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Madame de Mazarin chez Saint-Evremont

Madame de Mazarin chez Saint-Evremont, vaudeville, de M. Henri Simon, 29 août 1809.

Théâtre du Vaudeville.

Titre :

Madame de Mazarin chez Saint-Evremont

Genre

vaudeville

Nombre d'actes :

1 ?

Vers / prose

prose, avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

29 août 1809

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

M. Henri Simon

Journal de l’Empire du 4 septembre 1809, p. 3-4 :

[Ce compte rendu fait partie des plus beaux exemples de l’art de ne pas parler du sujet (on peut penser qu’on a affaire à un article rédigé par Geoffroy, le grand critique du temps). Après avoir contesté le sujet (en proposant d’inverser le titre, sans dire pourquoi, puis en niant son intérêt), le critique se lance à corps perdu à une dissertation sur les deux personnages mis sur la scène, en usant et abusant de tous les clichés les plus malheureux (soumission au pouvoir, relations hommes-femmes). Ce texte très instructif, quasi pédagogique, s’achève sur la reprise de l’affirmation initiale : les deux personnages ne sont pas estimables (et on ne devrait montrer au théâtre que des personnages estimables ?) et n’ont rien à faire sur la scène, d’autant que le vaudeville ne sait que « les placer dans une intrigue triviale et commune, très-indigne d'eux, et encore plus indigne du public ». Pas de nom d’auteur, rien sur l’intrigue, l’interprétation, la façon dont la représentation s’est passée.]

THÉATRE DU VAUDEVILLE.

La duchesse de Mazarin chez Saint-Evremont.

Il eût été plus convenable de nous montrer Saint-Evremont chez la duchesse de Mazarin, ou plutôt il ne falloit montrer au théâtre ni l'un ni l'autre : ce sont des personnages qui ne sont pas faits pour la scène. Mon intention n'est pas de parler de ce vaudeville fort au-dessous de la critique, et qui est déjà presqu'oublié ; mais il y a sur Saint-Evremont et la duchesse de Mazarin, quelque chose à dire qu'on ne peut faire entrer dans un vaudeville. Peut-être sera-t-il agréable pour les lecteurs de savoir à quoi s'en tenir sur deux personnages qui ont eu dans leur temps plus de réputation qu'ils n'en méritoient. Commençons par Saint-Evremont:

C'étoit un homme du monde, un courtisan, un bel-esprit de société, qui eut l'ambition d'être autenr. Ses œuvres eurent beaucoup de succés : les libraires se les disputoient ; le public les enlevoit arec le plus vil empressement. Elles sont recueillies en dix volumes que personne ne lit, et qui n'en valent guère la peine. Saint-Evremont eût bien fait de se borner à la galanterie et à la littérature ; pour son malheur, il se mêla de politique. Au lieu de s'en tenir à la critique d'auteurs sans conséquence, il s'avisa de critiquer ce même cardinal de Mazarin dont il adora constamment la nièce. Il se moqua du traité des Pyrénées ; il prétendit que dans cette négociation fameuse le cardinal avoit consulté son intérêt plus que celui de la France. Quoiqu'il eût renfermé ses critiques sous le sceau d'une lettre particulière, l'amitié garda mal le secret qu'on lui avait confié. On exila l'auteur sans examiner s'il avoit raison. Il avoit toujours tort d'attaquer le premier ministre de la monarchie, qui doit toujours avoir raison aux yeux du peuple.

Saint-Evremont se retira en Angleterre ; son esprit et sa politesse lui procurèrent autant d'agremens que peut en trouver un Français dans une cour étrangère : pour mettre le comble à son bonheur, le sort loi amena dans son exil une aimable fugitive, qui fut la dame de ses pensées et le charme de sa vie.

Celle fugitive étoit la duchesse de Mazarin, nièce du cardinal dont elle conserva le nom en se mariant avec le duc de la Meilleraie. Ce duc étoit un homme à visions, un dévot ridicule et fanatique assez semblable à l'Orgon du Tartufe. Ce!te alliance ne fut pas aussi heureuse que celle de la France avec l'Espagne, conclue par son oncle, Madame de Mazarin, jeune, vive, étourdie, l'une des plus belles femmes de la France, rompit bientôt des nœuds mal assortis; et après avoir erré dans différentes contrées de l'Europe, elle chercha un asile à la cour de Londres. C'est à ses voyages que Boileau et Racine faisoient allusion dans ce sonnet si hardi, et qui pensa leur coûter cher :

Une sœur vagabonde, aux crins plus noirs que blonds, etc.

Quoique la duchesse de Mazarin ne fût pas sans reproche aux yeux des sages : elle eut pour panagyristes deux hommes de lettres assez illustres dans ce temps-là. L'abbé de Saint Réal, romancier, littérateur, philosophe, auteur d'une vie de Jésus-Christ, rendit à la belle Hortense un hommage idolâtre ; il la peignit dans ses écrits comme une divinité : en cela moins excusable que Saint-Evrement, militaire, courtisan, galant de profession, et qui, dans son idolâtrie pour la beauté. ne violoit aucune des bienséances sociales.

Il ne tint qu'à la duchesse de Mazarin d'être la maîtresse du roi d'Angleterre ; mais trop vaine pour être ambitieuse, enivrée d'encens, persuadée que c'étoit son destin de faire des faveurs et non d'en recevoir, et qu'en faisant un heureux elle faisoit plus qu'un roi, elle consulta ses yeux, elle écouta son cœur, et préféra au souverain de trois royaumes, le jeune prince de Monaco : c'est peut-être le plus beau trait de son caractère. Dans des actions moins importantes, l’étourderie, le caprice, réglèrent sa conduite : ennemie de toute étiquette et de la gêne, plus philosophe qu'il n'appartient à une femme, elle n'eut qu'une grande passion, celle du jeu ; et Saint-Evremont, son adorateur, convient qu'elle n'y étoit pas de meilleure foi qu'en amour.

Ces deux personnages assez curieux ne méritent pas beaucoup l'estime de la postérité, et il étoit difficile de les faire figurer heureusement dans un vaudeville. A quoi bon mettre sur la scène des gens de cette importance, pour les placer dans une intrigue triviale et commune, très-indigne d'eux, et encore plus indigne du public ?

Mercure de France, tome trente-huitième, n° CCCCXXIV du samedi 2 septembre 1809, p. 52 :

[Le jeune auteur de cette pièce n’est pas ménagé : sa pièce ne vaut rien. Elle se situe dans la droite ligne d’une mode qui irrite le critique (et peut-être aussi le public), les pièces mettant en scène des personnages célèbres du passé, qui se retrouvent au cours de visites qu’ils se font. Ici, Saint-Evremond, qui est mal représenté. Et l’intrigue ne vaut rien : une vague intrigue amoureuse, sans surprise. Bilan : « nulle connaissance de l'art, des scènes isolées et décousues, nul esprit dans le dialogue, nul sel dans les couplets, nul intérêt dans les situations », la pièce est froide et ennuyeuse.]

La pièce du Vaudeville a pour titre, Madame de Mazarin chez Saint-Evremond ;car depuis quelque tems, toutes les pièces de ce genre se passent en visites que se rendent très-réguliérement les personnages les plus célèbres des deux derniers siècles. L'auteur de cet ouvrage est un jeune homme qui paraît encore fort novice. Ses acteurs pensent peu et parlent beaucoup ; son Saint-Evremond a tous les travers des mauvais poëtes ; il se loue lui-même avec une complaisance admirable ; il ne tourne pas un couplet sans parler de la gloire qui l'attend et de l'admiration que la postérité lui réserve. Malheureusement ses couplets sont très-mauvais, et sa prose ne vaut pas mieux que ses vers. Ce n'est pas là le Saint-Evremond que nous connaissons.

Après lui le personnage principal est un jeune secrétaire qui convoite ardemment la main d'une jolie personne que Mme de Mazarin a élevée. L'auteur lui a donné pour concurrent un vieil usurier hollandais qui prête de l'argent à Mme de Mazarin, et s'enrichit à force de friponneries. Le secrétaire l'épie, le surprend en flagrant délit, le démasque en présence de la duchesse, et parvient à obtenir la main de sa belle Sophie. Tout cela se passe dans le cabinet de Saint-Evremond : et voilà ce qui justifie le titre de la pièce ; mais il n'est pas si aisé de justifier l'auteur. Nulle connaissance de l'art, des scènes isolées et décousues, nul esprit dans le dialogue, nul sel dans les couplets, nul intérêt dans les situations ; c'est une composition souverainement froide et ennuyeuse.

Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, 14e année, 1809, tome V, p. 134

THÉATRE DU VAUDEVILLE.

Madame de Mazarin chez Saint-Evremont. vaudeville joué le 29 août.

Il n'y a rien à dire de cet ouvrage mort-né qui s'est traîné trois fois au milieu des bâillemens d'un auditoire peu nombreux.

L’Esprit des journaux français et étrangers, année 1809, tome X (octobre 1809), p. 288-294 :

[Compte rendu pour le moins ambigu : l’annonce du succès final est-il dit sur un ton de regret ? L’assemblée « choisie » fait-elle allusion à la cabale, qui aurait sauvé une pièce qui n’en valait pas la peine? L’Esprit des journaux est-il finalement d’accord avec le Magazin encyclopédique, qui parle d’« ouvrage mort-né » ?

On peut aussi lire dans ce compte rendu une certaine vision de la littérature et de la hiérarchie sociale... L’image donnée de Madame Mazarin et de Saint-Evremont (ou Saint-Evremond, au choix) est tout de même curieuse à nos yeux.]

Mme. de Mazarin chez Saint Evremont.

Ce fut une vie singulièrement gaie que celle de la belle Hortense, duchesse de Mazarin ; tout est plaisant dans son histoire jusqu'à ses chagrins, car ses chagrins venaient de son mari, dont on sait que l'idée la moins bizarre était de faire tirer au sort les emplois de sa maison, pour être servi comme il plairait à Dieu ; ce qui ne devait pas manquer en effet d'arriver, quand son cocher devenait son cuisinier, et quand son jardinier se trouvait, par l'ordre du ciel, chargé des fonctions de secrétaire. Mme. de Mazarin ne trouva cependant pas son mari aussi amusant qu'il peut aujourd'hui nous le paraître; et pour en pouvoir rire elle pensa qu'il fallait le voir de loin. Elle mit d'abord entre elle et lui les Alpes, ensuite la mer. M. de Mazarin, dans les procès qu'il lui fit pour la ravoir, assura que, pour rendre le voyage plus divertissant, elle l'avait entrepris sous la conduite d'un jeune seigneur des plus galans et des mieux faits de la cour. Il soutint ensuite qu'elle avait égayé ses excursions dans les différens pays de l'Europe par toutes les distractions qui avaient été en son pouvoir; ce qu'il ne faut pourtant entendre qu'en tout bien et tout honneur; car Saint Evremont observe à Mme. Mazarin elle-même, dans une lettre qu'il lui écrit, que, supposé qu'elle eût jamais fait des fautes,

Le charme des beautés leur tient lieu d'assurance.

Ce qui est clair, et il ajoute, ce qui l'est beaucoup davantage, « tant qu'il n'arrive aucun changement à ce beau visage, les plus sévères vous sont obligés des moindres égards que vous voulez bien avoir pour la vertu ». On voit bien que c'est avec grande justice que les romans et les vaudeville de ce temps-ci font de Mme. de Mazarin un modèle de régularité. D'ailleurs , elle se divertissait le plus innocemment du monde en Angleterre où elle s'était retirée, à tricher à la bassette, ce dont Saint-Evremond ne lui faisait pas un grand reproche. Il raconte qu'il en avait fait autant :

Quand mes sens avaient la vigueur
Que donne une vive jeunesse,
Je n'allais pas trop à confesse ;
Et les gens d'un grossier honneur ,
Pour de semblables tours d'adresse
Me nommaient quelquefois
pipeur.

Aussi, malgré cela, malgré ses caprices et la manière un peu rude dont elle parait quelquefois le traiter, n'en est-elle pas moins la divine Hortense, le sujet de ses plus pompeux éloges, comme de ses soins et même de ses conseils, dont quelques-uns bons et quelques autres fort singuliers. Par exemple, Mme, de Mazarin s'étant avisée d'être inconsolable, au moins pour quelque temps, de la mort du comte de Banier, son amant, et de s'enfermer, pour le mieux pleurer, dans un appartement tout tendu de noir, Saint-Evremond, pour la consoler, lui écrit : « Que pensez-vous faire par vos regrets ? Pleurer un mort n'est pas pleurer un amant. Votre amant n'est plus que le triste ouvrage de votre imagination : c'est être amoureuse de votre idée ; et l'amante d'Alexandre (dans les Visionnaires de Desmarets) est aussi excusable dans sa vision que vous dans la vôtre, puisqu'un homme mort
aujourd'hui n'a pas plus de part au monde que ce conquérant ».

Votre amant est enséveli,
Et dans les noirs flots de l'Oubli
Où la parque t'a fait descendre,
Il ne sait rien de votre ennui ;
Et ne fut-il mort qu'aujourd'hui,
Puisqu'il n'est plus qu'os et que cendre,
Il est aussi mort qu'Alexandre,
Et vous touche aussi peu que lui.

Une personne inconsolable, à qui on peut dire en prose et en vers de ces choses-là, sera probablement assez-tôt consolée pour que cet épisode n'interrompe pas trop long-temps sa joyeuse vie. D'ailleurs, c'était pour Mme. de Mazarin un état beaucoup trop calme que celui d'une douleur profonde ; il lui fallait des voyages, des aventures ou la bassette :

Vous ne craignez rien tant que le calme des flots.
Il faut des temps fâcheux, il faut un grand orage.
Vous haïriez la mer sans péril et naufrage.

Avec ces dispositions là, on le rencontre tant qu'on veut ; et entre tous les écueils
contre lesquels a pu échouer Mme. de
Mazarin, le danger qu'elle devait le moins craindre était de donner son nom à un si triste vaudeville. Je m'attendais à la voir coupant les oreilles à son aumônier, devant lequel Saint-Evremond la trouva un jour à genoux :

          Je pensais vous voir à confesse
          En vous trouvant à ses genoux,
Et crus que vous faisiez au bon Dieu la promesse
          De ne me plus voler chez vous.

Mais le pauvre aumônier était tout en sang ; Mme. de Mazarin avait voulu lui percer l'oreille et la lui avait coupée. Une autre de ses victimes était le banquier de bassette, Morin, fat du second ordre, qu'elle traitait et volait en grande dame, et dont il parait qu'elle faisait aussi son pourvoyeur, si l'on en croit les vers que prête Saint-Evremont à ce même Morin :

Faut-il un pizeon (1) ou lapin,
A-t-on besoin d'une poularde,
De quelque perdrix qui se larde,

Qu'on aille vite sez Morin.

C'était un vrai personnage de vaudeville que ce Morin. Désolé de ce que les Mondes de Fontenelle, dont Mme. de Mazarin était alors engouée, l'avaient tournée pour le moment vers l'astronomie et lui faisaient négliger la bassette ; il s'est persuadé que tous les mots étranges qu'il entend sont des mots de magie qu'on emploie pour le faire perdre. Il en veut sur-tout prodigieusement à Copernic et à Thicobrahé qu'il juge devoir être des sorciers :

Moi ze ne suis pas plus escrupuleux qu'un autre
Manzeur de crucifix, diseur de patenôtre ;
Mais nous sommes chrétiens, et zamais de tels noms
Ne devraient, ce me semble, entrer dans nos maisons.

.    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .
Z'avouerai fransement que z'étais libertin
Avant que d'être époux de madame Morin.
Auzourd'hui    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .
Comme un simple bourzeois ze m'en vais à l'église ;
Ze fais, avant le zeu, le signe de la croix,
Et si ze n'ai zamais pu gagner une fois.

Sauf le signe de la croix, n'y avait-il pas moyen d'arranger ce Morin pour le Vaudeville, au lieu de nous donner pour tout plaisant un triste contrefacteur hollandais, le plus bavard de tous les hommes, qui, pour nous prouver son talent dans ce genre, nous apprend qu'il a, dans un mois,

Trois fois contrefait Virgile ?

Apparemment que la succession de Virgile aura réclamé contre la contrefaçon. On m'a quelquefois accusé de trop de sévérité pour le Vaudeville ; je ne dirai donc rien de celui ci, si ce n'est que Mme. de Mazarin ne paraît qu'à la moitié de la pièce pour chanter des romances, pour répéter sur tous les tons : Ah ! oui, je suis bien malheureuse, et se récrier de ce que son mari la traite comme une femme sans mœurs. Saint-Evremond est un faiseur de calembourgs, les moins bons qu'on puisse entendre au Vaudeville. Il vient nous chanter, par exemple, qu'il est l'enfant gâté de la nature ; il disserte avec son jeune secrétaire sur Corneille, Racine, Boileau, Molière, Térence, etc. Ce jeune secrétaire et son amoureuse Rose, pour se débarrasser du contrefacteur hollandais, à qui Mme. de Mazarin veut donner Rose en mariage, imaginent de l'effrayer au moyen de deux fripons, dont l’un à Londres, se déguise en commissaire, et l'autre en exempt, et le bon Hollandais, qui se laisse prendre à cela, donne, pour les œuvres de Saint-Evremont qu'il a contrefaites douze mille francs qui sont la dot de Rose. Le charme des couplets répond au piquant du dialogue, et le dialogue au fond de la pièce. L'assemblée était peu nombreuse, mais choisie. Elle a fait son devoir. Nous
avons eu des salves d'applaudissemens, des
bis. L'auteur a été demandé. Cet ouvrage est l'heureux coup d'essai de M. Henri Simon.                       P.

(1) Morin grasseyait,

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