Les Nouveaux artistes

Les Nouveaux artistes, comédie en un acte, en vers de Charles Maurice [Descombes], 6 nivôse an 14 (27 décembre 1805).

Théâtre de l’Impératrice.

Titre :

Nouveaux artistes (les)

Genre

comédie

Nombre d'actes :

1

Vers ou prose ,

en vers

Musique :

non

Date de création :

6 nivôse an 14 [27 décembre 1805]

Théâtre :

Théâtre de l’Impératrice

Auteur(s) des paroles :

Charles Maurice [Descombes]

Courrier des spectacles, n° 3257 du 7 nivôse an 14 [28 décembre 1805], p. 2-3 :

[L’article à propos d'une pièce nouvelle consacre l’essentiel de son propos à faire un long discours contre l’abus que l’on fait du mot « artiste » : ce mot, qui devrait être réservé aux gens qui produisent des œuvres créées avec leur main (les peintres, les sculpteurs, les graveurs) a été peu à peu élargi à toutes sortes d’activités, celle des comédiens, et même aujourd’hui les artisans. On ne le réserve plus à « ceux dont l’art exige à-la-fois les conceptions du génie et le travail de la main », dont la liste se limite aux peintres, statuaires, dessinateurs, graveurs, mécaniciens. C’est ce dont traite la pièce nouvelle : « livrer au ridicule les nouveaux artistes. Elle repose sur une intrigue montrant un amateur de bonne chère et une amatrice des beaux-arts, accueillant deux jeunes artistes, un musicien et une femme peintre, qui finissent par épouser les enfants des deux amateurs. Visiblement cette intrigue n’intéresse guère le critique, et ce « fonds assez foible par lui-même » ne survit que par des vers heureux et des détails piquants qui visent des ridicules du jour. L’auteur a été nommé, et l’article s’achève sur la liste des interprètes qui ont joué « avec beaucoup d’ensemble ».]

Théâtre de l’Impératrice.

Les Nouveaux Artistes.

Il faut convenir que le siècle dernier et ceux qui l’ont précédé étoient un peu grossiers ; on ne voyoit dans une paire de souliers qu’une simple chaussure ; dans une perruque, qu’un assemblage de cheveux réunis pour suppléer à ceux qu’on avoit perdus ; dans un habit, qu’un morceau d’étoffe taillé sur les formes du corps, ou à-peu-près ; tous ceux qui étoient occupés des travaux relatifs à ces objets s’appeloient simplement des tailleurs, des perruquiers, des cordonniers ; on les comprenoit sous la dénomination générale d'artisans. Le mot d'artistes étoit réservé aux peintres, aux sculpteurs, aux graveurs. On avoit imaginé une distinction aristocratique entre les arts libéraux et les arts mécaniques. On poussoit même l’impertinence jusqu’à croire qu’il y avoit quelque différence entre le pinceau des Greuze et des Robert, le ciseau des Costou et des Julien, et le pejgne de Maître André. On n’avoit point saisi tout ce que le génie cache de prodiges dans la forme d’un soulier, dans le gousset d’un pantalon, et l’enveloppe savante d’un pâté de cheveux. C’est la révolution qui a servi la première à nous révéler ces miracles ; elle n’a voit établi à la vérité que l’égalité des droits, mais on a profité de l’à-propos pour établir l’égalité des professions. Le bottier, son embauchoir à la main, est venu se placer à côté du peintre, le pâtissier, armé de son rouleau, a disputé le pas au statuaire, et enfin l’enfant dont l’art consiste à rendre à nos chaussures l’éclat qu’elles perdent dans de. longues courses, est venu opposer sa brosse et sa bouteille de cire luisante au pinceau des Gérard et à la palette des Guérin. Tous se sont décorés du nom d'artistes.

Ce sont, je crois, les comédiens qui, les premiers, ont donné l’exemple. Ils s’appuyoient sur la distinction établie entre les beaux-arts et les arts mécaniques. Puisque nous n’exerçons pas, disoient-ils, un art mécanique, nous sommes donc des artistes.

Les Comédiens raisonnoient mal ; Il ne suffit pas d’exercer un art libéral pour prendre le titre d’artiste ; les médecins, les chirurgiens, les professeurs, les avocats, etc., exercent assurément des professions très-libérales ; mais jamais ils n’ont imaginé qu’ils dussent s’appeler artistes. Ce titre a été réservé pour ceux dont l’art exige à-la-fois les conceptions du génie et le travail de la main. Tels sont uniquement les peintres, les statuaires, les dessinateurs, les graveurs, les mécaniciens.

Un comédien n’est donc point, à proprement parler, un artiste, puisqu'il n’exerce pas son art uniquement avec la main, mais avec le systême général du geste, qui comprend tout le corps, sans en exclure le nez, comme je l’ai déjà observé au sujet d’un célebre comédien.

Malgré ce défaut de logique, le titre d’artiste a fait une, grande fortune dans tout l’empire des coulisses et des tréteaux ; et aujourd’hui il n’est pas un pauvre bouffon à plein-vent, un triste Gilles de la Foire qui ne prenne insolemmeat le titre d'artiste-dramatique.

Je dois faire observer cependant que Voltaire, dans ses remarques sur Corneille, a-donné le titre d’artistes aux acteurs de nos grands théâtres L’abbé Dubos, beaucoup moins poli, n’appelle les poëtes, les peintres, etc., que des artisans.

Ouvrez la porte aux abus, le champ du bon-sens et de la raison sera bientôt désolé. Dès que les comédiens eurent pris le titre d'Artistes, les chanteurs voulurent aussi s’en décorer ; les danseurs se mirent sur la même ligne que, les. chanteurs ; et les musiciens, sans lesquels on ne sauroit ni chanter ni danser, ne voulurent point le céder à leurs suppôts.

Jusques là le mal n’étoit pas bien grand ; car la danse, la musique et la déclamation ont toujours fait partie de la classe des beaux-arts, mais l’ambition et l’envie se sont éveillées dans les professions subalternes. L’artisan a oublié l’axiome : Ne sutor ultra crepidam, en contemplant une chaussure élégante récemment sortie de ses mains, il s'est dit : « Eh ! quoi, le génie ne respire-t-il pas dans cet ouvrage ? » Le coutelier, en tournant sa roue pour donner un poli exquis à son rasoir, s’est adressé la même interjection. Le mot est passé de bouche en bouche, et le nom d'artisan s’est trouvé perdu pour notre langue. Il n’est pas d’échoppe aujourd’hui qui ne renferme un artiste.

Cette burlesque ambition a déjà fourni le sujet de quelques couplets, mais la matière vient d'être traitée plus en grand ; c’est dans une comédie toute entière que l’on a voulu livrer au ridicule les nouveaux artistes. Voici de quelle manière l’Auteur a traité son sujet :

Un M. Dubreuil, bon convive, bon buveur, et gourmand en un mot, et Mad. Surville, entichée des beaux-arts, attendent à la campagne une réunion d’artistes. On leur adresse Merval, jeune musicien, et Sophie, jeune personne qui se distingue dans la peinture. Le premier aime Juliette, fille de Dubreuil ; la seconde est aimée de Charles, fils de Mad. de Suryille, il en résulte deux mariages: qui conviennent également, et à l’ami des bons repas, et à l’amie des beaux-arts. Ce fonds assez foible par lui-même, est soutenu par une foule de vers heureux, par des détails très-piquans, et qui ont été d’autant mieux sentis, qu’ils étoient dirigés contre plusieurs ridicules du jour.

L’auteur a été demandé ; c’est M. Charles Maurice.

La pièce a été jouée avec beaucoup d’ensemble par MM. Picard aîné, Picard jeune, Barbier, Valcour, Valville, et par Mesd. Molière, Légé, Delisle, Adeline, et Emilie Leverd.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome II, févier 1806, p. 287-289 :

[Attention ! titre trompeur ! Il fait attendre une satire de ceux qui abusent du mot artiste. Et on ne trouve qu’une mince « fable dramatique » sur un sujet « à peine justiciable d'un couplet malin de vaudeville et non susceptible de devenir le sujet d'un acte entier de comédie ». L’analyse de l’intrigue raconte une histoire un peu confuse, que le dénouement achève d’une manière assez brutale (« mais bientôt tout se découvre » et tout s’arrange : comme c’est surprenant !). C’est d’ailleurs ce dénouement qui attire les sarcasmes du critique : pourquoi une intrigue aussi compliquée pour un dénouement si facile ? Il y voit un « défaut assez commun des jeunes auteurs dramatiques ». Pièce à l’intrigue assez mal conçue, caractères sans vraisemblance ni même physionomie (ce qui est plus grave). Par contre, « une foule de jolis vers, des tirades brillantées à la manière de Boissi, sur les ridicules du jour » : cela suffit pour obtenir un succès, mais la multiplication de ce genre de succès va contre « le goût, la raison et l’art » (décadence...).

Louis de Boissy (1694-1758) est un auteur dramatique du 18e siècle victime de sa facilité à rimer qui abusait des portraits, des définitions, des lieux communs son style est jugé affecté et cliquant : voir Oeuvres choisies de Boissy Paris, 1830, tome 1, p. x.]]

THÉATRE DE L'IMPÉRATRICE.

Les nouveaux Artistes.

Chacun, à l'inspection du titre, a dû s'attendre à voir jouer cette manie assez récente d'abuser du nom d'artiste, pour l'appliquer sans discernement à toutes sortes de métiers ou de professions. Mais si l'auteur s'était donné la peine de réfléchir un peu sur ce ridicule, qui n'en impose plus à personne, il aurait senti qu'il était à peine justiciable d'un couplet malin de vaudeville et non susceptible de devenir le sujet d'un acte entier de comédie : aussi pour amener quelques jolis vers, quelques détails spirituels, a-t-il eu beaucoup de peine à établir une fable dramatique, et ne l'a-t-il soutenue que par des caractères sans vraisemblance.

M. et Mme …..... retirés momentanément à la campagne, commencent à s'y déplaire, l'un parce qu'il est gastronome et qu'il n'a pas toutes les ressources de la bonne chère, l'autre parce que ses chapeaux et ses modes datent déjà de quinze jours quand ils arrivent. Leur sœur , qui n'a d'existence et de goût que pour les arts, partage aussi leur déplaisance et voudrait y remédier : de leur côté leur fils et leur fille regrettent Paris, l'un parce qu'il est marié secrètement à une jeune artiste estimable, nommée Sophie, qui fait le charme de ses jours, l'autre parce qu'elle est sensible à l'hommage du jeune Merval, frère de cette Sophie. En conséquence, pour satisfaire chacun leurs goûts, le père a demandé un cuisinier, la mère une modiste et la tante quelques artistes. Les deux jeunes gens, pour se procurer aussi le plaisir de revoir Merval et Sophie, leur ont écrit de se présenter comme chef de cuisine et comme ouvrière en modes ; mais ils ont été prévenus par deux véritables disciples de Comus et de Leroy. Ceux-ci sont d'abord caressés par la tante, qu'ils abusent, en se qualifiant du nom d'artistes ; bientôt après accueillis avec transport par M. et Mme. ....... en sorte que Merval et Sophie se présentent trop tard : ils proposent néanmoins de disputer les places au concours ; mais bientôt tout se découvre, s'explique et s'arrange au gré de tous les intéressés.

Aujourd'hui le défaut assez commun des jeunes auteurs dramatiques, c'est de dénouer sans difficulté des actions dont ils compliquent inutilement les ressorts, en sorte qu'on se dit toujours au dénouement : et pourquoi donc les personnages se sont-ils donnés tant de peine ? La pièce de M. Maurice est dans ce cas ; l'intrigue est assez mal conçue, les caractères sont sans vraisemblance, et qui pis est sans physionomie : mais on applaudit une foule de jolis vers, des tirades brillantées à la manière de Boissi, sur les ridicules du jour. C'est ce qu'on appellait autrefois des comédies-vaudevilles, quoiqu'on n'y chantât point. Celle-ci a obtenu du succès ; mais le goût, la raison et l'art se scandaliseraient à la fin de voir se multiplier ces sortes d'ouvrages.

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