Timoléon

Timoléon, tragédie en trois actes et en vers, avec des chœurs, de Chénier, 24 Fructidor an 2 [11 septembre 1794].

Théâtre de la République

Titre :

Timoléon

Genre

tragédie avec des chœurs

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

en vers

Musique :

oui

Date de création :

25 fructidor an 2 (11 septembre)

Théâtre :

Théâtre de la République

Auteur(s) des paroles :

Marie-Joseph Chénier

Compositeur(s)

Méhul

Almanach des Muses 1795 (qui donne comme date le 24 fructidor an 2 [10 septembre 1794], contre l’avis général qui indique le 11 septembre).

Trait fort connu de l'histoire grecque. Timoléon, général de Corinthe, immole Timophane son frère, qui conspire contre la liberté de son pays, et prend des mesures pour se faire couronner.

Belle scène des deux frères près du tombeau de leur père.

Grand succès. De nombreuses allusions sortant naturellement du sujet, et toutes fort applaudies. Musique des chœurs, du c. Méhul.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Maradan et chez Desenne, l’an troisième:

Timoléon, tragédie en trois actes, avec des chœurs, Par Marie-Joseph Chénier, Député à la Convention nationale ; Musique de Méhul. Précédée d’une Ode sur la situation de la République de Robespierre et de ses Complices.

L’Esprit des journaux français et étrangers, vingt-troisième année, tome IX (septembre 1794), p. 252-257:

[Comme pour tout sujet historique, le compte rendu s’ouvre par des exercices obligés : le rappel succinct des données de l’histoire, et la liste des pièces dont ce personnage a été le héros (jusqu’à des anecdotes aussi intéressantes que celle de l’entorse de la cheville de Lekain. Puis le critique entreprend de résumer l’intrigue, en opposant fortement le tyrannique Timophane aux républicain incorruptibles. Timoléon, frère de Timophane, finit par se laisser convaincre de le faire périr. La partie critique s’ouvre ensuite sur une réticence concernant la construction de la pièce : tous les personnages savent dès le deuxième acte que Timophane veut exercer n pouvoir tyrannique, et la fin de la pièce apparaît comme une simple répétition, ce qui prive le troisième acte d’intérêt. Néanmoins « l'action & le but moral qu'elle offre sont dignes des plus grands éloges », et elle « est remplie de détails poétiques, de beautés de style ». la pièce a connu le succès, et Chénier a été nommé.]

Théâtre de la République, rue de la Loi

Timoléon, tragédie nouvelle, avec des chœurs..

 Tout le monde connoît le trait sublime de Timoléon : on sait que Ttmophane, jeune homme qui n'écoutoit que son ambition & son goût pour les plaisirs , voulut être le tyran de Corinthe, sa patrie, vers l’an 1343, avant l'ere chrétienne. Le célebre Timoléon, son frere, auroit pu partager avec lui la souveraine autorité ; mais, loin d'entrer dans son infâme complot, il préféra le salut de ses compatriotes à celui de son propre sang. Après avoir employé, à plusieurs reprises, mais toujours en vain, les remontrances & ses prieres, pour engager Timophane à rendre la liberté à ses concitoyens, il le fit assassiner, aidé par son autre frere Satyrus. Ce trait d histoire a déjà été mis plusieurs fois en scene. Le plus ancien Timoléon que nous connoissions, est intitulé : le grand Timoléon de Corynthe, tragi-comédie, jouée en 1541, & composée par un sieur St. Germain, auteur aussi d'une tragédie de Ste. Catherine. Quoique ce Timoléon ait précédé les tragédies de Corneille de plus de 80 ans, on y trouve des beautés majeures, & souvent un style nerveux & même correct. Alfieri a fait aussi un Timoléon en trois actes, dans lequel il a mis en scene Démariste, mere de ce héros : cet ouvrage est un des plus estimables de cet auteur. Frédéric Cronegk, auteur des élégies, connues sous le nom de Solitudes, & dont on peut lire l'éloge dans le Journal étranger (janvier 1761), est auteur d'un Timoléon en cinq actes dans lequel il a donné un superbe rôle à un vieillard corinthien, nommé Ortagoras. Ce Timoléon n'a jamais été joué ; mais il a obtenu un succès d'estime à la lecture. Cronegk. étoit un poëte aimable, ingénieux, sensibl , mais trop souvent négligé. Nous n'oublierons pas de citer la Timoléon de La Harpe, joué en 1764, & dont le troisieme acte, sur-tout, obtint le succès le plus décidé : on lui reprocha, avec raison, d'avoir rendu son Timophane ambitieux par amour ; mais son ouvrage n'en fut pas moins estimé. On prétendit dans le tems, que les représentations du Timoléon de La Harpe avoient été interrompues, parce que Lekain s’étoit donné une entorse dans la rue de la Harpe, au coin de la rue des Cordeliers.

Après avoir passé en revue tous les Timoléons connus, nous allons parler de la tragédie de ce nom, qu'on a donnée avec un succès mérité sur le théatre de la république. L'ouvrage est en trois actes. Timophane, qui peint son caractere dans ce seul vers :

Je plains l'ambitieux qui n'est pas insensible.

Timophane a des remords : il voudroit, par les conseils d’Anticlès, tyranniser son pays ; mais il craint la haine de sa mere Dêmarìste, de son frere, de tous ses concitoyens. Anticlès le raffermit dans ses projets ambitieux : Timophane est prytane (magistrat) de Corinthe ; rien ne lui est plus facile que d'usurper ce jour-là même, le pouvoir souverain. Cependant Timoléon revient de Syracuse, & vainqueur de Denys : il apprend par Ortagoras, vieillard vénérable, républicain incorruptible, que son frere est à la tête d'un complot affreux contre la liberté de son pays...... Timoléon, frémissant d'horreur, va trouver ce frere coupable, que son retour a déconcerté. C'est sur le tombeau de leur pere que Timoléon rappelle à Timophane les derniers conseils de ce pere républicain : c'est sur son tombeau qu'il force le coupable á avouer ses forfaits, à en rougir. Timoléon croit que le traître a renoncé à ses desseins ; &, tranquille, il monte à la tribune pour rendre compte au peuple du succès de son entreprise contre Syracuse & Carthage, & pour lui remettre le pouvoir qu'il lui a confié ; mais tout-à-coup Antidès se présente à la tête d'un parti : il parle d'un roi..... Le peuple s'indigne : Ortagoras monte à la tribune : il dit que les vieillards sauront défendre la liberté.

Ils n'ont pas respiré l'air de la servitude !

On découvre, sur un des conjurés, un bandeau royal..... Timoléon force Timophane à le fouler aux pieds ; mais celui-ci s'y résout avec peine. Timoléon, toujours en garde contre les projets de son frere, engage Démariste à lui parler. Démariste va trouver ce fils conspirateur ; elle se jette même à ses pieds, pour lui faire abjurer son ambition : Timophane lui promet tout, & soupire aptes le m»ment où il pourra se reconcilier avec son frere.... Timoléon apprend cette nouvelle avec joie : mais, ô surprise ! Ortagoras lui montre une lettre, dans laquelle Denys engage Timophane à saisir sa couronne, & lui promet tous ses trésors. Ortagoras veut assassiner le tyran ; Timoléon y consent : mais avant, il veut circonvenir encore l'ame du scélérat ; & si Timoléon se voile les yeux, Ortagoras alors pourra frapper. Entrevue des deux freres. Timophane ne peut plus rien nier : mais son audace l'emporte sur les prieres de son frere..... il veut se retirer pour rentrer triomphant dans Corinthe : Timoléon, au désespoir, se couvre de son manteau, & le vieillard Ortagoras frappe le tyran, qui va expirer au pied du tombeau de son pere. Anticlès arrive à la tête de son parti : mais Corinthe est libre, le peuple est éclairé sur les complots du tyran, tous ses complices sont envoyés au juste supplice qu'ils ont mérité.

Tel est le cadre de cette tragédie, à laquelle on peut reprocher un défaut de conduite. Après la superbe scene du tombeau, au second acte, il est impossible que les autres entrevues du troisieme acte, quelque bien qu'elles soient tracées, n'aient pas l'air de répétitions ; c'étoit aussi le défaut du sujet. On est étonné de la confiance de Timoléon, de Démariste, de tous les Corynthiens : à la fin du second acte, il est prouvé, sur-tout à Timoléon, que Timophane est un traître, qu'il est lié avec les plus vils conspirateurs, qu'Anticles & son parti viennent pour déposer sur son front le bandeau des tyrans : ce bandeau, il est sous les yeux de tout le monde : les projets des conjurés sont connus, & personne ne les arrête ! Timoléon a la foìblesse de croire, après cet éclat, aux remords de son frere ! ce même Anticles, & ses amis, qui ont eu l'audace de proposer un roi à un peuple libre, ne sont pas morts ! ils reviennent pour exécuter leur complot !.... Voilà sans doute ce qui sait paroître le troisieme acte plus foible d'intérêt après le second , qui est très-beau. Mais si la charpente de cette piece amene nécessairement des redondances de situations, l'action & le but moral qu'elle offre sont dignes des plus grands éloges. Elle est remplie de détails poétiques, de beautés de style. La scene du tombeau est du plus grand effet, ainsi que celle du troisieme acte. Le style offre souvent des vers fermes, forts de pensées & d'énergie. On a sur-tout applaudi avec enthousiasme les quatre vers suivans, qui sont pleins de sens & d'harmonie.

Quand le lâche est tremblant, quand le traître conspire,
Quand un tyran futur a la main sur l'empire,
Se levant tout-à-coup, le peuple, d'un coup-d'œil,
Voit tous ses ennemis & le plonge au cercueil.

En un mot, cet ouvrage, plein de beautés tragiques, antiques & poétiques, a obtenu les plus vifs applaudissemens, & l'on en a demandé l’auteur : Desrosieres est venu nommer Chénier.

E. Jauffret, le Théâtre révolutionnaire (1788-1799) (Paris, 1869), p. 321-323 :

[La pièce de Chénier a été l’objet des autorités révolutionnaires d’une mise en cause que Jauffret explique dans son livre sur le Théâtre révolutionaire : il attribue à Robespierre une « ombrageuse susceptibilité » : la pièce montrant la mort d’un tyran l’aurait inquité

Le théâtre de la République annonçait depuis longtemps, pour le 21 floréal an II (10 mai 1794), la première représentation d’une tragédie nouvelle de Chénier, Timoléon. Tout à coup cependant la pièce est retirée de l’affiche. Quel était le motif de ce brusque retrait ? On s’interrogeait avec mystère ; on répondait avec hésitation. Le motif, le voici : Timophane, frère de Timoléon, conspire contre la liberté de Corinthe, sa patrie. Il n’en fallait pas plus pour alarmer l’ombrageuse susceptibilité de Robespierre. Un grand nombre de représentants, ses amis, avaient assisté à la répétition générale. Julien, de Toulouse, s’adressant à Chénier avec une extrême violence, lui avait dit : « Ta pièce n’est qu’un manifeste de révolte ; mais cela ne m’étonne pas. Tu n’as jamais été qu’un contre-révolutionnaire. » Il fut donc enjooint aux comédiens de suspendre la représentation, que le Comité de salut public s’empressa d’interdire tout à fait. Chénier, dit-on, trembla pour sa tête ; il en fut quitte pour la peur.

La mort du tyran devait ramener la pièce au théâtre, avec un sentiment de curiosité en plus. On dut être étonné qu’une tragédie aussi froide, un conspirateur aussi misérable que Timophane, eussent inspiré une pareille crainte. C’était de la part des écrivains une fâcheuse disposition de se placer toujours en présence des événements et d’y conformer leur langage. L’âme damnée de Timophane est Anticlès. C’est lui qui le pousse, qui fixe ses hésitations. C’est lui aussi qui propose, afin de mettre un terme aux discordes civiles, l’établissement d’un régime monarchique.

Il faut qu'un magistrat, sage, actif, intrépide,
Opposant aux partis une invincible égide,
De tous les factieux confonde la fureur,
Et que la liberté règne par la terreur.

Jusqu’ici le dictateur n’avait rien à reprendre. Ces affreux principes étaient d’accord avec ses sentiments secrets ; mais Chénier n’avait posé l’objection que pour la détruire par une profession de foi républicaine, qu’il avait placé dans la bouche de Demariste, la mère de Timoléon et de Timophane.

 Tel est des oppresseurs le langage ordinaire ;
Je dénonce Anticlès : républicaine et mère,
J'ai le droit de parler pour arracher mon fils
Au piège où l'entraînaient de perfides amis.
La terreur , comprimant l'honnête homme abattu,
Sèche l'humanité, fait taire la vertu.

La tyrannie altière, et de meurtres avide,
D'un masque révéré couvrant son front livide,
Usurpant sans pudeur le nom de liberté,
Roule au sein de Corinthe un char ensanglanté.
Au courage, au mérite on déclare la guerre :
On déclare la paix aux tyrans de la terre ;
Et la discorde impie, agitant ses flambeaux,
Veut élever un trône au milieu des tombeaux.
Il est temps d'abjurer ces coupables maximes 
Le peuple ne veut plus ces indignes entraves :
Songeons que la terreur ne fait que des esclaves ;
Et n'oublions jamais que sans humanité,
Il n'est point de loi juste et point de liberté.

[La citation de la tirade de Demariste est incomplète chez Jauffret.]

C’était s’en souvenir un peu tard, mais enfin à tout péché miséricorde. C’était d’ailleurs le moment des conversions politiques. Quelques mois après,Chénier peut impunément satisfaire son opinion et sa rancune :

Peuple libre et vengé, lève ton front auguste,
Toi qui de Timophane as puni l’attentat.
Les lois étaient sans force, et son trépas est juste :
        Ton poignard a sauvé l'État.

D’après la base César, la pièce de Chénier, musique de Méhul, n’a connu que 4 représentations, dans 4 théâtres différents: le 11 septembre 1794 (Théâtre de la République), le 5 novembre 1794 (Opéra), 10 mai 1795 (Théâtre des variétés), le 3 janvier 1796 (Théâtre Feydeau).

Dans la Gazette nationale ou le Moniteur universel (tome 11, janvier à mai 1794), 22 occurrences de Timoléon :

  • 16 germinal an 2 [5 avril 1794] : « en attendant la 1ère représentation de Timoléon, trag. Nouv. à grands chœurs » ; cette annonce est répétée presque chaque jour pendant toute la fin de germinal et la première quinzaine de floréal ;

  • le 19 floréal [8 mai], Timoléon est cité par Robespierre dans une liste des pères méritants de l'antiquité grecque, avec Miltiade, Aristide et Épaminondas, « dont la seule présence était une leçon vivante de magnanimité, de justice et de patriotisme » (discours fleuve du 18 floréal, à la Convention nationale).

  • l'annonce de la première représentation de Timoléon ne figure pas dans le numéro du 20 floréal.

A la fin de l'année 1794 et le début de 1795, (tome 12 et 13, début de l'an 3), quatre occurrences du titre Timoléon :

  • le 28 brumaire an 3 [18 novembre 1794, annonce de la publication de la brochure,

  • le 6 frimaire [27 novembre 1794], nouvelle annonce de cette publication

  • le 2 ventôse an 3 [20 février 1795], rappel du refus de Robespierre de laisser représenter Timoléon, « et en effet, Timoléon ne fut pas représenté » (la date de ce refus n'est pas précisée)

  • le 11 germinal an 3 [31 mars 1795], Chénier rappelle ce que Villatte avait dit à son propos « 10 jours avant le 9 thermidor », qu'il méritait « d'être guillotiné pour avoir fait Timoléon ».

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