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Œnone

Œnone, opéra en trois actes, paroles de M. le Bailly, musique de M. Calpreners [Kalkbrenner père et fils], 26 mai 1812.

Académie Impériale de Musique.

Titre :

Œnone

Genre

opéra

Nombre d'actes :

3

Vers ou prose ?

en vers

Musique :

oui

Date de création :

26 mai 1812

Théâtre :

Académie Impériale de Musique

Auteur(s) des paroles :

Le Bailly

Compositeur(s)

Kalkbrenner (et son fils)

Almanach des Muses 1812.

Œnone, que Pâris a abandonnée pour Hélène, s'est retirée sur le mont Ida, où elle déplore l'infidélité de son amant. Pâris, blessé au siége de Troie, par une flèche empoisonnée, se souvient alors d'Œnone, qui a reçu d'Apollon la science de la médecine ; mais Œnone, furieuse et jalouse, lui refuses ses secours. Elle ne tarde pas à se repentir de sa cruauté ; il n'est plus temps : Pâris expire. Elle veut se percer le sein, lorsque Vénus ressuscite Pâris et le lui donne pour époux.

Opéra fait sur une cantate que Calpreners avait mise en musique, et qui a obtenu du succès, quoiqu'il laissât à désirer.

Journal des arts, des sciences, et de littérature, Volume 9, n° 154 (Troisième année.) (30 Mai 1812), p. 283-284 :

[Le compte rendu s’ouvre sur le résumé d’une intrigue empruntée à la mythologie, et dont l’auteur a changé le dénouement, trop tragique pour l’opéra : « Cette résurrection, est un mensonge à la mythologie ; mais, mensonge pour mensonge, celui-ci convient mieux à l'Opéra ». L’opéra a réussi d’après le critique, même si on peut le trouver un peu trop resserré (mais le critique observe qu’on ne pourra pas y trouver de longueurs !), la musique est un peu trop allemande : « les effets d'orchestre, et particulièrement l'ouverture, nous ont paru d'une composition trop savante : la science tue le génie en musique ». Des airs ont été distingués par des applaudissements. Succès pour madame Branchu.]

ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MUSIQUE.

Première représentation d'Œnone, opéra en deux actes. (26 mai.)

Le sujet de cet opéra, au dénoûment près, est puisé tout entier dans la mythologie.

La nymphe Œnone aima Pâris lorsqu'il n'était encore que berger sur le mont Ida, et elle en eut un fils nommé Corythus ; mais comme-il n'est point, hélas ! d'éternelles amours, Pâris, reconnu prince troyen, devint ingrat et inconstant envers Œnone ; il lui fit, pour la belle Hélène, une infidélité des mieux conditionnées qu'il y ait dans les fastes de Cythère, et qui a produit, comme on sait, un grand scandale dans le temps, puisqu'elle fut la cause de la ruine de Troie. On devrait, en conscience, y regarder à deux fois quand on fait de ces choses-là. Ce Pâris, soit dit en passant, et sans nuire à sa gloire, était un terrible homme ; dans son incontinence amoureuse, il foulait aux pieds toutes les convenances, et n'avait pas la moindre idée du galant code de nos boudoirs : aussi sa conduite a fait son . malheur :

                                                              Adsit
Regula, peccatis quœ pœnas irroget aequas.

Mortellement blessé par une flèche d'Hercule dans le sac de Troie, il fut réduit à venir mendier les secours d'Œnone, qui avait reçu d'Apollon l'art de guérir ; mais cette nymphe délaissée, aigrie par le ressentiment de l'infidélité que cet amant parjure lui avait faite, fut d'abord insensible à sa prière ; elle le renvoya se faire panser par son Hélène :

Pâris n'est plus berger, Pâris n'a plus d'Œnone.
           Va, retourne à Lacédémone ;
Hélène y couronna ta lâche trahison :
Cours auprès d'elle, ingrat, chercher ta guérison.

C'est ainsi que l'auteur du nouvel opéra fait parler cette nymphe jalouse dans une scène très-dramatique qui termine le premier acte, et qui a été généralement applaudie.

Mais le cœur d'une amante pardonne aisément : Œnone, toujours éprise de l'infidèle, se repentit bientôt de sa cruauté envers lui ; elle le fait rappeler pour lui administrer les secrets de son art. Malheureusement il n'était plus temps ; Pâris était mort de sa blessure. Alors cette nymphe infortunée, s'abandonnant à son désespoir, s'étrangla, dit la fable, avec sa ceinture.

M. Le Bailly a changé ce dénoûment trop tragique ; il fait bien mourir Pâris ; mais au moment où Œnone veut se donner la mort, Vénus, qui est sans contredit le plus habile des docteurs quand la cure est de sa compétence, descend dans un nuage, et rend le fils de Priam à la vie. Cette résurrection, est un mensonge à la mythologie ; mais, mensonge pour mensonge, celui-ci convient mieux à l'Opéra ; et d'ailleurs Vénus ayant reçu de Pâris le prix de la beauté, il est juste qu'elle acquitte une dette aussi chère.

Cet ouvrage a réussi et a fait généralement plaisir. L'action en est simple, et peut-être un peu trop resserrée ; tant mieux, au moins on ne dira pas qu'il y a des longueurs. C'est d'ailleurs un opéra sans prétention, et qui remplira parfaitement le but qu'on paraît s'être proposé ; c'est d'accompagner les grands ballets : ce théâtre manque de ces sortes d’ouvrages. La musique, qui est de feu Kalkbrenner, se sent un peu de l'école allemande ; les effets d'orchestre, et particulièrement l'ouverture, nous ont paru d'une composition trop savante : la science tue le génie en musique. La partie du chant est ce qu'il y à de mieux : on a distingué par de nombreux applaudissemens les airs : Dieu du jour, si je te fus chère ; Œnone, par pitié sois sensible à ma peine ; O toi qui dispenses le jour, et particulièrement le quatuor qui termine le premier acte. Madame Branchu, qui a joué le rôle d'Œnone avec beaucoup de talent, a obtenu tous les suffrages.                                          J. L. M.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, année 1812, tome III, p. 185 :

[Après un bref rappel du sujet (et de la modification du dénouement exigé par l’Opéra : on ne peut finir tristement que dans les tragédies), un jugement sévère : pièce froide et vide d’action, musique sans grand effet. Les auteurs sont nommés (assez mal pour le musicien).]

Œnone, opéra en trois actes , représenté le , 26 mai 1812.

Œnone qui avoit reçu d'Apollon le don de la médecine et de la prophétie, fut aimée de Pâris qui devint bientôt infidèle. Blessé à Troie par une des flèches empoisonnées de Philoctète, il se souvint d'Œnone, et se fit transporter sur le mont Ida ; mais, outrée de son infidélité, elle refusa de le guérir. Cependant, l'amour se ranimant dans son cœur avec la pitié, elle consentit à employer ses secrets ; il étoit trop tard, Pâris expira dans ses bras, et elle mourut de douleur près de lui. A l'Opéra, où il faut des dénouemens moins tristes, Vénus vient là tout à propos pour ressusciter Pâris.

La pièce a paru froide et vide d'action. La musique n'a pas non plus produit un grand effet. L'auteur des paroles est M. Le Bailly à qui on doit de jolies fables. Celui de la musique est feu M. Calprener.

Calprener, c'est Chrétien Kalkbrenner (et son fils Frédéric, qui a terminé la musique). L'Opinion du parterre, dixième année, 1813, p. 539, porte un jugement sévère sur l’œuvre : « Poëme sans intérêt sur un sujet aride qui ne pouvait suffire qu'à une épître ou à une cantate ; musique insignifiante.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome VII, juillet 1812, p. 282-286 :

[Peu attendu, le nouvel opéra n’a guère eu de succès. L’article en analyse d’abord le sujet, une fable puisque l’auteur a publié un recueil de fables, qui valent mieux que celle qu’il développe dans l’opéra. L’intrigue ne convainc pas : elle ne peut intéresser, la situation de Pâris quémandant le pardon de son épouse trompée n’est pas « une situation bien héroïque ». Et le retournement final ne répond pas vraiment aux interrogations qu’on peut formuler. Le sujet était celui d’une cantate, non d’un opéra. D’abord, « la coupe en deux actes est défavorable à l’opéra » (la bonne mesure, c’est trois actes). Un tel opéra, un peu court, est mal découpé. L’administration de l’opéra est d’ailleurs accusé de ne pas avoir cru dans l'œuvre proposée, et de ne pas y avoir mis beaucoup de moyens. Avant de parler de la musique, le critique présente assez longuement le compositeur, élève d’un des fils de Bach, ayant d’abord fait carrière e, Prusse avant de e=venir à Paris après être passé en Italie. Il a donné à l’Opéra une Olympie jugé trop proche de la tragédie et n’ayant pas eu de succès. C’est dans des oratorios qu’il a obtenu des succès. Son opéra ne fait que développer sa cantate consacrée à Œnone. On y a trouvé « des morceaux bien coupés et bien composés », un récitatif sage, mais « le style en général a plus de justesse d'expression et de prosodie, que d'élégance et de charme » : l’harmonie est qualifiée de bruyante (sans doute au détriment de la mélodie). Le compositeur est présenté comme plus heureux qu’inspiré. L’ouverture a été applaudie, comme un air d’Œnone chanté par Madame Branchu. Ce rôle est d’ailleurs le seul à avoir quelque mérite, les autres sont « faibles ».]

ACADÉMIE IMPÉRIALE SE MUSIQUE.

Œnone.

L'opéra d’Œnone n'avait pas été annoncé avec beaucoup d'éclat : il n'était l'objet ni des conversations, ni de l'attente publique ; il a été. très-modestement offert aux spectateurs peu nombreux réunis pour l'entendre ; et il a obtenu tout le succès que l'on en pouvait raisonnablement espérer.

Voici une idée de la fable arrangée par M. le Bailli ; ce mot fable a ici une acception sur le sens de laquelle nous ne prétendons pas jouer ; mais c'est l'occasion de dire qu'en fait de fables, M. le Bailli, auteur d'un recueil très-estimé en ce genre, en a fait de meilleures qu'Œnone : son opéra sera promptement oublié, son recueil restera, et la compensation est bien à sou avantage.

Son Œnone est abandonnée de Pâris qui,

Volage adorateur de mille objets divers,

l'a quittée pour cette Hélène si belle, que les vieillards troyens pardonnaient à son ravisseur le crime qui a perdu Troie. La Grèce et ses mille vaisseaux assiègent cette ville. Au pied du Mont-Ida, Œnone cherche vainement à se distraire de sa douleur ; mais un fils de Paris lui reste, et elle n'éprouve qu'une partie de l'infortune de Didon. Œnone a reçu d-Apollon le don de guérir : cet art divin, Troie en implore le secours en faveur de Paris, qui vient d'être frappé par une de ces flèches d'Hercule qui portent un trait empoisonné : Polydamas vient aux pieds d'Œnone lui demander la vie de son ami : Pâris lui-même parait, blessé, et suppliant. Il faut convenir que la situation de ce coupable époux est bien peu intéressante, et qu'un ingrat reparaissant aux yeux de celle qu'il a trahie pour en implorer un bienfait nouveau n'est pas dans une situation bien héroïque. La jalouse et fière Œnone ne dissimule pas qu'elle ait quelque plaisir à voir Pâris humilié ; mais elle est femme, et se gardera bien de prolonger des jours que Pâris irait consacrer à Hélène ; elle rejette la prière des Troyens, et ici se termine le second acte : on voit qu'il est difficile d'attendre quelqu'émotion d'une situation pareille. Nous ne voyons guère que le parodiste qui pût en tirer parti.

A peine Pâris a rejoint ses vaisseaux qu'Œnone se reproche une rigueur qui, cette fois, est décidément mortelle ; elle pardonne et redemande son époux ; mais il n'est plus temps ; Pâris n'est plus ; déjà il a touché le sombre bord, mais il n'a pas encore passé la rive fatale qu'on ne repasse jamais ; si son injure cruelle est restée gravée dans le cœur de Junon, Vénus sait aussi ce qu’elle doit au berger phrygien ; elle descend de l’Olympe ; elle rend la vie à celui dont elle reçut la pomme, et remet Œnone aux bras de son époux ; un hymne à la déesse termine l'ouvrage, et naturellement le spectateur se demande si Pâris restera fidèle à ses nouveaux sermens ; et que deviennent alors Hélène et les Grecs qui la redemandent ? ou, s'il retourne à la belle grecque ; et alors que deviendra Œnone abusée de nouveau ? On voit encore qu'il n'y avait dans ce dénouement aucun moyen possible de concilier la tradition et l'intérêt ; le sujet était d'une extrême ingratitude ; il était le motif d'une bonne cantate ; il n'a pu produire qu'un faible opéra.

La coupe de deux actes est défavorable à l'opéra, sur-tout lorsque ces deux actes sont aussi courts que ceux d'Œnone ; ils n'occupent pas le spectacle entier, ne le divisent pas bien ; cet inconvénient s'est fait sentir à la représentation. L'administration n'avait sans doute espéré pour cet ouvrage qu’un succès proportionné à son cadre ; elle ne l'a établi qu'avec une élégance peu dispendieuse, et on ne devait pas en désirer davantage. Un petit ballet au premier acte est le seul tribut payé au goût du public pour cet art ; il n'a pas paru convenable d'y faire paraître aucun premier sujet, et M. Milon n'a donné que quelques coups de crayon au dessin de cette fugitive chorégraphie.

L'auteur de la musique d'Œnone est feu Kalkbrenner, dont on a défiguré à plaisir le nom tudesque, en annonçant la prochaine représentation de son opéra ; cet artiste estimable était né à Cassel ; il était destiné par sa famille à entrer dans l'état ecclésiastique ; mais sa passion pour la musique, l'amitié de Bach, son exemple et ses leçons lui firent changer d'état, et embrasser contre le vœu de sa famille, la carrière qu'il a suivie, et dans laquelle il a été atteint par une mort prématurée. Il était élève non du célèbre saxon Bach, dont Marpurg disait avec cette emphase d'expression trop commune en parlant de la musique et des musiciens, qu'il réunissait à lui seul les talens et les perfections de plusieurs grands-hommes, mais de l'un des fils de ce maître, et il fut un de ses meilleurs élèves. Attaché au prince Henri de Prusse, il composa pour lui la Veuve du Malabar, Démocrite, les Femmes et le Secret : après d'assez longs voyages en Allemagne et en Italie, il vint se fixer à Paris. Il y publia en français la première partie d'une histoire de la musique : il n'a pas eu le temps de l'achever : il s'est spécialement attaché à la musique des Hébreux ; ainsi l'histoire de la musique depuis sa renaissance reste encore à faire.

La réputation de Kalkbrenner s'établit ainsi à Paris sous plusieurs rapports ; pianiste habile, bon théoricien, compositeur exercé, il obtint à l'académie impériale de musique une place importante, celle de l'un des maîtres de chant : c'est alors qu'il donna à ce théâtre Olympie, tragédie lyrique : cette composition offrait des beautés qui ont été justement remarquées ; mais on observa dans le temps que si Voltaire avait donné au Théâtre-Français une tragédie qui ressemblait à un opéra, à l'Opéra on offrait un ouvrage qui était trop précisément une tragédie ; Olympie n'eut pas de succès. Kalkbrenner en obtint davantage lorsque, pour des oratorio mis en action, il contribua à indiquer et à arranger des morceaux distingués des trois écoles, qu'il connaissait bien : ici le succès ne lui était pas personnel, mais il n'y était pas étranger, et il est juste de le rappeller.

Sa cantate d'Œnone avait été entendue dans différens concerts ; elle y avait réuni tous les suffrages ; on y avait trouvé de la vigueur et de l'expression ; l'idée de développer cette cantate et d'y puiser le sujet d'un opéra s’est présentée assez naturellement ; d'un drame chanté, et une cantate bien faite doit recevoir ce titre, on a cru pouvoir faire un opéra ; l'auteur s'imagina qu'il n'avait qu'à développer l'idée première ; conserver ses meilleurs morceaux, et les entourer de manière à les faire ressortir, était une opération qui devait aussi plaire au compositeur ; c est à cette combinaison que nous devons l'opéra d'Œnone.

On s'est généralement accordé à reconnaître dans cet ouvrage des morceaux bien coupés et bien composés. Le récitatif est sage ; mais le style en général a plus de justesse d'expression et de prosodie, que d'élégance et de charme : l'harmonie en est un peu bruyante ; et l'on ne citerait pas un de ces morceaux inspirés qui sont moins le fruit de l'étude et de la combinaison, que celui d'un heureux moment de verve, et sur-tout d'une heureuse organisation.

Quelques morceaux restés imparfaits, ont été achevés par M. Kalkbrenner fils, pianiste et professeur distingué.

On a toutefois applaudi l'ouverture, qui ne manque pas de caractère ; le final du premier acte, et en général les airs d’Œnone, auxquels Mme. Branchu a prêté tout l'appui de son beau talent. Les rôles de Pâris et de Polydamas ont été remplis par Nourrit et Derivis ; ces rôles sont faibles ; les acteurs n'ont pu leur donner une couleur dont ils manquent tout-à-fait : la seule Œnone pouvait occuper ; mais un seul rôle ne fait pas un opéra. Si la représentation de Didon est accusée de froideur malgré Piccini et Mme. Branchu, que pouvait-on attendre d'Œnone après Didon,et de Pâris après Énée ?

[Le Didon de Piccini date de 1783.]

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