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La Manie des romans

La Manie des romans, vaudeville en deux actes, de Bouilly et Dupaty, 22 novembre 1813.

Théâtre du Vaudeville.

Pièce à ne pas confondre avec la Nièce de ma Tante Aurore, ou la Manie des romans.

Titre :

Manie des romans (la)

Genre

comédie mêlée de vaudevilles

Nombre d'actes :

2

Vers ou prose ?

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

22 novembre 1813

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

Bouilly et Dupaty

L'Ambigu: ou variétés littéraires et politiques, volume XLIII, n° CCCLXXXVI du 20 décembre 1813, p. 643-645 :

[Le critique (il s’agit d’un feuilleton de Geoffroy) n’aime pas la façon dont on éduque les jeunes filles, et il croit que les contes n’ont pas la même valeur d’exemple que les « traités d'éducation aussi graves que le sujet ». Et transformer les contes en pièces n’est pas aussi simple qu’il y paraît. La pièce nouvelle n’est nullement comique, privée qu’elle est de naturel et de vérité : il n’y a plus de romans tels que ceux qui troublent la tête de la jeune fille, qui n’est pas crédible. L’analyse qu’il fait de la pièce est peu élogieux, et finit par la condamnation du sujet : « le rôle de Benjamine est burlesque sans être plaisant », et les actrices ont fait leur possible avec un succès médiocre.]

THÉATRE DU VAUDEVILLE.

La Manie des Romans.

On faisait autrefois des traités d'éducation aussi graves que le sujet : aujourd'hui on fait des contes pour l'amusement des meres et pour l'éducation des filles, et il résulte de ces contes plaisants une éducation pour rire : tous ne sont pas même plaisants ; la plupart sont inutiles ; quelques-uns sont nuisibles à l'éducation. Le plaisant pour M. Bouilly, auteur d'un recueil de ces contes, c'est qu'ils se sont beaucoup mieux vendus que s'ils eussent été bons, attendu leur destination : ce qu'on achete le plus, ce sont les livres et les joujoux pour les enfants ; et tout l'effet que produisent ces deux denrées, c'est que les enfants brisent les joujoux et déchirent les livres.

Il est aisé de faire des contes ; on se livre à son imagination, et les lecteurs sont très-indulgents pourvu qu'il y ait une apparence de morale ; mais il est plus difficile de faire une piece sur un conte, que de faire un conte pour une piece : les spectateurs sont plus exigeants que les lecteurs. D'après le titre du vaudeville, on croirait que la piece va montrer le danger des romans. Les auteurs se flattent d'avoir fait une petite comédie, et cependant il n'y a pas l'ombre de comédie, pas la moindre trace de naturel et de vérité ; c'est une caricature, une parade, une farce qui même ne fait pas rire. Mlle Benjamine est une jeune personne que les romans ont rendue folle ; mais quels romans a-t-elle donc lus ? Sa folie est de la mélancolie tendre et passionnée, de la disposition à croire aux aventures amoureuses ; mais nos romans ne peuvent produire cet effet ; ils sont pleins de crimes et d'horreurs beaucoup plus que d'amour. La demoiselle est une copie de ma Tante Aurore, et une vieille folle en ce genre vaut mieux qu'une jeune.

On parle d'un hermitage voisin du château qu'habite la fille romanesque ; il est question de l'hermite ; la folle se persuade aussitôt que l'hermite est un amant malheureux qui s'est enseveli dans un désert pour pleurer ses infortunes galantes ; cette vision donne lieu à sa sœur, et à son prétendu le capitaine, d'employer pour la guérir un moyen fort bizarre. Le capitaine déguise un mousse en hermite ; il vient ainsi travesti déclarer sa flamme à la demoiselle sous ses fenêtres. La demoiselle perd la tête, et donne un ruban au faux hermite, en lui recommandant de ne jamais oublier Rosemonde ; c'est le nom de guerre qu'elle a pris, au lieu de celui de Benjamine qu'elle a jugé trop bourgeois. Elle ne rêve qu'à son hermite, et dédaigne pour lui un jeune homme très-honnête et très-aimable ; mais quand la mascarade se découvre : quand Benjamine apprend que c'est un mousse qui lui a tourné la tête, la honte de cette conquête lui rend la raison, et, dans son dépit, elle donne la main à l'honnête jeune homme, assez sot pour aimer une pareille folle. Le rôle de Benjamine est burlesque sans être plaisant; il est joué par Mlle Desmares ; celui de Mad. Dermont, joué par Mad. Hervé, est à peu près nul, malgré le talent de l'actrice.

Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, année 1813, tome VI, p. 419 :

THÉATRE DU VAUDEVILLE.

La Manie des Romans, vaudeville en deux actes  joué le 22 novembre.

Un conte de M. Bouilly a fourni le sujet de ce vaudeville, qui a paru un peu froid et un peu trop enfantin.

Il s'agit de guérir une jeune personne d'une manie romanesque qui tient presque de la folie, puisqu'elle ne rêve que chevaliers, hermites, et qu'elle croit voir des ombres errer dans les nuages. Elle entend la voix des torrents, et cherche quelqu'un qui l'aide à traverser le désert de la vie. On fait déguiser en hermite un jeune matelot, à qui la tendre Rosemonde donne un ruban. Elle le prend pour un Troubadour déguisé. Sa confusion est grande quand elle apprend quel est son chevalier.

La pièce a eu peu de succès. Les auteurs ont gardé l'anonyme.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome XII, décembre 1813, p. 289-292 :

[La Manie des romans est un des Conseils à ma fille de Jean-Nicolas Bouilly, identifiable à l’allusion à une autre de ses œuvres, ses Contes à ma fille évoqués à la fin du compte rendu. Il serait l’auteur de son adaptation en vaudeville, même si cette attribution est discutée, et si finalement il vaudrait mieux ne pas la revendiquer, puisque « le parti le plus sage eût été de tout supprimer » plutôt que de tenter de l’améliorer. Le compte rendu s’ouvre par une contestation du sujet même : reprendre ce qui fait le sujet des Précieuses ridicules ne peut plus se faire, parce que le travers de l’héroïne de la pièce n’existe plus, du fait du changement profond des romans depuis l'époque de Molière. Le changement de nom, possible au XVIIe siècle, n’a désormais plus de sens, et il n’est plus nécessaire de faire prendre conscience de son erreur à la jeune personne (ici, on emploie un jeune matelot, qu’elle prend pour un troubadour, avant de la détromper, et de la voir revenir à de meilleurs sentiments). Le jugement porté est sévère : « pièce […] langueur mortelle », accessoires qui « ne dédommagent point de la nullité du fond », parce qu’ils manquent de piquant. L’auteur n’a pas été nommé, mais on n’en continue pas oins à jouer la pièce (alors qu’il est habituel de considérer que l’absence de demande de l’auteur est signe de chute).]

Théâtre du Vaudeville.

La Manie des Romans.

Au Théâtre-Français, on peint, ou du moins on devrait peindre des caractères ; au Vaudeville, on se rejette sur les manies. C'est bien fait, la proportion est gardée. Mais il faut que ces manies existent, et qu'elles soient comiques ; sans cela, point de succès à espérer. La mésaventure arrivée à la Manie des Romans en est la preuve.

L'auteur ou les auteurs ont mis en scène une petite fille qui, élevée à Paris, y a pris des idées romanesques. Elle ne veut point du mari que son père lui destine, parce qu'elle ne saurait souffrir qu'on en vînt de but en blanc à l'union conjugale, comme dit la Madelon des Précieuses Ridicules. On la corrige en faisant chanter une romance sous sa fenêtre par un jeune matelot qu'elle prend pour un troubadour, auquel elle jette un ruban, et qui raconte, le lendemain, son aventure devant toute la famille assemblée. Ce cadre est le même que celui des Précieuses Ridicules. Mais les mœurs ont bien changé, et les romans ont encore plus changé qu'elles. Du temps de Molière, tout le monde lisait les volumineux ouvrages de Gomberville, de la Calprenéde et de Scudéry. On était accoutumé à voir les héros de ces romans parcourir le pays du Tendre avec une lenteur respectueuse ; il devait s'écouler un grand nombre d'années avant qu'ils arrivassent au plus simple aveu, et si leur flamme était couronnée, ce n'était qu'après de longues épreuves. Rien n'était plus naturel que de montrer aux spectateurs deux sottes provinciales qui, se croyant des Clélies, refusent un mariage avantageux, parce qu'il doit se conclure trop promptemeut. Elles changent leurs noms de Madelon et de Cathos, qu'elles trouvent trop bourgeois, contre ceux d'Aminte et de Polixene. Ce travers existait alors dans le monde. On sait que les poëtes de l'hôtel de Rambouillet avaient métamorphosé Catherine en Arthemise, et que Fléchier lui-même a désigné sous ce dernier nom Mme. de Rambouillet dans l'oraison funèbre de Mme. de Montausier. Tout est vrai, tout est admirable dans Molière, taudis que tout est faux et forcé dans la pièce nouvelle ; car aujourd'hui que toutes nos demoiselles ont les plus jolis noms du monde ; qu'on a choisi pour leurs patrones les muses, les grâces et les divinités les plus gracieuses de la fable ; que les romans ne pêchent point par les idées romanesques ; qu'au contraire l'amour y est traité fort lestement ; aujourd'hui, qu'y a-t-il de comique à nous présenter une jeune fille qui change son nom de Benjamine contre celui de Rosemonde, et à lui faire répéter les mêmes raisonnemens qu'aux filles de Gorgibus ? Il est vrai que l'auteur ne conclut pas tout-à-fait comme Molière. Après avoir mystifié, humilié et avili la jeune Benjamine, il la marie, bien contrite et bien corrigée. C'est la poétique à la mode.

La pièce est d'une langueur mortelle, et les accessoires ne dédommagent point de la nullité du fond. Une jeune veuve plus qu'étourdie est opposée à la fille romanesque. Celle-ci lui peint le bonheur de voir un homme long-temps à ses pieds. Les pieds sont bien loin du cœur, dit la veuve. De pareilles gentillesses devraient être réservées pour les devises du Jour-de-l'An. Un marin exactement calqué sur tous les marins qui sont au théâtre, ne contribue pas à jetter du piquant dans l'ouvrage, non plus qu'un sot amant qui épouse Benjamine après sa conversion. Le parterre, qui avait peu de remercîmens à faire à l'auteur, ne s'est pas montré curieux de le connaître. Toutefois, la pièce se joue aussi souvent que si elle était excellente.

On prétend que l'auteur des Contes à ma Fille s'est pillé lui-même pour mettre au jour cette faible production. Ne voilà-t-il pas qu'on lui conteste aujourd'hui la propriété de son conte et de son vaudeville ? Un inconnu, armé d'une comédie sur le même sujet, réclame l'idée première de la Fille Romanesque. Je crains qu'en définitif, les deux auteurs ne se trouvent dans la même position que Leclerc et son ami Coras, à propos de leur Iphigénie :

.   .   .   .   .Aussitôt que l'ouvrage a paru,
Plus n'ont voulu l'avoir fait l'un ni l'autre.

On a retouché la Manie des Romans au Vaudeville; on y a fait des coupures; le parti le plus sage eût été de tout supprimer.

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