Koulouf, ou les Chinois

Koulouf, ou les Chinois, opéra-comique en trois actes, de Guilbert de Pixerécourt, musique de Daleyrac, 18 décembre 1806.

Théâtre de l’Opéra-Comique.

Titre :

Koulouf, ou les Chinois

Genre

opéra-comique

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

prose, avec couplets en vers

Musique :

oui

Date de création :

18 décembre 1806

Théâtre :

Théâtre de l’Opéra-Comique

Auteur(s) des paroles :

R. C. Guilbert-Pixerécourt

Compositeur(s) :

N. Dalayrac

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Barba, 1807 :

Koulouf, ou les Chinois, opéra-comique en trois acets et en prose, Paros de R. C. Guilbertt-Pixerécourt. Musique de N. Dalayrac, membre de la Léiond ‘honneur et de l’Académie royale de Stockholm. Représenté, pour la première fois, à Paris, sur le théâtre de l’Opéra-Comique, rue Feydeau, le 18 décembre 1806.

Courrier des spectacles, n° 3599 du 19 décembre 1806, p. 2-3 :

[Le sujet de la pièce nouvelle n’est pas neuf : il a déjà été traité à l’Opéra-Comique par Marmontel et Piccini, mais de façon maladroite. En faisant de Koulouf un passionné d’astrologie, le librettiste l’a rendu vraisemblable : il devient susceptible de rendre service au Grand-Colao. Avant de raconter l’intrigue, le critique accorde une large place à un avant-scène particulièrement compliqué. L’intrigue elle-même n’est pas simple, les personnages étant multipliés, tout comme les incidents. Bien sûr, tout finit de façon heureuse, Koulouf sauve son maître, qui le récompense et lui accorde la main de la belle Zalida. C’est l’idée de complexité que le critique met ensuite en avant : « L’exposition est un peu obscure, et les détails de quelques scènes sont quelquefois trop longs », mais l’essentiel est dans la gaieté du personnage principal, bien joué par Martin. Tout est de qualité : la musique, les décors, les costumes. Cet opéra-comique est aussi somptueux que le plus somptueux des mélodrames, dont on sait qu’ils ne lésinaient pas sur le spectacle. Il y avait foule au théâtre, et les applaudissements ont été nourris. Les auteurs ont été demandés et Pixerécourt a paru, Dalayrac étant absent.]

Théâtre de l’Opéra-Comique.

Koulouf, ou les Chinois.

Koulouf, et les Chinois qui l’accompagnent ne sont point des personnages inconnus à l’Opéra-Comique ; Marmontel et Piccini leur avoient déjà procuré les honneurs de la représentation ; mais cette représentation avoit eu peu de succès. Ils s’étoient contentés de faire de Koulouf un pauvre malheureux qu’un prince mystifie pour s’amuser, et qu’il rend à sa misère, après s’être joué quelque tems de sa crédulité.

Ce sujet rentrait dans celui des Incommodités de la grandeur. Il étoit froid et manquoit essentiellement d’action. Ici Koulouf est une espèce de maniaque qui croit à l’astrologie, qui s’est persuadé qu’un jour il deviendra un grand personnage, et qui, frappé de cette idée, est disposé à croire tout ce qui pourra s’y rapporter. Il y a donc d’abord plus de vraisemblance. Mais l’auteur y a joint encore un autre intérêt. A l’instant même où Koulouf subit la mystification qui lui est préparée, il rend un service important au Mandarin qui s’amuse à ses dépens, et ce service devient pour lui l’occasion d’une fortune inattendue.

Voici les détails de la pièce :

Hircan, grand Colao, ou premier mandarin de l’empire de la Chine est dans l’usage de célébrer chaque année le jour de la naissance par une chasse aux bêtes féroces que, suivant l’usage du pays, il fait lâcher dans son parc de Thiboul. Dans une de ces chasses, un artisan nommé Koulouf terrasse un lion furieux qui s’étoit élancé sur Zalida, jeune orpheline que le Grand-Colao élève à sa Cour, et à laquelle il prend le plus vif intérêt. Pour le récompenser de cette action courageuse, Hircan nomme Koulouf garde de son parc, et l'établit dans une jolie chaumière bâtie par son ordre aux pieds d’une vieille pagode. Mais la vue de Zalida a si vivement enflammé l'imagination de Koulouf, qu’à peine sa tête est-elle à lui. Persuadé que dans l’état obscur où il se trouve place, il ne pourra jamais prétendre à la main de celle qu’il aime ; il n’aspire plus qu’à devenir riche et puissant ; il va chaque jour consulter les devins et les astrologues pour savoir quelles sont les destinées qui l’attendent, et tous s’accordent à lui prédire l’avenir le plus heureux.

Les choses sont dans cet état depuis un an, lorsque le Grand Colao vient à Thiboul pour assister à une de ces chasses ; tout ce qu’on lui raconte de l’originalité de Koulouf et de sa manie pique sa curiosité ; il se déguise et vient le trouver à sa chaumière, accompagné de Tazhin, son ami fidèle, qui cherche et saisit avidement tous les moyens de distraire son maître de la douleur que lui cause la perle de Sélima sa favorite, qu’il a été contraint d’exiler de la cour. Koulouf, qui sort de chez le Grand-Astrologue, a la tête tellement frappée de tout ce qu’on lui a prédit, qu’il s’apperçoit à peine de la présence du Grand-Colao et de son ami. Celui-ci forme le projet de faire concourir Koulouf au plaisir d’une fête qu’Hircan doit donner, la nuit, à ses femmes. En conséquence il lui envoie du fruit et des liqueurs parmi lesquelles est un somnifère. On endort Koulouf, et des esclaves le transportent au Palais, où on lui fait accroire que la prédiction de l’astrologue est accomplie, et qu’il est devenu Grand-Colao ; mais par un hazard très-heureux, ce qui n’est en apparence qu’un but d'amusement, devient pour Hircan l'événement le plus heureux. Du fond de son exil, Sélima, cette favorite disgraciée, a juré lr mort de son amant.

Cette jalouse Africaine profite de la connoissance qu’elle a acquise de l’usage de la cour et des localités, pour envoyer à Thiboul, Kioust, son confident, accompagné de quelques Tartares dévoués. Elle leur a promis une ample récompense, leur a donné toutes les instructions nécessaires, et leur a remis la clef qu’elle a conservée) d’une galerie qui communique du bâtiment des femmes au palais d’Hircan, et par laquelle ils s’introduisent au milieu de la nuit, dans l’intérieur des appartemens pour frapper le Grand-Colao, qu'ils supposent endormi.

Sans Koulouf, Hircan périssoit ; mais il effraie les assassins et les met en fuite Ganhem son frère, qui a été surpris et arrêté dans le parc par les mêmes Tartares, parvient à s’échapper de leurs mains. Il accourt au palais, et demande à parler au gradd Colao ; Hircan et Tazhin, qui cherchent un moyen pour désabuser Koulouf, l’introduisent ; il se trouve en présence de son frère, dissipe son erreur, et l’instruit du danger qui menace Hircan. Koulouf détrompé, ne songe plus qu’à conserver les jours de son maître ; la demeure des Tartares est indiquée par Ganhem ; on les arrête Grâce aux deux frères, Hircan est sauvé ; il comble la famille de bienfaits, et donne à Koulouf la main de Zalida.

Ce sujet a eu beaucoup de succès. L’exposition est un peu obscure, et les détails de quelques scènes sont quelquefois trop longs, mais le rôle de Koulouf est tres-gaî, et joué d’une manière fort piquante pur Martin. La musique est d’un style élégant , varié et dramatique ; plusieurs chœurs sont d’un fort bel effet. L’air de Martin : Dans ma chaumière, est charmant ; il a été redemandé. Les décorations sont d’un grand éclat, et d’un effet pittoresque. Les costumes sont riches et brillans. Il y a beaucoup de pompe dans le spectacle ; aucun mélodrame n’offre plus d’appareil et de somptuosité. Le concours des spectateurs étoit extraordinaire, les loges richement parées. Après de nombreux applaudissement, on a demandé les auteurs et l’on a même voulu les voir. M. Guilbert-de-Pixérécourt, qui a composé le poème, s’est rendu aux vœux de l’auditoire. M. Dalayrac, qui a composé la musique, ne s’est point montré ; l’on a annoncé qu'il n’étoit point au théâtre.

Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, 12e année, 1807, tome I, p. 174-176 :

[Pas d’originalité : que de pièces citées pour montrer que la pièce nouvelle ne fait qu’exploiter une veine richement exploitée. Mais cela n’a pas empêché le succès, simplement contesté par « quelques sévères improbateurs ». Après un assez long résumé de l’intrigue, le jugement porté par le critique est largement positif : pièce amusante, promise au succès, par « les détails agréables, la richesse des décorations, l'exactitude des costumes » (l'exactitude des costumes, c’est une exigence fréquente, sans qu’on sache ce que représente cette exactitude). Le musicien est mieux traité que l’auteur des paroles, simplement cité. Bonne interprétation de Martin.

Pièces citées :

  • le Dormeur éveillé, comédie en deux actes, mêlée d'ariettes, de Jean-Benjamin de la Borde (1764),

  • le Réveil du charbonnier, comédie en trois actes et en prose, de Boussenard de Soudreville (1788),

  • le Faux duc de Bourgogne ou les Incommodités de la grandeur, pièce héroïque en cinq actes, en vers de Ducerceau (1721).]

Théâtre de l’Opéra-Comique.

Koulouf ou les Chinois, opéra en trois actes.

Les sujets de pièces de théâtre sont si épuisés maintenant, qu'on a beaucoup de peine à exciter la curiosité du public. Il faut à la meilleure comédie un titre piquant, un air d'originalité. Annoncer des Chinois, c'étoit déjà beaucoup pour la recette ; placer Martin dans le principal rôle, c'étoit doubler l'intérêt. Aussi, la foule s'étoit-elle portée à Koulouf. Elle lui a trouvé quelqu'air de famille avec le Dormeur éveillé, le Réveil du Charbonnier, les Incommodités de la Grandeur, Ricco, et même Kokoli qui est aussi Chinois. Mais Kokoli est du boulevard, et l'Opéra-Comique pouvoit le rajeunir en l'ennoblissant. Au fait, malgré quelques sévères improbateurs, la pièce a eu un grand succès.

Koulouf a perdu la raison, et ce triste accident a été causé par la vue d'une belle chinoise qu'il a délivrée de la fureur d'un lion. Il consulte les Devins, et ils lui font espérer qu'il parviendra à quelque poste brillant qui le rendra digne d'obtenir la main de son amante..... Bientôt Koulouf ne rêve, plus que grandeurs. Le Gouverneur de la province qui veut s'amuser de sa folie, envoie à Koulouf des jeunes gens qui lui offrent une belle collation de la part d'un personnage qu'ils n'osent point nommer. Il ne fait point de cérémonie pour accepter ; il ne voit dans cette aventure qu'un accomplissement de l'oracle. Il mange les fruits délicieux qu'on lui offre. Il boit... mais c'est une potion somnifère. Bientôt le sommeil s'empare de ses sens. On l'enlève, et il se trouve dans un brillant appartement du palais. Un chœur charmant engage Koulouf à se réveiller. Le Gouverneur, car c'est là sa nouvelle dignité, ne peut concevoir que la fortune lui soit ainsi venue en dormant, mais on lui persuade qu'il la possède depuis long-temps, et que c'est une longue maladie qui lui en a fait perdre le souvenir.

Mais bientôt une suite de disgrâces qu'on lui suscite, lui prouve que les grandeurs ont aussi leur désagrément. Une vieille épouse veut l'empoisonner ; son amante lui est ravie ; une conjuration se déclare, et il n'échappe qu'à la faveur de la nuit. Nouveau Sancho, il prend le parti de retourner à son premier état. Il n'ambitionne plus la gloire; et perdant l'espoir d'obtenir son amante, il veut retourner dans sa chaumière.

Le véritable Gouverneur, instruit du danger qu'il a couru par la conjuration des Tartares, veut témoigner à Koulouf et à son frère toute sa reconnoissance du service qu'ils lui ont rendu, en détournant les coups de ces assassins, et il accorde au premier la main de son amante.

Les détails agréables, la richesse des décorations, l'exactitude des costumes, tout fait de Koulouf une pièce amusante, et qui sera long-temps suivie. On a reconnu le talent de M. Daleyrac dans plusieurs morceaux de la musique ;, entr'autres dans le chœur harmonieux qui réveille Koulouf, et dans la romance qu'il chante au 3.e acte. L'ouverture, peut-être, étoit moins digne de son auteur dont on connoît les productions gracieuses et piquantes. Le poème est de M. Pixérecourt.

Martin a très-bien joué le rôle de Koulouf ; il y a mis de la gaîté et du vrai comique. Comme chanteur, son talent est connu. Gavaudan, Lesage et Mademoiselle Pingenet, ont contribué à l'ensemble de la pièce.            G. D*

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome I, janvier 1807, p. 273-278 :

[Le compte rendu s’étend longuement, d’emblée, sur l’absence d’originalité de la pièce, qui n’est neuve ni par la situation, ni même par les détails. Le critique parle même de l’absence de « scrupules » du parolier. L’intrigue fait ensuite l’objet d’un long résumé. Elle est d’une grande complexité, et la conclusion du critique est que la pièce tient beaucoup au mélodrame, par tous les éléments spectaculaires qu’elle comporte, « beaucoup de marches et contre-marches, des chasses, des danses, des festins, toutes les magnificences et toutes les pompes du trône ». Par contre il souligne que « les plaisirs de l'esprit n'ont pas été aussi soignés », et la pièce est accusée de n’être pas assez touchante, de manquer de variété, et les scènes sont trop longues et le dialogue manque de piquant. Le critique n’y trouve qu’un « joli mot de caractère ». La musique de Dalayrac est mieux traitée. Elle a de la grâce, du naturel, de la facilité, et certains morceaux ont été applaudis. Un seul rôle important, celui de Koulouf, tenu par Martin, dont l’interprétation, largement positive, n’est pas sans ombre. En particulier, l’interprétation à l’italienne d’un morceau d’amour est sévèrement critiquée : il y multiplie « les trilles, les semi-tons, les points d'orgue, toutes les fausses gentillesses du chant italien ». Par contre décoration et costumes sont luxueux, et sont gages du succès à venir.]

Koulouf, opéra en trois actes, paroles de M. Pixérécourt , musique de M. Dalayrac.

Ce n'est pas la première fois qu'on a représenté sur la scène un homme de la dernière classe du peuple, qui tout-à-coup, par une espèce d'illusion ou d'enchantement, se trouve transporté au premier rang, reçoit les hommages et les respects de ceux devant lesquels il était accoutumé à trembler, et voit toutes ses volontés accomplies à l'instant même où il les manifeste. Le contraste de sa situation présente avec ses habitudes passées, l'impression qu'il en reçoit, le jeu de toutes ses idées ont quelque chose de très-piquant ; on jouit de ses surprises, et on rit d'autant plus de cette illusion, qu'on s'y est peut-être quelquefois placé soi-même. Qui n'a quelquefois rêvé qu'il était roi ? Mais tant d'auteurs ont peint cette situation, qu'elle est déjà un peu rebattue; aussi les plus adroits, comme ceux de Gulistan et du Calife de Bagdad, ont cherché à la déguiser. Dans ces deux pièces, par exemple, la partie comique de l'ouvrage tient essentiellement aux surprises des principaux personnages, qui sont transportés tout-à-coup d'une humble fortune dans un état de grandeur et de magnificence ; mais les moyens qui amènent cette situation étant nouveaux, le sujet a pu paraître original. M. Pixérécourt n'y a pas mis tant de scrupules, et son opéra a rappellé, non-seulement pour le fonds, ces anciens ouvrages dont j'ai parlé, mais encore, dans quelques détails, et le Calife de Bagdad et Gulistan.

Koulouf est un pauvre Chinois qui, dans une chasse aux tigres, a eu le bonheur de sauver la vie à Zalida, favorite du grand colao, Hircan. Celui-ci, pour récompenser son dévouement, lui a fait construire une chaumière dans son parc dont il l'a nommé gouverneur. Cette faveur inespérée a exalté la tête du pauvre Koulouf, qui est devenu amoureux de Zalida, et qui, pour obtenir sa main, veut devenir un des grands de l'empire. Des devins lui en ont donné l'espoir, et il n'aspire qu'au moment de voir se réaliser leurs prédictions. L'action de la pièce commence au jour anniversaire de cette chasse aux tigres ; Hircan y a invité tous les guerriers d'alentour, et Selima, sa favorite, impatiente de se venger de ses infidélités, a mêlé, parmi les chasseurs, des Tartares qui, à la faveur des ombres de la nuit, doivent pénétrer dans l'appartement d'Hircan, et l'égorger. Kaleb, frère de Koulouf, a entendu le complot ; mais les Tartares l'ont apperçu, et ils l'entraînent avec eux pour emporter le secret de leur crime.

Hircan, à qui on a raconté les extravagances de Koulouf, veut s'en divertir pour ajouter aux agrémens de la fête, et, de concert avec son premier ministre, il prépare contre lui une vraie mystification. Il lui envoie un magnifique repas et une troupe d’esclaves qui ont ordre de le servir. Un soporifique qu'on a mêlé au festin, l'endort tout-à-coup, et il est transporté dans les appartemens d'Hircan. Tout le monde se courbe devant lui ; on lui persuade qu'une maladie récente lui a ôté la mémoire, et il croit tout ce qu'on lui raconte sur lui-même. Il est le gendre du roi de Tonquin ; il a vaincu celui de la Cochinchine ; mais les inconvéniens de la grandeur se font bientôt sentir, et il prie le colao, qui est devenu son ministre, de prendre la première place. Au milieu de ce divertissement, le hasard veut qu'il rende encore un éminent service à Hircan. Tandis qu'il est seul, les Tartares arrivent pour égorger le colao. Koulouf s'est caché au premier bruit, et, à la faveur des ténèbres, il s'est accroupi à la place d'une statue de Foë, où par ses cris, il épouvante les Tartares, qui fuient saisis d'effroi. Quand il raconte son aventure, Hircan n'en veut rien croire, et suppose que c'est encore l'effet d'une imagination troublée ; mais son frère Kaleb, qui a échappé aux Tartares, vient révéler leur complot, et demande à parler en secret au colao. On trouve plaisant de les placer tête à tête ; Kaleb se prosterne devant Koulouf, puis le reconnaît, et les deux frères, bien éveillés, s'empressant d'exposer à Hircan toute la trahison dont il a failli être la victime. Les Tartares réfugiés dans le parc sont aussitôt arrêtés, et le colao, pour récompenser les services de Koulouf, lui fait épouser la belle Zalida.

Cet opéra est un vol fait aux théâtres des boulevards; c'est un vrai mélodrame, à l'intérêt près. Tout y est pour les yeux ; beaucoup de marches et contre-marches, des chasses, des danses, des festins, toutes les magnificences et toutes les pompes du trône. Les plaisirs de l'esprit n'ont pas été aussi soignés. On aurait désiré une action plus touchante, plus de variété dans la situation principale, des scènes moins longues, un dialogue plus piquant. On n'y a guères fort applaudi qu'un joli mot de caractère. Koulouf, environné de magnifiques esclaves, voudrait bien être seul, et il prie son ministre de les faire partir. Hircan lui dit qu'il peut leur donner ses ordres. --- Je n'ose pas, lui répond-il.

On a trouvé dans la musique de M. Dalayrac la grace, le naturel et la facilité qui distingue toutes ses productions ;. mais la force et l'originalité n'y brillent pas au même degré. On a fort applaudi le premier chœur des chasseurs et celui que chantent les esclaves pendant le festin de Koulouf : toutes les marches, et la plupart des morceaux d'ensemble, sont en général d'un effet agréable; mais ce qui a été le plus goûté, c'est une chanson, chantée par Martin, qui est pleine de grace et d'esprit. M. Dalayrac ne manque jamais les morceaux de ce genre, et ce n'est pas un mérite indifférent.

Il n'y a guères qu'un rôle dans la pièce, celui de Koulouf. Martin, qui n'était pas bien sûr de sa mémoire, et qui, on ne sait pourquoi, paraissait fort intimidé, l'a joué néanmoins avec esprit et gaîté : il l'a, en général, très-bien chanté, sauf dans un morceau où il a dû impatienter tous les gens de goût ; c'est lorsque se retrouvant, après une si longue attente, auprès de Zalida qu'il aime éperdûment, il lui fait l'aveu de ses sentimens. Croirait-on que, dans ce moment, où l'accent de l'amour devait se faire seul entendre, il est passé tour-à-tour de la voix de poitrine à la voix de tête, qu'il a prodigué les trilles, les semi-tons, les points d'orgue, toutes les fausses gentillesses du chant italien. Sa déclaration avait l'air d'un vrai persifflage. On ne saurait se tromper plus complettement sur l'expression d'un morceau.

Cet ouvrage a été établi avec un luxe extraordinaire. De fort belles décorations, de riches costumes, toute la pompe d'un brillant spectacle y attireront, sans doute, la foule pendant un grand nombre de représentations, et il y a lieu de croire que les comédiens n'auront pas fait des frais inutiles.

Annales dramatiques, ou dictionnaire général des théâtres, tome cinquième (Paris, 1810), p.267-269 :

KOULOUF, ou Les Chinois, opéra-comique en trois actes et en prose, par M. Guilbert-Pixérécourt, musique de d'Aleyrac, au théâtre Feydeau, 1806.

Hircan, grand colao, gouverneur de la province de Chensi, fait venir, à grands frais, des animaux féroces, pour donner à ses mandarins, le jour anniversaire de sa naissance, le plaisir de la chasse; plaisir qui lui coûte chaque année la vie de plusieurs de ses sujets. C'en était fait de Zélida, jeune orpheline que protège le grand colao, si Koulouf ne fut arrivé à tems pour soustraire cette jeune, belle et intéressante personne à la rage de l'un de ces animaux cruels. Mais en conservant la vie de Zélida, Koulouf a perdu sa liberté et sa raison ; toutefois son genre de folie est agréable. Sa tête exaltée par l'amour, se remplit de projets de grandeur et de fortune, et se trouve naturellement disposée à recevoir toutes les impressions qu'on voudra lui donner, pourvu qu'elles s'accordent avec ses idées fantastiques. Enfin, une année s'est écoulée depuis ce jour mémorable, et déjà l'on voit les chasseurs se précipiter en foule, pour mériter la récompense promise par Hircan. Mais tandis que toute la cour du colao est occupée de la destruction des tigres et des panthères, Sélima, qu'Hircan dédaigne, qu'il tient enfermée depuis six mois, Sélima cherche à se venger, et de l'amant qui l'outrage, et du souverain qui l'opprime. Ses satellites profitent de la circonstance pour s'introduire dans l'intérieur des appartemens du palais, au moyen d'une clef qu'elle leur a confiée. Mais quittons-les pour un instant, et revenons à Hircan. Ce prince, à qui le souvenir de Sélima est toujours cher, est plongé dans une mélancolie, dont Thazin, son premier mandarin, cherche en vain à le distraire ; plusieurs fois il lui a parlé de Koulouf, comme d'un personnage fort amusant : il est enfin parvenu à lui inspirer le désir de le voir. Hircan, déguisé en militaire, et accompagné par Thazin, se rend dans le parc, dont il a donné la garde à Koulouf, et où ce dernier a établi sa demeure ; mais il ne l'y trouve point. Malika, sa mère, le reçoit et lui raconte une partie des extravagances de son fils. Quelques instans après, Koulouf, qui vient de consulter le grand astrologue de la cour , arrive transporté de joie. « Enfin, dit-il à sa mère, me voilà riche.... Vous ne manquerez plus de rien. Alors, le colao profite de son exaltation pour s'en amuser. Il lui dit qu'il est député vers lui par un prince puissant pour lui proposer une alliance avec sa fille. Renoncer à Zélida, s'écrie Koulouf; jamais ! « Qu'il me demande mes biens, mes trésors, il obtiendra tout de moi, excepté de me faire manquer à la foi promise. » Mais ils n'en reste pas là ; il lui persuade qu'il est grand colao, et l'installe en cette qualité. Cependant les Tartares, vengeurs de Sélima, pénètrent dans le palais, où ils croient trouver Hircan endormi. Koulouf, qui se trouve seul et qui entend les détails du complot, se persuade qu'ils en veulent à ses jours, et va se ranger derrière la statue de Fo, qui est placée dans l'appartement : enfin il se met dans la même attitude qu'elle. Les assassins s'adressent au dieu, et l'invoquent, pour qu'il leur fasse trouver la victime. Alors Koulouf s'écrie d'une voix terrible : Scélérats ! et au même instant il frappe sur un timbre qui .est précisément devant lui, et répand l'alarme dans le palais. On accourt de toutes parts, mais on ne trouve plus rien. En vain, le pauvre Koulouf affirme qu'il a vu des assassins qui veulent attenter à sa vie ; on se refuse à le croire. Ce n'est que lorsque Ganem, son frère, vient signaler les assassins, qu'on se met à leur poursuite. Bientôt on parvient à les arrêter. Enfin, Koulouf, las de la souveraine puissance, veut s'en désaisir en faveur du colao lui-même, qui, sous le nom de Zarès, vient de s'amuser à ses dépens ; mais Hircan qui ne voit plus en lui que son libérateur et celui de Zélida, lui accorde la main de cette dernière et son amitié.

Tel est le fonds de cet opéra dans lequel on trouve quelque ressemblance avec un autre opéra joué sur le même théâtre, intitulé le Hulla de Samarcande. Mais cette dernière pièce, quoique forte sous le rapport des situations est loin de valoir celle-ci ; l'on ne s'en étonnera pas lorsque l'on saura que son auteur est de tous nos auteurs de mélodrames le plus inventif et le plus fecond en merveilles théâtrales.

Dans le « Tableau chronologique de mes pièces », placé en tête de son Théâtre choisi, Guibert-Pixerécourt fait le bilan de ses œuvres. Koulouf porte le n° 57. Il a été joué pour la première fois le 18 décembre 1806 et a connu 30 représentations parisiennes et 126 en province

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