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Ophis

Ophis, tragédie en cinq actes, de Népomucène-Louis Lemercier, créée le 2 nivôse an 7 [21 décembre 1798].

Théâtre de la République.

Almanach des Muses 1800

Cecrops, roi d'Egypte, a deux fils, Tholus et Ophis. Tandis que ce dernier délivre son pays de l'invasion des Arabes, Tholus, pour régner à la place de son père, le fait assassiner. Il est épris des charmes de Naïs, femme d'Ophis, et pour la posséder, il conspire la mort de son frère. Cependant Ophis a juré de venger le meurtre de Cecrops, il doit arriver à Memphis, le peuple l'attend. Tholus veut empêcher son retour, et le poison est préparé pour la victime. Le complot est découvert à l'hiéorphante, qui conseille de dissimuler, et de substituer au poison un breuvage somnifère. Le bruit de la mort d'Ophis se répand, Naïs est désespérée. Tholus vient lui proposer, et sa main, et le trône d'Egypte. Cette démarche de Tholus le rend suspect à Naïs, qui ne lui déguise pas ses soupçons. Ils sont confirmés par l'hiérophante, qui confie à Naïs et à son époux, que Tholus est le meurtrier de Cecrops, et qu'il avait eu le projet de consommer un fratricide. Ophis est incertain du parti qu'il doit prendre. Fuira-t-il ? osera-t-il se montrer ? Comme il passe pour mort, on l'engage à se cacher dans les souterrains de la pyramide où reposent les tombeaux des rois d'Egypte. Il en sort pendant la nuit, et il entend Tholus qui, bourrelé par ses remords, vient s'accuser de son double crime. Ophis est prêt à le frapper, il hésite, et court se refugier parmi les tombeaux qu'il a quittés. Mais le peuple de Memphis se soulève contre Tholus ; ce dernier se poignarde ; et Ophis, au lieu de monter sur le trône d'Egypte, abdique le pouvoir, et fuit avec Naïs dans un désert.

Des défauts dans le plan, des caractères peu prononcés, si l'on excepte celui du confident de Tholus.

Des scène pathétiques, de très-beaux vers, un talent très-distingué.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Fayolle, libraire, rue Honoré, n°. 1442, près de l'église Saint-Roch, an 7 :

Ophis, tragédie en cinq actes, Par Louis Lemercier ; Représentée pour la première fois à Paris, sur le théâtre de la République, le 2 Nivôse an 7.

Sur la page suivante :

Le sujet de cette Tragédie n'est emprunté ni de la fable, ni de l'histoire : il est imaginé.

Si l'on me demande quels modèles je me suis efforcé encore d'imiter; les Grecs : quelle terreur j'ai voulu inspirer; celle du meurtre.

Avant la liste des personnages :

CARACTÈRE DES PERSONNAGES,

Ophis, confiant, brave et généreux ; il sait combattre, mais non prévoir les complots et les punir. Sa main ne peut verser le sang que dans les batailles : il a l'ame des héros.

Amostris, grand prêtre et homme d'état ; l'autorité de son ministère est l'arme puissante dont se sert sa politique. Il aime les dieux et la vertu, mais avec cette force agissante contre le crime qui ne se borne pas à le haïr, et qui prépare son châtiment.

Naïs, sensible et vertueuse ; elle respire l'amour et la foi conjugale.

Néthos, guerrier courtisan et rusé. Son adresse attire la confiance de tous les partis, que son intérêt lui fait trahir pour la cause du prince légitime. Il n'a point une inflexible équité, mais l'art de faire profiter ses services, et de se mêler aux intrigues, sans perdre les apparences de l'homme de bien.

Tholus, caractère sombre, superstitieux, violent et mobile ; en proie aux passions effrénées, dévoué aux forfaits et aux remords. L'envie, l'amour et l'ambition l'ont armé contre un frère qu'il abhorre. C'est le cœur agité d'Oreste et la haine de Polinice.

Usbal, esclave malheureux de sa condition. Son ame est élevée, fière et scélérate. Il conduit les passions emportées de son maitre. Il est au-dessus de la peur et des remords ; les préjugés des hommes et l'horreur du meurtre ne l'arrêtent point : son but est le pouvoir, et ses moyens sont les crimes.

Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, IVe année (an VII-1799), tome cinquième, p. 249-251 :

[Sur un sujet d’imagination, situé dans l'Égypte antique, une tragédie de Lemercier qui a obtenu « un très-grand succès ». Le critique la compare avec Agamemnon, une création antérieure du même auteur, pour dire qu’elle est mieux écrite, mais que le plan en est moins simple et moins bien conçu. Après quelques remarques de style ou de cohérence de l’intrigue, le critique loue l’interprétation, en particulier le rôle de Talma. De beaux costumes, sauf celui d’une femme, « qui n’a rien d'Ægyptien ». Les nombreuses « véritables beautés de la pièce », avec « des scènes vraiment tragiques », lui permettent d’obtenir « tous les jours un succès très mérité ».]

Ophis, tragédie.

La tragédie d’Ophis, dont la première représentation a été donnée le 2 nivôse au théâtre français de la. République, y a obtenu un très-grand succès.

Le sujet de cette pièce est entièrement d'invention : la scène se passe à Memphis. Ophis et Tolus, fils de Créops, roi d'Ægypte, ont senti dès leur enfance une haine mutuelle, à laquelle l'ambition et l’amour ont prêté de nouvelles forces. Naïs est l'objet de leur amour ; et son union avec Ophis attire sur lui la vengeance de son frère. Pendant l'absence d’Ophis, qui est allé combattre les ennemis de l’état, Usdal, confident de Tolus, fait périr, par son ordre, son père Créops, et destine le même sort à Ophis lorsqu'il sera de retour : on se décide à l'empoisonner. C’est heureusement Neytos qui doit présenter à Ophis le poison; ce qui le met à même d’y substituer un breuvage, dont l'effet est de le-plonger dans une profonde léthargie. On l'apporte en cet état sous les yeux de son coupable frère, qui ne peut se défendre de quelques remords en voyant sa victime. Naïs vient pleurer sur le corps de son époux ; mais au milieu de ses sanglots, elle le voit respirer. Ophîs lui est rendu. Le grand prêtre arrive, leur découvre le stratagème dont il a usé pour tromper la rage de Tolus, et forcer 1e prince à se cacher dans le tombeau de ses aïeux. Tolus, qui croit son frère mort, fait à Naïs une déclaration de son amour, et la presse d'accepter sa main. Naïs croit voir dans l'empressement du tyran, une preuve de son crime ; elle l'accuse, et la crainte qu’il témoigne accroît ses soupçons.

Ophis sort de sa retraite pendant la nuit, et bientôt il entend arriver son frère. Les remords de Tolus ne lui laissent aucun repos : il vient pleurer la mort de son père et de son crère qu'il croit empoisonné. Ophis, qui entend l’aveu de ses crimes, s’avance plusieurs fois pour l'en punir ; mais l’idée de verser le sang d’un frère l'arrête ; il laisse tomber son épée et s'enfuit. Le criminel Tolus, qui l’a aperçu, le croit sorti des enfers pour le tourmenter ; cependant, trouvant à ses pieds l'arme de son frère, il ne doute plus de son existence, dont il fait convenir Naïs en feignant d'avoir tué son époux. Il ne peut être que dans les. tombeaux : il y envoye Usdal et plusieurs gardes, et marche lui-même contre ses sujets que Neytos à [sic] soulevés ; mais Ophis, vainqueur, reparoît, et veut pardonner à Tolus qui se tue.

Cette tragédie est du citoyen Lemercier, auteur d'Agamemnon. Le style de cet ouvrage est sans doute au dessus de celui d'Agamemnon ; mais le plan de cette dernière tragédie est plus simple et mieux conçu que celui d'Ophis.

On a justement reproché; à l'auteur un vers qui a été applaudi, parce que le public applaudit souvent ce qu’il ne comprend pas.

Sa pensée accomplit les rêves de sa gloire.

Il a été corrigé ainsi depuis, et n’en est pas beaucoup meilleur.

Son génie accomplit les rêves de sa gloire.

On a trouvé singulier que Tolus, qui se repent si sincèrement d’avoir ordonné la mort de son frère, veuille encore le faire périr aussitôt qu’il a appris qu’il respire.

La pièce a été très-bien jouée. Le citoyen Talma est supérieur dans la scène où il avoue à Naïs sa passion, et ou [sic] elle le reconnoit pour l’auteur du crime. Les costumes sont en général beaux et exacts, à l’exception de celui de Naïs, qui n’a rien d'Ægyptien.

La pièce est pleine de véritables beautés ; elle offre des scenes vraiment tragiques ; elle est bien écrite, et obtient tous les jours un succès très-mérité.

La Décade philosophique, littéraire et politique, an VII, IIe trimestre, n° 10 (10 Nivôse), p. 43-49 :

Théâtre Français de la République.

Ophis, tragédie.

Tandis que Créops régnait en Egypte, son héritier présomptif Ophis, l'aîné de ses enfans, délivrait son pays de l'invasion des Arabes, et se couvrait de gloire en servant à-la-fois son père et sa patrie. Tholus, frère d'Ophis, entraîné par l'ambition coupable de régner, par un amour criminel pour Naïs, épouse destinée à son frère, et par les conseils du plus atroce des courtisans, a osé commander un parricide et faire assassiner Créops. Il conspire en même-tems -la mort à'Ophïs : c'est-là que l'action commence.

Déjà depuis vingt jours le meurtre de Créops est obscurément accompli : ce monarque repose dans de vastes demeures souterraines consacrées en Egypte à la vanité royale, qui se les réserve pour dernier asyle : Tholus, déjà en proie à ses remords vengeurs, mais toujours poussé dans la route du crime par son complice Usbal, a résolu de se défaire de son frère avant le retour de celui-ci à Memphis, l'attendent, dans le jour même, le trône, l'amour d'une épouse et les acclamations du peuple. Il a juré de venger son père s'il découvre son meurtrier.

Heureusement un des conjurés vient avertir du complot l'hyérophante [sic] : surpris, ainsi qu'on peut le croire, de l'horreur d'un tel attentat, cet hyérophante eu [sic] d'abord faire échouer la trame en la publiant ; mais il craint, on ne sait trop pourquoi, de hâter la mort d'Ophis en voulant y mettre obstacle : il préfère d'engager Neytos à feindre encore quelques instans, à ne pas refuser le ministère qu'il s'est engagé à remplir, et à substituer seulement au poison un breuvage somnifère composé de végétaux dont il lui indique l'usage, et qui par ses effets doit donner au sommeil tous les traits de la mort. Il se contente pour le moment de jeter dans l'ame de Tholus le trouble et l'effroi du remords par des allusions prophétiques.

Au second acte se prépare la fausse catastrophe : c'est au moment même où l'on vient d'annoncer à Naïs le retour triomphant d'Ophis ; c'est au milieu des transports de joie et d'amour auxquels se livre cette tendre amante, qu'un second message lui apprend la mort subite et imprévue du jeune roi. Il est naturel que ses regrets soient d'autant plus vifs, que sa joie et ses espérances ont été plus exaltées ; mais l'auteur, qui les a exprimés en très-beaux vers, n'a pas senti que le public, trop bien instruit de leur peu de-fondement et de la fausse mort à'Ophis, ne pouvait plus s'identifier avec la situation de son épouse.

Le perfide Tliolus vient insidieusement offrir à la princesse et son hommage et le trône auquel il se trouve appelé par la mort de son frère : l'indignation repousse d'abord une offre si inconvenante et si peu délicate, et bientôt en le voyant insister, Naïs recueillant toutes les circonstances du crime, sent naître, s'accroitre et se confirmer le soupçon que Tholus est l'assassin d'Ophis. Toute la fin de cette scène, la déclaration de Tholus, les soupçons et la superbe apostrophe de Naïs, sont du plus grand effet ; c'est une des parties de la pièce qui rappellent l'auteur d'Agamemnon, et qui assurent à son nouvel ouvrage une place encore très-éminente : cette scène, écrite avec chaleur et dialoguée avec autant de force que de rapidité, termine le second acte de la manière la plus heureuse.

Au troisième, le corps d'Ophis endormi sur son lit funéraire, est placé sous le vestibule de la pyramide qui doit enfermer ses restes : son frère Tholus l'a sans doute accompagné par décence ; mais comme cet aspect semble réveiller ses remords, Usbal qui craint que son trouble ne le trahisse, l'arrache à ce triste et dangereux spectacle. Il est remplacé par Naïs qui se livre à toute sa douleur sur le corps inanimé de son amant. C'est-là que cesse tout-à-coup l'effet du breuvage et qu'Ophis se réveille. Après les premiers transports d'une reconnaissance fort tendre, l'hyérophante leur apprend que Tholus est l'assassin : Ophis veut fuir ou se montrer, mais on l'en empêche et on l'engage à rentrer jusqu'à la nuit dans les souterrains de la pyramide, pour laisser le tems de préparer son retour à la vie, de prévenir le peuple et d'empêcher que Tholus averti ne commette un nouveau crime plus difficile à prévenir.

Ce troisième acte est un peu vide ; il prête à une infinité de questions. Comment l'hyérophante, qui sait fort bien qu'Qphis doit se réveiller, l'expose-t-il au danger de sa résurrection devant ses assassins ? Comment ensuite est-il possible qu'en Egypte on laissé ainsi le corps d'un roi. tel qu'Ophis, à l'entrée d'un tombeau, dans un lieu presque découvert, sans gardes, sans escorte, sans aucune marque de dignité, sans que le peuple qui l'aime et qui est instruit de sa mort singulière témoigne le moindre empressement de le voir. Notandi sunt tibi mores ? On ne peut guères citer dans tout cet acte que le moment où Naïs, après avoir vu les yeux de son amant se rouvrir à la lumière, craint de les voir se refermer pour toujours : ce mouvement vraiment pathétique est rendu avec beaucoup d'intérêt et de vérité par la citoyenne Petit.

Au quatriême acte on s'attend à voir résulter quelque grand effet du séjour d'Ophis dans le tombeau : quelle surprise on éprouve de l'entendre débiter froidement des pensées poëtiques et morales sur la mort, sur le néant des grandeurs et de la vie, et décrire en style plus épique que tragique, les sensations qu'il -a éprouvées et les réflexions qu'il a faites en voyant dans les catacombes un long sénat immobile de rois endormis, qui ont rendu, dit-il, la mort vivante à ses yeux : la surprise augmente bien davantage quand Nais, accourant près de lui, il ne répond à ses tendres empressemens que par une abnégation très philosophique sans doute, mais très peu intéressante de tous sentimens, et par un dégoût très-prématuré et encor plus mal placé, du trône et de la vie : quando quebonus dormitat... ; mais bientôt le talent de l'auteur se réveille ainsi que son héros, par une scène admirable dont il n'existe point de modèle, d'une création neuve et profonde, et dont la seule invention suffirait pour placer l'auteur au rang des hommes d'un vrai génie.

Tholus, sans cesse poursuivi par sa conscience et par l'image de son double crime, vient dans la ténébreuse horreur de la nuit, exhaler ses remords au pied du tombeau de Créops et du lit mortuaire de son frère. Ophis surprend ainsi tous ses secrets ; il l'entend s'accuser du meurtre de son père ; son indignation s'exhalte, il veut venger Créops et purger la terre d'un monstre. La voix d'Ophis accroît le trouble de Tholus ; il se croit poursuivi par les ombres vengeresses de ses victimes ; il les implore à genoux ; sa situation, le supplice qu'il éprouve, et qui est, dit-il, la punition de tout assassin fratricide ; ses cris de désespoir et de remords font tomber le glaive des mains d'Opliis, qui s'enfuit dans le tombeau en criant :

Jamais, jamais Ophis n'égorgera son frère.

Cette scène, je le répète, est impossible à décrire ; il faut la voir au théâtre ; il faut voir les deux frères dans la position scénique, pour en comprendre le puissant effet ; il faut encore voir Talma, dont toute la figure et l'attitude du corps est le tableau le plus pathétique, le plus effrayant et le plus sublime du remords. C'est cette scène qui a dû faire et qui a fait excuser les nombreux défauts de l'ouvrage.

Le dénouement, au cinquième acte, n'a que peu d'intérêt ; c'est l'insurrection du peuple de Memphis, qui redemande à Tholus ce qu'il a fait de son frère : le scélérat Usbal, qui entre dans ce tombeau pour y poignarder Ophis, en reçoit la mort qu'il voulait lui donner. Ophis reparaît triomphant ; Tholus à qui les insurgés laissent ses armes d'une manière assez peu vraisemblable, s'en sert pour s'en punir lui-même ; et son frère, toujours philosophe depuis sa mort simulée, croit devoir abdiquer le pouvoir souverain, pour fuir avec Naïs dans un désert. Cette abdication a.paru tout-à-fait singulière. On dit que c'est le seul trait de la pièce fondé sur la vérité historique. Il valait mieux ne pas s'en servir.

L'analyse me paraît suffire pour indiquer sur le champ deux vices majeurs de cette tragédie : c'est la nullité absolue du plan et celle des caractères : on composerait: encore sur le moyen peu tragique du breuvage supposé, consacré dans Romeo et Juliette; mais il est impossible de se dissimuler que tous les personnages principaux sont presque toujours passifs, et que la plupart des situations étant prévues diminuent d'intérêt. On voudrait sur-tout pouvoir prendre plus de part aux dangers du héros de la pièce ; mais comment s'intéresser fortement à un personnage qui reste deux actes et demi sur un lit de mort ; qui n'en sort que pour se cacher dans un tombeau, et qui ne reparaît à la fin du cinquième acte, que pour abdiquer et fuir dans un désert ?

Mais si le tableau du C. Lemercier péche par l'ordonnance, il faut convenir aussi qu'il doit être justement admiré pour le coloris, et que les deux ou trois belles scènes que j'ai citées méritent les plus grands éloges. Ce sont des beautés du premier ordre qui doivent inspirer une sorte de respect pour les défauts même. Eh ! qui voudrait aujourd'hui ne pas admirer un. tableau de Rubens, parce que le sujet en est mal choisi ou le dessin incorrect.

Le style de cet ouvrage doit mettre aussi l'auteur au rang des vrais poètes de ce siècle ; il a de la couleur, du nombre, de la poésie, peut-être trop de poésie. Je trouve que le poète s'est un peu trop appesanti sur les sombres descriptions d'ossemens, de tombeaux, de poussière : au théâtre, c'est abuser du coloris d'Young et d'Ossian ; c'est un peu la manie moderne. Il faudrait se répéter qu'un vers de situation ou de sentiment laisse un bien plus long souvenir que les plus belles descriptions épiques au théâtre.

Je dois aussi, pour l'honneur du goût et de la raison, demander au C. Lemercier comment il a pu laisser échapper un vers aussi amphigourique que celui -ci :

Sa pensée accomplit les rêves de sa gloire.(1)

Qu'est-ce qu'une pensée qui accomplit un rêve ? Qu'est-ce que les rêves d'une gloire ? L'auteur a-t-il voulu prouver ce qu'on savait déjà, qu'on est sûr d'être applaudi quand on fait ronfler une harmonieuse ridiculité ? Le public, suivant l'usage, a donné dans le piège, et il a applaudi à trois reprises. On eût bien embarrassé chaque personne applaudissante en la priant d'expliquer ce que l'auteur avait voulu dire.

La seule excuse de cet applaudissement général est sans doute dans l'intention d'une application favorable à Bonaparte, dont le bras et le courage accomplissent les vastes pensées de son génie ; c'est j'imagine ce que l'auteur a voulu dire.

Il faut encore convenir que des vers à la Quinault, tel, que ceux ci :

                       Jamais dans tes demeures sombres,
Jamais tu n'auras vu de plus fidelles ombres.

sont extraordinaires dans la bouche d'une amante qui demande à suivre son amant au tombeau.

Quoiqu'il en soit, c'est un ouvrage qui décèle d'autant plus de talent, qu'il est purement d'invention, et que tout en appartient à l'auteur ; il est permis de s'égarer, quand on se fraye seul une route inconnue.

(1) L'auteur a mis depuis :

Son génie accomplit les rêves de sa gloire.

D'après la base César, la tragédie de Lemercier a été jouée 8 fois du 21 décembre 1798 au 9 janvier 1799 au Théâtre français de la rue de Richelieu.

D’après la base La Grange de la Comédie Française, Ophis est entré à la Comédie Française le 13 janvier 1800 et elle y a été jouée 3 fois.

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