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Le Journaliste des ombres, ou Momus aux Champs Elysées

Le Journaliste des ombres, ou Momus aux Champs Elysées, comédie en un acte et en vers, par M. Aude, 14 juillet 1790.

Théâtre de la Nation.

Titre :

Journaliste des ombres (le), ou Momus aux Champs-Elysées

Genre

comédie

Nombre d'actes :

1

Vers / prose ?

en vers

Musique :

non

Date de création :

14 juillet 1790

Théâtre :

Théâtre de la Nation

Auteur(s) des paroles :

M. Aude

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Gueffier, 1790 :

Le Journaliste des ombres, ou Momus aux Champs Élysées ; pièce héroï-nationale en un acte, en vers, Représentée pour la première fois par les Comédiens ordinaires du Roi, sur le Théâtre de la Nation, le 14 Juillet 1790, à l’occasion de la Confédération de la France. Par M. Aude, de l’Ordre de Malthe, de l’Académie des Sciences et des Arts de Sicile.

Le texte de la pièce est précédé (p. iij à xv) de deux textes, une lettre à Bailly, pour lui faire hommage de la pièce, puis de longues « Réflexions préliminaires » où le Chevalier Aude se justifie et justifie sa pièce, contre les allégations d’un critique malveillant : non, sa pièce n’est pas une attaque contre les décrets de l’Assemblée Nationale, au contraire. Et il s’en donne à cœur joie contre le critique, dont il montre avec précision l’isolement, et le manque de discernement, lié à sa médiocrité. Il finit son développement par des explications sur les transformations de la pièce, et par l’affirmation de son succès (le texte date de l’époque de la sixième représentation).

A MONSIEUR BAILLI, Maire de Paris, l’un des Quarante de l’Académie Françoise , &c.

Monsieur,

Vous avez présidé le premier l'Assemblée de la Nation. Vous avez été Maire de Paris, l'an premier de la liberté. Les lettres & l’humanité, la philosophie & les sciences s'honorent de cette proclamation glorieuse autant que des suffrages réfléchis d’un peuple libre qui vient de confirmer pour vous dans le calme de ses assemblées le choix unanime & prompt de son enthousiasme patriotique. Je vous dois, à tous les titres, Monsieur, l’offrande d'un Ouvrage représenté le 14 juillet, jour de la Confédération de la France, sur le principal Théâtre de la Nation ; je n’ai eu garde de mêler, à la couleur imposante de mon sujet, ce vernis éblouissant & frivole qui pouvoit, sous l’ancien régime, amuser des regards oisifs; il falloit un Drame National dans ces jours de solemnité ; il falloit l’offrir aux nouveaux François, sur la scène même où Corneille a parlé de la liberté de Rome, & dont les organes réhabilités ont secondé le vœu de mon cœur. Le succès de mon entreprise, la bienveillance & l’accueil du public m’enhardissent à vous présenter ce tribut, & à le publier sous vos auspices.

J’ai l’honneur d’être, Monsieur, avec admiration & respetc,

Votre, &c.

Joseph Aude, de l’ordre de Malthe.

Réflexions préliminaires.

L’un des feuillistes que la révolution a fait éclore & pulluler a osé croire & imprimer que je m’étois moqué de lui, & que j'avois joué ses pareils dans ce Drame, comme s'il étoit convenant & possible qu’on plaçât un recors dans le tableau des Législateurs de la Grèce, & qu’un écumeur de mer figurât dans le récit des batailles de Ruitter & de Duguesclin. Il est aussi invraisemblable que j'aie eu dessein de déterrer cette fourmilière de vendeurs de feuilles, qu'il seroit absurde de penser que l'art judicieux de la critique eût été l'objet de mes railleries. En voici, je crois, les deux preuves convaincantes ; quelle raison, ou plutôt quelle inconséquence m’eût fait salir mon Ouvrage par des peintures de gens que le laquais de l’Aretin n’eût pas admis à ses copies ? par quelle extravagante ingratitude aurois-je pu vouloir insulter à des Journalistes avoués pour le maintien du goût & le progrès des arts ? Ce reproche m'a été fait néanmoins par un entrepreneur de feuilles, par le plus ignare, le plus ridicule & le plus audacieux écrivailleur que la satyre en prose puisse compter dans ses fangeuses annales ; par un homme enfin qui exerce chaque jour son impuissance à la prostitution du plus utile des arts, en mettant à contribution les écrits de quelques critiques qu'il n'entend pas, qu'il dénature, & auxquels il emprunte, pour faire partir son tombereau périodique, des phrases & des mots que sa fausse logique fait battre en chemin. Tel est celui qui dénonce, comme injurieux à l'Assemblée nationale, un Ouvrage que mon patriotisme consacre à ses augustes décrets ; tel est celui qui me fait un crime de ce que la gaîté de Momus porte quelquefois le public à dire, en parlant de certains feuillistes, qu’il est plus utile de défrîcher des landes que de barbouiller du papier. Tel est celui qui m'attaque & me calomnie; est-ce pour que je le nomme ? pour que ma défense lui donne quelque vogue ? Il s’est trompé ; je ne veux que le peindre; & sa figure est trop peu en vue, même dans la dernière classe des folliculaires, pour que le portrait soit reconnu par d'autres personnes que ses parens, son hôte & ses voisins. Que trop peu d’intelligence pour suivre une Pièce de Théâtre, ou trop d'envie de nuire à son Auteur ait produit ces assertions calomnieuses, je n’en devois pas moins cette explication au public qui a constamment honoré cet Ouvrage de sa bienveillance & de ses suffrages. On s’étonnera peut-être que j'aie opposé d’autres armes que le silence & mon succès à des détracteurs de cette sorte. Le motif qui m’a forcé de répondre étoit trop puissant pour n’être pas écouté. Aurois-je dit un seul mot sans une considération importante ?

N’étois-je pas en effet assez vengé par l'approbation universelle ? par les desirs réitérés d’un public assez indulgent pour me redemander unanimement à la troisième représentation de ce Drame, & pour manifester la même bienveillance à celles qui l’ont suivie ? Mon patriotisme & mon amour-propre n’étoient-ils pas assez dédommagés des sales injures de ces obscurs faiseurs d’extraits par la manière encourageante dont un Journal rédigé par Messieurs Marmontel, la Harpe, Champfort, parle de ma Pièce dans laquelle on veut bien trouver un mérite réel & de beaux vers ? sans un motif plausible que je dois taire, qu'avois-je besoin d'élever la voix pour ma défense, quand le jugement de M. l'abbé Aubert trouve dans cet Ouvrage un véritable talent ? quand le Journal de Paris le croit fait pour me valoir une réputation honorable quel qu’en pût être le sort ? Ces encouragemens sont d'autant plus chers à mon cœur, que je n’ai pas l'honneur de connoître ces critiques judicieux, & qu'il étoit impossible qu’il pressentissent le succès de mon Ouvrage, le 14 juillet, jour de la première représentation ;jour où il fut joué fort tard après la fête auguste du Pacte fédératif ; jour où les Acteurs & les Spectateurs qui, la plupart avoient passé la nuit au Champ de Mars, étoient excédés de fatigues, noyés de pluie, & accablés de sommeil. Pourquoi le regard louche du calomniateur qui ne pouvoit observer ce tableau, n’a-t-il pas attendu le jugement écrit de la Chronique & du Moniteur qui ne m’ont point épargné, mais qui ont tous été du moins plus que justes, en voulant bien me reconnoître une manière de versifier, & des talens qui je serois glorieux d’avoir ? Pourquoi extraire, compiler, barbouiller, calomnier si vîte, quand on peut attendre le jugement des gens de l’art pour faire moins fortement son métier ? Les Auteurs du Journal général de France auroient appris aussi à ce feuilliste qu’il étoit seul de son sentiment ; & le public d’accord avec ses juges auroit dirigé la conduite du folliculaire.

Qu’on me pardonne ces démonstrations orgueilleuses, en faveur de la cause intéressante qui me donne le courage de les produite ; qu’on ne pardonne d’être fier des félicitations de l’énergique Auteur d’Hypermnestre & de Barnevelt sur la production que je publie. Il y a tant de plaisir & d’honneur à opposer de nobles armes à des tylets empoisonnés ! Acueilli par des Maîtres experts dans l’art de la création, qu’importe qu’un mauvais écolier dans la profession d’écolier de copiler & de nuire, prétende analyser mon style. Sait-il ce que c’est que le style, cet homme qui, comme M. Jourdain, croit faire de la prose, d'abondance, & sans apprentissage ? Sait-il mieux que M. Jourdain que le style est le résultat d’une foule de convenances & d'une combinaison lente & sûre d’idées, d’images & de sentimens ? Sait-il mieux que M. Jourdain qu'il faut ravoir pour penser, qu'il faut sentir & penser pour écrire, même des compilations, parce qu'il faut partout de l'ordre, du françois & du sens ? Sait-il que, comme M. Jourdain, il écrit sans connoître les règles du langage, & que pour pouvoir dire au moins fungar vice cotis, il faudroit ne pas faire de brèches au couteau & avoir appris à remouler ? Sait-il qu’un magasin de mots techniques ne suppléront jamais à l'ignardise ; que ce n'est pas en courant d’un Théâtre à l'autre qu’il pourra concevoir l'art dramatique, & qu’il lui faut beaucoup de temps; beaucoup de patience, beaucoup d'études suivies pour faire ce à quoi la nature l'a destiné ; parler de ce qu’on fait & ne rien faire. Sait-il que ce n’est qu'à ces conditions pénibles & par le sacrifice de ses plaisirs & de ses journées qu’il pourroit peut-être un jour servir en qualité de caporal sous les drapeaux de Desfontaines ? Il croit qu’on est coopérateur d'un Journal comme on est membre d'une messagerie ; qu'il n'y a qu’un catéchisme à lire, qu'on apprend dans un jour, dans un caffé, dans un souper, ou aux amphithéâtres des jeux publics, l’art de dire, l'art de faire, l'art de juger ? O le pauvre homme ! Est-ce-là qu'Imbert a puisé les richesses variées du jugement de Paris, la facilité, la correction, le charme ingénieux de ses Contes, de ses Fables, & du Jaloux sans Amour ? Est-ce-là qu’il apprit à ne jamais étouffer un sentiment sous le faste de l’expression, une image sous les incohérances du mauvais goût ? Est-ce-là qu’il s’exerçoit à la science difficile de l'analyse, & à jeter un coup d'œil lumineux sur les productions des Gens de Lettres ? Ce critique probe & clairvoyant, ce poëte aimable & modeste vient d’expirer, & c’est d’un écrivassier que je m’occupe. Il n’est plus, & je ne lui ai point rendu grace des dernières marques de son estime, de la manière bienveillante & flatteuse dont il a rendu compte du Journaliste des Ombres ! L’amitié seule a pleuré sur sa tombe ; on n’a pas encore payé à sa mémoire le tribut de considération que les Lettres lui doivent ! On a loué Marfilatre à l'instant même de sa mort : on a apprécié son talent, & on se tait encore sur Imbert, sur un Ecrivain dont le bon goût a su toujours dédaigner Ossian, Dubartas, le Poëme de la Magdelaine, les pointes, les capucinades, les accouplemens impurs d'idées & de mots, les fatigues de la vanité poëtique, enthousiasme factice de quelques novateurs faisant des vers ! Il n’est plus; & le tombeau qui le renferme n’est pas encore couvert de fleurs ! Ce n’est pas ici le moment de rendre hommage à sa cendre. Revenons à notre sujet.

C’est à la conversation d’un homme (1) d'esprit & de bon goût que je dois le cadre heureux dans lequel j’ai renfermé quelques décrets de l'Assemblée Nationale ; j’vois d'abord le projet de faire figurer dans mon tableau le ministre Richelieu, qui sous Louis XIV donna le premier coup à la domination des grands ; j'y voulois montrer Ganganelli, non comme chef de l'église, mais comme ami de l'humanité, Frédéric II qui disoit que le plus beau rêve qu’un Prince de l’Europe pût faire étoit de se croire Roi de France ; mais je laisse à d'autres pinceaux l'achèvement d’un tel ouvrage Il eût peut-être été intéressant d'y montrer une vertueuse victime du jeu ; elle eût amené sans doute quelques observations importantes sur une passion qui a gagné toute la France, & qui n’est pas une des moindres causes de la misère de l’Etat, & de la secrette anarchie qui agite les provinces. Il vaut mieux empêcher le mal que de le surveiller & de le punir. Il est de la sagesse des Législateurs d'en extirper toutes les racines. Il est bien plus beau d'arracher le vice à l'homme que d'arracher l'homme au vice ; & c’est dans ces momens de régénération qu'il est nécessaire de s’en occuper.

L'éducation, première base & seul appui durable de toute constitution, m’invitoit à offrir encore dans mon tableau le père Porée & Rollin. J'ose assurer que j’eusse fait leurs portraits ressemblans : j'ai eu pendant un an devant les yeux leur imitateur & leur égal. J’ai vu de près M. Chevassu, ce vertueux patriote, cet ami de l’enfance & des mœurs, cet instituteur éclairé dont Lyon s'honore, & qui en recueille encore les bénédictions par le long & pénible exercice de la plus glorieuse profession. C’est sur des hommes de cette expérience & de ce dévouement que l'Assemblée des Législateurs fixera sa vue quand il s'agira de nommer les chefs de l’éducation nationale.

Puissent les amis de la France, les soutiens de sa Constitution s’occuper fortement de ce qui peut la faire fleurir & durer ! n’eussé-je que le foible mérite de leur indiquer un des instrumens dont leurs mains patriotiques doivent se servir pour les lumières, les mœurs et la prospérité d’une province; n’eussé-je pu que nommer M. Chevassu à l'Assemblée nationale, parler du mérite qui se cache, de la vertu qui agit, des talens qui font nécessaires à la nouvelle organisation de l’empire, je croirois avoir payé largement ma contribution patriotique, & citer la seconde ville du royaume pour témoin de mon don gratuit.

Il me reste à instruire le Lecteur de la raison qui m’a fait opérer dans l'Elisée la réconciliation de Jean-Jacques Rousseau & de Voltaire. Je me suis laissé dire, qu’on laissoit les petites vanités, les humeurs, les rancunes, sur les bords du fleuve, & qu’on ne faisoit, qu’on ne disoit plus rien que de junte dans ces champs privilégiés. D’après cette croyance religieuse, j'ai pensé devoir sacrifier au vrai, l’effet piquant qui auroit peut-être résulté des deux caractères mis en scène, au séjour des morts, tels qu’ils ont paru être dans celui des vivans. Les beaux esprits s’en plaindront ; mais qu’importe, les bons ont applaudi & joui.

Cet Ouvrage a été représenté, comme il est imprimé, c’est-à-dire, avec les scènes à guillemets, le jour de la Fédération. Une maladie imprévue retint, au moment de la seconde représentation, l'acteur vraiment estimable qui jouoit le rôle de le Kain : à ce rôle se lioient celui de le Couvreur, une scène de Voltaire & beaucoup d’autres détails qui se succèdent & s'unissent, comme on peut le voir, parla lecture du Drame entier. Forcé à ces retranchemens aisés à faire dans une Pièce épisodique, j’en vis la marche & plus rapide & plus heureuse ; & il fut aisé de persuader à mon amour-propre que telle couleur étoit plus supportable à la ville qu’au Théâtre, & qu'il ne falloit pas montrer toute sa garde-robe aux lumières, sur-tout les robes noires des (2) Calas, qui sembloient contraster d'une manière affligeante avec les habits de fête d’un jour solemnel. Ces coupures étoient faciles : je me suis applaudi qu'une circonstance m’eût nécessité à les faire... Je dois rendre justice à la manière noble & touchante dont les scènes aujourd'hui supprimées étoient jouées par les acteurs recommandables qui ont bien voulu s’en charger, MM. Saint-Prix, Bellemont, Naudet ; Mesdames Suin, Desgarcins, Lange, de Vienne.

Ces détails deviennent un peu longs;, mais ils n’étoient pas inutiles : il m’a paru indécent & dur qu’une pièce dont le succès va toujours croissant, & dont le patriotique tableau vient d’obtenir encore, à la sixième représentation, un succès extraordinaire, ait pu faire dire à un sot que j'y comparois des décrets augustes à des feuilles de bas commerce. Mais ne revenons pas sur cet homme. Que doivent m'importer désormais ses assertions ? Dois-je savoir s'il existe, quand le traducteur des géorgiques, le chantre des jardins, le Virgile François, l'abbé de Lille, daigne se complaire à mes vers ? Dois-je m'inquiéter de son obscure opinion sur mon patriotisme ou mon talent, quand les patriotes & les artistes m’ont honoré de leurs suffrages ?

Journal de Paris, n° 197, du vendredi 16 Juillet 1790, p. 798 :

THÉATRE DE LA NATION.

On a donné avant-hier la première représentation du Journaliste des Ombres, ou Momus aux Champs Elisées. L’auteur suppose que Momus a levé aux Champs Elisées un magasin de Journaux qu’il donne à lire pour rien ; & il est loin d’y mettre du charlatanisme; car il dit lui-même de ses Feuilles :

                       En les donnant pour rien
Je les donne pour ce qu’elles valent.

Son commerce désintéressé lui fournit l’occasion de faire connoissance avec des Ombres célèbres, qui en lisant ce qu’on écrit sur la Constitution de la France, leur Patrie, se réjouissent de sa régénération. L’Auteur met en scène J. J. Rousseau, Voltaire & l’Abbé de St. Pierre ; Leopold et le Maréchal Fabert ; le Kain & le Couvreur.

Cette pièce a été très souvent applaudie. Il y a de beaux et de jolis vers. la dernière moitié a paru un peu longue & trop peu piquante ; mais quel que soit le sort de cet ouvrage, il doit faire honneur à son Auteur.

Mercure de France, tome CXXXIX, n° 30 du samedi 24 juillet 1790, p. 166-167 :

[La pièce, une pièce de circonstance, se passe aux Enfers, où Momus fait lire des journaux du temps à des personnages illustres. Le procédé semble un peu ennuyeux, les lectures concernant les événements politiques et les décrets de l’Assemblée Nationale étant un peu répétitives. Par contre le choix des personnages évoqués est jugé très bien fait.]

THÉATRE DE LA NATION.

Le Journaliste des Ombres, ou Momus aux Champs Elysées, Pièce de circonstance, jouée le jour même de la Fédération, a fait un peu moins de sensation que la précédente. On y a pourtant applaudi des vers fort bien faits, & écrits quelquefois avec chaleur.

Momus, exilé des Cieux, est venu se réfugier aux Champs Elysées. Là, il lui prend fantaisie de donner à lire des Journaux ; & ces Journaux rendent compte de la Révolution opérée en France, & des Décrets de l'Assemblée Nationale. La manière dont ces différens Décrets sont successivement mentionnés, a paru un peu uniforme, & a jeté quelque langueur dans l'action;ce qui n'a pas empêché qu'on ne rendît justice au mérite réel de l'Ouvrage, qui est de M. Aude.

L'Auteur a fait entrer heureusement dans ce cadre, des morts célèbres, dont plusieurs ont coopéré à la Révolution : la Scène est occupée par Voltaire, Rousseau, l'Abbé de St-Pierre, & Franklin, Léopold, Le Kain, &c. On ne pouvoit pas choisir mieux ses Personnages.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1790, tome VIII (août 1790), p. p. 335-337 :

[Le compte rendu présente bien la pièce comme « une pièce de circonstance », et elle permet en effet de comprendre l’état d’esprit du temps, avec la liste des héros de la Révolution qui commence, et ses aspirations (on rêve de la réconciliation de Voltaire et de Rousseau, dans un au-delà où les divergences entre les deux hommes seraient oubliées).]

Le 14 juillet on a donné le Journaliste des ombres, ou Momus aux Champs-Elysées, comédie en un acte & en vers, par M. Aude.

Cette piece de circonstance, jouée le jour même de la fédération, a été applaudie.

Le dieu de la gaîté, Momus, chassé de l'Olympe, pour de mauvaises plaisanteries qu'il s'est permis de faire contre Junon, a résolu d'habiter désormais la terre, & s'est d'abord retiré en France, son pays adoptif ; quand tout-à-coup la révolution a commencé d'y éclater, & chacun a couru aux armes. Comme, selon lui, cela est beau, mais n'amuse guere, il va vîte se refugier ailleurs ; & ailleurs d'autres dégoûts le suivent tellement qu'il prend le parti de descendre aux enfers, où il raconte son histoire à Radamanthe, qui, à son tour, l'entretient de ce qui se passe aux Champs-Elysées. Momus s'y établit journaliste, & fait part aux ombres de tout ce qui regarde les décrets de l'ASSEMBLÉE NATIONALE. Le maréchal Fabert, Rousseau, Voltaire, l'abbé de S. Pierre même, & en dernier lieu Franckelin, y applaudissent successivement, selon que ces décrets s'accordent avec ce qu'ils ont fait ou ce qu'ils ont écrit : il en résulte, entre Voltaire & Rousseau, une réunion de sentimens, qui opere leur réconciliation dans l'autre monde.

On sent tout ce que peut amener de curieux & de piquant, cette légere fiction. Quoique M. Aude l'ait : habilement mise en œuvre, il nous semble, qu'il auroit pu en tirer un meileur parti. Elle donne lieu néanmoins, à beaucoup de traits ingénieux, brillans, & dont, en général, le public a paru très-satisfait. Il a sur-tout vivement applaudi ce vers sur le Kain, à propos du décret qui rend aux comédiens l’état civil :

S'il eût vécu plus tard, il mouroit citoyen,

On est, au surplus, toujours sûr de l'accueil du public, quand on lui offre, au théatre, l'image des grands hommes qui ont illustré la nation, & qu'on en reproduit les beaux sentimens

Correspondance littéraire de Grimm, nouvelle édition, tome quinzième (1831), p. 138-140 :

[Compte rendu qui manque de chaleur : la pièce est donnée pour ce qu’elle devait être, un défilé de personnages qui, chacun à leur tour, viennent montrer qu’ils adhèrent aux idées nouvelles. Et ce défilé paraît bien maladroit : « nulle mesure dans les idées, nul art dans la manière dont les personnages entrent successivement en scène, nulle convenance ni dans les discours ni dans le style qu’on leur prête ». On note le compliment fait à Talma, pour son art du grimage : il a su se donner la tête de Jean-Jacques.]

Il y a beaucoup de prétention et beaucoup moins de goût dans une pièce du même genre [que le Chêne patriotique], donnée pour la première fois sur le Théâtre de la Nation le 14 juillet ; elle est intitulée le Journaliste des ombres, ou Momus aux Champs Élysées, par M. Auguste Aude, l’auteur de Saint-Preux et Julie d’Étange, drame en trois actes, représenté avec succès sur le théâtre de Versailles, et tombé depuis au Théâtre Italien.

Exilé des cieux, Momus s’est avisé d’établir aux Champs Élysées un cabinet de littérature ; il y distribue gratis toutes les feuilles du jour et en fait les honneurs assez lestement, car, en parlant de cette foule d’écrits éphémères, lui-même dit :

                     En les offrant pour rien
Je les donne pour ce qu'ils valent.

Un commerce si désintéressé lui procure cependant beaucoup de pratiques, et de ce nombre sont, comme on devait bien s’y attendre, plusieurs ombres célèbres,qui s’empressent de venir savoir des nouvelles de l’étonnante régénération de la France. On voit arriver les ombres de J.-J. Rousseau, de Voltaire, de Franklin, de l’abbé de Saint-Pierre, de Léopold Brunswick, du maréchal de Fabert, de Le Kain, de mademoiselle Le Couvreur. Momus a grand soin de montrer à chacune le décret qui peut l’intéresser davantage ; mais cette attention trop répétée ne tarde pas à paraître d’une monotonie insipide et fatigante. Ce qu’il y a de plus curieux dans tout ceci, ce sont les beaux complimens que Voltaire adresse à Jean-Jacques; après avoir fait en quelque sorte amende honorable pour tout le mépris, pour tous les ridicules dont il l’avait affublé de son vivant, il l’appelle avec respect le premier législateur de sa patrie. Rousseau, comme on peut croire, est trop poli pour ne pas lui renvoyer une partie de cette gloire, et l’abbé de Saint-Pierre en vient prendre aussi sa part. Un divertissement mêlé de couplets termine enfin la pièce tant bien que mal. On y a remarqué de beaux et de: jolis vers, mais nulle mesure dans les idées, nul art dans la manière dont les personnages entrent successivement en scène, nulle convenance ni dans les discours ni dans le style qu’on leur prête.

Le sieur Talma, qui, dans la fameuse tragédie de M. Chénier, avait si bien su composer son visage sur les portraits que nous avons de Charles IX, semble avoir porté cet art encore plus loin dans le rôle de Jean-Jacques ; vous auriez cru voir le sage de Genève en personne : cette copie vivante était si vraie qu’on eût presque été tenté de le prendre pour l’original de toutes les autres ; que lui manquait-il donc ? la parole.

D’après la base César, la pièce qualifiée d’héroïque, a été jouée 6 fois au Théâtre de la Nation, du 14 juillet au 2 septembre 1790.


 

(1)M. Mahouet.

(2) Le conseil de quelques gens de lettres me porte à faire imprimer ces scènes qui renferment la continuation des décrets dans ce cadre dramatique.

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