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Ninus II

Ninus II, tragédie en cinq actes, par M. Brifaut ; 19 avril 1813.

Théâtre Français.

Titre :

Ninus II

Genre

tragédie

Nombre d'actes :

5

Vers ou prose ?

en vers

Musique :

non

Date de création :

19 avril 1813

Théâtre :

Théâtre Français

Auteur(s) des paroles :

M. Brifaut

Almanach des Muses 1814.

Ninus a fait assassiner son frère, roi des Assyriens, pour s'emparer du trône. La reine et son fils ont échappé à la mort. Ninus, qui a épargné le jeune prince, l'a fait élever à sa cour. La reine, qu'il croit morte, et qu'il a accusée de l'assassinat de son époux, a été recueillie par uns satrape, qui la cache à tous les yeux, dans le palais même de Ninus. La reine demande à voir un instant son fils, qui depuis dix ans lui a été enlevé. L'entrevue a lieu en présence du satrape, qui exige de la reine qu'elle ne se fasse pas reconnaître. la reine, cachée sous les simples habits d'une étrangère, voit son fils, lui parle, et son émotion est près de la trahir, lorsque le satrape l'entraîne et la force à fuir du palais. Ninus arrive. Un officier vient lui apprendre qu'on a arrêté une femme étrangère, que mille indices lui ont rendue suspecte. Ninus la fait amener devant lui : il reconnaît l'épouse de son frère. Jusqu'à ce jour le crime de Ninus a pesé sur elle ; mais elle peut parler. Déjà le peuple, instruit que le meurtrier du roi respire, demande vengeance. La reine est citée devant les mages pour déclarer le nom du coupable ; elle s'y refuse : elle va périr. Ninus lui propose alors de la sauver, si elle veut partager le trône avec lui. Cette offre est rejetée avec horreur. Sa situation devient à chaque instant plus terrible, lorsque, vaincu par ses remords, Ninus fait assembler le peuple et les mages. Il justifie la reine, déclare qu'égaré par des conseils perfides, il s'est souillé du sang de son frère, et il se poignarde.

De l'intérêt ; des invraisemblances ; de belles scènes couvrant la foiblesse ou l'inconvenance de scènes moins heureuses. Au total, du talent, beaucoup de talent. Début qui donne de hautes espérances.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Firmin Didot, 1815 :

Ninus II, tragédie en cinq actes, jouée pour la première fois sur le Théâtre Français, le 19 avril 1815. Par M. Brifaut. Seconde édition.

Cette seconde édition comporte un avis préliminaire qui explique les problèmes liés à l’écriture de cette pièce, du sujet d’abord espagnol, puis assyrien. Cet avis devait bien sûr attendre la chute de l’Empire pour être possible.

Le sujet de cette tragédie est tiré de l'histoire moderne. La scène se passait d'abord en Espagne, sous le règne de Don Sanche, roi de Léon et de Castille. Les principaux événemens ne sont point d’invention : l'auteur s'était contenté de les lier à une fable aussi intéressante qu’il avait pu l’imaginer. Bientôt nos troupes en armes franchirent les Pyrénées. La moitié de la pièce était faite : il fallut y renoncer : il fallut quitter un terrain devenu trop glissant, et abandonner, en le quittant, tous les avantages que présentaient au sujet les mœurs nationales sur lesquelles il était en grande partie fondé. L'auteur se réfugia en Assyrie avec ses héros. L’antiquité des temps, l’obscurité. des souvenirs, lui permettaient jusqu'à un certain point de créer des caractères, et de supposer des coutumes dans le silence de l’histoire. Ces époques reculées semblent être le patrimoine du poëte tragique. Il a le droit avéré de disposer du génie de la nation éloignée et mal connue, à laquelle il emprunte ou attache son action et ses personnages. Ainsi, dans cet essai dramatique, on a prêté au tribunal des Mages l’autorité suprême dont l’assemblée des Cortès fut toujours revêtue en Espagne, appuyé d'ailleurs sur le témoignage de Rollin, qui attribue cette autorité au conseil alors existant chez les Perses ; et chacun sait que les Perses étaient régis par les mêmes lois et assujétis aux mêmes usages que les Assyriens. Ainsi l'on a donné à Ninus ce sentiment de l’honneur, né de nos institutions chevaleresques, et étranger dans l’antique Orient : mais qui osera soutenir que ce caractère, tel qu'il est peint, n'ait pu exister en ces temps primitifs, sur-tout lorsque les anciens historiens se plaisent à nous représenter Cyrus avec les vertus des Bayard, des Gaston de Foix, et des Duguesclin ?

L'auteur n'en regrette pas moins que les circonstances politiques, en le forçant à changer la forme de son ouvrage, lui aient fait perdre des couleurs locales toujours précieuses.

Cet avis préliminaire est précédé d’une dédicace à au marquise de Marialva :

A son Excellence le Marquis de Marialva
Grand Ecuyer de la Cour de Portugal, son Ambassadeur Extraordinaire près celle de l’Ordre du Christ, etc.

Monsieur le Marquis,

Une honorable conformité de goûts et de peines nous a rendus chers l’un à l’autre. Jeté en France par les orages politiques, vous pleuriez sur les malheurs de votre Patrie ; j’y gémissais sur l’asservissement de la mienne. Dans vos afflictions, vous n’avez trouvé d’asyle et de consolation qu’au sein des Sciences et des Lettres, dont l’étude m’enlevait moi-même à de douloureuses pensées. Notre amitié, née dans ces temps de calamité, s’est prolongée jusqu’à des jours de bonheur. Avec la liberté, qui vous fut long-temps ravie, bous recouvrez enfin tous les avantages attachés à une illustre naissance, à un rang élevé. Quelque haute fonction qui vous soit confiée, en quelque lieu que vous demandent et vos devoirs et les intérêts de votre Souverain, vous ne l’oublierez point, je le sais. Puisse ce faible gage de mes sentiments vous rappeler sans cesse combien j’ai compté sur la durée des vôtres!

Je suis, avec le dévouement de l'amitié, dont les titres vont avant tous les autres titres,

Monsieur le Marquis,

De votre excellence,

Le très-humble et très obéissant serviteur,

Brifaut.

Journal de Paris, n° 110 du 20 avril 1813, p. 2-3 :

[Devant l'embarras que représente la concomitance de deux premières importantes, dans deux théâtres importants, le critique choisit, après une longue hésitation, de ne pas choisir, et de ne donner que des rumeurs glanées au Palais-Royal, à mi-distance des deux théâtres. Résultat : enthousiasme pour Ninus II, jugement plus réticent pour le Camp de Sobieski, mais globalement positif, malgré des longueurs, des vers trop gais, des détails oiseux et des scènes inutiles. Les auteur sont été nommés dans les deux théâtres.

THEATRE FRANÇAIS,
ET THÉATRE DE L’OPÉRA-COM.IQUE.

Premières représentations de Ninus II et du Camp de Sobieski.

Le plus méchant tour que l’on puisse jouer au public, c’est de lui donner deux mauvaises pièces ; mais si elles sont bonnes, c’est encore une perfidie envers les amateurs de les donner le même jour ; et bonnes ou mauvaises, c'est le comble de la déloyauté envers le pauvre journaliste qui est chargé d’en rendre compte à ses abonnés. Comment fera-t-il, ou plutôt comment ferai-je pour m’acquitter ce soir de mes fonctions ? Comment assisterai-je à deux représentations jouées à-peu-près en même temps ? Les journalistes, quoi qu’on en dise, ne sont pas des sorciers ; le plus habile d'entre nous a vainement essayé quelquefois de le paraître en racontant ce qu'il n’avait pas vu  ; le bout d’oreille a toujours percé par quelque endroit.

Il faut donc opter entre la tragédie et l’opéra ; mais comment choisi ? lequel préférer de Ninus on de Sobieski ! est-ce le plus noble ? tous les deux sont de fort bonne maison. L’un régnait à Babylone, et l’autre à Varsovie, à la vérité à quelques milliers de siècles de distance ; mais la noblesse des rois ne doit rien aux années. Est-ce le plus intéressant ! qui sait ce qu'ils vont faire l’un et l’autre  ? Ninus second, d’après Voltaire, tua sa mère Sémiramis ; c’est connu de tout l’univers. Les historiens s'accordent à dire qu’après avoir tendu ce petit piège à sa mère, Ninus s’ensevelit dans le fond de son palais, où lui et ses successeurs, jusqu’à Sardanapale, ne laissèrent pas la moindre trace d’existence ; ainsi l’auteur a vraisemblablement créé l’action dans laquelle il la place, ou peut-être lui a-t-il prêté celle d’un autre ? Si par hasard il en était de même de Sobieski, si son nom n’était qu’un nom de circonstance mis, par exemple, à la place de Charles XII, ou de tout autre, alors l’intérêt serait évidemment égal. Est-ce enfin le plus divertissant qu’il faut préférer ? Je ne vois pas de raison, en fait d’amusement dramatique, de préférer les ris aux larmes, ou les larmes aux ris, pourvu que l’un et l’autre soient ingénieusement excités ; or, la renommée et le nom des deux auteurs qui se présentent ont promis d’avance à cet égard tout ce que le goût peut désirer.

Ainsi, pauvre rédacteur, me voilà dans une terrible angoisse ; cependant l’heure me presse, sept heures sonnent, les rideaux vont se lever, et mes abonnés veulent être instruits de tout ; que faire ? ma foi, prenons le parti le plus sûs. Puisqu’il y a un milieu en toutes choses, prenons le milieu entre les deux théâtres  ; établissons-nous au point central où les curieux les plus vifs, où les furets les plus ardens de nouveautés viendront nécessairement se croiser pour se communiquer l’effet des deux représentations. Aussi bien l’annonce de cet effet suffira t-elle aujourd’hui à mes lecteurs. M’y voila donc ; c’est dans la rotonde du Palais-Royal. Dieu merci, la froideur de la soirée y a laissé des tables vides : mon écritoire et mon papier n’incommodent personne ; aucun de ces promeneurs ne fait attention à moi : ces gens-là ont bien autre chose à regarder. Allons, rideaux, levez-vous; et vous, furets, courtiers littéraires, couriers [sic] de dépêches de Melpomène et de Thalie, arrivez, je vous attends.

En voici un qui s’avance d’un air rayonnant ; il vient des Français. A coup-sûr le premier acte a réussi. — Et le second, s’écrie-t-il ? grand crime, grand coupable, grand intérêt.

Mais le courier qui le croise fronce le sourcil. — Je devine ; des longueurs et de l’obscurité dans les premières scènes de Sobieski, des épisodes vagues, et point encore de plan décidé.

Un autre se précipite vers moi. — Ninus triomphe donc ? — Eh ! mon Dieu, oui. Les beIles situations du troisième acte le portent aux nues.

Et Sobieski, dis-je aussitôt en me tournant de l’autre côté ? — Il marche un peu mieux. Quelques airs agréables, des couplets charmans, chantés avec goût par Moreau et Mme Boulanger, la belle prestance de Mme Belmont et un peu d’action ont séduit le parterre et les loges.

Mais quelle foule enivrée s’écoule des avenues du Théâtre-Français ? — On n’entend que ces mots, Vive Ninus ! Style, caractères, action et dénouement, tout a été couronné du plus brillant succès.

Et Sobieski ? — Qu’il vive aussi, mais qu'il se délivre de quelques vers trop gais, de détails oiseux et de plusieurs scènes inutiles.

Et les noms, messieurs ?

Un d’un côté, deux de l’autre. M. Briffaut aux Français, MM. Kreutzer et Dupaty à l’Opéra-Comique.

Bien obligé pour moi et pour mes abonnés.          M.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome V, mai 1813, p. 262-267 :

[La tragédie nouvelle a été bien accueillie, et son jeune auteur a été jugé par le public « comme très digne de ses encouragemens ». Son sujet est un sujet d’invention dont le critique rapproche le héros de Macbeth, d’Artaban, de Falkland. Le résumé de l’intrigue est l’occasion de préciser ces rapprochements, au cours d’une action qui sera ensuite jugée bien compliquée et difficile à suivre. Certains choix de l’auteur sont d’ailleurs discutés au nom de la dignité du héros, mise à mal par son amour coupable envers Elzire. Le jugement se limite à l’énumération d’une série de défauts, qui trouvent leur origine dans le sujet même (action obscure, multiplication des incidents, invraisemblances, incohérence de certains enchaînements, etc., et de qualités, qui sont elles du fait de l’auteur, loué pour son habileté à conduire une intrigue difficile et le mérite de son style. La conclusion tourne à la gloire du jeune auteur, vivement encouragé.]

THÉATRE FRANÇAIS.

Ninus II.

Un nouvel ouvrage vient d'exciter de très-vifs applaudissemens sur ce théâtre. Ninus II est le début dans la carrière du théâtre d'un jeune poëte connu par diverses productions que distinguent le naturel et la sensibilité. M. Briffaut a paru sous les auspices d'une bienveillance unanime, et il a été traité par le public en homme que ce public regarde déjà comme très digne de ses encouragemens.

Son sujet est d'invention, en ce que l'histoire se tait sur le héros qu'il a choisi, et que la fable de cette tragédie appartient à l'imagination de l'auteur ; mais cette même fable l'a entraîné malgré lui à quelques imitations assez sensibles : Ninus se trouve successivement dans des situations qui rappellent celles de Macbeth, d'Artaban, dans Artaxerce, et surtout de Falkland, de ce personnage si dramatique créé par Godwin, que le désir de cacher un premier crime conduit irrésistiblement à des crimes nouveaux.

Ninus a été entraîné par un amour malheureux, par la jalousie, par l'ambition et par les conseils d'un scélérat, à assassiner son frère et son roi. La veuve de Thamir, Elzine, objet de l'amour de Ninus, a disparue dans un embrâsement au sein duquel le meurtre a été commis : Ninus la croit morte, et Rhamnis, son complice, lui a facilement démontré qu'elle pouvait être accusée du meurtre de son époux. Ninus est monté sur le trône, et déjà les remords l'y assiégent : les hautes distractions de la politique et de la gloire ne peuvent en faire taire la voix : Ninus cherche à se tromper lui-même sur l'état de son ame, en assurant de sa protection, en formant par ses conseils et par son exemple, et en destinant au trône Zoram, fils de Thamir et d'Elzire. Les vertus qu'il pratique envers le fils lui semblent devoir appaiser le courroux des dieux pour le crime commis sur le père.

Cependant Elzire n'a point péri : un ministre fidèle l'a recueillie aux pieds des autels où elle pleure, ignorée. Pendant l'absence de Ninus pour une expédition lointaine, il lui a été permis de sortir de sa retraite et de concevoir quelques espérances ; mais Ninus les détruit en reparaissant; et c'est ici que l'action commence, après une exposition un peu longue et que rendent nécessairement obscure le nombre des personnages qu'il faut connaître, et les noms avec lesquels il faut se familiariser.

Le moyen par lequel l'auteur parvient à mettre en présence Elzire et Ninus est à-la-fois simple et ingénieux. La pitié de Zoram pour une infortunée qu'il a vue sans pouvoir imaginer qu'elle est sa mère ; ses prières à Ninus, en faveur de cette femme, les soupçons qui s'élèvent dans l'ame de Nimus, amènent cette entrevue par des incidens très-bien liés et qu'il serait impossible de retracer ici. La situation est forte, la reconnaissance très-tragique, et le développement des deux caractères offre une belle opposition; ici naît un puissant intérêt sur lequel le spectateur aime à se reposer dans l'intervalle du troisième au quatrième acte.

Il était impossible à l'auteur de soutenir cet intérêt dans les deux derniers actes, si le rôle de Ninus n'éprouvait quelque modification ; car avec le caractère qu'il a annoncé, avec les remords qui le poursuivent, déplorant la perte d'Elzire, protecteur de son fils, prêt à couronner le jeune prince pour satisfaire à sa conscience, au moment où Elzire est reconnue, la pièce est finie si Ninus est vertueux ; mais dans les règles de l'art, et plus encore d'après la oonnaissance du cœur humain, un personnage ne serait pas tragique s'il n'était que vertueux, et s'il n'était pas passionné. L'auteur l'a bien senti, et c’est ici sans doute que lui est venue l'idée de joindre aux remords de Macbeth le sentiment impérieux qui défend à Falkland d'avouer son crime. Cette nuance nouvelle a fourni à l'auteur les moyens qui lui sont nécessaires ; mais il était indispensable que, dès la première scène, Ninus, au lieu de nous intéresser par ses seuls remords, nous inquiétât par le tableau du sentiment qui les accompagne, et nous allarmât sur la possibilité d'un crime nouveau pour effacer la trace de l'ancien.

Rhamnis a découvert qu'Elzire respire, qu'elle a vu Ninus ; il craint d'être sacrifié ; il excite une sédition, et fait invoquer l'autorité des lois contre Elzire accusée d'être le meurtrier de son époux. Ninus est ainsi placé entre la nécessité d'un aveu, ou celle d'un nouveau parricide. Comment sortira-t-il de cette situation terrible ? Ne s'avilit-il pas lorsqu'il propose à Elzire de faire reconnaître son innocence, en devenant son époux ? Et Elzire qui rejette cette proposition avec indignation, en fait-elle une plus raisonnable en pressant Ninus de sacrifier son indigne complice, ce qui ne paraîtrait satisfaire ni la justice des dieux, ni celle des hommes ? Des esprits judicieux ont pensé que cette scène, d'une haute difficulté, devait éloigner jusqu'à l'idée de l'amour odieux de Ninus, et ne reposer que sur les développemens que pouvaient présenter le salut de l'état, les considérations politiques les plus puissantes, et sur-tout l'intérêt du fils d'Elzire. Telle qu'elle est tracée, elle ne soutient pas assez la dignité du rôle de Ninus. On peut l'accuser de capituler avec sa conscience, et de chercher les moyens de racheter sa vie, sans racheter son honneur à ses propres yeux. On voit trop bien qu'après le refus d'Elzire il n'a plus à choisir qu'entre la mort ou un crime nouveau : on sait qu'il choisira la mort ; mais on ne voudrait pas qu'il y fût forcé.

En effet, au cinquième acte, Elzire et ses partisans sont condamnés, elle n'a plus pour elle que les pleurs de son fils et la vertu de Ninus. La scène où son arrêt est présenté à la sanction de Ninus amène le dénouement d'une manière imposante et solennelle. Elzire y conserve son noble caractère ; elle ne peut s'avouer coupable ; elle n'accuse pas Ninus, et elle va marcher au supplice. A ce mot, Ninus l'arrête : devant les mages et le peuple assemblé, il déclare Elzire innocente : il remet la couronne à son fils et se perce le sein. Respectons son silence, dit le chef des mages ;

Et puisqu'il n'a voulu le révéler qu'aux dieux,
Qu'il emporte en mourant son secret dans les cieux !

Nous n'indiquons ici que les points essentiels, que les divisions principales de cette tragédie ; ses défauts sont dans l'obscurité de l'exposition, dans la multiplicité des rouages nécessaires à l'action, dans le nombre et la nature des incidens qui lient et interrompent successivement les scènes principales, dans les invraisemblances de quelques scènes, le défaut de motif et de liaison de quelques autres, dans des répétitions inévitables et des monologues déplacés. Ces défauts tiennent en grande partie au sujet ; ce qui appartient à l'auteur est le grand talent avec lequel il a noué son action, l'intérêt puissant qu'il commande au troisième acte, et qu'il soutient par des combinaisons nouvelles, fort attachantes, dans les deux derniers, la chaleur du dialogue, les mouvemens éloquens qui animent quelques scènes, les traits naturels et touchans qui forment opposition, et le mérite éminent d'un style élégant, facile, clair, où parmi des beautés réelles on ne remarque que des négligences qui peuvent facilement disparaître. Le succès a été complet ; il est mérité, il doit être pour son jeune auteur la source de l'émulation la plus vive.

Geoffroy, Cours de littérature dramatique, tome quatrième (1825), p. 486-493 :

[Geoffroy choisit d’être sévère envers une pièce sur un sujet qui lui semble bien mal choisi (comment vouloir montrer un personnage aussi peu moral que l’assassin de son frère ?). Les critiques faites à la pièce sont multiples, entre invraisemblances et fautes de style. Mais cette sévérité est justifiée par le succès de la pièce (sans doute Geoffroy pense-t-il faire œuvre de salubrité publique en agissant ainsi) : « au milieu de cet enthousiasme aveugle, il faut bien que quelqu'un proteste en faveur du goût ». Après correction de la copie de Briffaut, il considère que l’ouvrage « doit être regardé comme une étude préparatoire, comme un essai pour arriver à un meilleur ouvrage ».]

M. BRIFFAUT. NINUS II.

Ninus II est encore bien moins célèbre et bien moins connu que Ninus Ier, qui ne l'est guère que dans la Sémiramis de Voltaire. Ce qu'on sait du premier, c'est qu'il fut empoisonné par sa femme ; et ce fait est très-douteux. On nous dit, dans la tragédie de Ninus II, que ce prince fit tuer son frère Thamir ; et rien n'est moins certain. Ce sont des fables, et des fables beaucoup moins accréditées que celles de la mythologie, qui sont consacrées par les poëtes. Je ne sais ce qui a pu mériter à Ninus II l'honneur de devenir un héros tragique. Quoique le meurtre d'un frère soit un exploit assez brillant par lui-même, quoique les remords passent pour des vertus à la cour de Melpomène, ces remords qui n'opèrent aucune conversion, et qui ne réparent aucun crime, ne sont qu'un vain fatras de déclamations favorables à l'acteur, et peu honorables pour l'auteur : c'est une machine usée, un prestige dont personne n'est plus la dupe. L'auteur paraît avoir cherché, même aux dépens de qualités plus essentielles, les situations et l'effet théâtral. Ce qu'on remarque le plus et ce qu'on sent le mieux dans sa tragédie, c'est la manie de briller, si naturelle à un jeune auteur. L'ouvrage est dans le genre de l'intrigue romanesque, genre qui n'est excusable que par la vivacité de l'intérêt. Ninus fait ce que Coucy ne permet pas à Vendôme de faire ; il tue son frère parce qu'il est amoureux d'une princesse que son frère a épousée. Les parens de la princesse Elsire ont mieux aimé la donner au roi Thamir qu'à son frère cadet Ninus. Ninus n'a pas auprès de lui un ami tel que Coucy, capable de le sauver de ses propres fureurs ; toute sa confiance est pour un infâme scélérat nommé Ramnis, qui flatte ses passions, et lui aplanit la route du crime : c'est ce Ramnis qui s'est chargé du meurtre. Après l'avoir commis, il a mis le feu au palais, et s'est échappé à la faveur de l'incendie. Cependant un serviteur fidèle, nommé Zorbas, n'ignore pas que Ramnis est le coupable : ce qui n'empêche pas que les soupçons ne tombent sur la reine. Ces soupçons n'ont aucun fondement; on n'en allègue pas la plus légère preuve, si ce n'est que Thamir faisait assez mauvais ménage avec sa femme ; indice frivole sur lequel on n'a jamais accusé et condamné aucune femme , encore moins une reine.

II paraît que les grands juges du royaume étaient des ignorans ou des scélérats. Le fidèle Zorbas soustrait la reine Elsire à ce tribunal inique, et la tient, pendant dix ans, ensevelie dans une profonde solitude. Comment concevoir que Ninus, maître de l'empire par la mort de son frère qui ne laisse qu'un enfant en bas âge, ne songe pas à s'assurer de la veuve, principale cause de son crime ? Je sais que toutes ces aventures de l'avant-scène, ces fondemens de l'intrigue et de l'intérêt d'une tragédie, sont dispensés d'une exacte vraisemblance, et qu'on ne chicane pas trop les poëtes sur les faits qui établissent leur fable ; mais quand ils nous ont conté dans l'exposition toutes leurs inventions préliminaires, il faut qu'ils sachent les mettre en jeu, de manière à nous plaire et à nous toucher.

Au moment où la scène s'ouvre, Ninus, échappé au danger d'un naufrage, se prépare à la guerre avec Zorame, fils de la reine Elsire, et qu'il traite comme son fils. La malheureuse reine, sortie de son asile, est amenée au palais par Zorbas, sous un vêtement obscur qui déguise ses traits et son rang. Avant de s'en aller, elle demande à son guide à voir son fils : le sévère Zorbas s'y oppose. Mais un beau jeune homme arrive sur la scène ; il est frappé de la vue de cette femme étrangère. La reine reconnaît son fils et n'ose s'en faire connaître : son fils la croit criminelle ; elle n'ose se justifier. Cet entretien est intéressant ; il promet pour la suite ce qu'il ne tient pas. L'auteur a compté sur l'effet de la tendresse maternelle : ce sentiment est en effet plus que jamais capable de faire une grande sensation au théâtre ; mais il faut pour cela que l'enfant soit en danger, que son salut tienne à l'action principale de la pièce, que la mère puisse agir et agisse pour le sauver. Aucune de ces conditions ne se rencontre ici : l'enfant chéri de Ninus ne court aucun risque ; ce n'est point Astyanax que la Grèce veut faire périr ; ce n'est point Iphigénie dont les dieux demandent le sang ; ce n'est point Égisthe à qui Polyphonte veut ravir le trône et la vie. Zorame est au comble de la grandeur et de la prospérité, et son sort n'est aucunement lié à l'action de la pièce : c'est Elsire qui est en danger, c'est son malheureux procès qui est le sujet de la tragédie. On y voit d'un bout à l'autre l'innocence en proie à la calomnie, et la vertu opprimée par des juges qu'on nous donne pour respectables, lors même qu'ils poursuivent l'innocent dans leur aveugle injustice, et laissent le scélérat en paix.

Il faut cependant bien que Ninus retrouve cette femme adorée pour laquelle il a tué son frère il y a dix ans. Zorame fait part à son oncle de l'impression que lui a faite une femme inconnue et malheureuse. Ninus ordonne qu'on la fasse venir ; il reconnaît la reine Elsire, son ancienne maîtresse. Elsire fait la princesse tragique ; elle s'emporte contre Ninus, meurtrier de son époux ; elle l'appelle barbare. Ninus l'apaise en lui promettant de la réunir à son fils, de ne s'occuper que du bonheur de l'enfant et de la mère ; mais, pour jouir de l'effet de ces belles promesses, il faudrait ne pas avoir sur le corps un procès criminel. Les juges, depuis.dix ans, n'ont point oublié cette ancienne accusation d'empoisonnement intentée contre la reine : je crois même que dans le temps ils l'avaient condamnée par contumace ; l'accusé reparaît, ils s'en saisissent aussitôt : son procès est tout fait : il ne s'agit plus que de constater l'identité ; c'est l'ordre et la marche.

On se demande sans doute comment Ninus, avec toute sa puissance, ne peut pas se débarrasser de ces diables de juges si acharnés sur leur proie. Ceux qui savent que la terre se taisait devant ces antiques despotes de l'Asie, que leurs volontés étaient les seules lois, et que devant leur trône tous les fronts étaient attachés à la terre ; ceux qui ont lu Hérodote, ne pourront jamais comprendre l'audace de ce tribunal qui, sous les yeux du roi, entreprend de condamner une reine innocente. Comment l'auteur a-t-il osé placer dans l'Assyrie, aux premiers siècles du monde, une compagnie de juges supérieurs aux rois, et qui ont un faux air des francs juges d'Allemagne tels qu'ils sont peints à l'Ambigu-Comique ? En les faisant si redoutables, il aurait dû leur donner du moins un grain de sens commun et une once de justice.

La reine ouvre un avis assez raisonnable ; c'est de livrer à la justice ce scélérat de Ramnis, qui est le vrai coupable. Ninus ne veut point livrer son complice et son ministre : il fait à Elsire une autre proposition des plus folles ; c'est de l'épouser : épouser sa belle-sœur dont il a tué le mari ! Ninus n'y pense pas. Ne serait-ce point aggraver les soupçons qui outragent l'honneur de la reine, et persuader à tout le monde qu'elle a empoisonné son mari pour épouser son amant Ninus ?

Le scélérat Ramnis est celui qui va le plus au fait ; il veut qu'on livre au tribunal la reine, son fidèle Zorbas, et tous ceux qui ont pénétré le secret du meurtre de Thamir. Le poëte se tire de cet embarras à la manière accoutumée. Les ennemis, fort à propos, s'introduisent dans la ville par je ne sais quel moyen : il faut bien que Ninus marche contre eux et laisse là le procès. L'affaire est bientôt faite : il revient vainqueur ; mais pendant son absence, Ramnis a travaillé : il a fait condamner à mort, par le fameux tribunal, la reine et tous ses amis, et il est allé porter à Ninus la sentence. Ninus a fort mal reçu Ramnis : le coquin, dans son désespoir, est passé a l'ennemi ; et la tragédie par là se trouve débarrassée d'un très-mauvais sujet, qui eût été fort incommode au dénouement.

J'avais oublié une particularité fort étrange de ce terrible tribunal. Il ne suffit pas à l'accusé d'être innocent, il faut encore qu'il trouve et nomme le coupable. La reine connaît l'assassin de Thamir ; mais cet assassin est son beau-frère, et peut-être un homme qui lui fut cher : elle aime mieux mourir que de révéler un pareil secret. D'un autre côté, la délicatesse de Ninus est singulièrement compromise : puisque ce héros victorieux ne peut rien contre les arrêts du tribunal, laissera-t-il périr la reine et ses fidèles serviteurs, victimes de leur discrétion ? A la fin il prend un parti sérieux : en présence des grands et des mages, il déclare que la reine est innocente ; il se charge de venger le crime, et, sans nommer le criminel, il le fait assez connaître en se donnant la mort.

Ce roman ne me paraît pas d'une invention heureuse ; les invraisemblances y sont si fortes, qu'elles détruisent l'intérêt. La passion de Ninus pour Elsire est une pure extravagance : il est inconcevable qu'il fasse tuer le mari sans s'assurer de la veuve. L'incendie du palais est une fiction non moins déraisonnable. Comment peut-on supposer tout à la fois que la reine est coupable, et qu'elle a péri dans l'incendie ? Si elle avait commis le crime, elle eût trouvé le moyen de joindre Ninus son amant ; puisque Ramnisa bien pu livrer à Ninus le fils, il aurait pu également lui livrer la mère. Ninus s'est donc souillé d'un forfait inutile et en pure perte. Si ses remords étaient sincères et sa passion véritable, il ne devrait plus vivre. Ce prince, pendant tout le cours de la pièce, passe le temps à rougir devant son complice, devant sa maîtresse, à trembler devant des juges ineptes et mal instruits : sauf une petite victoire de hasard qu'il remporte pour la forme, c'est l'être le plus nul et le plus passif. Il finit par se tuer : il eût été plus glorieux pour lui de commencer par là ; car, depuis son arrivée sur la scène, jusqu'au moment où il se poignarde, il ne joue qu'un rôle faible, contraint et indigne de lui.

Elsire n'est pas plus active ; poursuivie criminellement pendant toute la pièce, elle ne montre aucune énergie, elle ne déploie aucun des moyens qu'elle a de confondre des juges imbéciles et insensés : c'est la plaintive Philomèle, c'est la tourterelle gémissante vouée à d'éternelles lamentations, à de continuelles tendresses pour son fils, sans aucun but et sans aucun résultat. La tragédie, qui paraît si compliquée dans l'avant-scène, est languissante et presque sans action, parce que la situation des principaux personnages est presque toujours la même. Elsire ressemble à l'Arbace de la tragédie d'Artaxerce : l'un ne peut nommer le coupable qui est son père ; l'autre ne peut dévoiler le crime de son beau-frère et de son roi. Ninus est Artaban, auteur du crime dont on accuse son fils : Ninus de même a commis le meurtre qu'on impute à sa maîtresse. Il n'y a que le scélérat Ramnis qui ait du mouvement. L'intrigue produit beaucoup moins d'intérêt que d'ennui, et tout ce qui s'y passe est si dénué de raison, qu'aucun spectateur sensé ne peut s'attacher à des chimères qu'il ne peut croire. L'auteur a montré plus de talent dans les détails que dans les caractères et dans l'invention de la pièce : les jeunes gens échouent presque toujours dans le plan, et croient se relever par quelques traits hardis dans le style ; ils ont toujours plus de chaleur et d'audace que d'art et de raison. Il y a de belles pensées dans cette tragédie, mais délayées dans de grands mots ; des vers brillans, mais chargés d'antithèses puériles ; du sublime, mais gâté par les déclamations et l'emphase. Voici un vers qui pourra faire connaître les autres. Ninus dit à son perfide agent :

Souffre donc mes vertus, je souffre bien tes crimes.

Ce n'est pas la seule fois que l'antithèse de vertus et de crimes se trouve dans la pièce ; mais ce qui est bien pire que l'antithèse, ce sont les prétendues vertus de Ninus, qui, dans un assassin de son frère, sont très-comiques : ce vers est le moule et le type d'une foule d'autres aussi sentencieux et aussi faux.

J'ai mis quelque sévérité dans la critique, par la raison même que la pièce a été accueillie avec des transports excessifs. Au milieu de cet enthousiasme aveugle, il faut bien que quelqu'un proteste en faveur du goût. Quand l'auteur cessera d'être trop indulgent pour ses inventions, quand il réprimera le luxe et l'effervescence de son style, quand il cherchera dans l'art de bien penser l'art de bien écrire, c'est alors qu'il pourra offrir à la critique un sujet d'éloge. Ninus II doit être regardé comme une étude préparatoire, comme un essai pour arriver à un meilleur ouvrage. (22 avril 1813.)

Henri Welchinger, La Censure sous le premier empire, avec documents inédits, Paris, 1882, p. 258.

[Une pièce intéressante à verser dans le dossier de la censure sous Napoléon Ier. L’anecdote est confirmée par les Mémoires d’Alexandre Dumas, chapitre CXXXVI, qui va jusqu’à attribuer l’idée du changement d’Espagne à l’Assyrie à Napoléon lui-même.]

Quelques jours après l'interdiction de l'lntrigante, le Théâtre-Français jouait une tragédie de Briffaut, Ninus II, dont le sujet avait été primitivement emprunté à l'histoire d'Espagne. Mais les événements d'Aranjuez et de Bayonne décidèrent la Censure à demander à Briffaut de transformer ses Espagnols en... Assyriens. Pour le récompenser de sa docilité, le duc de Rovigo fit nommer l'auteur rédacteur de la Gazette de France, avec promesse de cinq articles par mois. Mme de Bawr, auteur de la Suite d'un bal masqué, obtint la même faveur.

Mercure de France, volume 62, n° DCLXXII (25 février 1815), p. 361-363 :

[A l’occasion de la reprise de la tragédie de Ninus II, le critique revient sur deux réflexions que suscite chez lui le recul que permet cette reprise : une pièce se comprend mieux quand on dispose du temps de la réflexion. La pièce n’est pas sans qualités comme elle n’est pas sans défauts, et la persistance de son succès témoigne de ces qualités. Quant aux défauts, le plus grand est « la multitude des personnages accessoires », défaut accentué par la médiocrité des acteurs qui jouent ces rôles. L’autre question est celle de la diction des vers tragiques, posée à propos de mademoiselle Duchesnois : elle pratique avec excès ce qu’autrefois on maîtrisait «  une pause habile, une suspension éloquente, un silence plus expressif que la parole ». Aujourd’hui, on multiplie ces pauses, entre chaque vers, chaque mot, voire chaque syllabes. Et le critique propose de recourir à un artifice pour donner un meilleur rythme à la diction...]

THÉATRE FRANÇAIS. — Reprise de Ninus II. — La reprise d'une pièce de théâtre est une épreuve très-dangereuse pour les succès qui ne sont dus qu'à la cabale, mais très-favorable au vrai talent. Il semble que l'effet général d'un ouvrage est mieux senti quand on commence à s'éloigner de l'époque où il a été jugé pour la première fois. Le temps qui prête son autorité à toutes les choses humaines ne l'exerce nulle part avec plus d'empire qu'en littérature. On pourrait citer beaucoup de réputations que personne ne s'avise de contester, et qui ne se maintiennent toutefois que par droit de prescription.

Les apologistes les plus passionnés de Ninus ne regardent point cette tragédie comme un ouvrage sans défaut ; mais ses critiques les plus malveillans y reconnaissent des beautés extrêmement remarquables. Tout le monde s'accorde sur l'heureuse intention de plusieurs scènes, sur la perfection de certains détails, et sur la pureté soutenue, élevée et souvent nerveuse du style. Le public ne cesse de la voir avec intérêt, comme une des meilleures nouveautés en ce genre, et comme le gage des nouvelles jouissances que lui promet un jeune auteur qui a débuté d'une manière si avantageuse.

Une des choses qui nuisent le plus, selon moi, à la marche de l'action dramatique dans cette tragédie, et surtout à l'ensemble de son exécution théâtrale, c'est la multitude des personnages accessoires, et ce défaut sort du fond. Il y a trop de secrets dans la pièce, et par conséquent trop de confidens. Cela est d'autant plus sensible que ces rôles secondaires sont ordinairement fort mal joués, et qu'ils le sont plus mal au Théâtre Français que sur aucun autre théâtre du monde. Talma fait illusion dans le rôle de Ninus : c'est un vrai despote asiatique. Il n'y a aucune proportion entre lui et tout ce qui l'entoure.

Mademoiselle Duchesnois exprime admirablement dans le rôle d'Elzire tout ce qui est sentiment, et rachète par une foule de traits touchans et d'intentions sublimes la langueur habituelle et incorrigible de sa diction. Malheureusement, c'est elle qui tient le bâton de mesure de la diction notée, et tout le monde ne peut pas offrir les mêmes indemnités à l'auditoire. Autrefois, une pause habile, une suspension éloquente, un silence plus expressif que la parole, était regardé comme une heureuse inspiration de la nature, ou comme une découverte précieuse de l'art. Maintenant c'est un artifice qui se renouvelle entre tous les vers, entre tous les hémistiches, entre tous les mots, et pour certains acteurs, entre toutes les syllabes. On croirait qu'on cherche au Théâtre Français la solution d'un problème de métaphysique, la divisibilité de la pensée à l'infini. Si cette ridicule affectation se raffine encore, il n'y aura bientôt plus de raison pour qu'une tragédie arrive au dénouement, à moins qu'on n'ait recours à l'ingénieuse précaution de Gracchus, qui faisait placer un joueur de flûte derrière la tribune aux harangues pour ralentir ou précipiter suivant le besoin les mouvemens de son éloquence. La décadence des beaux-arts est ce qui ressemble le plus à leur commencement, et puisque la déclamation est si près de se confondre avec le chant, l'accompagnement ne serait pas de trop.

D’après la base La Grange, Ninus II, tragédie en 5 actes, en vers, de Charles Briffaut, a été créé le 19 avril 1813 ; il a été jouée 20 fois, jusqu’en 1815.

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