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Le Jugement du berger Pâris

Le jugement du berger Pâris, ballet pantomime en trois actes, chorégraphie de Gardel cadet [Pierre Gardel], musique de Haydn, Pleyel et Méhul, 6 mars 1793.

Théâtre de l’Académie de Musique.

[Le fameux jugement de Pâris a été très souvent mis en scène au cours du XVIIIe siècle, et Gardel aîné [Maximilien Gardel] avait déjà fait jouer un Jugement de Pâris en 1789.

Titre :

Jugement du berger Pâris (le)

Genre

ballet pantomime

Nombre d'actes :

3

Musique :

oui

Date de création :

6 mars 1793

Théâtre :

Théâtre de l’Académie de Musique

Chorégraphe(s) :

Gardel cadet [Pierre Gardel]

Compositeur(s) :

Haydn, Plaeyel et Méhul

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, de l’Imprimerie de la veuve Delormel, an VI :

Le Jugement de Paris, ballet-pantomime en trois actes, Par le Citoyen Gardel. Musique d’Haydn, Pleyel et du Citoyen Méhul. Donné pour la première fois sur le Théâtre de l’Académie de Musique, le 5 mars 1793, an II de la République.

Avant la liste des personnages, une explication provenant du chorégraphe, même s’il ne dit pas son nom :

AVANT-PROPOS.

J'ai toujours remarqué dans les Ballets d'action que les effets de décorations, et les divertissemens variés et agréables, étoient ce qui attiroit le plus la foule des spectateurs, et les vifs applaudissemens ; d'après cette remarque, j'ai cherché un sujet qui pût se plier à faire valoir les grands talens que l'Opéra, de Paris seul, possède en danse, et qui me permit d'étendre les idées que le hasard pourroit m'offrir : l'histoire poétique est le terrein inépuisable que le Maître de Ballet doit cultiver. Ce terrein n'est pas sans épines, mais il faut savoir les écarter pour cueillir la rose. Après avoir feuilleté cette histoire, le Jugement de Pâris m'a semblé le plus propre à réunir mes efforts pour tenter d'obtenir de nouveau les bontés du Public ; si je suis assez heureux pour y parvenir, je déclare (et c'est avec bien du plaisir) que je les devrai au zèle, aux talens, et à l'amitié de mes camarades, ainsi qu'à la grande intelligence de notre Machiniste.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1793, volume 7 (juillet 1793), p. 356-357 :

[Batyle et Pylade sont des danseurs de pantomimes de l'époque impériale à Rome.]

Le superbe ballet du Jugement de Pâris a mis le sceau à la réputation de MM. Gardel & Vestris. Nous ignorons si Batyle & Pylade avoient poussé l'art de la chorégraphie & celui de la danse plus loin que ces excellens artistes ; mais nous savons bien que si l'on ne va voir le jugement de Pâris que pour la magnificence théatrale & pour se convaincre que la danse est la plus heureuse expression du plaisir, en même-tems qu'elle en est la plus riante image, on peut s'attendre à n'avoir que très-peu de chose à désirer, lorsqu'on voit successivement se développer les grands talens des artistes de l'opéra.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1793, volume 11 (novembre 1793), p. 309-323 :

[Deuxième article sur le ballet de Gardel. Il dépasse largement les proportions attendues d’un tel compte rendu. Mais sa première partie, sur plusieurs pages, fait le catalogue des œuvres dramatiques consacrées auparavant au Jugement de Pâris (c'est un passage obligé des comptes rendus pour les œuvres nobles, tragédies, opéras, ballets). Puis le critique fait globalement l’éloge du nouveau ballet, dont il décrit minutieusement le déroulement. Fort peu de critiques, beaucoup d’admiration, qu’il s’agisse de ballet, de sa musique, de l’interprétation ou des décorations. C’est des décorations que le critique fait le plus de réticences : le peintre est accusé « de les avoir fait riches, ne pouvant les faire belles », mais ce sont des défauts qui « se peuvent aisément réparer ». Par contre, « la singularité des vols & l'exécution des machines n'ont rien laissé à désirer ». Visiblement, le critique a beaucoup admiré ce ballet pantomime.]

Le jugement de Pâris, ballet organisé en trois actes ; par Gardel.

[Le compte rendu s'ouvre sur un long développement consacré aux œuvres plus anciennes concernant ce fameux jugement. C'est p. 316 qu'on arrive au ballet de Gardel:]

Traçons maintenant le plan du ballet pantomime de Gardel.

Le rideau levé laisse voir une campagne riante ; trois monticules ornés de fleurs, sont sur l'avant-scene ; les hauteurs du mont Ida en forment le fond. L'amante de Pâris, la jeune & vive Œnone, cherche de tous côtés ce berger volage, qui, caché dans des buissons, & imitant la voix de l'Echo, s'amuse de son inquiétude & de son embarras ; chaque fois qu'elle l'appelle, il répond, & quitte le lieu qu'il occupoit: Œnone va l'y chercher inutilement ; en vain parcoure-t-elle le pied de la montagne, les petits monticules, les bosquets voisins ; à la fin Pâris radoucit sa voix ; Œnone le croît bien loin, & court à sa poursuite ; maître de la place, il cueille des fleurs & en tresse une couronne. Une jeune Phrygienne, amante délaissée & malheureuse, s'offre à ses yeux, & la couronne lui est offerte en échange d'un ruban ; aussi-tôt une bergere plus vive arrive en bondissant, & Pâris oubliant la premiere, lui porte son hommage ; la jalouse Œnone survient à l'instant : cachée sous un épais feuillage, elle observe tout, elle ne peut douter de la légéreté de celui qu'elle adore. Une troupe de bergeres se joint aux deux premieres ; toutes prétendent à la couronne, & l'espoir de celle qui croit la saisir est toujours trompé. Enfin, Pâris, poursuivi par les bergeres, rencontre Œnone ; elle saisit la couronne, & va l'accabler de reproches.. Au même instant on voit fuir les pasteurs effrayés ; un énorme lion les poursuit ; Pâris saisit un javelot, & court le combattre : Œnone & les bergeres le suivent éplorées.

Cet acte offre les tableaux les plus frais : les bergeres, qui veulent vainement saisir la couronne de Pâris, forment avec lui les groupes les plus agréables : Vestris, chargé du rôle de Pâris, peint bien, par la gaieté, la grace, la légéreté & la volupté de sa danse, le caractere volage de ce berger. Gardel a su rendre Pâris plus intéressant, en lui faisant joindre la vaillance à la galanterie : le moment où il s'arrache aux plaisirs pour aller à la rencontre du monstre, termine, d'une maniere très-ingénieuse, cet acte délicieux.

Le second acte contraste à merveille avec le premier : celui-ci nous a présenté des bergers folâtres ; dans celui-là, c'est Jupiter entouré de toute sa cour, c'est l'Olympe entier que nous allons voir. Le théatre est une vaste campagne, terminée par deux collines qui forment sur la mer une espece d'anse ; la colline à droite, est couverte d'arbres ; au sommet de la seconde, s'élevent des bâtimens magnifiques. On voit, à l'entrée du théatre, les temples de l'Hymen & de l'Amour. Ils sortent, ils unissent leurs flambeaux & leurs autels, & préparent tout pour les noces de Thétis & de Pélée. Ces deux amans paroissent, suivis des Thessaliens & des dieux marins ; Flore, Zéphyr, & leur suite descendent de la colline émaillée de fleurs ; des faunes, des bacchantes, des satyres, descendent de l'autre colline, & précédent Bacchus ; le char de Neptune & d'Amphytrite sort du sein des eaux ; Pluton & Proserpine sont sur un char de feu traîné par des chevaux noirs ; Jupiter descend des cieux sur un nuage avec tous les autres dieux. La fête commence : le chaste Hymen, le tendre Amour & l'auguste Junon unissent les deux époux ; chaque grouppe exécute les danses qui lui sont propres ; elles sont terminées par une bacchanale, après laquelle Junon, Pallas & Vénus, sont invitées à annoblir ces jeux en y prenant part. Junon & Pallas s'excusent ; mais Vénus, plus facile, commence à danser : aussi-tôt la terre tremble, & vomit, d'un tourbillon de feu, l'effroyable Discorde ; elle témoigne, par ses menaces, sa fureur de n'avoir pas été invitée à cette fête ; elle montre un autel, sur lequel on voit une pomme d'or, avec ces mots : A la plus belle, & s'abîme. Les dieux sont étonnés ; les trois déesses apperçoivent l'inscription : chacune d'elles prétend que la pomme lui appartient, & veut s'en saisir ; Mercure la prend, & la présente à Jupiter. Ce dieu ne peut se décider : l'Olympe n'offrant que des juges qu'on pourroit accuser de partialité, il se détermine à remettre ce grand procès à la décision d'un mortel; les nuages s'entr'ouvrent, & laissent voir Pâris terrassant le monstre sur le mont Ida. C'est Pâris qu'il choisit pour arbitre ; Mercure vole avec la pomme pour lui annoncer cette nouvelle ; les déesses l'accompagnent, chaque dieu sort avec ses suivans, & Jupiter remonte aux cieux. Le spectacle de cet acte est pompeux & d'un bel effet ; la décoration est aussi magnifique que la premiere est agréable ; le rôle de la Discorde est rendu, avec une énergie effrayante, par Milon.

Aux scenes riantes du premier acte, aux noces splendides & pompeuses du second, succede le tableau le plus voluptueux & le plus suave : c'est Vénus qui, pour avoir la pomme, va se parer, après avoir pris le bain ; les graces & les nymphes de sa suite écartent avec soin tout profane ; la déesse entre dans le berceau qui ombrage le bassin destiné à la recevoir ; elle y paroît étendue au milieu de petits amours & de petits tritons. Pendant ce tems-là, quelques nymphes jouent des airs mélodieux sur des instrumens à cordes ; & d'autres exécutent des danses. Vénus, sortie du bain, est dans un pavillon couvert ; l'Amour veut soulever le voile, les nymphes l'en empêchent, & le petit libertin témoigne son dépit, son impatience & son humeur.

Le rideau s'ouvre enfin, Vénus est à sa toilette ; ce sont les graces qui la parent ; l'Amour secoue son flambeau sur sa ceinture ; il la regarde & lui promet l'avantage sur ses rivales. Vénus va le joindre : toutes trois montent au ciel dans un char qui passe comme un trait autour de l'arc-en-ciel. On voit une autre partie du mont Ida. Les pasteurs portent en. triomphe, à la suite de Pâris, le monstre qu'il a tué. Œnone & les bergeres lui rendent grace, & se réjouissent de sa victoire. Mercure paroît ; il annonce à Pâris les ordres de Jupiter ; Œnone ne peut cacher sa juste jalousie ; elle oppose toute la résistance dont elle est capable, mais le pouvoir de Mercure, qui la touche de son caducée, la force à s'éloigner. Les déesses s'offrent à Pâris ; il voudroit donner la pomme à toutes trois ; forcé de se décider, il ne peut prononcer pour une en voyant les deux autres. Pallas & Vénus s'éloignent, il reste seul avec Junon. La déesse présente à Pâris des vases remplis d'or, les sceptres des trois parties du monde ; il est insensible aux grandeurs & aux richesses. Junon voulant, à quelque-prix que ce soit, séduire son juge, lui offre l'immortalité ; il est incorruptible. La déesse s'éloigne furieuse. La guerriere Pallas lui succede, & promet à Pâris la victoire dans les combats; pour lui en faire sentir tout le prix, elle frappe la terre de sa lance; un laurier s'éleve, elle en détache une couronne. Aussi-tôt des héros paroissent pour se la disputer ; ils se livrent un combat terrible ; la déesse couronne le vainqueur, qui partage avec son ennemi malheureux, mais aussi vaillant que lui, le prix glorieux de sa victoire. Pâris témoigne plus d'indifférence que de goût pour ces jeux sanglans, & la déesse se retire, bien résolue de venger son affront. Vénus entre avec le Graces ; elle lui promet les plaisirs, plus précieux pour lui que l'or & la puissance de Junon, & le laurier de Pallas ; il va se décider, lorsque les deux rivales accourent ; mais malgré leur colere, il préfere les graces & la beauté de Vénus, aux attraits de Junon & à la majesté de Pallas : elle obtient la pomme. ses deux rivales sortent furieuses & menaçantes. Pâris témoigne quelques craintes, mais la certitude de la protection de Vénus le rassure ; elle le rend aussi sensible qu'il a été léger & indifférent, & lui remet Œnone. Les amans sont transportés dans les bosquets de Cythere, où Vénus les unit, & l'acte est terminé par une superbe fête.

On voit combien ce dernier acte offre de situations variées & neuves : l'idée du combat que Pallas fait livrer en présence de Pâris, est grande, & il est exécuté avec autant d'adresse que de précision & de force, par MM. Guyon & Huard ; il est impossible de produire plus d'illusions. La fête qui termine le ballet est magnifique, & on y remarque sur-tout un pas de six & un de quatre, par les sujets les plus distingués. Gardel y a paru, & a obtenu les applaudissemens les plus mérités & les plus flatteurs.

La musique est d'Haydn, de Pleyel, & de Mehul ; ces noms fameux suffisent à son éloge. On a beaucoup applaudi l'ouverture ; elle est de ce dernier compositeur.

Tous les sujets se sont surpassés : il suffit de nommer Didelot & Rose, pour donner une idée de la grace & de la noblesse ; Laborie & Duchein, pour avoir celle de la sûreté dans l'exécution & de la légéreté ; Vestris a été ce qu'il est toujours, comme danseur & comme pantomime ; Mlle. Chevigny semble ne pouvoir plus faire des progrès, & cependant on croit toujours qu'elle en a fait. Je ne puis pas terminer ce que j'ai à dire des sujets, sans parler du charmant enfant qui joue l'Amour avec tant de grace, de finesse & de ma1ice, la petite Delille. Le talent précoce de la jeune éleve de Gardel, qui a paru dans le dernier ballet, annonce l'école d'où elle sort.

On ne peut plus louer Mlle. Saulnier, dans le rôle de Vénus ; il lui est si naturel, qu'elle n'a plus d'efforts à faire ; Mlles. Aubry & Simon, chargées des rôles des deux autres déesses, jouent pour la premiere fois la pantomime ; les applaudissemens qu'elles ont obtenus, auroient pu être enlevés par leur beauté ; ils ont été donnés au succès de leurs efforts.

Les décorations des deux premiers actes sont aussi justes que bien entendues ; celles du troisieme acte n'ont pas le même mérite. On pourroit reprocher au peintre de les avoir fait riches, ne pouvant les faire belles. Le petit pavillon qui sert de retraite à Vénus, a un aspect trop moderne : je ferai le même reproche aux bosquets de Cythere, qui sont élégans, mais n'ont rien de la simplicité antique ; l'arc-en-ciel est trop dur & trop courbé. Ces défauts se peuvent aisément réparer ; la singularité des vols & l'exécution des machines n'ont rien laissé à désirer.

Gardel a été demandé à la fin, & il a été entouré de ses camarades ; ils se doivent une égale reconnoissance : en les plaçant avec tant d'avantage, il contribue à leur gloire & leur parfaite exécution ; cet ensemble de talens, qui ne se trouveroit point ailleurs, a assuré son succès.

Courrier des spectacles, n° 389 du 27 ventôse an 6 [17 mars 1798], p. 2 :

Théâtre de la République et des Arts.

Je regrette de ne pouvoir offrir à mes lecteurs l’analyse et les détails délicieux du charmant ballet du Jugement de Paris, dont on donna hier la première représentation de la reprise ; mais cet article devant être long, auroit empêché le journal de paroître ce matin, ce qui me force à le remettre à demain. Je me contenterai de dire que le public a été dans un enthousiasme continuel, en voyant un ouvrage aussi beau, aussi voluptueux, et que les cit. Gardel, auteur du ballet, Vestris et Deshayes ont été demandés et applaudis universellement.

Courrier des spectacles, n° 390 du 28 ventôse an 6 [18 mars 1798], p. 2-3 :

[Le journal de la veille avait promis un long article, il tient parole, et ouvre la critique par une assez longue digression enthousiaste sur le spectacle auquel le critique a assisté : impossible, sauf à être un « austère cynique », de résister à tant de grâce. Mais il faut passer à l’analyse, fort détaillée, de cette reprise, analyse qui nous raconte par le menu le détail de l’intrigue de ce ballet qui enrobe d’une histoire d’amour la légende de Pâris choisissant Vénus comme la plus belle déesse. Rien de nouveau, mais l’exécution est constamment présentée comme parfaite. Le détail des trois actes une fois donné, il ne reste plus qu’à donner le nom des interprètes, tous loués sans restriction : personne n’a démérité. Le critique conclut sur l’assurance du succès pour ce ballet : loges louées à l’avance, prix des places de parterre élevées, foule si dense qu’on a craint « des accidents très-fâcheux » : l’administration du théâtre doit veiller à ne pas laisser entrer trop de monde.]

Théâtre de la République et des Arts.

J’ai souvent entendu dire du grand Voltaire qu’il avoit la magie du style, ne pourrois-je pas de même avancer, en faveur du citoyen Gardel et des artistes du théâtre des Arts ; qu’ils ont la magie des grouppes, des situations, de la grâce et de la volupté...... A ces noms séduisans je vois déjà l’austère cynique s’élever hautement contre la mollesse où la danse nous entraîne. Laissons à ces prétendus sages le fol orgueil de vouloir résister aux attraits d’un art aussi enchanteur ; aussi bien, leur présence et leur aspect farouche et sauvage seroient capables de faire fuir les graces de leur sanctuaire ; mais je m’apperçois que l’enthousiasme bien naturel que m’a causé le ballet du jugement de Pâris m’a un peu écarté de mon but principal ; je demande pardon à mes lecteurs de cette petite digression, et je vais donner l’analyse et les détails de ce délicieux ouvrage.

Le jugement de Paris fut joué pour la première fois le 5 mars 1793 et obtint le succès le plus brillant. AEnone, jeune nymphe du Mont Ida est éperduement amoureuse du beau berger Pâris, par-tout elle le cherche, elle l’appelle, les échos retentissent de sa voix plaintive, le berger paroît, s’amuse à répondre à ses accens, et à disparoître aussi-tôt pour mieux enflammer le cœur de son amante. Deux nymphes, l’une langoureuse, l’autre vive et enjouée se disputent le cœur du fils de Priam. Une troupe de jeunes nymphes se joint à elles, et veut ravir à Pâris une couronne de fleurs qu’il vient de faire pour AEnone, cela forme des grouppes charmans et des situations très-pittoresques. La jalouse AEnone cachée derrière un rosier, dérobe à Pâris la couronne qu’il fait desirer à chacune des nymphes. Ce premier acte est terminé par des bergers et des pâtres qui fuyent à l’approche d’un lion. Pâris s’arme, vole à leurs secours, et est suivi d’AEnone et de toutes les nymphes éplorées et tremblantes pour la vie de leur beau berger.

Le second acte représente un rivage ; à gauche le temple de l’Amour, à droite celui de l’hymen, dans le fond de la scène, d’un côté sont des rochers escarpés, de l’autre des jardins délicieux plantés en forme d’amphithéâtre. L’amour et l’hymen joignent leurs autels pour la célébration des noces de Thétis et de Pelée. Bientôt tous les dieux de l'Olympe descendent dans un nuage, et unissent le fis d’Eaque à la hlie du vieux Nérée. Des danses où se mêlent à la fies des satyres, des faunes, des amours, des bacchantes , des néréïdes, des nayades, etc. forment l’aspect !e plus original et le plus voluptueux ; mais la discorde, qui n’a point été invitée à ces noces brillantes, vient troubler l’allégresse générale, et fait paroîtire nue pomme d’or sur un pied-d’estal, avec cette inscription : A la plus belle. Junon, Pallas et Vénus se disputent la pomme, et se l’arrachent l’une à l’autre. Jupiter ordonne à Mercure de la porter au beau berger Pâris, qui doit terminer ce différend.

C’est sur-tout dans le troisième acte que les sens sont saisis par les charmes attrayans du plaisir ; le théâtre représente un bosquet écarté. Un ruisseau clair et lympide arrose les bords d’un pavillon ; c’est là que Vénus, entourée des jeux, des ris et des graces, doit se baigner et se parer de ses ornemens les plus voluptueux. De jolis détails de toilette, un petit Cupidon cherchant à lever légèrement le rideau du pavillon, pour y jetter un coup-d’œil indiscret, ses prières naïves et ingénues pour qu’on lui laisse satisfaire sa curiosité, tout est de la plus agréable fraîcheur et la plus grande délicatesse. Vénus paroît dans ses plus brillans atours, et rejoint Junon et Pal las qui l’attendent dans un nuage. Ici la scène change et représente une campagne ; les bergers et les pâtres portent en triomphe le lion dont Pâris a été le vainqueur. Mercure donne au beau berger la pomme qu’il doit offrir à la plus belle. AEnone supplie son amant de la lui accorder ; mais malgré son penchant pour Pâris, elle se sent entraînée par la force irrésistible du caducée du messager des Dieux. Junon, Pallas et Vénus se présentent au fils de Priam ; les deux premières déesses tentent de le séduire par des richesses immenses, par de beaux palais, par le desir de la gloire, rien ne peut le toucher. Enfin la mère des amours s’offre à lui avec des attraits si séduisans, elle fait paroître à ses yeux des tableaux si enchanteurs, qu’il se rend à ses vœux et lui offre la pomme. Junon et Pallas indignées contre le beau berger, le menacent de toute leur haine, mais Vénus le prend sous sa protection, le transporte dans les voluptueux bosquets de Paphos, et l’unit à son amante .AEnone. Ce spectacle est terminé par des danses on ne peut pas plus agréables et exécutées avec un ensemble parfait.

Les cit. Vestris, Deshayes, Beaupré ont été fort applaudis dans les rôles de Pâris, de Zéphir et d’un pâtre ; et les citoyennes Clotilde, Gardel, Pérignon, Chevigny, Huttin, et Saulnier ont supérieurement joué et dansé dans les rôles de Vénus, Terpsicore, Flore, AEnone, Pomone et Thétis. J’ai sur-tout remarqué le plaisir qu’a fait éprouver la citoyenne Chevigny, lorsqu’elle est entraînée malgré elle par la force irrésistible du caducée de Mercure. La citoyenne Collomb a pareillement réuni tous les suffrages dans le rôle d’une nymphe vive et enjouée, et dans celui d’une bacchante.

L’on m’a assuré avant-hier que les loges étoient louées jusqu’à la seizième représentation ; ce que je puis affirmer, c’est que les billets de parterre ont été vendus jusqu’à neuf francs pièce ; la foule étoit si grande, que peu s’en est fallu qu’il n’y ait eu des accidens très-fâcheux ; il faut espérer que l'administration veillera à ne point laisser entrer plus de personnes que lu salle n’en peut contenir.

Desanteul.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1798 (vingt-septième année), tome IV (avril 1798, germinal, an VI), p. 192-193 :

[Le ballet-pantomime de Gardel a été repris en 1798 au Théâtre de la République et des arts, et un article témoigne de son succès : sujet bien adapté à la danse telle que la pratique Gardel, possibilité d’y faire paraître « tous les genres de la danse », « décorations nombreuses, riches et variées », dont un nouveau décor, celui du palais de Junon, très remarqué. Le public a demandé le chorégraphe et les deux danseurs vedettes, avant que toute la troupe des premiers sujets ne paraisse.]

THEATRE DE LA RÉPUBLIQUE ET DES ARTS.

Paris, ballet pantomime.

La première représentation de la reprise de ce ballet a attiré un grand nombre de spectateurs, & son exécution dans toutes ses parties a obtenu le succès le plus brillant.

Le sujet a l'avantage d'être tel qu'il convient à ce genre. Il est simple, il exige peu de détails de scènes, où le geste doit suppléer la parole, supplément toujours insuffisant & souvent ridicule. Il favorise le développement des talens du C. Gardel , pour la composition des groupes & la variété des tableaux. Tous les genres de la danse y sont employés , parce qu'ils y sont nécessaires; & dans tous, on n'y voit que des modèles. Les premiers sujets, qui sont très-nombreux, y paroissent tous, & tous semblent se disputer la palme qui reste dans les mains du public incertain.

Les décorations nombreuses, riches & variées, attestent le goût & les connoissances qui y président. Il en paroît une seule nouvelle, c'est le palais que Junon offre aux regards de son juge pour le séduire ; il est de la composition & exécuté sur les dessins du C. Brogniard, architecte. Il a été universellement applaudi.

Le public a demandé le C. Gardel, compositeur de ce ballet ; il a paru au milieu des
applaudissemens, Il a demandé ensuite le C. Vestris , la citoyenne Clotilde, & enfin tous les premiers sujets, & tous ont reçu la récompense due à leurs talens.

César : ballet en trois actes. Chorégraphie de Gardel cadet. Musique de Méhul. Première le 6 mars 1793. 43 représentations en 1793, 14 en 1794, jusqu'au 28 mars 1794.

Le ballet de Pierre Gardel a été une valeur sûre du répertoire de l’Opéra : il a été joué 147 fois de 1793 à 1811. Après les représentations de 1793 et 1794, il est repris en 1798 et est joué presque tous les ans jusqu’en 1811. Il est resté au répertoire jusqu’en 1825 et a été représenté au total 193 fois.

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