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Thémistocle (Larnac 1798)

Thémistocle, tragédie en 5, puis 3 actes, de Larnac, 11 Ventôse an 6 [1er mars 1798].

Théâtre Français de l’Odéon.

C'est bien le 11 ventôse que la pièce a été créée, après avoir été annoncé tout au long du mois précédent. Et elle comporte bien cinq actes à cette date, tout comme le 13 et le 15 ventôse [3 et 5 mars], date de la deuxième et de la troisième représentation. La quatrième représentation se fait attendre ensuite, et est annoncée régulièrement, sans indication de son nombre d'actes. Le 30 ventôse [20 mars] enfin, elle est annoncée pour le surlendemain, et le 1er germinal pour le lendemain. Fin du suspense le 2 germinal [22 mars]. Et la pièce est toujours en 5 actes.

Dans les jours qui suivent, une polémique oppose Larnac et un abonné de Lille autour de la source d'inspiration à laquelle Larnac a puisé, la pièce de Métastase. L'un veut que la pièce de Larnac doive tout à celle de Métastase, l'autre s'y refuse. Le 31 mars, nouvelle annonce de la quatrième représentation de la pièce de Larnac (en fait la cinquième), annonce qui se répète les jour suivants. Le 16 germinal [5 avril], l'annonce signale que ce sera bien la cinquième représentation. Le 17 germinal [6 avril], annonce que la « tragédie nouvelle » est « remise en 3 actes » et son auteur est nommé, le « cit. Larnac ». Le 22 germinal [11 avril], « demain, la sixième repr. de Thémistocle, tragédie nouvelle remise en 3 actes, du cit. Larnac ». Et le 23 germinal [12 avril], « sixième repr. de Thémistocle, tragédie nouvelle remise en 3 actes, du cit. Larnac » (en fait, la cinquième...). Le 24 germinal [13 avril], un article signale la nouvelle version, jugée de façon encore bien sévère (reste « le manque d'intérêt », intérêt dont l'absence est fatale à une tragédie.

Titre :

Thémistocle

Genre

tragédie

Nombre d'actes :

5 puis 3

Vers / prose

vers

Musique :

non

Date de création :

11 ventôse an 6 [1er mars 1798]

Théâtre :

Théâtre français de l’Odéon

Auteur(s) des paroles :

Larnac

Almanach des Muses 1799.

Thémistocle est banni d’Athènes par l’ingratitude de ses concitoyens. Errant de ville en ville, et poursuivi par-tout, il se réfugie enfin à la cour de Xercès. Sa tête y est mise à prix. Le héros le sait, et va de lui-même s’offrir à Xercès qui, touché de tant de grandeur d’ame, veut se l’attacher par ses bienfaits. Il le comble en effet de richesses et d’honneurs. Il lui confie le commandement de ses armées, et n’exige de sa reconnaissance que de porter la guerre au sein de la Grèce. Thémistocle ne veut point marcher contre son pays. Xercès, trompé dans ses projets, dans ses espérances, fait charger Thémistocle de fers, et ordonne son supplice. Il ne tarde point à se repentir de cet ordre barbare. Il redemande Thémistocle ; on lui annonce que Thémistocle veut lui-même le voir. Le roi se flatte de trouver le héros grec plus docile à ses vœux ; mais Thémistocle a trouvé le moyen d’abréger ses jours, il ne paraît que pour expirer aux yeux de Xercès, en protestant de son amour pour sa patrie.

Sujet imité de Métastase. Pièce qui avait obtenu beaucoup de succès aux lectures de société, et qui a moins réussi à la représentation. On y trouve pourtant de belles scènes, un style pur ; mais Thémistocle n’excite que l’admiration ; et ce sentiment, comme l’a dit Voltaire, passe vite et laisse l’ame tranquille.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez J. B. Cerioux, an VI de la République française ;

Thémistocle, tragédie en trois actes, Par le Cn. François Larnac. Représentée, pour la première fois, en cinq actes, à Paris, sur le Théâtre français de l’Odéon, le 11 ventôse an 6.

Le texte de la pièce est précédé d’un avertissement (p. 3-5) :

AVERTISSEMENT.

Cette Tragédie, dans laquelle je me suis attaché principalement à peindre l'amour de la patrie dégagé de tout esprit de faction, a été jouée pour la premiere fois, en cinq actes, sur le théâtre français de l'Odéon, et n'a obtenu, pour ainsi dire, qu'un succès d'estime très-décidé. Plusieurs circonstances défavorables qu'il seroit trop long de détailler et que tous les bons esprits doivent sentir, ont lutté contre l'effet théâtral que je semblois pouvoir attendre de ma piece, d'après les suffrages des hommes les plus éclairés de la république des lettres. Ce n'est pas que je me sois dissimulé un seul instant les défauts et les longueurs que présentoit le premier texte de Thémistocle, et l'empressement avec lequel je l'ai réduit à trois actes, est une preuve de ce que j'avance. Je dirai bien plus : lorsque je songeai à traiter ce sujet-là, je ne le conçus qu'en trois actes, et si dans la suite je le traitai en cinq, je cédai moins à ma propre conviction qu'à celle de mes amis ; mais je crus que l'on me pardonneroit les défauts de mon ouvrage en faveur de l'imitation des beautés admirables de Métastase et en considération des efforts qu'il falloit faire pour tirer cinq actes d'un sujet qui semble n'offrir que deux scenes. Et certes ! le premier texte de cette Tragédie n'eût-il offert que le fonds des choses que j'avois imitées de l'auteur italien, il ne méritoit pas l'excessive rigueur avec laquelle deux ou trois journalistes se sont déchaînés contre lui, sur-tout lorsqu'on songe que c'étoit un début.

Quoi qu'il en soit, on a paru goûter la réduction de cet ouvrage, et c'est dans sa nouvelle forme que je le présente au public. J'ose en appeler à son jugement sur le caractere du principal personnage que plusieurs critiques ont accusé d'une extrême froideur. Je n'entrerai dans aucune discussion à cet égard. Il me suffit de dire que Thémistocle est presque toujours sous le glaive. Au reste, quoique Métastase soit entre les mains de tout le monde et qu'on ne puisse raisonnablement supposer que je veuille cacher ce que j'ai emprunté de lui, principalement dans ce nouveau texte, je déclare que la moitié de ma piece est une imitation presque continue de son Thémistocle. Qu'on ne m'accuse donc pas de larcin. Imiter un auteur étranger, et l'avouer franchement, ce n'est pas piller ; c'est enrichir, ou du moins tâcher d'enrichir la littérature française. En approuvant la réduction que j'ai faite, plusieurs personnes distinguées par la sévérité de leur goût, m'ont paru regreter le récit des circonstances qui précéderent la bataille de Salamine, et m'ont conseillé de le reproduire comme un fragment J'a [sic] cru devoir me rendre à leur vœu, et le lecteur le trouvera à la fin de cette piece,

Voici ce « fragment », p. 57-59 :

FRAGMENT

De l’exposition du premier texte de Thémistocle.

Aspasie.

Tu connois des Persans l'humiliante histoire,
Et l'immense appareil d'armes et de soldats
Dont Xercès, votre roi, dépouilla ses états,
Lorsque pour assouvir sa fureur vengeresse,
Tout entier au dessein de subjuguer la Grèce,
Par sa flotte innombrable étonnant l'univers,

Du poids de ses vaisseaux il fatigua les mers !

Palmis.

Oui. Mais dévoilez-moi la secrette origine
Des triomphes d'Athène et de notre ruine.
Qelle main prépara ces grands événemens,
De la valeur des Grecs éternels monumens ?

Aspasie.

Au bruit que sur nos bords sema la renommée,
Au spectacle effrayant de l'Europe alarmée,
Les fiers Athéniens, trahis, abandonnés,
Par la terreur commune, à leur tour entraînés,
N'opposant au-dehors aucune résistance,
Mirent dans nos remparts leur unique espérance,
Thémistocle, lui seul, jaloux de leur grandeur :
Bannissez, leur dit-il, une indigne frayeur,
Amis : Que la vertu regne encor dans vos ames.
Eloignons de ces bords nos enfans et nos femmes,
Trézène recevra les gages précieux
Que notre amour obtint de la faveur des dieux.
Nous, guerriers, invoquons l'arbitre des batailles,
Confions à Pallas le sort de ses murailles,
Et sans nous arrêter à des soins impuissans,
Allons tous sur les mers au-devant des Persans.
Mais appelons l'adresse au secours du courage :
Disposons nos vaisseaux dans cet étroit passage,
Où l'on voit Salamine au milieu des rochers,
Présenter un abri favorable aux nochers.
Là, calmant de nos cœurs la noble impatience,
Attendons que Xercès, ivre de sa puissance,
Par un avis trompeur, dans le piege, poussé,
De ses nombreux vaisseaux lui-même embarrassé,
N'écoutant contre nous, que son aveugle rage
D'un combat plus égal nous offre l'avantage ;
Et pour mieux assurer l'honneur de nos succès,
Rappelons tous les chefs bannis par nos décrets.
Sur-tout, à ma priere accordez Aristide.
Je ne prendrai jamais la vengeance pour guide.
Vous savez quelle haine éclata parmi nous.
Mais au salut des Grecs j'immole mon courroux.
A ces mots, qui des chefs enflammoient [sic] le courage,
Le peuple et les soldats embrassant le rivage,
Et réclamant l'aspect de nos dieux protecteurs :
Qu'importe, disoient-il , l'espoir d'être vainqueurs.
S'il faut abandonner la cendre de nos peres,
Nos femmes, nos enfans et nos dieux tutélaires ?
Thémistocle alarmé de ces premiers transports,
Qui de nos ennemis secondoient les efforts ;
Au secours de la Grèce appellant les miracles,
Interrogea le ciel , fit parler les oracles ;
Et subjuguant l'esprit des crédules soldats,
ltablit dans le port l'appareil des combat,
Bientôt, cédant au vœu de ce chef intrépide,
Vierges, femmes, enfans, assemblage timide ;
Nous montons sur les mers, et nos heureux vaisseaux,
Entraînés par la voile et la rame et les eaux,
Dérobant à nos yeux les rivages d'Athène,
Nous découvroient déja les remparts de Trézène.
Un nuage soudain répandu sur les flots,
Dans une épaisse nuit plonge les matelots.
La mer s'enfle, l'air siffle et la foudre qui gronde,
D'un déluge de feux couvre le sein de l'onde.
Tout-à-coup , mon vaisseau de la flotte écarté,
Vers d'énormes écueils par l'orage emporté,
Se brise. ... Tout périt, et dans l'immense abyme,
Le trépas m'attendoit pour derniere victime ;
Lorsqu'un vaisseau Persan égaré snr ces mers,
A la triste lueur des rapides éclairs ;
Seul, bravant les efforts de la vague écumante,
A la fureur des flots me déroba mourante,
Et conduite en ces lieux de revers en revers,
Par l'ordre de la reine on me donna des fers.

Courrier des spectacles, n° 374 du 12 ventôse an 6 [2 mars 1798], p. 2-3 :

[Comme il s’agit d’une tragédie, le critique commence par rappeler toutes les pièces françaises sur le même sujet, Thémistocle, avant de dire que la pièce nouvelle ne leur doit rien : c’est de Métastase qu’elle s’inspire. La pièce nouvelle n’a pas eu un succès complet : beaucoup lue dans les salons avant sa première représentation, elle a subi les effets négatifs habituels de cette connaissance par la lecture. Vient ensuite l’analyse du sujet, qui est centré sur la mort de Thémistocle en exil à la cour de Xerxès : banni d’Athènes, exilé en Perse, il y vit inaperçu, tant il est changé depuis ses exploits guerriers. Quand les Grecs viennent demander qu’on leur livre Thémistocle, celui-ci se rend chez le roi qui songe d’abord à le faire mourir, avant de lui proposer de le mettre à la tête de ses armées : Thémistocle refuse noblement de trahir sa patrie, et entre la honte et la mort, il choisit la mort. Il vient à la cour de Xerxès mourir sous ses yeux du poison qu’il a absorbé. Xerxès ému de ce dévouement, décide de faire la paix avec les Grecs, que Thémistocle a ainsi servis jusqu'à la mort. La tragédie n’est pas sans défauts : l’intrigue amoureuse que l’auteur y inséré est froide, et le personnage du fils de Thémistocle est « insignifiant et même peu tragique ». La tragédie ne présente pas un grand intérêt, n’est pas très bien construite, mais elle a un but moral excellent, puisqu'elle donne « une forte leçon pour tous ceux qui sont éloignés de leur patrie » (en 1798, la leçon est encore d'actualité). L’auteur est un débutant, qu’il faut donc encourager. Sa pièce a des qualités notables : « des scènes bien filées, des discussions fortes de logique, et deux belles situations », dont celle de la mort de Thémistocle, que le critique trouve toutefois un peu longue. Le style est lui aussi digne d’éloges, « soigné, riche en vers d’expression et toujours tragique », même s’il se laisse aller à « des imitations de quelques beautés des nos maîtres ». Les acteurs sont simplement cités, et la fin de l’article attire l’attention sur le costume persan d’un des acteurs : le critique y reviendra.]

Théâtre de l’Odéon.

On a déjà mis plusieurs fois au théâtre Thémistocle, célèbre général Athénien. Daryer a fait jouer un Thémistocle en 1647. On joua en 1720, au théâtre des Jésuites de Lyon, Thémistocle, tragédie du père Follard, frère de ce Follard si connu par ses excellons comentaires [sic] sur Polybe, et par plusieurs ouvrages sur l’art militaire. Le cit. Moline a fait une tragédie de Thémistocle, et l’on a joué, en 1788, au théâtre des Arts, un Thémistocle, tragédie lyrique en trois actes, poëme du cit. Morel, musique de Phiïidor. L’auteur de la tragédie de Thémistocle, donnée hier à ce théâtre, n’a rien emprunté aux auteurs Français que je viens de citer, mais il a pris une grande partie de son plan dans l’opéra de Thémistocle, de Métastase.

La tragédie nouvelle en cinq actes, en vers, n’a pas obtenu hier tout le succès que l’auteur, les acteurs et les cercles dans lesquels on avoit lu d’avance l’ouvrage, en pouvoient attendre. Il est à remarquer qu’une pièce trop lue dans les sociétés est souvent trop vantée, et que cette publicité de sallons nuit souvent à son succès dans le grand cadre. Quelqu’estimahle que soit un ouvrage, si l’on est trop bien prévenu en sa faveur, on devient plus difficile, plus exigeant ; et le silence, le blâme même, avant la représentation, sont vraiment préférables à l’exagération des éloges, au zèle outré de l’admiration des amis. Cette digression m’a éloigné de Thémistocle : j’y reviens.

Thémistocle, vainqueur de Platée, de Salamine, restaurateur des beaux arts et de la marine du port du Pyrée, éprouve l’ingratitude de ses concitoyens : il est victime de la loi de l’ostracisme, et banni d’Athènes qui lui doit sa splendeur et sa gloire. Thémistocle erre, avec son fils Néocle, dans les états de Xerxès qu’il a vaincu plusieurs fois, et dont il est abhorré. Xerxès a mis sa tète à prix , mas Thémistocle est tellement changé par l’âge et les malheurs, que méconnu même des soldais qui ont servi sous lui, il ne craint point de se montrer aux Persans, de paroître aux yeux de Xerxès lui même. Cependant Narsès, ami de Thémistocle, est envoyé par Athènes pour proposer la paix à Xerxès, et pour lui demander Thémistocle ; Xerxès déteste trop les Grecs pour prendre l’olivier qu’on lui présente et quant à Thémistocle, si Xerxès le découvre, c’est pour l’immoler, et non pour le rendre aux Grecs. Thémistocle, caché parmi le peuple, ose alors se présenter au roi comme un vieillard qui réclame un asyle et le prix qu’on réserve à celui qui découvrira le vainqueur de Platée. On lui promet ce prix ; Thémistocle se fait reconnoître : la. mort est le premier cri de Xerxès, mais bientôt le roi de Perse écoute la voix de l’honneur, et devient le premier ami de Thémistocle : il va lui donner des provinces et le commandement de ses armées, s’il veut tourner ses armes contre les Grecs, et délivrer la Perse de ses plus cruels ennemis, Thémistocle au désespoir, refuse de porter les armes contre sa patrie, ingrate envers lui, mais qu’il chérira jusqu’au tombeau. Xerxès, indigné de son refus, le fait plonger dans la prison d’état.

Thémistocle à cette extrémité, ne voyant plus que la honte ou la mort, préfère la mort à la honte, et demande à s’expliquer au pied des autels. Xerxès le croit favorable à ses vœux ; Xerxès assemble le peuple, Thémistocle se présente, répète son serment de mourir fidèle à sa patrie, et déclare qu’un poison dévorant circule dans ses veines. Le sublime dévouement éclaire, émeut Xerxès, et le détermine à consentir à la paix que lui offrent les Grecs : la mort de Thémistocle devient aussi un nouveau bienfait pour sa patrie.

Je ne parle point d’une intrigue d’amour assez froide froide entre Narsès, ambassadeur d’Athènes, et Aspasie, fille do Thémistocle, non plus que du personnage insignifiant et même peu tragique de Néocle, frère d’Aspasie. Ceci n’est qu’un véritable remplissage qui ne tient point au fonds de cette tragédie, qui n’offre point un grand intérêt, ni une pièce parfaite d’action, mais dont le but moral est néanmoins excellent. C’est une forte leçon pour tous ceux qui ont le malheur d’être éloignés de leur patrie, soit qu’ils aient été rejetés de son sein, soit qu’ils aient eu l’ingratitude de la fuir.

Thémistocle est le premier ouvrage du cit. Larnac ; à ce titre , loin d’exciter une critique sévère, cette pièce ne peut commander que des encouragements. Il y a des scènes bien filées, des discussions fortes de logique, et deux belles situations, l’aveu de Thémistocle au second acte, et au cinquième sa mort, qui peut-être est un peu trop prolongée. Le style du cit. Larnac est soigné, riche en vers d’expression et toujours tragique , quoiqu’on y trouve quelque fois des imitations de quelques beautés des nos maîtres ; c’est en un mot un ouvrage qui, s’il ne satisfait pas complettement le spectateur exigeant, méritera toujours l’estime des littérateurs et des amis des sentimens sublimes qu’enfante l’amour de la patrie.

Cette pièce est jouée par les citoyens St-Fal, St-Prix, Vanhove, Dupont, Chevreuil, Varennes, et par les citoyennes Fleury et Molé d’Alainville. Un autre jour, en parlant du jeu des acteurs, je ferai quelques observations sur .le costume Persan, dont le cit. Chevreuil approche le plus dans cet ouvrage.

Ducray-Duminil.          

Courrier des spectacles, n° 379 du 17 ventôse an 6 [7 mars 1798], p. 2-3 :

Théâtre, de l’Odéon.

On a vu dans le numéro du 12 de ce mois l’analyse de la nouvelle tragédie de Thémistocle ; donnée la veille pour la première fois. On va lire les jugemens de divers journaux qui ont parlé de cet ouvrage.

Journal de Paris, du 13 ventôse.

La première représentation de Thémistocle, tragédie en 5 actes, n’a pas obtenu un succès brillant , mais son auteur s’est concilié l’estime générale. On est venu annoncer, d’après la demande du public, qu’elle est le premier ouvrage du cit. Larnac. Ce début donne les plus grandes espérances pour les pièces qui le suivront. Le défaut le plus marquant est le manque d’intérêt, mais il paraît tenir plus essentiellement au sujet en lui-même, qu’à la manière dont il est traité. Ce sujet ne comporte réellement que deux situations : l’une lorsque Thémistocle a la douleur de se voir poursuivi par les Athéniens jusques dans le lieu de son refuge, et d’entendre Xerxès ne repousser la demande de l'ambassadeur que parce qu’il se charge lui-même du soin de le faire périr. La présence de Thémistocle à cette audience publique ajoute prodigieusement à cette situation vraiment théâtrale. Le parti que prend Thémistocle de se nommer au prince qui vient de mettre sa tête à prix, est simple et plein de grandeur.

L’autre est la résistance qu’il oppose au vœu de Xerxes qui ne le comble de biens et d’honneur que pour l’armer contre les Athéniens. Son refus, qu’il sait être son arrêt «le mort, imprime à ce personnage un caractère de grandeur, qui étonne en même temps qu’il charme le spectateur, et l’on sent combien les circonstances où nous nous trouvons, ajoutent au développement de toutes ces maximes républicaines.

L’auteur cependant devoit fournir 5 actes, et ces deux scènes ne suffisoient pas. Pour y parveni , il a introduit trois personnages qui font naître de petits incidens ; mais ces incidens n’ayant rien de direct au but de l’ouvrage, ne font que l’allonger, et jettent beaucoup de froid dans le dialogue.

Nous aimons à répéter que le public s’est fortement prononcé sur l’opinion qu’il a du talent de l’auteur. Il doit donc suivre avec confiance la carrière qu’il s’est ouverte, et compter sur des succès plus marqués.

Petites Affiches, du 13 ventôse.

On a donné avant-hier avec succès la première représentation de Thémistocle , tragédie en 5 actes.

Suit l’analyse. ....

Tel est le fonds de celle tragédie, dont plusieurs scènes ont été applaudies à juste titre, et annoncent un grand talent. Nous croyons que le choix du sujet n’est pas heureux. . . . parce qu’il tombe dans le genre admiratif, toujours froid à la scène. Un pareil trait ne devoit selon nous, comporter que trois actes ; par-là l’auteur eût évité les deux personnages épisodiques de Néocle et d’Aspasie, qui ne produisent aucun effet. Thémistocle ne conserve pas toujours le caractère de grandeur d’ame qui animoit le Héros Grec : souvent il est écrasé par le roi de Perse, dont l’auteur a exalté la générosité et les vertus. Il n’a point fait de Xerxès un despote Asiatique, tel que l’histoire le peint, violent, fougueux, sacrifiant tout à sa vengeance, il nous le représente, au contraire, comme un prince débonnaire. Thémistocle qui reçoit cornplaisamment les dons intéressés de Xerxès, n’avoi t pas assez de bonhommie pour ne pas anpercevoir le piège caché sous tant de générosité. En un mot, nous n’avons vu ni Xerxès, ni Thémistocle ; ce n’est qu’au cinquième acte qu’ils rentrent dans leur caractère. La scène qui termine le second acte est inutile, et détruit le grand effet que produit la belle confiance de Thémistocle, qui se livre à son ennemi. La dernière scène du cinquième acte est trop longue : Thémistocle a préféré la mort à ignominie ; le poison circule dans ses veines .... La pièce finit là et finit très-bien : le reste fatigue et gâte l'ouvrage. Malgré ces observations, cette production offre des tirades dignes de nos grands maîtres ; elle fait beaucoup d’honneur au cit. Larnac.

Journal d’IIndications, du 13 ventôse.

Analyse de la pièce. . . . .

Un style mâle, un dialogue sévère, des scènes bien remplies, de belles situations ont commandé l’indulgence. Les deux premiers actes et le dénouement ont obtenu les suffrages des connoisseurs, mais au troisième et quatrième acte, l’action languit ; ce sont des allées et des venues, des entrées et des sorties qui fatiguent ; des rôles subalternes et des scènes obscures déparent cet ouvrage, qui n’est pas sans mérite ; c’est le coup d’essai du cit. Larnac, jeune homme qui mérite des encouragemens, et qui donne les plus grandes espérances.

On auroit désiré dans cet ouvrage que le rôle de Xerxès fût moins boursoufflé, et celui de Narsès opposé au caractère de Thémistocle ; il en auroit résulté plus d’intérêt pour l’ouvrage qui souvent en est dépourvu.

Le Censeur dramatique, tome troisième (1798), n° 20 (20 Nivôse an 6), p. 71-79 :

Théâtre François du Faubourg Saint-Germain.

Pièce nouvelle.

Le 11 Ventôse, on a donné la première Représentation de Thémistocle, Tragédie en cinq Actes, en vers, par M. Larnac.

Xercès, Roi de Perse, a conservé contre les Athéniens, qui l'ont vaincu, sous la conduite de Thémistocle, et surtout contre ce Général, un profond ressentiment. Il apprend que ce grand: homme, exilé de sa Patrie, erre de contrées en contrées, en cherchant partout un asile. Il a donné ordre de le saisir partout où l'on pourra le trouver, afin de l'immoler à sa vengeance.

Thémistocle, accompagné de son fils Néocle, vient d'arriver à Suses. Il n'ignore point la haine que lui a voué Xercès ; il vient s'offrir à lui, et se remettre en ses mains, Xercès, étonné de tant de grandeur d'ame et de courage, sent tour d'un coup son inimitié faire place à des senrimens généreux. Non seulement il accueille avec bonté Thémistocle, mais il lui annonce qu'il est déterminé à partager avec lui son autorité, à l'élever au plus haut rang auprès de sa personne, enfin à lui confier la conduite de ses Armées contre les Athéniens, contre lesquels il suppose Thémistocle pressé de venger ses propres outrages.

Ce grand homme reçoit avec horreur la proposition de porter les armes contre sa Patrie. Il déclare à Xercès que, prêt à tout faire pour lui .prouver sa reconnoissance, il ne peut se résoudre à combattre les Athéniens. Xercès, furieux de ce refus, ordonne qu'on renferme Thémistocle, et que si, sur l'autel du Soleil, il ne jure pas d'accomplir toutes ses volontés, il soit livré à la mort. Mais revenant bientôt à des sentimens plus doux, il veut bien exempter Thémistocle de marcher contre sa Patrie. Mais il est trop tard : ce vertueux Citoyen, s'immolant lui-même à son ingrat pays, a fait couler dans ses veines un poison mortel. Il vient expirer aux pieds de Xercès, qui, frappé de tant de courage, se détermine à faire la paix avec les Athéniens.

Il y a trois autres personnages dont nous n'avons point parlé, pour ne pas interrompre le fil de l'action principale à laquelle ils sont liés. Aspasie, fille de Thémistocle, qui, par les suites d'un naufrage, se trouve à la Cour de Xercès, qui ignore sa naissance ; Narsès, Ambassadeur d'Athènes auprès de Xercès, Amant d'Aspasie, qui a fait proscrire d'Athènes Thémistocle, et avec lequel il se réconcilie en épousant sa fille ; et Néocle, fils de Thémistocle, qui partage les malheurs-de son pere, sa haine contre les Athéniens, et qui ne peut de même partager sa générosité.

On voit par cet Extrait rapide que l'intérêt principal de cette Tragédie roule sur Thémistocle et sur Xercès ; car les amours d'Aspasie et de Narsès n'en inspirent aucun, et ne font peut-être que nuire à l'austérité d'un tel sujet.

Le premier défaut qu'on y remarque, c'est l'extrême facilité avec laquelle, et sans aucune gradation, Xercès passe tout-à-coup de l'excès de la haine à celui de la bonté pour Thémistocle. Qu'il le reçoive sans courroux lorsqu'il vient se mettre a sa merci, cela se conçoit ; il y auroit même de la barbarie à en user autrement avec un ennemi sans défense. Mais qu'il veuille l'élever tout-à coup aux premieres charges de l'Etat, lui confier ses troupes, le charger enfin de tour le soin de sa gloire, sans s'être assuré de sa fidélité, c'est ce qui paroît peu vraisemblable.

On conçoit que Thémistocle immole ses ressentimens à l'amour de son Pays ; chez les véritables Républicains de tels sentimens ne sont point rares. Il n'est donc point étonnant qu'il refuse tous les dons de Xercès, dès qu'il s'agit de porter la guerre à Athènes. Mais ce que l'on ne conçoit pas de même, c'est qu'il pardonne aussi aisément à Narsès, son persécuteur, son ennemi, l'une des principales causes de tous ses malheurs, et dont la jalousie la fait bannir d'Athènes ; qu'il approuve tout-à-coup l'amour de sa fille pour cet Athénien, et qu'il la lui accorde pour épouse ; rien de tout cela n'est gradué ni motivé.

Thémistocle ignore que sa fille soit à la Cour de Xercès, et cependant il ne témoigne ni surprise ni indignation de l'y voir. Cette entrevue se pas-e comme une simple rencontre : il n'y a pas même de reconnoissance.

Dans l'audience que Xercès accorde à l'Ambassadeur Athénien, il le traite avec un souverain mépris ; et celui ci sort, après avoir brisé le rameau d'olivier qu'il étoit venu offrir au Roi de Perse ; et cependant il reste tranquillement dans son Palais, et ne paroît conserver aucun ressentiment de l'accueil injurieux qu'il a reçu.

Le fils de Thémistocle ne tient en rien à l'action, et ce rôle pourroit être retranché sans que l'on s'en apperçoive.

Quoiqu'il y ait un grand nombre de personnages dans cette Tragédie, l'action y est presque nulle. Tout se passe en conversations, qui n'amènent aucun événement ; tout se réduit au refus que Thémistocle fait de porter les armes contre sa Patrie.

Aussi n'y règne t-il point d'intérêt de sentiment ni de curiosité ; la mort de Thémistocle ne surprend ni n'étonne, car l'on s'attend bien qu'il s'immolera plutôt lui-même que de manquer à ce qu'il doit à son pays.

Disons quelque chose des caractères.

Celui de Xercès est un mélange de fureur, d'emportement, et de générosité, assurément peu vraisemblable. Un despote aussi puissant, accoutumé à céder à toutes ses passions, et qui a commencé à donner tant d'éclat aux mouvemens impétueux de sa haine et de sa vengeance, n'en vient pas tout-à-coup à des sentimens généreux. On pourroit cependant dire que l'envie de se venger des Athéniens, en leur opposant un Capitaine tel que Thémistocle, a plus de part que la véritable générosité à l'accueil qu'il lui fait. Cela est vrai, sans doute : mais il falloit le motiver davantage.

Le rôle de Thémistocle est le mieux fait de la Pièce ; mais il nous semble qu'il n'est point assez conséquent avec lui même ; qu'à travers de très beaux sentimens, il dit une foule de choses vagues et de peu d'effet; et qu'avec sa fille et Narsès, il n'a point un caractère assez déterminé.

Celui de Narsès l'est encore moins. Il se borne à une très belle harangue, au second Acte ; il ne soutient plus l'idée que ce discours avoit fait concevoir de lui.

Nous avons dit que Néocle étoit à-peu-près nul. C'est un rôle absolument sans couleur.

Pour Aspasie, sans parler des événemens romanesques qui l'ont amenée à la Cour de Xercès, et du peu de vraisemblance qu'il y a qu'elle ait pu réussir à cacher sa naissance à ce Prince, qui au reste ne paroît point s'en inquiéter, on ne s'intéresse guère à une fille qui a pour Amant l'homme qui a fait proscrire son père, et qui est la cause de tous ses malheurs, &c., &c.

Malgré ces nombreux défauts, cette Pièce a obtenu un grand succès ; le Public l'a écoutée avec une bienveillance très marquée, et quelques longueurs seules, au dénouement, ont excité de légers murmures.

Ce succès ne nous surprend point, et nous le croyons mérité à plus d'un égard, malgré toutes les observations que nous venons de nous permettre.

D'abord, le plan en est assez sage ; l'action, quoique foible, est assez bien suivie ; on aime Thémistocle, dont les sentimens excitent l'admiration ; on suit avec une sorte d'intérêt le développement du caractère de Xercès ; et quoique ce mélange de férocité et de générosité soit hors, de la Nature, il ne laisse pas que de plaire au Théâtre.

Ensuite, cet amour de la Patrie, qui fait immoler à Thémistocle ses plus vifs ressentimens, et refuser les .plus grands avantages, est fait pour plaire à des ames républicaines, et il a excité un grand enthousiasme.

Enfin, cette Tragédie est écrite avec une sorte de pompe, qui soutient l'attention et plaît à l'oreille. La versification en a paru soignée, quoique l'Auteur n'emploie pas toujours le mot propre ; le style soutenu; et un grand nombre de beaux vers, qui naissent naturellement du sujet, ont souvent excité de nombreux applaudissemens.

Il faut ajouter qu'elle a été jouée avec beaucoup d'ensemble, et qu'elle offre un très beau. Spectacle. Ceci nous conduit à parler des Acteurs.

M. Vanhove est chargé du rôle de Thémistocle. Si l'on peut lui reprocher de manquer quelque fois de noblesse, et de mettre un peu de monotonie dans certaines parties de ce rôle, on doit dire aussi qu'il en a fait valoir avec soin les beautés; qu'il y a mis souvent de la force, de la chaleur, et.de l'énergie, et qu'il y a déployé ce ton mâle et républicain, qui convenoit très bien à ce caractère. Nous aurions desiré qu'il appuyât moins sur certains endroits, que le desir d'être applaudi lui a fait dire avec plus de force que de vérité; ce qu'on appelle, en terme de l'Art, donner un coup de fouet. Mais heureusement ces inconvenances ont été rares, et l'on peut dire qu'en tout M. Vanhove a bien saisi l'esprit de ce rôle.

Nous avons été surpris de voir M. Saint-Fal chargé de celui de Xercès, qui nous a paru devoir plutôt appartenir à l'emploi des Tyrans. Ce n'est pas que M. Saint-Fal ne l'ait rendu avec beaucoup d'art, et qu'il n'ait fait surtout beaucoup d'effet dans toutes les parties de ce rôle où Xercès annonce de la générosité. Mais cet Acteur, qui exprime avec tant de feu et de sensibilité tous les sentimens qui prennent leur source dans un cœur tendre et une belle ame, ne peut rendre, avec la même énergie, tout ce qui tient à la fureur, à la fierté et à la cruauté. Aussi, nous a-t-il paru au-dessous de lui-même, dans l'expression de ces différentes passions, qui contrastent trop avec ses moyens, pour qu'il puisse n'y rien laisser à desirer.

Nul n'a reçu du Ciel tous les dons en partage,

et le sien est assez beau, pour qu'il ne s'offense point de ces observations. S'il jouoit souvent des rôles de cette espèce, il ne tarderait point, en forçant ses moyens, à dénaturer l'un des plus aimables talens de la Scène françoise. Au reste, il a dit ce rôle avec beaucoup d'intelligence, et il y a été souvent applaudi avec enthousiasme.

M. Saint-Prix a mis de la noblesse dans celui de Narsès : il a surtout bien rendu la harangue. Cet Acteur se dessine bien au Théâtre, et l'on voit, avec plaisir, qu'il se corrige chaque jour de ses défauts, et qu'il acquiert de nouveaux moyens d'intéresser. S'il pouroit soutenir davantage ses finales, il produiroit d'autant plus d'effet, que son débit cesserait de présenter cette monotonie qu'il offre quelquefois.

Malgré la foiblesse de ses moyens, Mademoiselle Fleury a rendu le rôle d'Aspasie avec ame et sensibilité. Mais on perd quelquefois de ce -qu'elle dit, et son organe n'est peut-être pas assez fort pour une Salle d'une telle étendue.

Les autres rôles sont peu importans. Ils ont été joués avec soin par MM. Dupont, Florence, Varennes et Chevreuil ; le dernier sur-tout, qui se dessine bien, et dont la voix a du mordant, a paru faire, en général, plaisir. Ce sera un Sujet très utile dans la Tragédie.

Une fort belle décoration, des habits riches, de la pompe, un très beau Spectacle, prouvent que les Comédiens comptoient beaucoup sur cet Ouvrage, qui n'a point été monté sans de grandes dépenses. Ils n'ont pas été trompés dans leur attenre, puisqu'il a obtenu un très grand succès. Nous faisons des vœux sincères pour que ce succès et cette affluence se soutiennent.

L’Esprit des journaux français et étrangers, vingt-septième année, tome V (floréal an 6 de la République française), p. 210-215 :

THÉATRE DE L'ODÉON.

Thémistocle, tragédie de Larnac.

Tous les vrais connoisseurs qui avoient senti les grandes beautés de la tragédie de Thémistocle, du C. Larnac, souffroient, & de l'indifférence du public, & de la sévérité de certains journalistes envers un auteur dont le début méritoit plus que des encouragemens. Ils apprendront avec plaisir que cette tragédie, remise en trois actes, a obtenu dernièrement un succès non équivoque, & que le public a confirmé leur suffrage par des applaudissemens réitérés plusieurs fois, après la toile tombée. Voici l'analyse de la pièce telle qu'elle est à présent : :
La ſcène s'ouvre par Thémistocle, accompagné de son fils qui l'a suivi dans l'exil, & qui a partagé tous ses malheurs. Il paroissent dans le palais de Xercès, en un lieu préparé pour une audience publique que Xercès doit donner à Narsès, ambassadeur d'Athènes. Néoclès exprime à son père la crainte qu'il a qu'il ne soit reconnu, & l'exhorte à fuir : Thémistocle refuse, sans cependant découvrir le motif d'une démarche qui alarme son fils. Un esclave grec paroît ; il vient pour assister à l'audience de Xercès : il apprend à Thémistocle, qu'il ne reconnoît point que sa tête a été mise à prix par Xercès ; il demande à lui-même des nouvelles du vainqueur de Salamine. Thémistocle, en répondant à ses questions, commence à développer le caractère de résignation héroïque qui le distingue. Le soldat, étonné de ce que l'audience du roi n'a point lieu à l'heure marquée, sort pour s'informer de la cause- de ce retard. Néoclès, plus alarmé que jamais, conjure son père de s'éloigner : refus constant de Thémistocle, rassuré sur ce qu'un de ses soldats ne l'a point reconnu. Xercès enfin paroît avec tout l'appareil de la royauté, suivi de l'ambassadeur d'Athènes Celui ci, après avoir offert la paix que Xercès refuse avec hauteur, demande, au nom des Athéniens, qu'on lui livre Thémistocle ; Xercès refuse encore, en assurant que si Thémistocle tombe jamais entre ses mains, il ne remettra point à d'autres le soin de sa vengeance. L’ambassadeur se retire, en brisant le rameau d'olivier qu'il avoit apporté. Au moment même, on vient annoncer que Thémistocle a paru non loin de Suse. Xercès furieux ordonne qu'on le cherche partout, & qu'on ne reparoisse que sa tête à la main. Thémistocle alors se découvre & se livre lui-même : Xercès, admirant cette confiance magnanime, passe tout à coup de la haine à l'estime, & de la fureur à la générosité. Il assure le héros grec de sa protection ; bientôt il lui offre le commandement d'une armée qu'il a rassemblée près de Suse. Thémistocle qui croit que c'est contre les Egyptiens qu'il doit marcher, saisit, avec enthousiasme, l'occasion d'être utile à son bienfaiteur ; mais Xercès lui déclare que ce sont les Grecs qu'il faut vaincre. Thémistocle, au désespoir, après avoir tout tenté pour détourner Xercès de ce dessein, refuse d'abord avec ménagement, ensuite avec dignité, enfin avec toute l'énergie d'un vertueux républicain. Xercès, rendu à la violence de son caractère, le menace de la mort, & ne lui donne que quelques instans pour se décider. Regrets de Thémistocle de ne pouvoir concilier la reconnoissance & le patriotisme. Néoclès & Narsès paroissent, l'un pour engager son père à servir Xercès, l'autre pour affermir le héros dans son noble refus. Néoclès, voyant l'inutilité de ses efforts, sort pour aller se jeter aux genoux de Xercès. Narsès, resté seul avec Thémistocle , se justifie de la mission dont il s'est chargé : il a fallu obéir aux ordres du sénat, qu'il lui a été impossible de prévoir ou d'éluder. Thémistocle l'approuve & l'embrasse. On annonce le roi ; l’ambassadeur s'éloigne. Xercès vient faire une nouvelle tentative sur le cœur de Thémistocle, qu'il croit désintéresser en lui annonçant que des Grecs se sont rendus coupables d'un lâche assassinat. Thémistocle refuse de le croire, & ajoute que, lors même qu'ils auroient blessé les lois de l'honneur, il respecteroit sa patrie, en détestant le crime de ses enfans. Xercès, furieux, fait arrêter Thémislocle : bientôt il éprouve des remords ; il est prêt à révoquer l'arrêt qu'il a porté, lorsqu'on vient lui annoncer que ce héros est disposé à lui prêter le serment de fidélité, mais qu'il exige que ce soit en préſence des Persans & de l’ambassadeur d'Athènes. Xercès, transporté de joie, ordonne les apprêts de cette cérémonie. Néoclès & Narsès arrivent successivement, incertains de ce qui va se passer. Thémistocle enfin paroît : Xercès lui ordonne de prendre la coupe, & de jurer qu'il marchera contre Athènes. Thémistocle invoque les dieux protecteurs d'Athènes ; il les supplie
de diſpoſer Xercès à la paix, mais de l'accabler s'il porte la guerre dans ſon pays. Emportemens de Xercès. Beau mouvement de l'ambassadeur
d'Athènes, qui s'écrie :

Poursuivez, poursuivez, citoyen généreux !

Xercès menace Thémistocle ; celui-ci apprend au monarque qu'il a fait couler dans ses veines un poison qui va le délivrer de la cruelle alternative d'être ingrat ou perfide. Il prie Narsès d'obtenir pour lui un tombeau parmi les cendres de ses pères. Douleur de Néoclès ; admiration de Narsès ; regrets de Xercès : Thémistocle en profite pour lui demander la paix ; il l'obtient & expire.

On voit que cette intrigue est simple, & la marche plus rapide. La suppression du rôle d'Aspasie ne s'apperçoit pas même, ce qui prouve combien il étoit inutile : celui de Narsès gagne à ce retranchement, du moins dans l'esprit de ceux qui croient difficilement au dévouement stoïque d'un citoyen, qui sacrifie à la vengeance, même injuste, de sa patrie, les jours de son ami & le cœur de sa maîtresse. Dégagée de ce dernier incident, l'action de Narsès est belle, sans sortir de la nature ni de la vraisemblance. Le caractère impétueux & imprévoyant de Néoclès, que quelques journalistes ont trouvé inutile, contraste parfaitement avec la résignation héroïque de son père ; &, en l'excitant sans cesse à la vengeance, il l'engage à motiver son refus magnanime de se venger : il est d'ailleurs dans la nature, & intéresse beaucoup plus qu'un confident qu'il auroit fallu mettre à sa place. Peut-être le reproche d'inutilité tomberoit-il plus justement sur l'esclave grec : quoique l'auteur ait motivé son entrée & sa sortie, Néoclès pouvoit savoir & dire tout ce que ce perſonnage vient apprendre. Quant .au caractère de Thémistocle, il eſt parfaitement dessiné, développé avec beaucoup d'intérêt & très-bien soutenu : si quelques personnes l'ont trouvé froid, ce n'en est assurément pas la faute de l'auteur. La pièce, en général, est écrite d'un style pur, élégant & correct : peut-être manque-t-il quelquefois d'élévation ; mais il annonce un écrivain distingué, & le C. Larnac doit s'applaudir d'un ouvrage que tous les connoiſſeurs mettent bien au dessus de son succès.

D’après la base César, la pièce a connu 4 représentations, les 1, 3, 21 mars et 12 avril 1798. Le Courrier des spectacles annonce une représentation supplémentaire, le 5 mars. Au total, cinq représentations, une tentative avortée de remise en trois actes.

 

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