Ulysse (ballet, Milon)

Ulysse, ballet-héroïque-pantomime en trois actes, de Milon, musique de [Loiseau de] Persuis, 28 février 1807.

Académie Impériale de Musique.

Titre :

Ulysse

Genre :

ballet héroïque, pantomime

Nombre d'actes :

3

Musique :

oui

Date de création :

28 février 1807

Théâtre :

Académie Impériale de Musique

Compositeur(s) :

[Loiseau de] Persuis

Chorégraphe(s) :

L.-J. Milon

Almanach des Muses 1808.

Sujet trop connu pour qu'il soit nécessaire de l'analyser. Ballet dont le succès a dû flatter son auteur.

Dans l'Almanach des Muses et dans certaines revues du temps, le ballet de Milon est intitulé le Retour d'Ulysse.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Dondey-Dupré, 1807 :

Ulysse, ballet héroïque en trois actes, Représenté, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l'Académie Impériale et Royale de Musique, au mois de Février 1807 ; Par L.-J. Milon, second Maître des Ballets de ce Théâtre ; Musique de L. Persuis, de la Chapelle de S. M. l'Empereur et Roi, et de l'Académie Impériale et Royale de Musique.

Courrier des spectacles, n° 3669 du 28 février 1807, p. 2 :

[La première représentation du ballet de Milon (on ne dit rien du compositeur) a été perturbée par un grave accident arrivé à une actrice, tombée de la gloire où elle se trouvait à environ 7 mètres de la scène. C’est d’elle dont le critique donne des nouvelles, avant d’annoncer un article « sur le mérite du ballet », qui est grand, lorsque les circonstances le permettront.]

Académie Impériale de Musique.

Le Retour d'Ulysse, ballet en trois actes.

Ce ballet auroit eu jusqu’à la fin le plus brillant succès, si la dernière scène ne se fût changée en une cruelle tragédie. Au moment où Minerve descend des cieux pour réunir Ulysse et Pénélope, une des cordes qui soutenoient la gloire ayant manqué, le char a perdu l’équilibre, et l’infortunée actrice qu’il portoit est tombée de près de vingt pieds de hauteur sur le théâtre. Cette actrice est Mlle. Aubri. On ne sauroit peindre l’effroi que cet accident a produit dans une des plus belles assemblées que l’Opéra eût réunies depuis long-tems. Le cri de plus de trois mille spectateurs s’est joint à celui de la malheureuse victime. Le coup cependant n’a point été mortel. Elle a eu assez de force et de courage pour se relever ; elle a été ensuite emportée dans les bras de ses camarades, et les soins les plus empressés lui ont été prodigués. Tous les spectateurs sont restes long-tems à leur place, jusqu’à ce qu’on ait pu leur donner des nouvelles de Mlle. Aubri.

Un acteur est venu annoncer que la vie de cette actrice n’étoit point en danger, qu’elle étoit grièvement blessée, et que les hommes de l’art étoient occupés à la secourir.

Cet accident est d’autant plus fâcheux que jusqu’à présent l'habileté des machinistes avoit toujours rassuré contre toute espèce de craintes. Nous reviendrons dans un moment moins triste sur le mérite du ballet, qui justifie la réputation que s’est acquise depuis long-tems M. Milon.

L’action est bien conduite, les parties sont bien distribuées, les effets bien entendus, et l’exécution est confiée aux premiers sujets de la danse.

Courrier des spectacles, n° 3670 du 1er mars 1807, p. 2-4 :

[Après le compte rendu de la veille, largement consacré à l’accident qui a marqué la représentation du ballet, le journal du jour consacre une large place à l’analyse du ballet (mais toujours rien sur la musique), avant de revenir sur l’accident sous forme de documents administratifs. L’analyse ne fait pas d'allusion à ce qui s’est passé la veille, et s’ouvre par de solides banalités sur Ulysse, dont tout le monde connaît en effet les aventures, et sur un sujet qui permet de recourir « aux prestiges du merveilleux », à condition de ne pas tomber dans l’excès : ce sujet « exige de la justesse dans les idées, beaucoup de goût, et le sacrifice de l’amour-propre », mais Milon, le chorégraphe, a su trouver la bonne mesure. Il a suivi Homère, tout en s’en écartant, en « compositeur habile et judicieux ». Le critique reprend d’ailleurs les compliments qui formaient la conclusion de l’article de la veille, sur l’action la division en parties, les effets et l'exécution. Mais avant de passer au nécessaire résumé de l’action, il faut relever l’absence remarquée d’un danseur, qui se refuse à danser autre chose que les pas qu’il crée, s’est vu refuser celui qu’il avait imaginé, et « s’est retiré sous sa tente » (l’Académie impériale de Musique et la troupe de danse n’était donc pas un endroit paisible). On arrive donc au résumé tant attendu. Inutile de le reprendre, signalons juste qu’il présente avec l’Odyssée des différences notables, que les lecteurs d’Homère se feront un plaisir de relever, ce qui les conduira à s’interroger sur les motifs de ces inventions en tout genre. L’intrigue se termine bien entendu par l’épisode de l’arc, que les prétendants sont incapables de le bander, à la différence d’Ulysse : ils veulent chasser celui qu’ils prennent pour un vieillard, mais, avec la protection de Minerve (pas d’allusion au fait qu’elle est tombée de sa gloire), Ulysse les massacre : il peut retrouver sa famille. Le dernier paragraphe est une succession d’éloges des divers danseurs : aucun n’a démérité, loin de là : « tous ont contribué par leurs talens à rendre cette représentation très-brillante ».

Il faut tout de même revenir sur l’accident de la veille, et c’est par une lettre du directeur de l’Académie impériale de Musique qu’on est informé du contenu du rapport effectué très rapidement. On apprend la cause de l’accident (un manque de synchronisation dans la manœuvre d’un rideau qui provoque le déséquilibre de la gloire, et la chute de l’actrice), la gravité des blessures de celle-ci (une contusion, une fracture du bras, une luxation d’un doigt de pied, rien de mortel donc). La jeune femme a été soignée avec diligence, et il ne reste qu’à espérer qu’elle ne gardera pas de séquelles de sa blessure.]

Académie Impériale de Musique.

Ulysse, ballet en trois actes, de M. Milon.

Qui ne connoit les aventures d’Ulysse, la fidelité de Pénélope, la sagesse de Télémaque, la faveur de Minerve pour le Roi d’Ithaque ? Qui ne sait avec quelle ardeur une foule de prétendans aspiroieut à la main de la Reine, quoiqu elle ne fût pas d’une très-grande jeunesse, !a résistance de cette princesse à toutes leurs séductions, l’insolence des grands seigneurs d’Ithaque, et la noble émulation avec laquelle ils dévoroient la fortune d’Ulysse ? C’est le retour de ce héros que M. Milon a voulu célébrer. Le sujet est dramatique. Comme il se perd dans les tems fabuleux, il se prête aux prestiges du merveilleux, il est susceptible de développemens brillans. Le point capital étoit de ne pas les multiplier ; de ne point imiter le long ouvrage de Pénélope. Savoir s’arrêter à propos, et ne donner à ce qu’on fait qu’une dimension exacte est un art difficile. I1 exige de la justesse dans les idées, beaucoup de goût, et le sacrifice de l’amour-propre.

M. Milon a rempli toutes les conditions ; il a puisé son sujet dans Homère. Quelle source plus riche ! I1 a créé les parties nécessaires pour compléter son drame, et s’est encore montré compositeur habile et judicieux.

L’action est bien conçue, marche et se développe avec intérêt ; les parties sont bien liées ensemble, les tableaux bien entendus, les grouppes distribués avec intelligence, et comme tout cela est exécuté par les premiers sujets, on conçoit facilement qu’il en résulte un spectacle très-beau.

On s’attendoit à y voir danser Henri ; mais ou assure que ce jeune compositeur, enivré des éloges excessifs que lui prodigue un de nos journalistes, ne veut plus danser que les pas de sa composition ; que son génie refuse de se plier à un joug étranger,et qu’il faut une capitulation pour obtenir ses brillantes faveurs. Il avoit donc composé un pas que l’on avoit déjà nommé dans les coulisses le pas des blanchisseuses, parce qu’ïl s’exécutoit par plusieurs jeunes nymphes qui soutenoient un vaste rouleau de toile. Ce pas n’ayant point été admis, Henri s’est retiré sous sa tente, comme l’impétueux fils de Pélée ; car il faut bien que je cite l’Iliade, puisqu’il est question de l’Odissée. Malgré cette défection, le ballet n’en a pas été moins bien exécuté. En voici à-peu-près le sujet.

Pénélope, femme d Ulysse, est obsédée ; comme on sait, par une foule de jeunes amans qui aspirent en même tems à se rendre maîtres de sa main et du trône d’Ithiaque. Ils parviennent à séduire le Grand Prêtre, et lui font rende un oracle qui assure qu’Uysse n’existe plus, et que la Reine doit se choisir .un nouvel époux. Pleins d’espérance, ils se livrent à toute l’impétuosité de leurs prétentions. Antinoüs, le plus ardent de tous, déclare sa passion à Pénélope ; la Princesse, aidée de sa vertu et des conseils du jeune Télémaque, le repousse avec fierté. Les prétendans conspirent contre le jeune Prince, et cherchent le moyen de s’en défaire ; ils envoient des soldats pour l’assassiner dans une forêt consacrée à Minerve ; mais on sait avec quel soin cette déesse veille sur Télémaque et sur son père.

Ulysse est déjà arrivé à Ithaque sur un vaisseau que lui a fourni le Roi des Phéaciens. Descendu dans ses états, il demeure quelque tems inconnu. Dans un songe, la Déesse lui montre Pénélope entraînée à l'autel, et Télémaque sous le poignard des assassins. Ce spectacle est magnifique. Bientôt son rêve se réalise ; les conjurés envoyés par Antinoüs et ses complices, rencontrent Télémaque près de la statue de Minerve , et veulent l'accabler par le nombre. Ulysse paroit, désarme les assassins, et les précipite dans une grotte où Minerve les engloutit sous les flots d’une fontaine qu’elle fait jaillir. Télémaque reconnoit son père, mais Ulysse veut conserver l’incognito ; et Minerve , pour seconder ses projets, le métamorphose en vieillard couvert d’un habit grossier incapable de le faire reconnoitre. Télémaque et Eumée son ami accompagnent le Roi d’lthaque à son palais ; il voit les préparatifs des prétendans pour l’hymen de la Reme avec l’un d eux il voit son épouse prête à sacrifier sa vie à la fidélité conjugale, et saisissant un poignard pour terminer ses jours ; l’arrête, et lui promet qu’elle reverra son époux Parmi les armes qui se trouvent dans le palais est l’arc dont se servoit Ulysse avant son départ pour le siège de Troye ; le vieillard se présente à la Reine, en lui recommandant de ne choisir pour époux que celui des prétendans qui pourra s’en servir.

Cependant la suivante de Pénélope, Euryclée, a reconnu Ulysse, malgré son déguisement ; elle veut se jeter à ses pieds, le nommer : le Roi lui impose silence, et lui recommande de ne point le faire connoitre, même à 1a Reine. Les prétendans qui ont forcé Pénélope à fixer le moment où elle doit donner sa main à l’un d’eux, sont assemblés dans le palais ; la Reine y vient portant l’arc redoutable ; elle propose à tous de s’en servir ; plusieurs refusent. Antinoüs saisit l’arc, et cherche vainement à en faire fléchir la corde ; il est forcé d’y renoncer. Ulysse alors s’en empare, et Bientôt il prouve à ces jeunes princes sa supériorité.

Outrés de colère, ils veulent le chasser du palais. Ulysse s’arme d’une flèche et y tue l’audacieux Antinoüs. Bientôt tous les poursuivans veulent l’attaquer ; mais Minerve le protège, et lance la foudre sur ses ennemis. Le Roi d’Ithaque victorieux, se retrouve entre les bras de sa femme et de son fils.

Mlle. Clotilde a joué avec beaucoup de noblesse et de sensibilité le rôle de Pénélope. Celui d’Euriclée étoit confié à Mlle. Chevigny, Elle y a été sublime, sur-tout dans la scène où elle reconnoit Ulysse. St.-Amand étoit chargé du rôle de Télémaque ; il ne pouvoir être en de meilleures mains. MM. Aumer, Baptiste, Petit et Branchu jouent les trois premiers Prétendans, leur jeu anime beaucoup la scène. Vestris et Mad. Gardel ont dansé au deuxième acte un pas charmant où ils ont disputé de grâce et de légèreté. Au troisième acte, Duport a exécuté avec sa sœur et Mlle. Colombe un pas de trois avec une rare perfection. Beaulieu et Mesd. Delisle, Vestris, Favre, Gaillet et Mareiller ont aussi contribué par leurs talens à rendre cette représentation très brillante.

Le Directeur de l’Académie Impériale de Musique, au Rédacteur du Courrier des Spectacles.

Paris, le 28 février.                    

L’intérêt que le public a bien voulu, Monsieur, prendre à l’événement malheureux arrivé à la représentation d’hier impose à l’administration le devoir de rendre publique la cause de cet accident.

Je vous prie d'insérer la note ci-jointe dans votre N°. de demain.

J’ai l’honneur de vous saluer,          Bonet.

Extrait du Rapport du Directeur de l’Académie Impériale de Musique, sur l'événement arrivé le 28 février, à la première représentation du ballet d’Ulysse.

Au dernier changement de décoration, où Minerve descend pour unir Ulysse et Pénélope, le rideau de fond ayant été enlevé avant le signal du machiniste, la deuxième perche du milieu a formé un pli qui l’a porté en avant ; la Gloire se baissant au même moment, l’a rencontré, et a fait la bascule. Il en est résulté la chute de l’actrice d’une élévation de 15 pieds.

Le rapport du médecin de l’Academie constate que mademoiselle Aubry a éprouvé une contusion légère au front, une facture au bras droit, et une luxation du peitt orteil du pied.

L’Administration s’est empressée de lui faire donner tous les secours que sa position réclame ; elle a l'espoir que cet accident n’aura pas de suites plus fâcheuses.

Pour extrait conforme,

Le Secrétaire général,           Lecraicq.

Les quatre Saisons du Parnasse, troisième année, printemps MDCCCVII, p. 281-287 :

                     ULYSSE,
BALLET HÉROÏQUE EN TROIS ACTES,

De M. Milon,

Musique de M. L. Persuis.

De belles décorations, un spectacle tour à tour imposant et gracieux, une action intéressante sagement conduite, des danses bien dessinées et non moins bien exécutées, en voilà plus qu’il n’en faut, sans doute, pour assurer le succès d’un ballet.

Le sujet d’Ulysse est pris de l’Odyssée ; M. Milon avoit donc Homère pour guide et en même temps pour interprète auprès de ses spectateurs ; ce qui, pour l’auteur d’un ballet, n’est pas un médiocre avantage. En effet, ses personnages sont muets, comme ceux du peintre : ils ne peuvent se nomme r; l’auteur même n’en peut nommer qu’un très petit nombre sur l’affiche, et le parterre a souvent de la peine à reconnoître les autres ; inconvénient qui a pu se faire sentir d’abord, même dans le ballet de Psyché. Mais qui n’a pas lu, chez le prince des poëtes, les aventures du sage Ulysse ? en voyant une femme, auprès d’un métier, occupée encore au point du jour à défaire l’ouvrage de la veille, qui peut douter que cette femme ne soit Pénélope ? Lorsque deux bergers viennent lui rendre leurs hommages, qui ne reconnoît le fidèle Eumée et Philétius ? Une foule de jeunes gens richement vêtus a paru ensuite, et Pénélope s’est retirée ; chacun a nommé les poursuivants; et le farouche Antinoüs, le plus violent de tous, marchant à leur tête, ils ont forcé par leurs menaces le devin Léode à rendre un oracle qui annonçoit la mort d’Ulvsse, et donnoit à Pénélope l’ordre de choisir un nouvel époux. L’oracle de Léode étant moins connu, il a fallu l’écrire; mais cette licence est permise aux chorégraphes, pourvu qu’ils n’en abusent pas, et tout a été fort clair dans tout le reste du premier acte : l’arrivée de Télémaque qui protège les deux bergers ; l’apparition de Minerve, sous la figure de Mentor, qui le rassure contre le faux oracle, et l’encourage à partir pour chercher son père ; 1e ton d’autorité qu’il prend envers les poursuivants, après cet entretien avec une déesse ; la colère de ces poursuivants, et le complot qu’ils forment d’assassiner Télémaque, complot que quatre d’entre eux se chargent d’exécuter.

Le second acte se passe au bord de la mer, près du mont Nérite. Ulysse débarque, accompagné de matelots phéaciens qui portent ses trésors. Il rend hommage à une statue de Minerve, et se livre ensuite au sommeil. La déesse lui fait voir en songe Pénélope obsédée par les poursuivants, et son fils en butte à leurs insultes. Il se réveille, et s’éloigne pour mettre ses trésors en sûreté dans une grotte voisine. C’est alors que Télémaque paroît, suivi bientôt des quatre poursuivants qui en veulent à sa vie. Ils l’attaquent en effet ; Ulysse accourtL Le père et le fils soutiennent avec avantage cc combat inégal, ct Minerve leur assure la victoire : un torrent qu’elle fait couler de la montagne engloutit dans leur fuite leurs ennemis déjà blessés. Pendant qu’Ulysse et Télémaque lui témoignent leur reconnoissauce, Eumée et Philétius arrivent du palais. Le vieil Eumée reconnoît son maître ; il communique sa découverte à Télémaque et au jeune berger : cette scène attendrissante a produit le plus grand effet. Cependant Minerve, qui craint qu’Ulysse ne soit aussi reconnu par ses ennemis, lui fait subir une métamorphose : au lieu d’un homme dans la force de l’âge, on ne voit plus qu’un vieillard couvert de haillons. C’est dans cet état qu’Eumée le présente aux bergers et aux bergères qui sont sous ses ordres ; mais il le présente aussi comme un voyageur qui annonce le prochain retour d’Ulysse, et c’en est assez pour motiver la joie et les danses qui terminent le second acte.

Le troisième nous ramène au palais ; et c’est ici que ceux qui avoient lu le programme se sont aperçus d’une mutilation dont ils se sont plaints. Ce programme annonçoit une bacchanale à la sourdine, exécutée par les femmes de Pénélope et par quelques poursuivants. Cette scène, indiquée par Homêre au commencement du vingtième livre, promettoit les effets les plus piquants. Nous ignorons pourquoi on l’a supprimée ; mais la perte en a été d’autant plus sensible, que le défaut le plus grave de ce ballet est de n’offrir point assez de danses. Quoi qu’il en soit, cet acte a d’autres beautés qui ont bientôt fait oublier la suppression des bacchanales. Ulysse arrive, conduit par Minerve, et voit Pénélope uniquement occupée de lui. Les poursuivants la surprennent défaisant son ouvrage ; sa ruse découverte , elle est forcée de promettre qu’elle fera un choix dans la journée : mais à peine sont-ils sortis, qu’elle prend la résolution de mourir plutôt que de subir cet indigne hymen. Elle se saisit d’une épée pour se frapper ; Ulysse se montre et la désarme. Elle ne peut reconnoître son époux, que Minerve a métamorphosé ; le faux vieillard lui fait entendre qu’un orage l’a forcé de chercher un asile dans le palais ; il lui parle du retour d’Ulysse, et lui conseille d’amuser encore les poursuivants, en promettant sa main à celui qui pourra tendre l’arc de son époux.

Nous voici parvenus à la scène la plus touchante, et en même temps à celle qui peut donner plus aisément prise aux censeurs. Nous n’avons pas encore parlé d’Euryclée, de cette bonne nourrice qu’Homère a rendue si intéressante, et qui reconnoît Ulysse, en lui lavant les pieds, à la cicatrice d’une blessure qu’il avoit reçue dans sa jeunesse. Le rôle d’Euryclée existe cependant dans le ballet de M. Milon, et il est joué par mademoiselle Chevigny ; mais ce rôle n’est plus celui d’une nourrice. On devine aisément pourquoi. M. Milon a pensé, sans doute, qu’il valoit mieux voir mademoiselle Chevigny sous ses propres traits que sous ceux de la nourrice d’un homme de quarante ans. Mais, dans ce nouvel état de choses, la reconnoissance est devenue embarrassante ; car une confidente de Pénélope n’a pas les mêmes droits qu’a la nourrice d’Ulysse à le reconnoître avant son époux. Voici comment Pauteur a vaincu la difficulté. Pendant que Pénélope écoute les conseils du vieillard, Euryclée le considère ; elle compare ses traits à ceux d’une statue d’Ulysse dont l’appartement est décoré ; la ressemblance 1a frappe : elle présente un siège au vieillard ; elle lui donne un marchepied ; elle découvre la cicatrice, et la reconnoissance est achevée.

Quand même nous serions disposés à chicaner M. Milon sur la vraisemblance de ces moyens, la manière dont mademoiselle Chevigny les a mis en œuvre suffiroit pour nous désarmer. On ne peut mettre plus de vérité, plus d’ame, plus d’expression dans la pantomime théâtrale, qu’el1e n’en a montré dans tout son rôle et sur-tout dans cette scène. Il étoit si évident qu’el1e reconnoissoit son maître par degrés, son trouble, son agitation, sa joie, ses transports étoient si naturels, que personne ne songeoit à examiner la vraisemblance d’une chose dont chacun sentoit la vérité.

Cette analise est déjà si longue, que nous passerons légèrement sur le dénouement que, d’ailleurs, tout le monde connoît, puisque c’est celui d’Homère. Les poursuivants arrivent. Antinoüs tente l’épreuve de l’arc, et ne peut parvenir à le tendre. Ulysse s’en empare ; il décoche une première flèche qui retentit sur un bouclier d’airain ; le tonnerre gronde; Télémaque, Eumée et Philétius paroissent armés ; une seconde flèche perce Antinoüs ; un combat général s’engage ; Minerve paroît... L’affreux accident dont mademoiselle Aubry a été la victime a terminé là ce ballet, le jour de la première représentation.

Nous devons le répéter ; l’action de ce ballet est bien conçue et bien conduite. Il n’y a point assez de danses dans le premier acte, mais celles du second et du troisième sont charmantes ; on y a vu Vestris, mademoiselle Saulnier, madame Gardel et mademoiselle Collomb : que peut-on demander de mieux ? Après avoir loué mademoiselle Chevigny de l’excellence de sa pantomime, il est juste de donner aussi des éloges à mademoiselle Clotilde dans le rôle de Pénélope, à Milon dans celui d’Ulysse, à Saint-Amand dans Télémaque. Le personnage d’Eumée, dont Goyon était chargé, a été très bien rendu. Aumer s’est acquitté avec succès de celui d’Antinoüs, et il a été fort bien secondé par les poursuivants, dont il étoit le coryphée.

Archives littéraires de l'Europe, tome treizième (1807), Gazette littéraire, mars 1807, p. lxvii-lxviii :

Théâtre de l'Opéra.

Ulysse, ballet héroïque, en trois actes,.de M. Milon.

Le sujet de cet ouvrage est le retour d'Ulysse dans ses états, la défaite des poursuivans, et la reconnoissance d'Ulysse et de Pénéloppe. Ce sont plusieurs livres de l'Odyssée resserrés en trois actes, et ne formant plus qu'une action qui n'excède pas la durée de vingt-quatre heures. M. Milon s'est tiré fort heureusement de cette opération qui ne laissoit pas d'avoir ses difficultés. Après avoir retranché le personnage d'Irus et les longs repas qui ont fait donner par Fielding à l'Odyssée le nom de poème où l'on mange (eating-poem), il y avoit encore beaucoup à couper et à réduire pour arriver aux dimensions requises d'un ballet. Les gens qui ne connoissent point Homère ne s'en seront point apperçus, les autres n'auront trouvé que peu de critiques à faire. La plus essentielle porteroit sur le personnage de la nourrice d'Ulysse, dont M. Milon a fait une simple confidente de Pénélope, ce qui a rendu la reconnoissance moins vraisemblable ; mais l'admirable jeu de l'actrice qui étoit chargée de ce rôle a désarmé tous les censeurs. Un autre reproche que l'on seroit tenté de faire à l'auteur de ce ballet, c'est que la reconnoissance d'Ulysse par Pénélope, scène si remarquable dans Homère, et parce qu'elle peint la simplicité des mœurs héroïques, et parce qu'elle rend témoignage à la prudence de Pénélope comme à son amour, se trouve ici remplacée par l'intervention de Minerve qui réunit elle-même les deux époux. Mais la reconnoissance homérique étoit trop difficile à rendre sans le secours de la parole, et l'on doit plutôt savoir gré à M. Milon de ne l'avoir pas tenté. Son action est d'ailleurs fort bien conduite. L'intérêt ne languit pas un seul instant. Il n'y a peut-être pas assez de danses. Les yeux accoutumés aux ballets de Psyché, de Pâris, de Télémaque , désireroient dans celui-ci des tableaux plus gracieux. Les gens d'un goût plus sévère pourront se flatter, au contraire, d'y voir la renaissance d'un genre depuis long-temps négligé ; celui du ballet plutôt héroïque et tragique que mythologique et fabuleux. Nous partagerions volontiers leurs espérances ; mais avant de nous y livrer, nous voudrions que nos danseurs étudiassent un peu l'art de la pantomime. Leurs jambes et leurs pieds sont d'une agilité merveilleuse, leurs bras se déploient et s'arrondissent avec beaucoup de grâces ; ils dessinent leurs attitudes avec élégance ; mais ils connoissent encore très-peu l'art de l'expression. Deux ou trois gestes de convention pour exprimer la menace, l'amour ou la haine, forment à peu près tout leur répertoire. La langue figurée des pantomimes qui charmèrent autrefois les Romains étoit un peu plus étendue.

Mémorial dramatique, ou almanach théâtral pour l'an 1808, M.DCC.VIII. [sic], p. 34-35 :

Le Retour d'Ulysse, ballet en 3 actes , de M. Milon. (27 Février.)

L'auteur a choisi ce qu'il y a de plus théâtral dans l'Odyssée ; il n'y a ajouté que le merveilleux nécessaire à son action. Ainsi Miverve [sic] est ici la protectrice du roi d'Ithaque et le moteur de tout; c'est elle qui change Ulysse en veillard [sic], qui lui donne, ainsi qu'à son fils Télémaque, la force de triompher des nombreux amans de Pénélope. L'auteur a donné à cette vertueuse reine une amie tendre et sincère, nommée Euryclée, dont le rôle est aussi actif que touchant. L'action, les détails, les grouppes, les pas, tout est beau dans ce ballet, dont la composition est noble et sage. L'ouvrage est rempli d'un grand nombre de belles scènes : la plus intéressante est la reconnaissance d'Ulysse et d'Euryclée. Mademoiselle Chevigny s'est fait admirer par la vérité, l’étonnement, la joie et le trouble qu'elle sait si bien peindre, lorsqu'elle reconnaît Ulysse, au moment où elle n'espère plus le revoir. Mademoiselle Clotilde fait briller sa douleur vertueuse et la noblesse de son jeu dans le rôle de Pénélope. M. Vestris et Mad. Gardel disputent de grâce et de légèreté, dans un pas charmant qu'ils dansent au deuxième acte ; enfin tout est fait dans ce ballet héroïque, pour mériter le suffrage du public, qui l'a accueilli en rendant justice au talont de M. Milon.

Le ballet de Milon, musique de Persuis, est répertorié sous le titre le Retour d'Ulysse. Créé le 27 février 1807, il a été représenté 16 fois en 1807, 4 fois en 1808, 1 fois en 1809, soit un total de 21 représentations.

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