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La Manie de l'Indépendance

La Manie de l'Indépendance, comédie en cinq actes et en vers, par M. ***, 9 septembre 1811.

Théâtre Français.

Titre :

Manie de l'indépendance (la)

Genre

comédie

Nombre d'actes :

5

Vers / prose ?

en vers

Musique :

non

Date de création :

9 septembre 1811

Théâtre :

Théâtre Français

Auteur(s) des paroles :

 

Almanach des Muses 1812.

La représentation de cette comédie n'a pas été achevée.

Mercure de France, journal littéraire et politique, tome quarante-huitième, 1811, n° DXXX, samedi 14 septembre 1811. p. 508-510 :

[La Manie de l’indépendance était censée marquée le réveil du Théâtre Français, mais il semble que ce réveil ait eu lieu «  sous du fâcheux auspices ». Le premier (et fondamental) reproche tient dans la conception du sujet : il fallait définir le mot « indépendance » ; s’il s’agit seulement de faire ce qu’on veut quand on le veut, cela n’a rien de ridicule, mais l’indépendance définie comme volonté de rompre tout lien avec la société serait la marque d’un fou, et le théâtre n’a pas à « corriger de la folie ». La pièce, faute d’une définition de l’indépendance, n’a pas de ligne claire, absence qui aurait pu être compensée par « une intrigue filée avec art, une action sagement conduite, de l'intérêt, du comique enfin ». Elle n’offre rien de tout cela, pour ce qu’on a pu en entendre (le quatrième acte a été joué dans le tumulte, et le cinquième n’est pas allé au bout). L’analyse de l’intrigue est faite à charge, il s’agit seulement de montrer que la pièce ne montre pas « la manie de l’indépendance ». En plus, « l’ action est lente et embarrassée par de longs et froids discours ». Seuls le style et la versification sont jugés positivement, mais l’auteur devra en faire preuve « dans quelqu'autre ouvrage dont il aura mieux choisi le sujet ».]

Le Théâtre Français a fait enfin un effort pour sortir de son indolence ; et c'est par une pièce en cinq actes et en vers qu'il a signalé son réveil. Malheureusement ce réveil s'est annoncé sous de fâcheux auspices. La Manie de l'Indépendance qu'on vient de donner à ce théâtre, a trouvé dans le parterre un juge qui n'a que trop manifesté sa terrible indépendance.

Il semble qu'une des premières lois, et même la plus importante de toutes, lorsqu'on entreprend un ouvrage est de bien concevoir son sujet. Si l'on veut, par exemple, exposer à la scène un travers de l'esprit, il faut d'abord bien comprendre dans toute son étendue le sens des mots qui le caractérisent. Or, l'auteur de la pièce dont il s'agit s'est-il rendu compte de la signification du mot indépendance ? Qu'est-ce que l'indépendance ? C'est un de ces termes abstraits qui n'ont point un sens positif, et sur lesquels on peut disputer toute la vie sans parvenir à s'entendre. Il n y a point d'indépendance absolue, puisqu'on dépend toujours plus ou moins de ses besoins, de ses passions comme homme, et de ses devoirs comme membre de la société. L'indépendance (car il faut pourtant essayer de donner un sens à cette expression) serait donc l'affranchissement pour un individu, d'un nombre plus ou moins grand des règles établies par les institutions politiques ou par les convenances sociales. Mais il y a dans la société des règles qu'on observe généralement qui ne sont que des usages nés souvent d'anciens préjugés, et dont on peut s'affranchir sans danger pour soi ni pour les autres. Certainement l'homme qui voudrait ne dormir, manger, se promener, travailler, etc., qu'aux heures qui lui conviendraient, n'aurait qu'un désir d'indépendance très-facile à satisfaire pour peu que sa fortune lui permît de mener ce genre de vie ; et l'on ne voit pas trop ce qu'il y aurait là de ridicule. Si ce même homme voulait être absolument indépendant, rompre tous les liens qui l'attachent à la société, ce serait un fou ; et alors il ne faudrait pas en faire le sujet d'une comédie, parce que le but du théâtre n'est pas de corriger de la folie. On ne voit donc guères le côté théâtral que présente la Manie de l'Indépendance.

Que nos lecteurs nous pardonnent cette petite dissertation métaphysique ; nous leur aurions épargné l'ennui de ces réflexions, si l'auteur de la pièce nouvelle s'était donné la peine de les faire ; car il n'aurait pas entrepris, sur un sujet aussi vague, un ouvrage en cinq actes et en vers, ou il aurait cherché à le traiter de toute autre manière. Il aurait vu que son principal personnage, en parlant de l'indépendance sans la définir, ne sait ce qu'il veut, et que ceux qui s'opposent à son goût ou à son système, ne savent pas mieux ce qu'ils combattent. D'où il doit résulter que le public qui demande du positif dans les choses et dans les mots, ne découvre point le but de l'ouvrage ; et que ne trouvant pas d'ailleurs dans tout cela le mot pour rire, il s'ennuie bientôt, et finit par se fâcher.

Mais en admettant que cette Manie de l'Indépendance soit un travers de l'esprit ou un vice du cœur réel dont on puisse bien saisir les ridicules ou les inconvéniens, quel parti l'auteur a-t-il tiré de son sujet ? A-t-on pu remarquer dans son ouvrage une intrigue filée avec art, une action sagement conduite, de l'intérêt, du comique enfin, du comique qui fait pardonner à un auteur l'absence de tant d'autres qualités dramatiques ? Non ; nous croyons pouvoir le dire, quoique le tumulte du parterre, qui est toujours allé en augmentant depuis le troisième acte, ne nous ait pas permis de bien entendre le quatrième, et que le cinquième n'ait pas été achevé.

Le jeune Charles porte l'amour de l'indépendance jusqu'à l'enthousiasme. Toute espèce de chaînes l'irrite, et sur-tout l'idée d'un mariage que son père Germon veut lui faire contracter avec une jolie cousine. Se trouvant trop peu libre chez son père, il veut le quitter pour loger dans un hôtel garni, où il espère goûter les charmes de la liberté. Germon débite vainement tous les lieux communs d'une morale emphatique contre l'indépendance en général, et même contre cette espèce d'indépendance qui fut si fatale à la nation, pendant nos orages politiques ; ce qui, par parenthèse, a causé de violens murmures, et presque décidé du sort de l'ouvrage. (Et en effet était-ce bien là qu'il fallait placer de pareilles réflexions qui rappellent toujours de si funestes souvenirs ?) Le fils, comme un jeune écolier qui franchit les murs de son collège, court se loger dans un hôtel garni. C'est là que l'attend un professeur de morale dont les leçons doivent être moins infructueuses que celles de son père : c'est la jolie cousine qui, d'après un projet arrangé avec Germon, s'est établie maîtresse de l'hôtel garni. Il ne résiste point à ses charmes et il devient esclave de l'amour. Pour se distraire de cette passion qu'il redoute, il se livre au jeu ; mais il perd tout, et il va dépendre de tous ceux qui peuvent lui prêter de l'argent. Il est dans la dépendance d'un valet, d'un usurier, des recors qui viennent l'assaillir et qu'il disperse ; il est enfin emprisonné. Il est probable que son père et sa maîtresse viennent à son secours, et lui font abjurer sa manie ; mais c'est ce que le public n'a pas voulu savoir.

Toutes les contrariétés qu'éprouve Charles proviennent-elles de son goût pour l'indépendance ? on ne le voit pas, puisqu'il eût pu n'être pas amoureux, ne pas jouer, ne pas perdre, par conséquent n'avoir pas besoin d'argent, et n'être pas mis en prison. Il n'est puni que d'avoir été amoureux et joueur. Où est donc la leçon qui doit résulter, pour lui, de son travers ? A-t-on combattu du moins cette manie par le ridicule ? pas davantage : la pièce manque de gaîté, quoiqu'il y ait des mots spirituels. L'action est lente et embarrassée par de longs et froids discours. Aussi tout le zèle et le talent qu'ont déployé Damas, Mlle Mars, etc., n'a pu sauver la pièce d'une chute bruyante.

L'auteur paraît posséder le talent du style et de la versification. Il fera sans doute un plus heureux usage de cette qualité, dans quelqu'autre ouvrage dont il aura mieux choisi le sujet.                   H. D.

L'Esprit des journaux français et étrangers, année 1811, tome X (octobre 1811), p. 286-291 :

[Le mot indépendance, pris dans le titre, fait naître une belle réflexion sur sa nature (« un être de raison » pour qui vit en société). S’il était possible de faire sur un tel sujet « une comédie d’un ordre très-relevé », l’auteur resté anonyme de cette pièce n’a pas su le traiter dans toute son ampleur. L’intrigue est résumée de manière à montrer qu’elle ne remplit pas les promesses du titre, et les faiblesses de cette intrigue ont fait éclater les murmures du parterre, sensible à l’invraisemblable, à l’inconvenant, à l'inintéressant du spectacle. L’analyse acte par acte montre toutes les raisons de contester la pièce, et à l’acte V, Baptiste aîné a demandé au public s’il fallait continuer la pièce sans obtenir de réponse claire. Mais devant le brouhaha les acteurs ont fini par se retirer. Après avoir dit tant de mal de la pièce, le critique montre qu’elle n’est pas sans qualités : « quelques scènes agréables, des intentions comiques, de jolis détails, et parfois des vers heureux », mais cela ne tient pas lieu d’action, ni ne remplace pas la peinture d’un caractère qui était attendue. Pour la versification, elle est jugée « singulièrement négligée. Si jamais la pièce reparaissait réduite à trois actes, l’auteur ne devra pas négliger le style. L’article s’achève par un examen de l’interprétation, jugée assez inégale.]

THÉATRE FRANÇAIS.

La Manie de l'Indépendance.

L'indépendance, dans l'état de société, n'est, à le bien prendre, qu'un mot vide de sens, qu'un être de raison. Elle n'est le partage dans l'état, d'aucune classe , d'aucun rang ; une chaîne non interrompue d'obligations mutuelles lie toutes les familles, tous les individus : l'indépendance n'existe et ne peut exister que dans le plus prompt et le plus exact accomplissement du devoir, sous quelque forme qu'il se présente, sous quelque aspect qu'il se multiplie.

On voit cependant beaucoup de gens parler de leur indépendance, en prendre l'extérieur, en afficher le ton, en affecter le langage, écoutez-les, ils se sont affranchis de toute obligation ; mais observez-les, ils en ont contracté plus que les autres. Etudiez, en les rapprochant, leurs discours et leur conduite, vous verrez combien l'une est peu conforme aux autres ; leur systême est une prétention, leur prétention une manie : ils ne trompent personne, et ne réussissent point à se tromper eux-mêmes.

La Manie de l'Indépendance prise en ce sens, devait fournir le sujet d'une comédie d'un ordre très-relevé : l'homme et la société pouvaient y être envisagés sous un jour tout nouveau : un tel sujet. appelle le talent mûri d'un profond observateur, et une plume énergique telle que celle qui nous a peint l'égoïsme du nouveau Philinte, par exemple, ou celle qui a si bien mis en action l'ambition aux prises avec l'intérêt : de tels portraits se refusent au pinceau délicat qui brillante une miniature ; ils veulent un dessin ferme et vigoureux, une couleur forte et en tout une manière franche et hardie, celle des maîtres dans tous les genres et dans tous les arts.

L'auteur anonyme de l'ouvrage nouveau donné dernièrement au théâtre français, sous le titre de la Manie de l'Indépendance, n'a point rempli l'idée que beaucoup de spectateurs s'étaient formée : l'imagination de ces spectateurs avait agrandi le cadre ; l'auteur semble s'être attaché à le rapetisser ; on ne peut guères nommer son ouvrage une pièce de caractère ; ce caractère est faiblement indiqué, et plus faiblement soutenu.

Le principal personnage est un jeune homme comblé dans la maison paternelle de toutes les marques de tendresse et d'indulgence qu'un fils unique peut y recevoir. Une jeune cousine, aimable et riche, lui est destinée ; elle va se rendre à Paris, mais notre jeune homme a fait vœu d'indépendance et, de l'aveu de son père, il va chercher la liberté et des occupations de son goût, dans un hôtel garni. Il y est à peine, qu'il y trouve l'ennui inséparable de l'oisiveté ; un vide qu'il était loin d'attendre, un défaut de soins auquel il était peu accoutumé ; le défaut d'occupation, le besoin de distraction le déterminent à en chercher de bien dangereuses ; il va jouer, il perd ce qu'il possédait ; une lettre de change lui est présentée, il ne peut la payer ; des huissiers se présentent, il les charge de coups ; on va le traîner en prison ; la maîtresse de l'hôtel garni le sauve, et voilà notre indépendant qui en peu d'heures a subi toutes les sortes de servitudes, tous les genres de besoins.

Il faut avoir vu la pièce pour croire que cette maîtresse d'hôtel garni, qui déjà a charmé son jeune hôte, et qui le sert si généreusement, n'est autre que la belle cousine qui lui est destinée. L'auteur ne pouvait imaginer un moyen plus commun, et moins digne de son sujet. Et quoiqu'il dise ;

Dans un noble projet, tout moyen s'ennoblit,

Il a dû s'appercevoir aux murmures du parterre, dès que ce moyen a été reconnu pour le ressort principal de l'ouvrage, qu'on ne trouvait rien de noble dans le projet, et sur-tout rien de vraisemblable, rien de convenable et d'intéressant dans le moyen.

Le premier acte a été entendu avec assez de faveur, quoique dès la première scène on ait paru juger que l'ouvrage n'aurait point le degré d'élévation et de force comique que son titre semblait promettre. Les murmures se sont élevés au moment que nous venons d'indiquer ; quelques tirades relatives à une sorte d'indépendance tout-à-fait étrangère à celle que l'auteur a traitée, ont paru des hors-d'œuvre déplacés, et ont excité de nouvelles marques de mécontentement ; l'action paraissait devoir marcher au second acte, et l'on se disposait à écouter ; mais bientôt le vide qu'éprouvait le jeune indépendant, dans sa situation, s'est fait ressentir dans les scènes où il n'a que trop fait partager le malaise, et il faut le dire, l'ennui qu'il éprouvait.

Au troisième acte, nul progrès dans l'action, mais des scènes parasites, et de celles qu'on nomme à tiroir, des personnages nouveaux mis à la place de ceux avec lesquels on avait fait connaissance, et qu'on ne revoit plus ; au quatrième, des scènes de records et d'huissiers, des quiproquo, et un imbroglio ressemblant plutôt au motif d'un final d'opéra qu'au nœud d'une action comique. Le 5me. acte allait commencer, les murmures et l'agitation violente du parterre ne l'ont pas permis ; les acteurs ont lutté long-temps ; Baptiste aîné a vainement demandé que le public manifestât s'il désirait que la pièce fut continuée ; le redoublement du tumulte était la seule réponse du parterre ; après un quart-d'heure d'attente et de persévérance, Baptiste aîné et Mlle. Mars, qui étaient en scène, se sont retirés, et la toile est tombée.

Quoique le cinquième acte de cet ouvrage ne nous soit pas connu, nous avons peine à croire qu'il eût pu racheter les défauts des quatre premiers, et sauver le vice radical de l'ouvrage, qui nous paraît être d'offrir un personnage principal qui n'est ni comique, ni intéressant. Quelques scènes agréables, des intentions comiques, de jolis détails, et parfois des vers heureux, ne peuvent dans un ouvrage en cinq actes, tenir lieu d'action, et suppléer à la peinture du caractère annoncé.

Nous venons de parler de quelques vers heureux ; ils le sont plus par la pensée qui est en général ingénieuse et piquante, que par le tour poétique et l'expression. La versification de cet ouvrage a paru singulièrement négligée ; à l'exception de quelques tirades, une dangereuse facilité s'y fait trop sentir ; des enjambemens vicieux, des rimes hasardées, et un emploi sans mesure de toutes ces petites parties du discours qui surchargent un vers plus qu'ils ne le remplissent, ont été fréquemment remarqués : si donc la pièce reparaissait, comme cela serait possible, en trois actes, et sous un titre moins ambitieux, l'auteur en rectifiant son plan, aurait quelque soin à donner à son style, où, nous le répétons, la finesse et le piquant de l'idée, sont trop rarement soutenus par l'élégance et la correction du vers.

Les acteurs ont joué avec autant d'ensemble que le trouble de la représentation l'a permis ; Mlle. Mars, depuis quelque temps indisposée, a été revue avec une vive satisfaction ; Damas a très-bien joué le rôle principal ; peut-être un acteur plus jeune y eût-il été mieux placé ; Baptiste aîné avait accepté un rôle complettement nul pendant les 2me., 3me. et 4me. actes ; Michot a fait valoir, dans son rôle de valet, de piquans mais trop fréquens à parte ; dans une scène épisodique, Baptiste cadet a joué avec une grande vérité un rôle de libraire, très-convenable dans un proverbe, véritable hors-d'œuvre et remplissage trop sensible dans une comédie.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 16e année, 1812, tome V, p. 167-170 :

[Le compte rendu commence bien sagement par le résumé de l’intrigue, sans laisser paraître d’opinion. Mais ce résumé s’interrompt, quand le public interrompt la pièce et oblige à baisser la toile. Scrupuleux, le critique a voulu connaître la fin de la pièce, qu’il résume de manière neutre. Un dernier paragraphe donne par contre son opinion : « un dialogue froid, des invraisemblances et quelques tirades déplacées », voilà les causes de l’attitude du public. Il ajoute que « les ressorts étaient mesquins et indignes du Théâtre Français » (une comédie n cinq actes et en vers, au Théâtre Français, ce n’est pas rien ! Ici, le niveau de la pièce paraît nettement insuffisant pour un tel théâtre : hiérarchie des genres, hiérarchie des salles). La pièce est tombée, malgré le talent des acteurs.]

THÉATRE FRANÇAIS.

La Manie de l’Indépendance, comédie en cinq actes et en vers, jouée le 9 septembre 1811.

Charles goûte les charmes de la vie la plus douce près de l'auteur de ses jours ; ce bon père ne cesse de prévenir ses désirs, de lui donner des marques de tendresse, et de voir ses erreurs d'un œil indulgent. Cependant Charles ne se trouve pas heureux ; tous les moyens employés afin qu'il le soit, ne tendent à son avis, qu'à lui faire prendre le change sur l'état de dépendance où il est. On veut le marier à une jolie cousine qu'il ne connoît pas, nouvelle preuve à ses yeux d'un complot formé dans l'intention d'enchaîner sa liberté. Frappé de cette idée, non-seulement il refuse la main de sa cousine, mais il quitte la maison paternelle, et va loger dans un hôtel garni. Là, il espère enfin jouir de cette indépendance absolue, objet de ses folles rêveries. Vain espoir ! A peine il se croit libre de tout soin et de toute affaire, que l'ennui, qui accompagne l'oisiveté, vient s'appesantir sur lui ; il en seroit accablé, s'il ne trouvoit pas dans son hôtesse la femme la plus aimable. Cette hôtesse, dès le premier entretien, fait même une impression si vive sur le cœur de Charles, que de la dépendance de l'ennui, bientôt il passe à la dépendance de l'amour.

Dès qu'il s'aperçoit du penchant qu'il éprouve, il frémit et s'indigne: afin qu'il ne soit pas dit qu'une femme ait pu enchaîner un indépendant aussi prononcé que lui, il forme le projet de fuir sa charmante hôtesse ; et, comme elle se présente toujours à sa pensée, il imagine que pour l'en chasser, le mouvement d'une maison de jeu sera un spécifique excellent. Le voilà donc installé dans une maison de jeu; bientôt il est tenté de jouer ; il joue et perd tous les fonds avec lesquels il s'étoit flatté de soutenir son indépendance.
Ainsi Charles voit sa bourse vide, et devient par le besoin d'argent le plus dépendant des hommes. Un créancier le menace de la prison : il a composé un Traité sur l'Indépendance, les Libraires refusent de le faire imprimer. Malheureux Charles ! que feras-tu désormais ?

Il flatte l'usurier, courtise le libraire;
Il valoit mieux, je crois, dépendre de son père.

On vient l'arrêter ; il bat les sergens et les disperse. Mais, ils reviendront en force ; comment soustraire l'inconséquent jeune homme à leurs poursuites ? Son intéressante hôtesse croit en avoir trouvé un moyen sûr, en le faisant passer pour son mari, et ce moyen va rendre Charles encore plus dépendant de l'amour. Mais l'indiscrétion d'un valet découvre la ruse, et l'on conduit notre indépendant en prison. Ici un orage de sifflets, de trépignemens et de murmures bruyans a contraint les acteurs à quitter la partie, et à faire tomber la toile après le quatrième acte.

Nous avons désiré connoître le dénouement, et on nous a appris que l'hôtesse, qui n'étoit autre que la jolie cousine de Charles, piquée au jeu, et peu accoutumée à trouver des indifférens, avoit juré de venger l'outrage fait à ses charmes. Alors elle s'étoit arrangée pour paroître comme la maîtresse de l'hôtel où Charles étoit venu se loger. Elle n'avoit pu le voir sans s'y intéresser beaucoup : enfin elle recueilloit le fruit de ses soins, en délivrant Charles, qui se montroit corrigé ; il sentoit l'erreur et le danger de son système ; il y renonçoit de bonne foi, et épousoit Julie.

Un dialogue froid, des invraisemblances et quelques tirades déplacées, ont indisposé le public. Les ressorts étaient mesquins et indignes du Théâtre Français. Le talent des acteurs n'a pu empêcher la chute complète de l'ouvrage.

D’après la base La Grange de la Comédie Française, la Manie de l’indépendance, comédie en cinq actes et en vers d’Augustin Creuzé de Lesser n’a connu qu’une seule représentation, le 9 septembre 1811.

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