Les Maris en bonne fortune

Les Maris en bonne fortune, comédie en trois actes et en prose, d'Étienne, 9 germinal an11 [30 mars 1803].

Théâtre Français, rue de Louvois

Almanach des Muses 1804

Valerio et Anselme, l'un officier, l'autre sénateur à Venise, occupent deux maisons voisines ; mais ne se voient point, parce qu'une haine de famille les divise. Valerio, époux d'Isaure, est amoureux de Lucile, femme d'Anselme, et Anselme est amoureux d'Isaure, femme de Valerio. De là, des lettres d'amour envoyées par les soupirans à l'objet de leurs desirs. Les deux femmes, amies dès l'enfance, se communiquent ces lettres, et ne songent qu'à se venger de leurs époux infidèles. Elles leur donnent un rendez-vous ; mais Valerio, en y allant, se trouve avec sa femme qi, conservant son voile, passe pour celle d'Anselme ; celui-ci est dupe du même tour. Cependant, des bruits de trahison font décréter au sénat de Venise des mesures rigoureuses. On soupçonne Anselme et Valerio, tous deux sont arrêtés, consignés dans leurs maisons, ainsi que leurs femmes. Ils obtiennent la liberté de sortir. Grande scène de jalousie entre les deux maris. Des quiproquos, des reconnaissances, amènent des scènes plaisantes. Enfin tout se débrouille, et les deux époux bien corrigés, bien confus, se décident à reprendre leur femme.

Du mouvement, du comique ; mais des moyens un peu forcés. Du succès.

Courrier des spectacles, n° 2216 du 10 germinal an 11 [31 mars 1803], p. 2 :

[La nouvelle pièce reprend « avec un certain succès » le sujet déjà souvent traité des « femmes vengées », et il n’est pas sans danger, surtout quand on le traite en trois actes. L’auteur n’a pas entièrement réussi : après un premier acte « bien fait », le deuxième est embrouillé même s’il n’est pas dépourvu de comique. Le troisième acte est lui réussi. Dialogue vif, traits piquants, la pièce a de quoi réussir, malgré « des expressions quelquefois choquantes et désavouées par le goût, des scènes de remplissage et de petits moyens » qui expliquent peut-être les quelques sifflets qui ont accueilli la révélation du nom de l’auteur, l’expérimenté Étienne, qui a eu le bon goût d’utiliser le modèle de l'École des Maris de Molière. L’intrigue est fondée sur un quiproquo : deux femmes voulant se moquer de leurs maris infidèles les font venir à un rendez-vous en leur faisant croire qu’ils vont y trouver la femme de leur voisin. Mais elles changent de maison, et les deux maris rejoignent leur épouse dans la maison voisine. Menacés d’arrestation sous le soupçon d’être des traîtres, ils échappent au soupçon quand leurs femmes lèvent le voile sous lequel elles dissimulaient leur identité, et tout rentre dans l’ordre. Les interprètes sont félicités pour leur ensemble dans l’exécution, mais le critique, curieusement, insiste sur la nécessité pour eux de garder leur ensemble au fil des représentations. De quoi s’inquiète-t-il ?]

Théâtre Louvois.

Première représentation des Maris en bonne fortune.

Quoique ce ne soit pas une chose nouvelle de voir au théâtre des femmes vengées, on a cru pouvoir hasarder encore ce sujet, et on le fit hier avec assez de succès La matière est épineuse et il falloit beaucoup d’adresse pour filer durant trois actes une intrigue aussi délicate. L’auteur a-t-il également réussi dans tous ? Nous ne le croyons pas. Son premier acte est bien fait, l’exposition est claire et sur tout adroite. Elle est déjà toute en action dès les premières scènes. Le second acte est embrouillé, quoiqu’il offre des situations comiques et embarrassantes pour ses personnages ; dans le troisième on a remarqué une scène extrêmement plaisante, et le dénouement a beaucoup diverti le spectateur. Ajoutez à cela un dialogue vif et semé de traits piquans, à ces titres l’ouvrage a dû réussir : mais d’un autre côté des expressions quelquefois choquantes et désavouées par le goût, des scènes de remplissage et de petits moyens firent la part de la critique, et lorsque Picard vint nommer l’auteur il fut trois fois interrompu p»r un petit siflet qui cependant fut étouffé par des nombreux applaudissemens. L’auteur est le cit. Etienne. L'Ecole des Maris lui a fourni son grand moyen. Nous ne pouvons le blâmer de cette heureuse réminiscence. Il seroit à souhaiter que tous nos jeunes auteurs n’imitassent jamais que Molière.

Valério et Anselme, l’un officier, l’autre Sénateur à Venise, occupent deux maisons voisines, mais ne veulent point se voir parce qu’une haine de famille les divise. Valério, époux d’Isaure, s’est ennuyé de l’état monotone du mariage, et cherche à séduire Lucile femme d’Anselme. Pour y parvenir, il lui fait porter une lettre par Lazzarille son valet, à qui Anselme amoureux de son coté de la femme de Valério, confie un billet bien tendre pour Isaure. Les deux femmes amies dès l’enfance, se communiquent ces lettres ; et secondées par Hélène, suivante de Lucile, elles se promettent de se venger de leurs époux infidèles. Hélene leur fait écrire à leurs soupirans un rendez-vous pour dix heures du soir, puis fait passer sa maitresse dans la maison d’Isaure, et celle-ci dans la maison de Lucile. Valério vient au rendez-vous, il est admis près de sa femme qui conservant son voile, passe pour celle d’Anselme. Ce dernier est de son côté en bonne fortune près de sa femme dans la maison de Valério. Cependant des bruits de trahison font décréter au sénat de Venise des mesures contre ceux que l’on soupçonne, et on vient pour prendre Anselme chez lui ; on y trouve Valério qu’on doit aussi arrêter. On les consigne tous deux dans les maisons où on les a trouvés, on y consigne également les femmes ; cependant le procurateur leur permet le lendemain de sortir : grande scène de jalousie entre les deux maris qui s’accusent réciproquement. Leurs femmes paroissent, toujours voilées ; l’erreur des époux continue jusqu’à ce qu’elles se découvrent et rassurent par là l’honneur de leurs infidèles.

La pièce a été jouée avec beaucoup d’ensemble par messieurs Picard frères, Clozel, Valville et Bosset, et par mesd. Delile, Adeline et Moliere. Nous les engageons à mettre le même soin dans les représentations suivantes, et ceci peut s’adresser à tous, car nous avons remarqué qu’un ouvrage soigné aux deux prem. représentations paroissoit négligé à la dixième, et manquent quelquefois d’être exposé à des désagrémens dont son premier succès sembloit devoir le garantir.

F. J. B. P. G***.

 

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, VIIIe année (an XI – 1803), tome VI (Germinal an 11), p. 129 :

Théâtre Louvois.

Les Maris en bonne fortune.

Les personnes qui connoissent l'Ecole des Maris [de Molière] et les Femmes vengées, et le dernier acte du Mariage de Figaro, n'auront pas trouvé grand'chose de neuf dans la çomédie en trois actes jouée à Louvois, pour la première fois, le 9 germinal.

Valerio cherche à séduire la femme d'Anselme, son voisin ; de son côté, Anselme est amoureux de la femme de Valerio. Les deux dames, qui sont amies dès l'enfance, se communiquent les lettres de leurs amans, et leur promettent un rendez-vous : mais chacune d'elles se rend dans la maison de son amie, et y reçoit son propre époux. Une chose assez singulière, c'est que chacun d'eux veut bien permettre que sa prétendue conquête garde un voile, qui n'est levé que le lendemain matin. C'est alors que les maris, qui se sont querellés en s'apercevant de leur mutuelle perfidie, sont désabusés et se félicitent d'en avoir été quittes pour la. peur.

Molière , Beaumarchais et Sedaine n'ont pas été nommés avec M. Etienne; mais ils ont droit de réclamer leur part du succès de sa pièce.

La Décade philosophique, littéraire et politique, onzième année de la République, n° 20, 20 germinal, p. 124-125 :

Théâtre Louvois.

Les Maris en bonne fortune , en prose.

L'imbroglio devient en quelque sorte le patrimoine de ce théâtre. Quoiqu'en général il nous reporte un peu vers l'enfance de l'art, j'avouerai néanmoins que son principal objet étant la gaîté, j'aime mieux voir un auteur développer son imagination à compliquer les fils d'une intrigue amusante qu'à nous terrifier par de lugubres tableaux, ou à nous ennuyer par de froides homélies.

Deux maris vénitiens, l'un militaire distingué, l'autre membre du sénat, divisés par une haine de famille, mais voisins d'habitation, sont respectivement amoureux de la femme qu'ils n'ont pas. Les deux femmes sont amies et se communiquent leur mutuel chagrin. Une soubrette adroite et fine engage les deux épouses trahies à jouer leurs époux pour les punir de leurs projets inconstans. On consent à répondre à leurs billets galans et à leur accorder le rendez-vous qu'ils demandent ; mais on change de maison, et par ce troc on se propose de les rendre fidèles, malgré eux, jusques dans leur infidélité. Ce plan est tout près de tourner contre ses auteurs, car des raisons imprévues forcent d'abord les deux maris à rentrer chez eux : par bonheur bientôt de nouveaux incidens les ramènent à leur premier projet ; mais à peine sont-ils chacun dans la maison l'un de l'autre, qu'ils sont arrêtés et gardés à vue par ordre du gouvernement. De la des scènes comiques, des surprises, des quiproquos, des équivoques et un dénouement dans lequel les maris sont trop heureux d'en être quittes pour la peur et pour demander pardon.

Les Maris corrigés [pièce de Poisson de la Chabeaussière,n 1781], les Femmes vengées, les Remords et plusieurs autres ouvrages ont déjà été bâtis sur ce fonds ; mais tel est le privilège de l'imbroglio, que lorsqu'il est fait avec esprit, on lui pardonne de ressembler à tout pourvu qu'il amuse.

Ce qui fait le principal agrément de celui-ci, c'est 1'adresse de l'auteur à nouer son intrigue de manière à ne nous en montrer que les résultats. plaisans, surtout à se borner avec goût dans un sujet qui, déjà très-graveleux, pouvait donner carrière; à mille développemens beaucoup trop lestes. L'esprit du dialogue y fait presque toujours pardonner l'indécence de la situation.

La pièce, qui a été moins goûtée à la première représentation qu'à la seconde, jouit maintenant du succès qu'elle mérite. Elle est du C. Estienne, connu par plusieurs jolis ouvrages à ce théâtre.               L. C.

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