Créer un site internet

Œdipe à Colone (Guillard, Sacchini)

Œdipe à Colone, tragédie lyrique en 3 trois actes, livret de Nicolas-François Guillard, musique d’Antonio Sacchini, créé le 4 janvier 1786 à Versailles, repris le 3 ventôse an 3 [21 février 1795].

Opéra.

Le titre est le plus souvent écrit Œdipe à Colonne.

Titre :

Œdipe à Colone

Genre

tragédie lyrique

Nombre d'actes :

3

Vers / prose ?

en vers

Musique :

oui

Date de création :

janvier 1786, reprise le 3 ventôse an 3 (21 février 1795)

Théâtre :

Opéra

Auteur(s) des paroles :

Guillard

Compositeur(s) :

Sacchini

[La pièce de Guillard et Sacchini a déjà une longue carrière lorsqu’elle est reprise en 1795, avec des modifications. Elle a connu une longue série de représentations parisiennes de 1789 à 1793 (17 représentations en 1788, 16 en 1790, 15 en 1791, 23 en 1792, 20 en 1793). La reprise de 1795 n’est pas moins heureuse : 40 représentations en 1795, 33 en 1796, 7 en 1797, 13 en 1798, 17 en 1799. Sans préjuger de la suite. Pourtant, le livret revu par Guillard (son propre livret) a été jugé sacrilège, un crime contre l'œuvre de... Sophocle, que les modifications apportées par Guillard à son propre travail défigureraient complètement. On trouve ici deux lettres au Journal de Paris, reprises dans l’Esprit des journaux français et étrangers et défendant les droits de l’auteur de corriger sa propre production. Si Collin d’Harleville agit au seul nom de l'amitié, la défense de Guillard est à la fois plus précise et plus motivée : les modifications apportées sont très limitées, et les exemples qu’il en donne montrent qu’elles sont liées à la difficulté des années de la Terreur encore toute récente, où toute allusion à la royauté était mal perçue...]

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1795, volume 4 (juillet-août 1795), p. 258-263 :

LETTRE du cit. COLLIN HARVILLE, sur la reprise d’Œdipe à Colonne, aux auteurs du Journal de Paris.

Je lis dans le Courier universel, des réflexions dictées en général par l'amour de l'art & la saine philosophie. J'applaudis au zele, à la colere même de l'anonyme, indigné de voir que par excès de délicatesse, ou plutót de pusillanimité bien peu républicaine, on n'ose montrer sur la scene, un roi mort il y a 2 mille ans. D'autres l'ont déjà dit, & tous les bons esprits sont d'accord sur ce point. Mais j'aurois souhaité que l'anonyme eût mieux choisi son texte, & n'eût pas fait toutes ces réflexions à propos d'Œdìpe à Colonne, repris le 2 ventôse au théatre des arts.

J'ai assisté à cette reprise, qui n'a pas été aussi froidement accueillie que l'anonyme l'annonce ; & je ne me suis point apperçu que l'ouvrage eut été déshonoré. On assure qu'il y a huit vers nouveaux seulement : & ce ne sont point des barbares qui ont porté une main sacrilege sur ce beau monument, c'est l’auteur lui-même, le cit. Guillard, . . . car il est tems de le nommer ; & il y a un peu d'affectation je crois, de la part de l'anonyme, à ne voir dans Œdìpe que le chef-d'œuvre de Sophocle & de Sacchiny : il y auroit eu quelque justice à admettre au moins Guillard en tiers : apparemment, toutes les beautés de l'ouvrage appartiendront à Sophocle & à Sacchiny, & l’auteur vivant n'aura pour lui que le tort des changemens : c'est la regle ; pourquoi n'est-il pas mort ? . .. Pascitur in vivis liver, post facta quiescit.

Quoi qu'il en soit, moi qui me pique d'admirer Sophocle & d'apprécier Sacchiny tout aussi-bien que l'anonyme, je veux au moins justifier mon ami, des reproches qu'on lui fait aussi gratuitement, ou plutôt je l’ai déjà justifié, en déclarant que tous ces changemens se réduisoient à huit vers : l'un d'eux étoit beau sans doute, & tel qu'il a dù coûter à l'auteur pour le supprimer.

Les peres & les rois, arbitres souverains,
    Sont votre image sur la terre.

Mais ce vers faisoit sentence, & pouvoit être mal interprété. Guillard a cru devoir en faire le sacrifice. Croit-on qu'un auteur aime à déshonorer son ouvrage, se laisse mutiler de gaieté de cœur ? Ah! si telle eût été la résignation de l'auteur d’Œdìpe, il se seroit fait jouer il y a un an, en consentant à de ridicules changemens : il a résisté, il a respecté l'ouvrage de Sophocle & s'est respecté lui- même.

Que l'anonyme se rassure; qu'il aille voir la reprise d'Œdìpe, (car je serois porté à croire qu’il ne la pas vue) il verra que l' Œdìpe d'aujourd'hui est encore celui d'il y a ,trois ans ; il reste toujours le grand, le touchant spectacle d'Œdìpe, chassé de Thèbes par ses enfans, errant sur la terre, conduit par la fidelle Antigone, accueilli par Thésée, & pardonnant enfìn à son fils Polinice, ce qui amene ce beau vers du grand prêtre.

Œdìpe a pardonné, le ciel pardonne aussi.

Je partage l'enthousiasme de l'anonyme ; révérons les chef-d’œuvres de l'art, mais avant tout soyons justes, & ne mettons point de grands mots à la place de la vérité ; honorons les auteurs antiques, mais ayons quelques égards pour les auteurs vìvans ; pardonnons-leur de vivre, de travailler encore, & ne leur faisons pas souhaiter de mourir.

LETTRE du citoyen GUILLARD, sur le même sujet.

Encore un mot sur ce pauvre Œdipe. Ce fera le dernier. Je remercie mon ami Collin de son obligeante lettre en réponse aux observations du Courier universel. Mais voici qu'on m'en dépêche une autre (le Courier républicain) qui va bien un autre train que le premier : je copie ses propres expressions. Cette piece, une des plus intéressantes, peut être sous tous les rapports, de toutes celles qui se jouent à ce théatre, a étè tellement mutilée, tellement hachée, qu’on n'y trouve presque plus rien de son antique beauté. O Vandales ! &c. La meilleure réponse sans doute est de mettre sous les yeux du public impartial les changemens tels qu'ils sont. Voici comme l'ouvrage commençoit :

Envain un frere ingrat vous ravit la couronne,
Prince, mon peuple & moi reconnoissons vos droits ;
La nature & la loi vous appellent au trône :
Le droit de Polinice est la cause des rois.

Au-lieu de cela, je fais dire à Thésée:

Envain un frere ingrat ravit votre héritage ;
Garant de vos traités, je soutiendrai vos droits.
L'affront qui vous est fait, Athenes le partage ;
Je venge, en vous servant, la nature & les loix.

Au 3e. acte, dans l'air : Daignez rendre, seigneur, &c. A ces deux vers.

Cette couronne, hélas ! dont je suis trop jaloux,
Laissez-moi raffermir sur votre tète auguste.

Je substitue,

Ces biens & ces honneurs, dont je fus trop jaloux,
Daignez les rassembler sur votre tète auguste.

Enfin à ceux-ci:

Les peres & les rois, arbitres souverains,
    Sont votre image sur la terre.

Ces deux autres;

Les peres, revêtus de vos droits les plus saints,
    Sont votre image sur la terre.

Tout le reste consiste en mots épars dans l'ouvrage, la plupart laissés à la disposition de l'acteur, & remplacés par d'autres mots entièrement synonymes, comme : Ah ! le trône où j’aspire, ah ! le rang où j'aspire. Chassé du trône par un frere ! Chassé de Thèbes, &c.

Qui n'avouera qu'il y avoit peut-être quelque prudence à adopter ces légers changemens, ne fût-ce que pour ôter tout prétexte à la malveillance ? Ajoutez que dans la musique, qui est assurément le plus bel ornement de cet ouvrage, íl n'y a pas une note de retranchée, ni d'ajoutée. Voilà pourtant où se réduisent ces attentats sacrileges dont on fait tant de-bruit. Boa Dieu ! on laisse mutiler sur la scene françoise, au grand scandale des véritables amateurs, les deux chef-d'œuvres du théatre, le Misanthrope & Phedre, & l'on ne peut pardonner d'avoir, dans mon propre ouvrage, substitué six vers médiocres à six autres vers médiocres. Croit-on que je n'aime pas autant qu'un autre Sophocle & Sacchiny, & que l'accueil dont le public a honoré Œdìpe ne m'ait pas rendu cher cet ouvrage ? Faut-il que je dise que depuis un an j'ai résisté à des demandes qui pouvoient passer pour des ordres, & auxquelles il falloit peut-être alors quelque courage pour se refuser, & cela pour ne pas dénaturer un des plus beaux sujets de l’antiquité ? Pourquoi donc, en défendant après tout la cause du bon goût, en prendre pour ainsi dire une occasion de dénigrement contre moi ? Pourquoi cette affectation de vanter Œdìpe & d'en déprimer l’auteur ; ou de n'y voir que Sacchiny, á qui il ne manque en effet que d’être vivant pour être associé á mes torts ? Cela me rappelle qu'avant la mort il sollicita vainement pendant 15 mois la mise au théatre de ce même Œdipe. L'administration d’alors le rejettoit avec mépris : l'ouvrage étoit froid, dénué d'action, d'une mortelle insipidité; il ne devoit pas même être entendu jusqu'au bout. Mon ami, me disoit souvent Sacchiny, ils le donneront quand je serai mort. Sa prédiction s'est accomplie. Ovide avoit bien raison. Ce n'est qu'après leur mort que les artistes sont mis à leur véritable place. Tunc suas ex merito, quemque tuetur honos.

La citation d'Ovide vient des Pontiques, livre 3, avec substitution de « suas » à « suus ». Traduction proposée : une fois mort, « chacun reçoit alors les éloges qu'il mérite selon ses vertus »

Ajouter un commentaire

Anti-spam