Le Jeune frondeur

Le jeune Frondeur, comédie en un acte, en vers, de M. F. de Verneuil ; 12 mars 1811.

Théâtre de l'Impératrice.

Titre :

Jeune frondeur (le)

Genre

comédie

Nombre d'actes :

1

Vers / prose

en vers

Musique :

non

Date de création :

12 mars 1811

Théâtre :

Théâtre de l’Impératrice

Auteur(s) des paroles :

F. de Verneuil

Almanach des Muses 1812.

Un jeune homme, Pierreval, est prêt à épouser Sophie dont il est épris ; mais son esprit caustique et frondeur indispose bientôt contre lui toutes les personnes dont il attend son bonheur. Un de ses amis lui fait confidence d'une passion malheureuse ; les parens de celle qu'il aime s'opposent à son bonheur : Pierreval lui conseille d'enlever sa maîtresse. Il se trouve que la jeune personne qu'on enlève, est cette même Sophie que Pierreval devait épouser. Il perd ainsi le cœur et la main de sa future ; mais il se console bientôt en lançant des sarcasmes contre le mariage et les maris.

Fonds léger ; de jolis vers.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Madame Masson, 1811 :

Le Jeune Frondeur, comédie en un acte et en vers, Représentée, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l'Impératrice, le 12 mars 1811 ; suivie d'une épître à un critique : Par F. de Verneuil.

L'épître à un critique se trouve aux pages 37 à 40 :

Épître à un critique.

O Toi qui gourmandas ma Muse un peu légère,
Ne redoute de moi ni plainte ni colère ;
Mes vers, bien défendus, n'en seraient pas meilleurs.
Pourtant, quand je retiens d'inutiles fureurs,
Je pourrais, sur un point, t'accuser d'injustice.
Tu proscris l'avenir d'un poète novice,
S'il ne brille d'abord par un écrit vainqueur :
Mais cueillis-tu jamais le fruit avant la fleur ?
Si ma timide main, dans un premier délire,
A touché faiblement les cordes de la lyre,
Me faut-il renoncer à de nobles transports,
A l'espoir de former de plus heureux accords ?
Dans les arts périlleux, aux combats, au Parnasse,
C'est par un beau laurier que la honte s'efface.
Viens, observe avec moi ; ce mobile univers
T'offrira des progrès dans mille objets divers.
Ce pin, qui dans les cieux lève sa tête altière,
Humble tige, en naissant, rampait dans la poussière.
Le soleil, étonnant nos yeux par sa grandeur,
Fait briller dans l'azur un disque bienfaiteur ;
Mais lorsque de la nuit il dégage le monde,
Cet astre lumineux, dans sa marche féconde,
A-t-il à son lever l'éclat de son midi ?
L'aigle doit s'élever d'un vol noble et hardi ;
Mais le regard brûlant, les ailes étendues,
Fendra-t-il tout-à-coup le vaste sein des mues ?
Non; il rase le sol, s'élève, tombe encor,
Et bientôt il ira, dans un rapide essor,
Défier du soleil l'éclatante lumière.
Tout marche lentement dans la nature entière :
Ses plus rares objets, à l'œil observateur,
Ont insensiblement déployé leur splendeur.
Echapperions-nous seuls à ces lois éternelles ?
Ah! loin de les trancher, laisse croître nos ailes,
Et tu verras leur vol, aussi prompt que l'éclair,
Sillonner, sans affront, les campagnes de l'air.

Eh ! quels mortels, jaloux d'une illustre mémoire,
Ont moissonné soudain les palmes de la gloire ?
Ce n'est que lentement qu'on parvient au succès.
De l'aveu de David, que de faibles essais
Échappés à la main qui peignit les Horaces !
Long-temps Espercieux chercha les nobles traces
De ces Grecs si vantés, ses modèles chéris,
Avant que son ciseau, du vainqueur d'Austerlitz,
Pût offrir à nos yeux une immortelle image.
Perrault, par un chef-d'œuvre obtint un juste hommage,
Mais ce chef-d'œuvre est-il l'essai de son compas ?
A ces beaux airs, Grétry ne préludait-il pas ?
De degrés en degrés s'élève le génie.
Dans le sein de l'étude, au printemps de leur vie,
Quand ces grands écrivains qu'on admire toujours,
Pleins d'un feu créateur, préparaient leurs beaux jours,
Étaient-ils donc alors la gloire de la France ?
Molière, heureux vainqueur de Plaute et de Térence,
Dans le cœur des humains n'a point d'abord fouillé,
Son Médecin Volant, son Jaloux Barbouillé,
Sont-ils marqués au coin des peintures brillantes,
L'effroi des faux dévots et des femmes savantes ?
Racine, dont long-temps un stupide travers,
A, malgré Despréaux, proscrit les plus beaux vers,
De Phèdre, à son début, conçut-il la merveille ?
Et Corneille naissant fut-il le grand Corneille ?
Vint-il, aux premiers jours d'un glorieux destin,
Cinna, Pompée, Horace et le Cid à la main ?
Ah ! dans leurs jeunes ans, ces maîtres du Parnasse,
Nous ressemblaient, n'avaient qu'une superbe audace ;
Que la soif de la gloire, aiguillon des grands cœurs,
Noble feu qui d'avance annonce des vainqueurs.
Racine, de la lice entr'ouvrant la barrière,
D'un œil timide encor mesurait la carrière ;
Molière n'offrait rien digne d'un souvenir,
Et tout le grand Corneille était dans l'avenir.

Oui, lorsque retiré dans mon humble retraite,
La nuit, seul, tourmenté d'une ardeur inquiète,
J'admire, avec effroi, les chefs-d'œuvre divers
Dont ces dieux du Parnasse ont peuplé l'univers,
J'use en vain mon courage en de stériles veilles.
Ici, je suis aux pieds de l'aîné des Corneilles,
Et les regards altiers du chantre des Romains,
Font tomber aussitôt le pinceau de mes mains.
D'une imposante voix, j'entends le grand Racine :
Audacieux mortel, de ma lyre divine
Ton orgueil prétend-il imiter les attraits ?
Et Despréaux, sur moi faisant pleuvoir ses traits,
Me dit d'un vain plaisir crains l'amorce perfide.
Mais j'aperçois Mélite, et vois la Thébaïde !
O dieux, de mes transports comment peindre l'excès !
Vous ne m'effrayez plus par vos brillans succès,
Je vois vos premiers pas, écrivains qu'on regrette !
Aussitôt je reprends mes pinceaux, ma palette,
Mon audace renaît, et malgré leurs autels,
Je me dis : tous ces dieux n'étaient que des mortels(1).

Notes.

De l'aveu de David, que de faibles essais
Echappés à la main qui peignit les Horaces.

D'intimes amis de cet illustre peintre m'ont assuré qu'il leur avait plusieurs fois avoué lui-même que, durant un grand nombre d'années, il avait fait une foule d'ouvrages très-médiocres. Ces mêmes amis, qui sont tous des artistes distingués, m'ont dit aussi qu'il était effectivement bien loin d'annoncer qu'il deviendrait un jour ce qu'il est aujourd'hui.

Ah ! pourquoi ne conserve-t-on pas les essais de nos grands maîtres ? Ils devraient être aussi précieux que leurs chefs-d'œuvre. Ces premiers élans du génie enfanteraient de nouveaux miracles. Le jeune homme qui veut s'élancer sur les pas de ses modèles, est rebuté à l'aspect de tant de monumens glorieux : mais son ame se repose avec plaisir sur les premiers jours de ces mortels qui ont fait retentir l'univers de leur nom ; alors leurs chefs-d'œuvre ne le découragent plus, il travaille hardiment, et s'écrie, dans un noble enthousiasme : ils ont commencé comme moi, peut-être finirai-je comme eux !

Et Corneille naissant fut-il le grand Corneille ?

« Ses premières comédies sont sèches, languissantes, et ne laissaient pas espérer qu'il dût aller si loin, comme ses dernières font qu'on s'étonne qu'il ait pu tomber de si haut. »

Labruyère.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 16e année, 1811, tome II, p. 156 :

[Compte rendu minimaliste. Le critique qui a assisté à la représentation semble avoir mal entendu le nom de l’auteur.]

Le jeune Frondeur, comédie en un acte et en vers , jouée le 11 mars.

Cette petite comédie, dont le principal personnage est une nuance du Misanthrope, a obtenu un succès de quatre ou cinq représentations. Elle est de M. Germeuil.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome IV, avril 1811, p. 293-296 :

[Puisqu'il s’agit d’une comédie de caractère, le compte rendu s’attache d’abord à analyser ce que c’est que d’être frondeur, non pas un caractère inné, mais un travers d’esprit, un vice acquis au contact de la société. C’est « un faux air d'expérience que le demi-savant cherche à se donner », qu’on rencontre surtout chez des gens jeunes. L’auteur aurait dû ne pas limiter autant qu’il l’a fait « le développement de ce travers » : il fallait des ressorts plus puissants,, au lieu de se limiter à « quelques détails piquans » qui ne suffisent pas à faire une pièce. Il fallait faire preuve d’imagination, sans tomber, comme il l’a fait dans des moyens inadaptés, comme un enlèvement, moynen bon pour les romans, mais pas pour la scène. D’où les sifflets qui ont accompagné les applaudissements, sans empêcher que la pièce aille à son terme, et que l’auteur soit nommé. Les acteurs ont bien joué, surtout le personnage principal.]

Théâtre de l’Impératrice.

Le Jeune Frondeur.

La manie de fronder n'est point un de ces vices de l'ame, un de ces ridicules bien saillans qui puissent offrir d'heureuses combinaisons, de vastes développemens ; c'est tout simplement un travers de l'esprit propre à fournir quelques scènes épisodiques, ou du moins, pour le placer en première ligne, il fallait une connaissance du théâtre que l'auteur de la pièce nouvelle paraît encore loin de posséder. Entre les mains d'un poëte plus familiarisé avec les ressources de la scène, l'idée de cet ouvrage aurait pu, sans doute, être développée plus heureusement. « Il y a des vices, dit La Bruyère, que nous ne devons à personne, que nous apportons en naissant, et que nous fortifions par l'habitude ; il y en a d'autres que l'on contracte, et qui nous sont .étrangers ». Telle est la manie de fronder. Ce vice ne naît pas avec nous ; nous le devons à la société ; et c'est un de ceux que mettent ordinairement au jour le faux savoir, l'ignorance et la fatuité. Lorsqu'une longue expérience nous a fait apprécier à leur juste valeur toutes les illusions ; lorsque, pour me servir d'une expression qui commence à prendre faveur, nous sommes désenchantés de la vie ; dans l'âge mûr enfin, ou dans la vieillesse, on peut devenir misantrope, il est rare d'être frondeur. La manie de fronder est un faux air d'expérience que le demi-savant cherche à se donner. Sous ce rapport, un semblable travers est principalement du domaine de la jeunesse ; on peut néanmoins trouver quelquefois des frondeurs à barbe grise ; car il y a des enfans de tout âge. Cependant, l'auteur de la pièce nouvelle a fait preuve de jugement en choisissant son frondeur parmi ces philosophes prématurés, dont l’assurance en tout est en raison inverse de l'étendue de leurs connaissances.

Le savant doute, cherche, et l'ignorant sait tout.

M. Verneuil a donc eu raison de faire son frondeur jeune et tranchant ; mais il a eu tort de renfermer le développement de ce travers dans des limites si étroites. Tout est du ressort du frondeur, et ce n'est pas seulement sur des choses futiles, prescrites par l'étiquette ou par l'usage, qu'il fallait exercer cette manie. Que le frondeur censure les complimens, les visites, les moindres devoirs de la politique, tout cela est dans l'ordre et peut fournir quelques traits épigrammatiques ; mais il faut employer de plus puissans ressorts pour développer toutes les combinaisons d'un caractère. L'auteur de la pièce n'y a pas seulement pensé ; il s'est imaginé qu'un titre et quelques détails piquans devaient assurer le succès de son ouvrage ; mais l'événement a pu lui prouver que le public le plus indulgent ne se contente pas toujours d’épigrammes, et qu'un bavardage continuel ne tient pas toujours lieu d'action et d'intérêt. Sous le rapport de l'intrigue, M. Verneuil n'a pas eu de grands frais d'imagination à faire. Il a mis à contribution les moyens les plus vieux et les plus connus au théâtre ; il s'est même permis de glisser un enlèvement dans son ouvrage, petite ressource qu'il aurait mieux fait de laisser aux auteurs de romans, et qui produit rarement un bon effet sur la scène. On passe les déguisemens aux poëtes comiques ; mais il faut plus de façon pour un enlèvement, et la vérité m'oblige à dire qu'en général, M. Verneuil n'en fait guère. Peut-être me traitera-t-il de frondeur ; mais c'est un privilège de journaliste, et ce n'était pas une raison pour lui de fronder, comme il l'a fait, les convenances, le bon goût et la raison. Au reste, il s'est trouvé d'autres frondeurs au parterre, mêlés avec des auditeurs qui ne l'étaient pas, de manière que de sifflets en applaudissemens, et d'applaudissemens en sifflets, la pièce est arrivée jusqu'au dénouement, et l'auteur même a obtenu l'avantage d'être nommé.

Je dois rendre aux acteurs une justice entière; il n'a pas dépendu d'eux que l'ouvrage n'ait eu un sort plus brillant encore, et Firmin surtout a joué le rôle du Jeune Frondeur avec la plus grande distinction.                    A....e

(1) Summi sunt, homines tamen.

Quintilien.

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