La Maison à vendre

[La] Maison à vendre, comédie, mêlée de chant, en un acte et en prose, parole d'Alexandre Duval, musique de Daleyrac, 1er brumaire an 9 [23 octobre 1800].

Théâtre de l'Opéra Comique National

Maison à vendre ou la Maison à vendre, les deux titres coexistent.

Titre :

Maison à vendre (la)

Genre

comédie

Nombre d'actes :

1

Vers ou prose ,

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

oui

Date de création :

1er brumaire an 9 (23 octobre 1800)

Théâtre :

Théâtre de l’Opéra Comique National

Auteur(s) des paroles :

 Alexandre Duval

Compositeur(s) :

Daleyrac

Almanach des Muses 1802

Deux jeunes étourdis, dont l'un est fort amoureux, se sont mis en route, la bourse assez mal garnie. Tandis qu'ils rêvent au moyen de se procurer un dîner, ils apperçoivent sur une jolie maison l'écriteau qui annonce qu'elle est à vendre : Versac, l'un des deux étourdis, n'hésite pas à se présenter chez le propriétaire, lui propose d'acheter sa maison, et conclut le marché. Il ne sait pas comment en payer le prix ; mais il ne songe qu'à se faire inviter à diner avec son compagnon de voyage. Par un de ces hasards heureux, dont la Comédie offre plus d'un exemple, le propriétaire se trouve être la mère de Lise, amante de Dermont. Heureusement encore, un vieil avare qui marchandait la maison, et qui craint de se la voir enlever, cherche à en dégoûter Versac, et lui propose de la reprendre ; mais Versac plus fin, et plus adroit, profite de l'occasion, et fait si bien qu'il amène l'avare à lui donner 20,000 francs de gain sur sa prétendue acquisition. Tout s'arrange à merveille, et les 20,000 francs donnés à Dermont par son ami facilitent encore son mariage avec Lise.

Joli ouvrage, situations très-comiques, caractères très-plaisamment dessinés ; dialogue étincelant de gaieté. Grand succès.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Vente, an X :

Maison à vendre, comédie en un acte et en prose, mêlée de chants ; Représentée, pour la première fois, sur le Théâtre de l'Opéra-Comique-National, rue Favart, le premier Brumaire an 9 de la République.

Courrier des spectacles, n° 1329 du 2 brumaire an 9 [24 octobre 1800], p. 2-3 :

[Pour apprécier une telle pièce, pas du tout dans les règles de l’art, et ne respectant pas plus la vraisemblance que la morale, il faut accepter qu’il s’agisse d’une folie d’une « gaîté continuelle » et en « saillies heureuse ». Son succès est alors justifié. L’analyse du sujet montre bien une très classique intrigue de mariage et fait intervenir deux jeunes gens, le futur mari et son ami, tous deux artistes (mais le critique ne montrera pas le rôle que joue l’opéra qu’ils ont écrit dans la suite de l’intrigue), la jeune fille aimée, sa tante qui lui cherche un mari. Tout tourne autour de l’acquisition d’une propriété que la tante vend, que l’ami achète avant de la revendre avec une forte plus-value à « un vieux Juif très-riche », plus-value qu’il utilise pour permettre à son ami d’épouser la charmante nièce qu’il courtisait. Il y a bien sûr des reproches à faire à une telle pièce : l’invraisemblance et la morale discutable de son dénouement, la légèreté du rôle de l’ami, des jeux de mots « que le goût réprouve ». Mais on ne peut lui refuser d’être plaisante : « détails spirituels », « scènes très-comiques », gaîté. Et la musique en est agréable : deux morceaux sont particulièrement mis en avant. Conclusion : les auteurs, « vivement demandés », ont paru. Les interprètes sont aussi signaléscomme ayant « très bien joué respectivement leur personnage, même Elleviou, aux « manières un peu trop abandonnées », mais très applaudi.]

Théâtre Favart.

Considérer comme un ouvrage régulier, comme un sujet vraisemblable, et sur-tout bien purement moral, l’opéra nouveau qui vient d’être donné à ce théâtre, sous le titre de la Maison à vendre, ce serait faire la critique non-seulement de la pièce, mais aussi du succès très-complet qu’elle a obtenu ; ne l’appelons point une comédie, mais une agréable folie, dans laquelle des défauts essentiels sont couverts par une gaîtè continuelle, par nombre de saillies heureuses, et ce succès alors sera mieux justifié.

Dermont, jeune musicien, dans un séjour qu’il a fait à Bordeaux, est devenu amoureux de Lise, nièce de madame Dorval. Diverses circonstances ont obligé cet artiste à venir à Paris , et depuis madame Dorval a fait acquisition, dans les environs de Bordeaux, d’une maison qu’elle veut revendre pour faire une dot à sa nièce. A Paris, Dermont s’est lié d’amitié avec Versac, neveu d’un riche négociant de Bordeaux, mais que cet oncle laisse sans ressource, parce qu’il l’a vu abandonner la carrière du commerce pour celle des belles-lettres. il est poète.

Toute la fortune de ces deux jeunes gens consiste dans un opéra, dont l’un a fait le paroles et l’autre la musique.

Versac cependant est rappelé à Bordeaux par son oncle, qui l’engage en outre à lui amener le musicien dont il n’a cessé de lui parler dans ses lettres.

Comme ils n’ont pas le sol, ils font la route à pied, et arrivent enrageant la faim, dans un village près de Bordeaux même. Versac voit sur le mur d’une maison une affiche qui en annonce la vente. Il est sûr qu’en s’offrant pour acquéreur, il sera invité à prendre quelque léger repas. C’est ce qui arrive. Madame Dorval fait visiter la propriété à ce nouvel acquéreur, et l’invite à goûter. Versac n’a pas voulu accepter le repas dans la maison, mais a desiré qu’il eût lieu à l’ombre de quelques arbres où Dermont avoit préféré l’attendre. Oreste sans Pilade auroit-il pu goûter ? Versac, toujours plus hardi, demande à présenter ses hommages à la nièce ; cette grâce lui est accordée, elle paroît, reconnoit Dermont, se trouble, mais dissimule devant sa tante. Versac va voir la maison, laisse son ami seul avec Lise et revient bientôt propriétaire. Dermont étonné d’une telle folie, adhère à l’offre que lui fait Versac d’entrer visiter son acquisition.

Tout le monde entre, excepté Versac, qu’un vieux Juif très-riche, qui avoit la maison en vue, retient et veut amener à lui céder pour 80,000 francs, à raison de la convenance, ce que l’autre n’a acheté que 60,000 francs. Cependant madame Dorval, que des renseignemens pris au village voisin, ont désabusée sur la solvabilité de son acquéreur, vient exiger sur-le-champ un payement. Versac pour inpirer la confiance, présente à lire une lettre qu’il croit remplie de bons témoignages, et se retire par modestie. Mais le jeune fou s’est trompé, et n’a donné que la lettre dans laquelle son oncle, en le traitant comme il le mérite , le rappelle à Bordeaux.

Quand il revient, madame Dorval demande une somme convenue : Versac déclare le vieux voisin pour le véritable acquéreur, au moyen de la rétrocession qu’il vient de conclure, et présente à madame Dorval les 20,000 francs, de bénéfice que ce marché lui a valus, pour obtenir à Dermont la main de Lise. Madame Derval veut bien consentir à tout.

A part tout ce qu’un pareil dénouement présente d’invraisemblable et de leste en morale, à part le ton du jeune fou , et la maladresse de ses mensonges, l’un et l’autre trop peu ménagés pour ne pas jetter la tante dans la dernière défiance, à part encore quelques jeux de mots que le goût réprouve, cette pièce a de quoi plaire, et même long-tems ; elle est remplie de details spirituels ; il y a des scènes très-comiques, et tout y est extrêmement gai. La musique de cet opéra est agréable : on distingue un Duo charmant entre les deux jeunes gens ; la moderation et la pureté de l’accompagnement font bien valoir le chant de ce morceau tout-à-fait bouffon. Un trio vers la fin a paru aussi fort bien fait. Les auteurs ont été vivement demandés, et ont paru au milieu des applaudissemens du public : ce sont les citoyens Duval et Dalayrac.

Quoique le cit. Elleviou, qui joue le rôle de Versac, ait des manières un peu trop abandonnées, il a cependant toujours été fort applaudi : en effet, il est très-plaisant. Les cit. Martin et Dozainville , mesd. Dugazon et Philis ont aussi très-bien joué respectivement leur personnage.

B * * *.

L’Esprit des journaux français et étrangers, trentième année, tome IV, nivôse an IX [décembre 1800-janvier 1801], p. 217-220 :

[La pièce repose sur un contraste entre l’objectif des personnages (trouver à dîner...) et les moyens employés. Le résumé de l’intrigue fait entrevoir tout de même des objectifs moins minuscules, comme gagner de l’argent et retrouver la bien aimée d’un des personnages. Fonds léger, quoi qu’il en soit, mais « très agréable ouvrage ». Certes l’idée de la pièce n’est pas nouvelle, ni très vraisemblable, ni très convenable, ni très morale, mais beaucoup d’autres pièces, à cette aune, ne seraient pas non plus acceptables. Un reproche encore : l’abus de la répétition d’une même situation comique (les quiproquos nés de la situation), et l’emploi de « jeux de mots » qui sont « dans l’ouvrage, des taches qu’il est aisé de faire disparaître. Après ce bilan mitigé, l’éloge de la musique est nettement plus positif, bien que l’ouvrage « est tout entier composé à la manière italienne » (imitation de l’opéra bouffon), et ce n’est pas un compliment : le critique regrette « cette fraîcheur, cette pureté de chant & cette vérité d'expression qui ont fait le charme de tant d'ouvrages dus à son agréable talent ». Les morceaux cités sont inégalement réussis, mais il faut aussi reconnaître le talent des deux chanteurs des rôles principaux.]

THÉATRE DE L'OPÉRA COMIQUE.

La Maison à vendre.

L'auteur du Prisonnier, le C. Duval, dont on a l'habitude de voir les ouvrages reposer sur un fonds agréable & comique, vient de nous tracer le portrait de deux jeunes voyageurs qui se trouvant au dépourvu, emploient, pour trouver à dîner, autant d'esprit qu'il en faudroit pour lier la plus forte intrigue.

L'oncle de l'un d'eux, riche négociant à Bordeaux, les appelle en cette ville: il désire attirer près de lui son neveu qui se fait poëte, & l'ami de ce dernier qui est musicien : il veut les arracher au commerce des artistes, & leur inspirer le goût des affaires.

Jouir des plaisirs d'un voyage entrepris sous les auspices de la gaieté, déclamer ses vers, fredonner ses romances, & s'enrichir en idée des recettes futures qu'on attend de l'opéra qui est encore en porte-feuille, tout cela est agréable, sans doute ; mais ressentir un vif appétit est naturel, & alors, se trouver sans argent & triste, telle est la position des nouveaux étourdis, Versac & Dermont.

Sur une maison d'assez belle apparence ils apperçoivent une affiche & ces mots : A vendre ; sonner, appeler du monde, se présenter à la maîtresse du logis, se donner du crédit en déclinant le nom d'un oncle qui en a beaucoup, s'introduire dans la maison, la visiter, l'acheter, passer le contrat, & recevoir un goûter champêtre, tout cela est pour le jeune Versac l'affaire d'un moment.

Rencontrer un propriétaire, voisin de la maison, juif de son pays, usurier de son état, & très-jaloux de l'acquisition qui vient d'être faite ; le menacer de lui masquer sa vue par des peupliers, de détourner les eaux que ses prés reçoivent, le déterminer à payer 8o mille francs ce que Versac a promis de payer 6o mille, employer les vingt mille francs de pot de vin à doter son ami, qui dans la nièce & la maîtresse de la maison a retrouvé l'amante qu'il cherchoit, tout cela est encore, pour l'adroit voyageur, l'affaire de peu d'instans.

Tel est le fonds de ce léger, mais très-agréable ouvrage ; on voit que le C. Duval a dû être plus heureux en annonçant sa maison à vendre que sa maison du marais. Celle - ci n'a pas démenti son titre, elle est restée assez déserte ; mais la première a paru plaire à tout le monde. Ce n'est pas que l'idée principale soit décidément originale, & qu'elle appartienne en propre à l'auteur ; ce n'est pas que beaucoup de jeux de scène ne soient imités, même quant au dialogue ; ce n'est pas que toutes les situations soient vraisemblables, & surtout dans les convenances ; ce n'est pas encore qu'un grand fonds de moralité règne dans l'ouvrage : un trait fort commun à la bourse peut n'être pas d’un très-bon exemple au théâtre ; mais il faudroit affecter un rigorisme bien sévère, & se décider à proscrire bien des ouvrages très-comiques, si on ne fermoit les yeux sur de tels défauts, en faveur de l'agrément répandu sur le principal rôle, de la vivacité, du naturel & du ton piquant qui règne dans le dialogue. Toutefois l'auteur a peut-être abusé d'un moyen plaisant, mais qui cesse de l'être si on ne le ménage avec art, celui qui consiste à rendre son dialogue comique par des contre-vérités que la situation | permet aux divers personnages : les premières excitent le rire ; prodiguées, elles fatiguent par leur monotonie. Quelques jeux de mots sont aussi, dans l'ouvrage, des taches qu'il est aisé de faire disparoître, si toutefois ils sont déplacés dans la position, & vu le caractère des personnages.

La musique est du C. Daleyrac, dont l'extrême fécondité est toujours un nouveau sujet d'étonnement. Cet ouvrage est tout entier composé à la manière italienne. On reconnoît que l'auteur a sacrifié partout au désir d’imiter le caractère & l'originalité des opéras bouffons. Peut être a-t-on à regretter que ce procédé ait altéré en lui cette fraîcheur, cette pureté de chant & cette vérité d'expression qui ont fait le charme de tant d'ouvrages dus à son agréable talent. Nous ne l'avons pas reconnu dans la romance chantée par Dermont : le duo entre les jeunes amans ne sera pas non plus placé parmi ses meilleures productions ; mais on citera long temps, comme dignes des maîtres de l'ltalie, la dernière partie de sa finale, & sur-tout le beau duo entre les voyageurs, chef-d'œuvre dans le genre bouffon, qu'Elleviou & Martin exécutent avec une précision & une méthode qu'on croyoit jusqu'ici le partage exclusif des chanteurs italiens.

Geoffroy, Cours de Littérature dramatique, tome cinquième (seconde édition, 1825), p. 245-247 :

[L'article date du 24 frimaire an 13 [15 décembre 1804].]

DALAYRAC.

MAISON A VENDRE.

On convient généralement que Maison à vendre est une des plus jolies pièces du nouveau répertoire. Cet ouvrage dépose contre la musique ; il la met à sa place, en prouvant qu'elle n'est que la moindre partie d'un bon opéra comique. Le compositeur, en homme de goût, a senti qu'il devait être très-économe des ornemens de son art dans les scènes dont le fond par lui-même est assez agréable : il eût été à désirer que le peu de musique qu'il a jugé à propos d'employer dans cette petite comédie, eût présenté un caractère plus simple et plus naturel, que l'harmonie en eût été plus pure et moins chargée. Le duo entre les deux amis est brillant ; il fait honneur au talent de M. Dalayrac ; mais son effet serait plus piquant et plus vrai, si le style en était moins compliqué, si la différence du caractère des interlocuteurs était marquée avec plus de précision, et s'il ne devenait pas fatigant pour les auditeurs par une rapidité, une volubilité factice et forcée, qui dégénère en confusion.

Le poëte et le musicien, qui sont les héros de la pièce, sont caractérisés d'une manière ingénieuse : tous les deux ont cette insouciance, ces caprices et ces erreurs de conduite qui naissent trop souvent de la culture d'un art dépendant de l'imagination ; mais le poëte est plus gai, plus entreprenant, plus téméraire, son esprit est plus fécond en expédiens, parce que la vivacité, l'invention, les idées romanesques dominent bien plus dans la poésie que dans la musique. Le poëte opère sur des pensées, le musicien sur des sons : les procédés de celui-ci sont beaucoup plus mécaniques et moins du ressort de l'esprit.

Il semble que la pièce soit faite pour encourager l'extravagance et l'audace, en nous montrant le succès qui les couronne quelquefois ; mais il y aurait du pédantisme à chercher la morale dans ces fictions, dont le seul but est l'amusement. Si Maison à vendre n'a pas pour objet de rendre les poëtes et les musiciens plus sages, je crois que l'exemple qu'on leur propose ne les rendra pas plus fous : l'un et l'autre me paraissent également impossibles.

Les agioteurs pourront y trouver un motif d'espérance : ce qui peut-être a beaucoup contribué à la réussite de cette ingénieuse bagatelle, c'est que le comique en est parfaitement dans la vraisemblance et dans les mœurs du jour. Acheter une maison sans avoir un écu dans sa poche, la revendre à l'instant, et gagner une somme considérable par cette heureuse témérité, c'est un jeu qui fut long-temps à la mode, et qu'on joue encore quelquefois : la direction des esprits s'est portée vers ces spéculations qui flattent si vivement la cupidité, et qui produisent des fortunes subites. S'enrichir lentement par le travail, l'économie, la prudence, cela est ignoble et rebutant pour l'imagination ; mais brusquer la fortune par un trait d'esprit, par une invention hardie, voilà ce qui séduit, voilà l'objet de tous les calculs et de tous les vœux.

Cette funeste avidité qui porte les hommes à confier leur sort à un coup de dés, et à faire dépendre leur état et leur fortune du hasard et de la loterie, est sans doute une plaie de la société, du commerce et des mœurs ; mais il peut résulter de cette manie des incidens comiques. M. Duval a présenté très-habilement l'agiotage du poëte comme une étourderie de jeunesse : ce n'est ni pour faire fortune, ni par une combinaison méditée que ce jeune libertin se hasarde à faire une acquisition aussi folle ; c'est pour se tirer d'embarras dans le moment. D'ailleurs, il ne risque rien; ce n'est ni un père de famille, ni un homme ayant une existence dans le monde ; il ne risque rien, il ne compromet ni sa fortune ni celle de personne, puisqu'il ne tient à rien, et qu'il n'a pas un sou. L'odieux, par là, est sauvé ; il ne reste que le plaisant : on aime, d'ailleurs, à voir un juif, un vieux usurier, trompé par un jeune homme, et dupe de sa propre avarice. Enfin, ce qui soutient l'ouvrage, c'est le mérite d'une musique parfaitement dramatique. ( 24 frimaire an 13.)

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