Marmontel et Thomas, ou la Parodie de Cinna

Marmontel et Thomas, ou la Parodie de Cinna, vaudeville-anecdote en un acte, de Dumolard, 23 janvier 1813.

Théâtre du Vaudeville.

Titre :

Marmontel et Thomas ou la Parodie de Cinna

Genre

comédie anecdote

Nombre d'actes :

1

Vers / prose

prose, avec couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

23 janvier 1813

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

M. Dumolard

Journal de l’Empire, mardi 26 janvier 1813, p. 3-4 :

[Dans son feuilleton du Journal de l’Empire, Geoffroy, le critique quasi institutionnel, rend compte de la pièce de Dumolard, puisqu’elle est de lui, finalement, en insistant sur des aspects qui peuvent sembler très marginaux (le mérite de Thomas, celui de Marmontel, ou le niveau de confort de la Bastille : son point de vue sur ce point précis est intéressant, tout de même !). La pièce elle-même est présentée comme très indifférente. Une remarque intéressante : l’âge de l’acteur qui joue le rôle du duc de Choiseul ne correspond pas à celui du duc au moment que la pièce évoque. Encore une fois la question de la vraisemblance.]

THEATRE DU VAUDEVILLE.

Première représentation de Marmontel et Thomas, comédie-anecdote.

Ce n'est point une comédie, et l'anecdote n'est pas théâtrale. Un homme de lettres mis à la Bastille pour avoir eu l'imprudence de réciter en société des satires dont, par générosité, il ne veut pas nommer l'auteur ; du reste, magnifiquement traité à la Bastille : bonne chambre, bonne table, bon lit, bon feu ! Il y avoit autrefois de pauvres diables d'auteurs et de libraires fort maigres qui se faisoient mettre à la Bastille exprès pour s'engraisser et pour jouir une bonne fois des douceurs de la vie. Peu de jours après, Marmoutel fut relâché ; mais on lui ôta le privilége du Mercure. Il n'y a pas là de quoi faire la moindre piece, le plus petit vaudeville. L'anecdote est dans les Mémoires de Marmontel, ouvrage posthume de l'auteur, où il s'est trop étendu sur ses premières études et sur ses dernières actions. Le livre auroit dû commencer par l'arrivée de l'auteur à Paris, et finir au commencement de la révolution.

Cury, intendant des Menus-Plaisirs, avoit été persécuté par les gentilshommes de la chambre, et surtout par le duc d'Aumont. Pour se venger du duc d'Aumont et des gentilshommes de la chambre, Cury qui possédoit le talent de l’allusion et de la parodie, travestit la première scène du second acte de Cinna, de manière à couvrir de ridicule ses puissans ennemis, Le duc d'Aumont irrité se plaignit au roi. Marmontel, ami de Cury, ayant récité chez Mad. Geoffrin une partie des vers de cette parodie, fut soupçonné de l'avoir composée, et, sur son refus de nommer le coupable, fut conduit à la Bastille. Une aventure semblable ne fournissoit rien pour la scène à M. Dumolard : il a essayé d'étendre son sujet en y faisant entrer Thomas. Cet écrivain très connu, préconisé au-delà de son mérite, dans le temps où la bouffisure philosophique étoit à la mode, est aujourd'hui mis à sa place : on convient qu'il est rhéteur et déclamateur dans ses discours académiques, fade et faux dans son ouvrage sur les femmes, savant, sec et forcé dans son Essai sur les Eloges, boursoufflé dans ses vers, partout visant au galimatias, vice de style, que Voltaire, du nom de cet orateur, appeloit ingénieusement galithomas ; mais, quand on est fait à la fatigue, et qu'on a le courage le lire, on lui trouve souvent du nerf, de l'éclat dans les pensées, et des traits qui ont l'air du sublime, et surtout un caractère de citoyen et d’honnête homme : il l'étoit en effet ; et son cœur valoit, mieux que son esprit. En grande saveur auprès du duc de Praslin, il refusa de servir la haine de ce ministre contre Marmontel, en postulant une place à l'Académie, destinée à l'auteur des contes moraux. Combien d'auteurs, sans en être priés par un ministre, ne demanderaient pas mieux que de souffler à un confrère une place d'académicien ? L’action de Thomas était noble, et mieux que la plus belle figure de rhétorique. Les jeunes gens trouveront dans la lecture de Thomas de quoi s'élever l'ame et se gâter le goût.

Marmontel, dont le défaut est d'être lent et lourd. n'est aujourd'hui connu dans les lettres que par des contes assez jolis qu'on appelle moraux, quoique les meilleurs, tels que Soliman, Annette et Lubin, n'aient assurément rien de moral. Il ne reste rien de lui au théâtre, où il a donné quatre ou cinq tragédies : il a écrit beaucoup d'hérésies littéraires où il y a de l'esprit. Dans ses dernières années, il a reconnu le néant des systèmes philosophiques quand il en a vu l'application.

Le vaudeville de M. Dumolard a été écouté avec un silence souvent interrompu par les applaudissemens qu'ont mérité plusieurs couplets agréables. A la fin, quelques voix ont demandé foiblement l'auteur : on s'est trop pressé de venir le nommer ; des plaisans du parterre ont crié à I'acteur chargé de cette fonction : Mais on n'a pas demandé l'auteur ; il n'en a pas moins été nommé. Son dialogue est naturel, mais peu piquant Marmontel et Thomas ne sont pas assez fortement caractérisés ; il n'y a point d'action dans la pièce, c'est une suite de conversations.

Marmontel a une sœur, et c'est Mlle Rivière qui joue ce rôle : on la trouve fort jolie quand elle vient solliciter pour son frère : et même le commis de M. de Sartines seroit très empressé à la protéger, si la belle lui faisoit entrevoir quelques marques de reconnoissance. Mlle Marmontel est fière, et n'achète pas à ce prix-là la protection des commis- Rivière paie de sa personne dans ce rôle triste et froid : elle en tire ce qu'elle peut ; ceux de Marmontel et Thomas sont bien joués par Henry et l'arlequin Laporte. Vertpré paroît trop vieux pour le rôle du duc de Choiseul, qui étoit encore jeune dans ce temps-là ; d'ailleurs, la mémoire de cet acteur est très infidèle.                       Geoffroy.

Journal des arts, des sciences et de la littérature, douzième volume (1er trimestre 1813), n° 201 (quatrième année), 25 janvier 1813, p. 123-124 :

[Outre la cruauté ironique des remarques sur la pièce, une description intéressante d’un moment fort de tout fin de représentation, la révélation de l’auteur de la pièce (qu’on est censé ne pas connaître...)]

Première représentation de Marmontel et Thomas, ou la Parodie de Cinna, par M. ***.

Un couplet d'annonce, froid et insignifiant, avait mal disposé les spectateurs : l'ouvrage a répondu à leur attente.

On aurait aimé tout autant lire dans les Mémoires de Marmontel, la conversation qu'il eut avec le duc de Choiseul, en sortant de la Bastille, que de l'entendre au Vaudeville. Il n'y a pas dans une telle anecdote de quoi composer une comédie : trente couplets de plus ou de moins, quand ils sont mauvais, ne font rien à l'affaire ; aussi le public a-t-il jugé que les trente couplets étaient de trop, et que le dialogue était au moins inutile.

On n'a trouvé dans toute la pièce qu'un seul mot piquant, encore n'appartient-il pas à l'auteur : c'est la reponse de Marmontel au duc de Choiseul, quand il apprit que le roi lui retirait le brevet du Mercure. Tant pis pour le Mercure ! s'écria-1-il. Sans doute Marmontel ne croyait pas avoir deviné si juste : il n'imaginait pas surtout que la vérité de son horoscope s'étendrait jusqu'au temps nous vivons.

Le parterre s'est montré patient. Les applaudissemens étaient si modestes et si rares, qu'ils ressemblaient à de petits soufflets donnés sur la joue de l'auteur On a laissé chanter jusqu'au dernier couplet. Le rideau baissé, aucun sifflet ne s'est fait entendre, et chacun s'est retiré fort édifié du bon exemple que le comité de lecture du Vaudeville donnait aux Jeunes talens.

P S. – Scène d'entr'acte. – La toile se lève de nouveau, et quoique personne n’ait poussé l'indiscrétion jusqu'à s'enquérir du nom de l'auteur, Vertpré vient le proclamer. Mais on ne l'a pas demandé, dit le parterre. Vertpré répond par la salutation d'usage. – Messieurs, l'ouvrage est de ....... Ici la mémoire manque à l'acteur, et de nombreux éclats de rire le renvoient dans la coulisse.

Quelques bonnes ames ont répandu le bruit que la pièce était de M. Dumolard.                  M.

Journal des arts, des sciences et de la littérature, douzième volume (1er trimestre 1813), n° 202 (quatrième année), 30 janvier 1813, p. 150 :

[Petit règlement de comptes avec le brave Geoffroy, l’illustre critique du Journal de l’Empire.]

Mardi 26 janvier.

Le Journal de l’Empire a rendu compte de Marmontel et Thomas. M. G.... a terminé son article, en disant que l’auteur avait été nommé. On a fait à M. G.... un rapport infidèle, car Vertpré avait oublié le nom de M. Dumolard, et n’a pu l’annoncer. – M. G.... ajoute qu’il n’y a point d’action dans la pièce, et que c’est une suite de conversations : ce rapport est plus exact.

Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, 18e année, 1813, tome I, p. 414

THÉATRE DU VAUDEVILLE.

Marmontel et Thomas, ou la Parodie de Cinna, vaudeville-anecdote en un acte, joué le 23 janvier 1813.

M. de Cury, ami intime de Marmontel, s'étoit amusé à composer une parodie de la grande scène de Cinna, parodie dont quelques traits avoient blessé le duc d’Aumont. Marmontel commit l'inconséquence de réciter cette parodie dans une société ; l'autorité le manda et voulut l'obliger à en nommer l'auteur. Il refusa, et la vengeance du duc se dirigea contre lui.

Le privilége du Mercure fut ôté à Marmontel ; il perdit une pension de deux mille francs, et presque l'espoir d'entrer à l'Académie, dont les portes s'ouvraient déjà pour lui.

Le duc de Praslin, protecteur de Thomas, vouloit qu'il saisît cette occasion pour solliciter le fauteuil. Thomas trouva indigne de lui de profiler du malheur de son confrère et de son ami ; il se refusa à toutes les instances qui lui furent faites, et cette généreuse obstination lui coûta la faveur du duc de Praslin et la place qu'il occupoit auprès de lui.

Voilà deux beaux traits sans doute, mais qui, réunis, n'offrent encore qu'un bien foible sujet de comédie. Il n'y a dans cet ouvrage ni ce qui provoque une chûte, ni ce qui justifie un succès. Le public, qui l'avoit entendu avec une paisible indulgence, n'a pas vu sans surprise la toile se lever, et Vertpré venir proclamer le nom de M. Dumolard.

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