Nina (ballet-pantomime)

Nina, ballet pantomime en deux actes, de Milon, musique arrangée par Persuis, 23 novembre 1813.

Académie Impériale de Musique.

Titre :

Nina (ou la Folle par amour)

Genre

ballet pantomime

Nombre d'actes :

2

Musique :

oui

Date de création :

23 novembre 1813

Théâtre :

Académie Impériale de Musique

Chorégraphe(s) :

Milon

Compositeur(s) :

Persuis

Journal des arts, des sciences et de la littérature, troisième volume (quatorzième de l’ancienne collection (Paris, 1813), n° 261 (quatrième année), 25 novembre 1813, p. 254-255 :

[L'opéra comique dont le ballet de Nina s'inspire, c'est la pièce homonyme, Nina ou la Folle par amour, de Marsollier des Vivetières, musique de Dalayrac, drame lyrique en un acte et en prose, mêlé d'ariettes, créé le 15 mai 1786 au Théâtre de l'Opéra-Comique.]

Académie Impériale de Musique.

Première représentation de Nina ou la Folle par amour, Ballet-Pantomime en deux actes; par M. Milon, musique · de M. Persuis.

L'auteur du ballet a réuni beaucoup plus d'événemeun dans le cours de ses deux actes, que n'avait pu le faire l'auteur de l'Opéra-Comique. L'amour de Nina pour Germeuil, leur prochaine union, l'apparition d'un rival, le désespoir de Germeuil qui se précipite dans la mer, l'égarement de Nina, et son retour à la raison, quand on lui promet d'épouser son amant ; tout cela a lieu dans un seul jour. Par conséquent sa folie dure à peu près une demi-heure, ce qui n'annonce pas une maladie bien dangereuse.

Comme à l'Opéra-Comique, Nina refuse d'abord de reconnaître Germeuil ; mais il lui raconte le temps heureux de leur premier amour, il s'empare du bouquet que l'on destinait au bien aimé, enfin il embrasse Nina..... C'est alors que s'opère la guérison ; et l'on doit croire d'après cela que rien n'est plus paissant qu'un baiser pour rendre une femme à la raison.

Quoi qu'il en soit, le ballet a été bien accueilli et méritait de l'être. Mlle. Bigotini, dans le rôle de Nina, a été vivement applaudie; Elise, gouvernante et amie de Nina, était représentée par Mlle. Chevigny. Milon a joué le rôle du père de Nina, et Albert celui de Germeuil. A la sixième scène du second acte, lorsque l'orchestre a fait, entendre l'air : Ah ! laissez-moi la pleurer ! le public a paru se rappeler un touchant souvenir, et la mémoire de Grétry a reçu encore un nouvel hommage sur le théâtre de sa gloire.

Geoffroy, Cours de littérature dramatique, seconde édition, tome cinquième, p. 297-300 :

[Ce compte rendu reproduit l’article paru dans le Journal de l’Empire du 25 novembre 1813, p. 1-3. Le Journal de l’Empire revient sur le ballet le 30 novembre]

NINA, ou LA FOLLE PAR AMOUR.

La musique s'est depuis long-temps emparée de Nina ; la danse s'en met aujourd'hui en possession. L'Opéra-Comique français et l'Opéra-Buffa italien se sont empressés autrefois d'héberger cette folle ; l'Opéra a pensé qu'elle ne serait point déplacée chez lui. Cependant les nymphes d'Opéra ne deviennent point folles d'amour : elles rendent quelquefois les hommes fous ; mais les folies qu'elles font faire sont plus ridicules qu'intéressantes.

Les théâtres de l'Opéra-Comique et de l'Opéra-Buffa se sont bornés à nous montrer Nina folle, laissant dans l'avant-scène et mettant en récit l'histoire de cette folie. Le compositeur du ballet a mis en action cette histoire ; il a rempli la scène des récits qui se trouvent dans les autres pièces dont Nina est l'objet. On voit ses amours avec Germeuil : on croit qu'ils vont s'épouser ; les amans n'en doutent pas ; mais un gouverneur, ancien ami du comte, père de Nina, vient lui demander la main de cette Nina pour son fils. Le comte est ébloui des avantages de cette alliance ; il sacrifie sa fille à son ambition. Germeuil se bat contre son rival ; il est désarmé, et on les sépare. Cet incident est contraire à l'usage formel du théâtre, où l'amant aimé est toujours le plus beau, le plus vertueux, le plus brave, le plus adroit. Dans la bonne règle, Germeuil devait donner à son rival un grand coup d'épée qui l'aurait empêché de se marier de long-temps ; ce qui eût été plus brillant que de se précipiter dans la mer, comme il fait devant tout le monde : on vole à son secours, et l'on voit bien qu'il ne se noiera pas.

La raison de Nina succombe à tant de malheurs, et sa folie occupe le second acte : c'est à peu près la même chose qu'à Feydeau et chez les Bouffes. Le compositeur du ballet a un désavantage ; c'est de ne pouvoir faire parler ni chanter Nina, et d'en être réduit à la pantomime ; mais l'orchestre joue des airs analogues, et la pantomime est si expressive qu'elle supplée à la parole. Le père est au désespoir de l'état de sa fille ; il se fait les plus cruels reproches : le gouverneur lui rend sa parole. Germeuil, sauvé des flots, reparaît ; le père veut essayer si la présence de cet amant si chéri pourra guérir Nina.

La cure s'opère comme sur les autres théâtres ; c'est un baiser qui en a tout l'honneur : un baiser, trop capable de troubler la raison, la rend à Nina.

Une fête commence et termine le ballet. L'action est entre deux fêtes, et n'en est pas moins triste : elle est sagement conduite ; elle offre du mouvement et de l'intérêt ; mais le fond du sujet est lugubre : il n'est plus soutenu par la mode. Autrefois on regardait la raison comme une ennuyeuse pédante ; on lui préférait l'instinct, même dans le siècle de Louis XIV. Madame Deshoulières, la précieuse, dit à ses moutons:

Il est vrai, nous avons la raison en partage ;
Innocens animaux, n'en soyez point jaloux :
      Ce n'est pas un grand avantage.
Cette fière raison, dont on fait tant de bruit,
Contre les passions n'est pas un sûr remède :
Un peu de vin la trouble ; un enfant la séduit ;
Et déchirer un cœur qui l'appelle à son aide,
      Est tout l'effet qu'elle prod uit.

La raison, comme on voit, était alors bien peu de chose. Ce fut bien pis vers la fin du dix-huitième siècle : elle tomba dans le dernier mépris ; la folie, au contraire, prit faveur, surtout la folie née de l'excès du sentiment.

Nina paraît défendre aux pères de contrarier l'inclination de leurs filles ; c'est la morale de la pièce : cette morale est meilleure dans les romans que dans la société. N'y a-t-il pas des inclinations si déraisonnables qu'un père ne puisse s'y prêter ? Ignore-t-on le goût naturel des jeunes demoiselles-pour les séducteurs et les libertins ? Ne sait-on pas que les mariages d'amour sont rarement heureux ? Le mariage chasse l'amour ; le dégoût et la haine lui succèdent : il faut en tout un juste milieu. Les faiseurs de comédies et de romans, qui font toujours des tyrans des pères, supposent toujours ces pères assez injustes pour vouloir faire épouser à leurs filles quelque vieux magot bien ladre et bien dégoûtant, qu'ils préfèrent à un jeune amant doué de toutes les qualités aimables et brillantes. Les pères qui, par avance ou par ambition, livrent leurs filles à des hommes vicieux, vieux et difformes, ont grand tort sans doute ; mais quand un père voit sa fille entêtée d'un petit fat, d'un petit libertin, d'un petit sot (car ce sont toujours ceux-là qui séduisent les filles), il a certes grande raison de rompre cette inclination funeste, et de choisir pour sa fille un homme honnête et sensé. La bonne morale à recueillir de l'opéra et du ballet de Nina, est que les pères ne doivent point souffrir que leurs filles fassent l’amour sous le prétexte d'un mariage en perspective, qu'elles entretiennent long-temps d'avance une liaison avec un homme, et se laissent surprendre par une passion précoce : les circonstances peuvent empêcher le mariage, et la passion reste. En général, les mariages de convenance auxquels la raison et la sagesse ont présidé, sont les meilleurs et les plus heureux : la raison doit se mêler du mariage avant qu'il se fasse; elle est encore bien plus nécessaire quand il est fait. (25 novembre 1813.) (1)

(1) M. Milon a compose depuis un ballet en trois actes, Clary, qui l'a placé au rang des premiers chorégraphes et surtout des premiers mimes de l'Europe. (Note de l'Editeur.)

Journal de l’Empire, mardi 30 novembre 1813, p. 1 :

ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MUSIQUE.

Nina, ballet-pantomime de M. Milon.

Le ballet se voit avec plaisir ; Mlle Bigottini fait très bien la folle. Mais en parlant de Nina, j’ai eu tort d’oublier sa gouvernante, Mlle Chevigny, qui fait tourner au profit de la pantomime l'accident qui l’empêche de danser ; cependant Mlle Chevigny danse toujours ; seulement, elle ne fait plus usage des pieds dans sa danse, mais toutes les autres parties du corps n’ont point cessé de danser : dans tous les ballets, son talent de pantomime est précieux et nécessaire. On dit que M. Milon va bientôt remettre son ballet d’Ulysse ; c’est là qu’on verra Mlle Chevigny dans le rôle de la nourrice Euryclée, danser sans le secours des pieds, exprimer les passions par la pantomime, faire parler son visage et toute sa personne, et frapper les spectateurs par une expression supérieure à tous les ronds de jambe, à tous les entrechats, à toutes les pirouettes et à tous les tours de force les plus applaudis.

Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, 18e année, 1813, tome VI, p. 409-411 :

ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MUSIQUE.

Nina, ballet pantomime en deux actes, représenté le 23 novembre.

On se rappelle encore le succès prodigieux qu'obtint, dans sa nouveauté, l'opéra de Nina. Ce succès étoit dû en partie au jeu inimitable de Madame Dugazon. Mademoiselle Bigottini, chargée du rôle dans la pantomime, y a déployé une sensibilité, une expression qui la font placer près de son modèle.

L'auteur a placé la scène de sa pièce sous le ciel de la Provence. Le Comte, père de Nina, habite un château sur le bord de la mer, où il se dispose à faire une réception brillante au gouverneur de la province. Tout en dirigeant les détails de la fête, Nina et Germeuil trouvent l'occasion de parler de leur amour, de s'en donner des gages ; on échange un anneau contre un baiser. Le Comte s'est aperçu de la tendresse que ces jeunes amans éprouvent l'un pour l'autre ; il fait d'abord semblant d'en être fâché. Il s'appaise, il sourit, et leur donne l'espoir de voir bientôt couronner leurs vœux. Un coup de canon annonce l'arrivée du gouverneur ; il apporte au Comte de glorieux témoignages de la satisfaction du Souverain ; mais, si le père doit se féliciter de sa visite, Nina et Germeuil vont bientôt en gémir.

Le jeune Blinval, fils du gouverneur, brûle depuis longtemps pour Nina, dont le père se laisse éblouir par l'offre d'une brillante alliance. Germeuil ne peut plus rester au château ; le Comte lui écrit une lettre pour l'inviter à s'en éloigner. Sa douleur est partagée par tous les domestiques du château et par les habitans du village. Il veut voir encore une fois Nina, et lui faire d'éternels adieux ; ses prières, ses pleurs attendrissent la gouvernante de Nina, qui lui promet de l'amener, à la faveur de l'obscurité, au rendez-vous indiqué. Blinval a tout entendu; il se trouve au rendez-vous, saisit le bras de Germeuil. Après quelques instans d'un combat très-vif, Germeuil est désarmé et présente sa poitrine au glaive de son rival.

On accourt avec les flambeaux: le Comte témoigne à Germeuil la plus vive indignation. En vain ce malheureux et sou amante embrassent ses genoux; il les repousse durement. Germeuil, désespéré, court, s'élance dans la mer et disparoît. On vole à son secours ; Nina tombe sans counoissance ; on la relève, on lui prodigue les soins les plus empressés ; l'infortunée ouvre les yeux, revient à la vie, mais non pas à la raison. Ses idées sont troublées par la douleur et le désespoir ; elle est folle. Son père, qui le premier s'offre à sa vue, est pour elle un objet d'horreur; elle le fuit avec effroi.

Le second acte est rempli par les détails de la folie de Nina. Blinval, rival généreux, a fait porter à Germeuil les secours les plus prompts ; on l'a retiré de la mer, on l'a rappelé à la vie ; le Comte le serre dans ses bras comme son fils ; mais son bonheur est empoisonné ; Nina ne le reconnoît pas : il lui parle de Germeuil, elle l'écoute ; il lui serre la main, la porte sur son cœur ; il la conduit dans ce bosquet témoin de leurs sermens ; un bouquet, un anneau, tout lui rappelle Germeuil : ses idées s'éclaircissent, ses souvenirs se rassemblent, sa raison va renaître. Un baiser rend à Nina toute sa raison, la joie succède à la douleur ; et on célèbre le bonheur de Germeuil et de Nina.

Il est impossible de donner dans une analyse une idée de tous les détails d'un ballet ; celui de Nina est. plein de grâce et d'esprit.

Il est parfaitement exécuté par les premiers sujets de la danse. On y a vu avec plaisir Mademoiselle Gossellin et sa sœur cadette qui a débuté dernièrement, avec beaucoup de succès, dans la danse sérieuse.

Le ballet est de M. Milon. La musique a été arrangée par M. Persuis.

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