employer. Du reste le succès a été très-brillant.

La musique a contribué beaucoup à cette réussite ; la facture en est simple et savante à-la-fois. L’ouverture, ainsi que les couplets chantés par mad. Crétu, et la romance par madame Scio-Messié ont été très applaudis. Cette dernière a rendu avec beaucoup de finesse et d’intelligence le rôle de Mad. de Verseuil. Mlle Pingenet ainée a eu dans celui de Lucrèce des momens qui annoncent un vrai talent pour la comédie. Mesd. Gonthier, Crétu, Gavaudan, Pingenet cadette, Rosette et Aglaé-Gavaudan ont rendu par leurs talens ce spectacle extrêmement agréable.

F. J. B. P. G***.

Journal de Paris, n° 117 du Mercredi 27 Nivôse an 12, 18 Janvier 1804, p. 727-728  :

[Article repris dans le Nouvel Esprit des journaux français et étrangers, tome sixième, ventôse an 12 [février 1804], p. 286-288

Dupaty, l’auteur de la Fausse prude, a choisi de rompre avec la représentation d’une intrigue amoureuse par « le concours des deux sexes », puisque sa pièce repose sur le travestissement en homme d’une « jolie femme » en cavalier, pour mettre à l’épreuve la pruderie d’une bégueule (et le compte rendu renvoie à des exemples du même ordre, Faublas où le héros se travestit, une pièce de Voltaire, la Prude). Tout le talent de Dupaty est d’avoir « prodigué les surprises et les quiproquos » au point qu’il n’est pas possible de résumer l’intrigue. Le dialogue est « plein de finesse et de vivacité ». Mais le sujet est bien frivole. La musique est « remplie de grâces et de légèreté » (en accord donc avec les paroles, ce qui est important dans un opéra-comique). Finalement (et la formule est sans enthousiasme), « cette pièce doit trouver des amateurs », peut-être parce qu’« elle rassemble six jolies femmes ».

THÉATRE DE L'OPÉRA-COMIQUE, RUE FAYDEAU.

La fausse Prude, ou les Femmes entre elles, paroles de M. Dupaty, musique de Daleyrac.

M. Dupaty a juré de ne rien faire comme un autre. Jusqu'à ce jour on avait pensé que l'intérêt d'une intrigue d'amour exigeait le concours des deux sexes. Erreur ; il y a une douzaine de femme dans la fausse Prude, et il faut que ces dames se suffisent à elles-mêmes; c'est pis que dans un monastère. Il est vrai que, si l'exclusion du sexe masculin est une innovation à l'Opéra-Comique, les scènes qui en résultent ici, ne sont pas tout-à-fait neuves. Mais qu'importe l'ancienneté du fond, si les formes paraissent piquantes. Le plaisir deviendrait trop rare, dans ce bas inonde, si l'on n'y jugeait plus rien sur l'apparence.

Le sujet de cette pièce n'a pas été fourni à M. Dupaty par l’abominable roman de Faublas, comme certains critiques n'avaient pas craint de le supposer; (M. Dupaty ne lit pas de romans). Si la fausse Prude ressemblait à quelque chose, ce serait peut-être à la Prude de Voltaire. Car, dans l'un et l'autre ouvrage, il y a une jolie femme qui se déguise en joli cavalier, pour éprouver l'apparente vertu d'une bégueule ; et, dans l'un comme dans l'autre aussi, la bégueule finit par céder à la tentation; il y a pourtant cette différence, que la Dorfise de Voltaire est une femme tout-à-fait criminelle, tandis que la Lucrèce de M. Dupaty n'est pas même une femme coupable.

Ce que nous disons de ce travestissement, de son motif et de son effet, indique assez clairement quel est le fonds de la nouvelle pièce, et l'on voit même qu'il n'y a rien de plus simple au théâtre ; mais, à l'exemple des coquettes, notre auteur fuit la gloire aisée. Pour avoir l'air de faire de petits tours de force, il faut bien inventer de petites difficultés, et c'est surtout dans ce genre d'invention, que M. Dupaty demeure sans égal. Or, il a tellement prodigué les surprises et les quiproquos, qu'il nous serait difficile de narrer le tout , sans en renvoyer partie à l'ordinaire prochain, ce qui ne plaît pas toujours au lecteur.

Le dialogue de la fausse Prude est plein de finesse et de vivacité. On y reconnaît, dès la première scène, la manière d'un homme d'esprit ; mais peut être vaudrait-il mieux que cet homme d'esprit n'eût pas de manière, et qu'il traitât enfin largement des sujets un peu moins frivoles.

La musique est également remplie de grâces et de légèreté. On a vivement applaudi la romance de M.me Deverneuil, chantée par M.me Scio, et une espèce de vaudeville chanté par M.me Crétu.

En dernier résultat, et, quoique nous en ayons pu dire dans notre sagesse, cette pièce doit trouver des amateurs ; elle rassemble six jolies femmes.

La Décade philosophique, littéraire et politique, an 12, deuxième trimestre (Nivose, Pluviose, Ventose), n° 13 (10 pluviose), p. 241-242 :

Théâtre de l'Opéra-Comique, rue Faydeau
La jeune Prude , opéra-comique, en un acte.

Une jeune veuve affecte une sévérité de principes et un rigorisme qui désole tout ce qui l'entoure : elle se fâche sérieusement et jette feu et flamme de ce que sa jeune cousine a reçu un billet de son amant.

Une comtesse un peu coquette, mais spirituelle et gaie, se déguise en jeune cavalier, comme son propre frère, parvient, à force d'esprit et d'adresse, à faire naître quelques émotions dans le cœur de la prude, et s'arrange si bien qu'elle lui fait accepter une lettre, un anneau et un baiser sur la main : elle va plus loin ; quand elle est sure de son fait, elle trouve le secret de se faire surprendre en rendez-vous mystérieux. La prude, un peu déconcertée, finit par convenir qu'il ne faut pas être plus sévère envers les autres qu'envers soi-même ; qu'une femme, telle sage qu'elle puisse être, peut quelquefois se trouver compromise sans être coupable ; qu'un sentiment n'est pas un crime quand il a un but légitime, et qu'enfin la vraie sagesse ne consiste pas dans l'adresse seule de sauver les apparences.

Ce joli acte, dont le sujet ressemble un peu aux tableaux de Crébillon le fils est conduit, et dialogué avec beaucoup d'esprit ; le caractère de la prude est très-bien dessiné ; ses combats, et surtout sa manière de se tirer d'affaire dans les situations difficiles, offrent des surprises vraiment comiques, et l'action marche et se développe d'une manière heureuse.

La musique est rare dans l'ouvrage ; peut-être même aurait-il pu s'en passer tout à fait ; mais ce qui s'y trouve fait honneur à l'esprit et au talent déjà connu de M. Dalayrac.               L. C.

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